Résumés
Résumé
En Iran, les publications sur la Perse antique, en particulier sur la dynastie achéménide, se multiplient après la révolution islamique (1979). La connaissance de ce passé occulté depuis le VIIe siècle par l’islamisation est tributaire des travaux orientalistes européens, car ceux-ci ont fourni la clé des inscriptions royales encryptées dans des langues disparues. Retraduire ce savoir en persan moderne est une condition du retour aux origines préislamiques de l’identité iranienne, mais cette réappropriation est investie d’une fonction politique. Les deux tiers des publications sur les Achéménides sont des traductions. Les titres répertoriés depuis 1971 font voir que le rythme des publications originales ou traduites soutient le courant d’opposition à la théocratie islamique. En suivant l’évolution des publications originales et traduites sur les Achéménides, l’étude montre en quoi, paradoxalement, l’histoire de la Perse antique n’a pas cessé de servir le courant moderniste qui s’exprime sur la scène politique de l’Iran depuis le début du XXe siècle.
Abstract
In Iran, the number of publications on Ancient Persia, and on the Achaemenid Dynasty in particular, has increased significantly since the Islamic Revolution of 1979. Knowledge about this period - an era that, since the 7th century, has been eclipsed by the process of Islamization - stems from research by European Orientalists who have made it possible to decipher royal inscriptions encrypted in languages that are now extinct. Retranslating these publications into modern Persian is essential for reconnecting with the pre-Islamic roots of the Iranian identity; however, such reappropriation has a political function. Nearly two third of Achaemenid-related publications are translations. Titles indexed since 1971 indicate that both the originals and the translations support the opposition movement to Islamic theocracy. An analysis of the evolution of original and translated publications on the Achaemenid Empire shows that, ironically, the history of Ancient Persia continues to nurture the modernist drive that has characterized the Iranian political scene since the beginning of the 20th century.
Corps de l’article
Le rapport que la traduction instaure avec l’altérité est un sujet parmi les plus débattus sur le versant critique de la traductologie contemporaine. Deux approches dominent ces débats. L’ une, attentive à la “signifiance”, c’est-à-dire au sens des formes du texte étranger, repose sur le paradigme poétique qui sous-tend la “tâche du traducteur” selon Benjamin et s’exprime en particulier chez Meschonnic (1973, 1999) et Berman (1995). L’autre, issue du postcolonialisme et de la crise des représentations impulsée par l’anthropologie culturelle, s’attache aux pratiques et aux effets de la traduction sur des groupes humains. Initialement fondé sur des cas étudiés en contexte colonial et postcolonial, le rapport à l’altérité y est pensé comme un rapport de pouvoir et de domination. Parmi les nombreuses études représentatives de ce courant, citons Niranjana (1992), Venuti (1998), Simon et St-Pierre (2000), Gentzler et Tymoczko (2002) ou encore Faïq (2004), avec leurs prolongements autour de pratiques réparatrices ou résistantes (Sturge 2007; Bandia 2008) ou bien en situation de conflit (Baker 2006; Inghilleri et Harding 2010).
Tout en étant séparées par des objets et des intérêts différents, les deux approches se rejoignent sur la question de l’éthique, celle du traducteur engagé dans l’acte de traduire l’altérité d’autrui. Dans le prolongement de ce “tournant culturel”, une approche principalement adossée à la sociologie de Bourdieu (parfois aussi à la théorie de l’acteur-réseau de Latour et Callon) fournit de nouveaux éléments qui mutualisent la responsabilité du traducteur dans la production du texte traduit[1]. Le rapport entre traduction et altérité est examiné du point de vue des contraintes exercées par des structures sociales telles que les appareils et les politiques d’édition, de diffusion ou de reconnaissance qui opèrent à l’échelle nationale et internationale (Heilbron 1999; Casanova 1999). L’inconvénient de cette approche sociologique axée sur les agents et sur leur interaction est qu’elle s’intéresse peu aux textes eux-mêmes. Si elle dénonce avec raison une tradition critique fondée sur la comparaison décontextualisée entre traduction et original (Sapiro 2007), elle néglige pour sa part les logiques discursives qui sous-tendent la transformation des textes qu’un système social a distingués dans son environnement et choisi d’importer. C’est pourquoi notre perspective d’abord sociographique et chiffrée sera également sociocritique : il s’agira de voir ce qui relie les textes importés à la communication qui se déroule dans le milieu importateur. L’altérité dont il est ici question est une altérité intérieure ayant partie liée avec une identité nationale, celle de la société iranienne, clivée entre l’identité islamique confisquée par le régime théocratique et l’aspiration réformiste qui trouve sa raison d’être dans l’histoire.
Il était une fois la Perse
L’étude part de l’observation suivante : sous le régime des ayatollahs, les publications et les traductions en persan moderne d’ouvrages portant sur la Perse antique se multiplient. Le foyer d’attention est une des trois dynasties ayant précédé la conquête arabe, à savoir la dynastie achéménide qui a fondé l’Empire perse aux alentours de 550 av. J.-C. et qui a régné jusqu’à la conquête d’Alexandre vers 330 av. J.-C.[2]. Après plus de deux siècles de domination, cette dynastie présentait des réussites incontestables. La civilisation perse était installée sur un immense territoire allant de la mer Égée jusqu’à l’Inde et de l’Égypte jusqu’à l’Afghanistan. On avait creusé le canal du Nil, construit des routes qui reliaient les régions administratives, facilitaient le transit des caravanes commerciales et des troupes, et ainsi maintenaient l’unité de l’empire le plus vaste de l’Antiquité. On avait établi ce que l’on considère aujourd’hui comme le premier système de messagerie du monde et créé une monnaie en usage sur tout le territoire. Des bas-reliefs montrant des peuples de l’empire qui s’échangent des offrandes sont interprétés comme le signe de leur coexistence pacifique. Cyrus le Grand, le plus connu des souverains achéménides, est décrit comme un roi juste, défenseur des droits de l’homme avant la lettre[3]. Cette vision idéalisée des relations entre peuples conquérants et conquis résulte sans doute d’une construction de l’histoire, mais les vestiges offrent à coup sûr un portrait exceptionnel de la période achéménide.
Dans l’Iran moderne, l’intérêt pour la Perse antique commence au XIXe siècle et coïncide, paradoxalement, avec l’ouverture de l’Iran à la modernité. C’est toutefois dans la seconde moitié du XXe siècle, sous le régime du dernier chah d’Iran, que la réappropriation du passé achéménide prend son essor. Lancé au début des années 1970, la publication d’ouvrages (originaux et traductions) sur l’Antiquité perse s’inscrit dans une politique culturelle où l’archéologie tient une place de premier plan. Promouvoir la connaissance de la Perse antique sert à réaménager l’identité nationale en exaltant des valeurs de civilisation, de tolérance et de progrès qui auraient existé avant l’islamisation. Le couronnement du chah en 1967, puis les célébrations du 2500e anniversaire de l’Empire perse en 1971 sur le site de la dernière capitale achéménide marquent la volonté de renouer avec une histoire occultée depuis la conquête arabe.
Suspendues par la destitution du chah et la révolution islamique, les publications sur la Perse antique reprennent de la vigueur des années plus tard dans un contexte sociopolitique bien différent, celui de la théocratie installée à Téhéran. Une chose a changé : l’initiative de ces publications n’est plus le fait du pouvoir en place. En outre, la présence substantielle d’ouvrages sur les Achéménides dans les catalogues de nombreux éditeurs témoigne que la demande s’adresse à un public qui déborde largement le milieu spécialisé des historiens et des archéologues. Devant les chiffres de l’édition, comment expliquer l’intérêt des lecteurs iraniens pour cette période particulière de leur histoire? Prestige et grandeur suffisent-ils à expliquer en quoi le passé achéménide entre en résonance avec la situation actuelle de l’Iran? Mais d’abord, pourquoi l’intérêt porté aux Achéménides est-il alimenté, directement ou indirectement, par la traduction?
Pour le comprendre, revenons brièvement sur l’histoire. Étendu sur tout le plateau iranien, l’Empire achéménide rassemblait des peuples, des langues et des cultures d’une grande diversité. En plus des tombes royales et des palais imposants avec des bas-reliefs remarquablement conservés, il en subsiste des traces sous la forme d’inscriptions cunéiformes gravées sur les parois des rochers et des monuments. Avec l’hellénisation consécutive à la conquête d’Alexandre et les occupations successives, la dynastie achéménide s’efface progressivement de la mémoire des Iraniens. L’islamisation, qui débute au VIIe siècle, achève de faire oublier les langues des inscriptions. Les prêtres zoroastriens chassés par la conquête arabe ont fui en Inde, emportant avec eux les textes sacrés. Il arrive un moment où l’on ne comprend plus les signes cunéiformes du vieux-perse.
À l’exception de ce que rapportent des auteurs grecs comme Hérodote (Histoires), Xénophon (Cyropédie) ou Ctésias (Persica) et sauf quelques autres sources anciennes et fragmentaires, la connaissance de l’Empire achéménide résulte en grande partie des découvertes archéologiques et des recherches philologiques faites par des orientalistes européens sur les textes sacrés de l’Avesta ainsi que sur les inscriptions des souverains perses[4]. Les premiers témoignages de voyageurs sur les inscriptions achéménides remontent au début du XVIIe siècle. Le déchiffrement commence au XVIIIe siècle. Il aboutira au siècle suivant[5].
Contrairement à leurs voisins, Élamites et Babyloniens, les Perses n’ont pas laissé de chroniques. Seules subsistent des inscriptions retrouvées au hasard des fouilles archéologiques. À Persépolis, par exemple, on trouve sur la fondation d’une salle d’apparat cette inscription de Darius :
Et le roi Darius dit : […] Ahuramazda a ainsi voulu, avec tous les dieux, que ce palais soit construit; et moi je l’ai construit; alors, il a été construit, solide et excellent et exactement ainsi que je l’avais ordonné.
Lecoq 1997 : 229
Ailleurs sur le même site, on trouve celle d’un successeur : “Artaxerxès le roi dit : ‘Ce palais, le roi Xerxès mon père en avait posé les fondations […] je l’ai construit et achevé’” (265-266). Les inscriptions sont également gravées sur les tombes royales comme celle de Darius à Naqsh-e-Rostam :
Je suis Darius, le grand roi, le roi des rois, le roi des peuples de toutes origines, le roi sur cette terre au loin […] ; j’ai régné sur eux ; ils m’apportaient un tribut ; ce qui leur était dit de ma part, ils le faisaient ; ma loi le maintenait […].
219-220
Les inscriptions laissées par neuf souverains sont une source d’information inestimable sur la période. Parmi elles, un cylindre d’argile attribué à Cyrus le Grand. Dans cet édit, le vainqueur de Babylone rétablit les cultes et autorise les populations captives à regagner leur pays. Certaines inscriptions ont été découvertes sur des parois rocheuses. La plus longue, attribuée à Darius Ier, a été trouvée à Bisotun dans l’ouest de l’Iran. Ce texte a joué un rôle décisif dans le décryptage des langues achéménides[6]. Écrites en cunéiforme, les inscriptions de la Perse antique sont souvent trilingues : vieux-perse, élamite et babylonien. C’est le cas de l’inscription de Bisotun. On y trouve aussi l’araméen qui servait de langue administrative et pour la correspondance diplomatique. L’égyptien hiéroglyphique et le grec y sont parfois présents. L’ancienneté et la diversité de ces écritures expliquent qu’il a fallu plus de deux siècles pour les déchiffrer. Grâce à l’intérêt des philologues européens pour l’origine et la filiation des langues, les inscriptions achéménides sont devenues un foyer d’attention à partir du XVIIIe siècle. Après le déchiffrement de la pierre de Rosette livrant le secret des hiéroglyphes égyptiens, la traduction par Sir Henry Rawlinson de l’inscription trilingue de Bisotun a accéléré le décodage des autres inscriptions achéménides (Briant 1996).
La publication des découvertes entourant l’Antiquité perse s’est faite dans les langues européennes, principalement l’anglais, l’allemand et le français. Timidement au XIXe siècle puis de façon systématique dans la seconde moitié du XXe siècle, la traduction en persan de ces travaux permet de rapatrier un corpus de savoir considérable sur l’histoire antique de l’Iran, qui repose en grande partie sur les inscriptions royales. Figées dans leurs langues d’origine aussi bien que dans leurs versions occidentales, celles-ci sont restées inaccessibles aux Iraniens jusqu’à ce qu’on les retraduise en persan. La réappropriation du contenu de ces archives et, plus généralement, des travaux occidentaux sur l’Antiquité perse va permettre de réactualiser l’histoire de l’Empire achéménide à des fins identitaires et même politiques, mais de façon différente sous la monarchie laïque des Pahlavi et sous la théocratie instaurée par l’ayatollah Khomeyni.
Les premières traductions et la modernisation de l’Iran
Au début du XIXe siècle, le nationalisme laïque et libéral d’expression européenne pénètre en Iran sous l’influence d’Iraniens qui ont séjourné ou étudié en Europe. La société iranienne devient réceptive aux idées nouvelles. L’éducation, la science et la culture sont valorisées. Les premiers livres sur la période préislamique ont été publiés après la fondation, en 1852, de l’école Dar al Fonun ou “maison des sciences”. L’établissement avait pour mission de former des fils de famille pour le service de l’État. En 1900, le gouvernement a créé cinq autres collèges affiliés à Dar al Fonun, dont deux pour le métier des armes. Dans les trois autres, on enseignait respectivement l’agriculture, les sciences politiques et les langues étrangères. Avec le concours de l’Imprimerie nationale, le collège des langues étrangères a publié plus de 160 livres dont dix consacrés à l’histoire de l’Iran. La plupart de ces livres étaient des traductions d’ouvrages rédigés par des Européens (Abrahamian 2008 : 40).
La période agitée qui entoure la révolution constitutionnelle au début du XXe siècle efface ces premiers efforts pour connaître l’archéologie et à travers elle l’histoire préislamique de l’Iran. La traduction des ouvrages d’histoire et d’archéologie est suspendue pendant près d’un siècle. Il faut attendre 1942 pour que Mirza Hassan Pirnia, homme politique et spécialiste iranien d’archéologie qui avait séjourné en Europe et connaissait des langues européennes, publie la première histoire préislamique de l’Iran. Plusieurs fois ministre, il a établi le premier système électoral et collaboré à la rédaction de la Constitution iranienne (Âryanpour 2006 : vol. 3, 54). Ces réformes ont été amorcées dans les années 1920 par le chah Reza Pahlavi, à l’exemple de son voisin turc Kemal Atatürk, dans le but de laïciser le pays. Ainsi, le nom Pahlavi (ou Pehlevi) choisi par Reza Khân, fondateur de la dynastie, désigne aussi la langue des Sassanides, la dernière dynastie perse avant la conquête islamique. En choisissant ce nom dynastique de même qu’en désarabisant le nom du pays[7], Reza Khân renouait explicitement avec le passé préislamique de l’Iran. Les Pahlavi, père et fils, ont toujours valorisé le patrimoine historique et l'attachement à la langue persane comme composantes de l'identité collective iranienne. Ils se sont distingués par la création d’institutions culturelles ayant pour but de renforcer la conscience nationale, comme l’Académie de langue et littérature persanes ou la Société nationale du patrimoine. Ces deux organisations ont patronné la traduction d’ouvrages archéologiques et stimulé l’étude du vieux-perse. Parallèlement, les années 1940 ont été marquées par une politique d’aménagement linguistique où l’on a systématiquement remplacé les mots étrangers, surtout arabes, par des mots persans. Les débats sur l’origine et l’authenticité de ces mots ont incité les spécialistes à approfondir l’évolution de la langue persane depuis les Achéménides. Durant la période troublée des années 1950 et 1960, les travaux sur l’Antiquité perse ralentissent. La célébration du 2500e anniversaire de la monarchie relance la traduction d’ouvrages archéologiques vers le persan moderne.
Le cylindre de Cyrus : une traduction manipulée
Le cylindre de Cyrus le Grand, encore appelé “édit de Cyrus”, est un vecteur des enjeux politiques du patrimoine achéménide. Il reste deux fragments du cylindre d’argile découvert en 1879 sur le site de l’ancienne Babylone. Le plus grand est conservé au British Museum. C’est un des témoignages les plus importants qui nous restent de l’écriture cunéiforme (Adkins 2004 : 105). Il est couvert d’un texte de trente-cinq lignes dont les trois premières sont presque entièrement effacées. Le second fragment contient les dix dernières lignes du texte et se trouve dans la collection Babylone de l’Université Yale (Dandamaev 1989 : 35). L’édit comprend deux parties. La première est rédigée de façon chronologique et impersonnelle, à la manière d’une chronique. Cyrus y présente son titre et sa généalogie. La seconde partie, rédigée à la première personne, raconte la prise de Babylone en 539 av. J.-C.. Cyrus y exprime sa volonté de rétablir les divinités dans leurs anciens lieux de culte et de permettre aux populations de regagner les régions d’où elles ont été déportées (Lecoq 1997 : 75)[8].
Il existe au moins cinq traductions persanes du cylindre. Certaines sont faites à partir de l’original, les autres à partir d’une traduction européenne. On doit la première à Pirnia. Publiée en 1942, cette version effectuée à partir d’une traduction française est incomplète. Les suivantes sont conformes au texte original à l’exception de celle remise par le chah Mohammad Reza Pahlavi à l’ONU en 1971 et dont le traducteur n’est pas précisé[9]. Ces retraductions soulignent l’importance des enjeux identitaires et politiques associés à ce document achéménide.
C’est sous le régime du chah Mohammad Reza Pahlavi que débute l’instrumentalisation du cylindre à des fins politiques. Rappelons que Mohammad Reza accède au pouvoir après l’abdication de son père en 1941. En 1953, après un bref exil, il reprend le pouvoir à la faveur d’un coup d’État anglo-américain contre le Premier ministre Mossadegh, qui avait nationalisé l’industrie pétrolière. Dix ans plus tard, il entreprend ce qu’il appelle la “révolution blanche”, modernisation à marche forcée qui, conjuguée à une répression brutale des opposants, en particulier du clergé musulman, finit par provoquer sa chute[10]. Entretemps, il mise sur l’exaltation de la Perse achéménide pour renforcer le sentiment nationaliste. Le 2500e anniversaire de la monarchie en constitue le point culminant. La vaste plaine qui s’étend entre Persépolis et Pasargades est choisie comme site des festivités somptueuses auxquelles sont conviés les chefs d’État et corps diplomatiques du monde entier. En marge de ces festivités, un comité d’experts a été chargé de créer la Société royale Pahlavi financée par la famille du chah. Cette société a pour mission de promouvoir la recherche et d’organiser la traduction d’ouvrages archéologiques, notamment ceux portant sur les Achéménides. On redessine les cartes de l’Iran depuis la période achéménide, on invite les philologues de renom à déchiffrer les inscriptions récemment découvertes, on collabore avec les archéologues européens et américains pour fouiller les sites archéologiques, on finance les recherches archéologiques par des bourses... En 1976, le chah remplace le calendrier solaire islamique (année 1355) par le calendrier impérial débutant par la dynastie achéménide (année 2535). Ces actions sont perçues comme anti-islamiques et se heurtent à une opposition encore plus vive du clergé musulman. Les conflits politiques intérieurs et la révolution islamique interrompent brusquement les activités de la Société royale.
Depuis le coup d’État de 1953, tandis que la police politique emprisonne et torture les opposants qui sont alors poussés à l’exil, le chah s’emploie à renforcer sa légitimité à l’intérieur du pays et à projeter une image plus libérale de son régime à l’étranger. Dans The White Revolution of Iran (1967), il affirme que les Pahlavi sont dans la continuité dynastique des Achéménides. Il instrumentalise le représentant le plus illustre de cette dynastie, celui dont la stature fait l’unanimité des historiens. Cyrus le Grand est l’incarnation d’un souverain pacifique, juste et tolérant. Il apparaît comme un idéal qui sert de référence nationale absolue à l’intérieur de l’Iran (Briant 1996 : 23-24). L’édit de Cyrus offre une pièce de choix à exploiter pour s’inscrire aux yeux du monde dans une tradition prétendument au service des droits de l'homme.
En 1971, le gouvernement iranien emprunte le cylindre au British Museum pour qu’il soit exposé au public pendant les festivités du 2500e anniversaire de la monarchie. À l’ouverture des célébrations, le chah proclame : “Ô Cyrus, le grand roi, roi des rois, roi achéménide, roi d'Iran. Moi, roi des rois de l'Iran, je t’adresse les salutations respectueuses de ma nation. Repose paisiblement, car nous, Iraniens, nous veillons, et nous veillerons toujours” (nous traduisons). Par ces paroles fortement codées, puisqu’elles reprennent les antiques formules des rois perses, le chah se place dans la lignée dynastique de Cyrus et se déclare comme son égal. En cette même année 1971, le chah offre une reproduction du cylindre aux Nations-Unies. Un communiqué de presse de l’Organisation daté du 14 octobre 1971 fait état de ce don remis au Secrétaire général de l’époque, Maha U Thant, par la princesse Ashraf Pahlavi, soeur du chah régnant, lors d’une cérémonie officielle au siège de l’organisation à New York. Le texte du cylindre est alors traduit dans les six langues de l’ONU. Pour mesurer la portée symbolique et diplomatique d’un tel cadeau, il faut rappeler qu’une conférence sur les droits de l’homme s’était tenue à Téhéran en 1968, également sous la présidence de la princesse Ashraf Pahlavi. Dans son discours inaugural, le chah avait soutenu que le cylindre de Cyrus constituait la première déclaration des droits de l’homme connue dans l’humanité. Cette caractérisation fut immédiatement contestée par les spécialistes, en particulier ceux du British Museum. Ils firent valoir que cette interprétation passait sous silence la longue tradition mésopotamienne où s’inscrivait ce genre d’écrit.
Plus grave est le fait que l’interprétation du chah repose sur un ensemble de manipulations intervenues dans la traduction du texte. La traduction produite à l’occasion du 2500e anniversaire de la monarchie est la première version persane intégrale du cylindre. Le traducteur reprend les tours impersonnels puis personnels de l’original qui caractérisent respectivement la première et la seconde partie du document. Mais celle-ci a subi des ajouts faisant dire à Cyrus qu’il aspirait à la paix, à l’égalité et à la tolérance. La manipulation fait encore dire au conquérant de Babylone qu’il respecte les droits des personnes et promet de tolérer les pratiques religieuses et culturelles. Par ces quelques phrases ajoutées, le traducteur présente Cyrus comme un roi étonnamment large d’esprit et très en avance sur son temps. Or, ces phrases ressemblent à celles que le chah a lui-même prononcées durant les cérémonies du 2500e anniversaire. Par ailleurs, dans le texte original, Cyrus invoque Marduk, le dieu babylonien. Le traducteur l’a remplacé par Ahuramazda, le dieu zoroastrien, ce qui met en valeur l’origine persane de Cyrus. Connaissant bien le texte original, les spécialistes ont protesté contre cette version qu’ils ont qualifiée de propagande dénuée de fondement scientifique.
La polémique s’est abîmée dans les troubles qui ont mené à la révolution islamique. Mais le totalitarisme répressif du régime théocratique a ravivé l’opposition en même temps que l’intérêt pour les Achéménides. Entretemps, largement diffusée par les médias, la version manipulée du cylindre de Cyrus a fini par s’imposer au détriment de la version authentique. À tel point qu’en 2003 Shirin Ebadi l’a citée dans son discours de réception du Prix Nobel de la paix.
Les Achéménides dans le circuit de la communication réformiste
L’Iran moderne a été et demeure le théâtre d’un affrontement entre deux courants identitaires. Le courant conservateur est incarné par l’actuel régime théocratique qui s’efforce d’imposer une identité exclusivement islamique. L’autre courant, de nature nationaliste et plutôt laïque, aspire à une réforme de la société. Toutefois, la ligne de partage n’est pas aussi nette. Beaucoup d’Iraniens associés au courant réformiste s'identifient à l'islam chiite tandis qu’il existe aussi un courant progressiste au sein du clergé dirigeant. La révolution n’aurait d’ailleurs pas pu triompher sans la coalition des nationalistes et des partisans d’un régime islamique, mais les deux courants sont rapidement entrés en conflit.
Deux ans après la révolution, le régime islamique interdit les partis nationalistes et les condamne pour apostasie. L’ayatollah Khomeyni proclame que le nationalisme est “contraire à l’islam”. L’emploi même du terme “national” est jugé comme un acte d’opposition au régime. Suivant ce diktat, l’expression “communauté musulmane” (Ummat-e-Islami) évince celle d’“intérêt national” (Ahmadi 2008 : 30). En ce qui concerne l’histoire du pays, le régime théocratique estime que l’Antiquité perse n’a aucune pertinence. Dans l’année qui a suivi la révolution islamique, des zélateurs ont cherché à détruire la tombe de Cyrus et ont défiguré de nombreux personnages ornant le site de Persépolis, suivant la même logique que celle qui a conduit les talibans à dynamiter les bouddhas de Bamiyan dans le nord de l’Afghanistan. Plus récemment, le régime a déclaré à la presse sa décision d’éliminer toutes les dynasties de l’histoire enseignée dans les écoles (Ettela’at : 20/10/2009)[11]. Ces tentatives d’éradication soulignent a contrario l’importance identitaire de l’Antiquité perse au sein de la société et celle des valeurs que cette période incarne dans l’imaginaire collectif.
La référence islamique imposée de façon exclusive par le régime provoque des résistances dont les manifestations parfois subtiles déjouent la machine répressive. En témoigne, par exemple, la vogue des prénoms empruntés à la période achéménide : Darius, Kuruš [Cyrus], Roxânnâ, Khashâyâr [Xerxès] ou Mândânâ (mère de Cyrus). La résistance de la société iranienne se manifeste plus visiblement à l’occasion des fêtes nationales célébrées devant la tombe de Cyrus à Pasargades. Depuis 2004, le 29 octobre est célébré comme le jour de Cyrus le Grand. Mais le phénomène le plus significatif est sans doute la montée des publications consacrées à la période achéménide, parmi lesquelles on compte un nombre important de traductions d’ouvrages étrangers sur ce thème. Si ces textes importés ont un impact, c’est d’abord parce qu’ils forment une masse critique et ensuite parce qu’ils entrent dans le circuit des communications qui alimentent les débats au sein de la société civile et façonnent l’opinion publique. Autrement dit, on peut faire l’hypothèse que ces traductions renforcent la diffusion d’un contre-discours de nature réformiste qui ne peut pas s’exprimer ouvertement sur la scène politique à cause de la censure et de la répression. Elles contribuent à exalter le passé préislamique, plus exactement le passé achéménide auquel, nous l’avons vu, sont associées des valeurs d’émancipation depuis l’ouverture de l’Iran à la modernité.
Le corpus des publications sur les Achéménides
Pour vérifier l’hypothèse, il fallait établir un corpus et en examiner les fluctuations avant et après la révolution islamique. Le catalogue de la Bibliothèque nationale d’Iran confirme que les premières traductions systématiques d’ouvrages sur la Perse achéménide débutent en 1971 et qu’elles sont publiées chez un éditeur financé par le régime Pahlavi. Le corpus a donc été établi à partir de cette année 1971. Elle correspond, nous l’avons dit, aux célébrations de Persépolis qui ont donné lieu à des recherches et à des publications sur la Perse antique.
Après la révolution islamique, les ouvrages de ce genre sont publiés par des éditeurs privés. Ces derniers sont particulièrement nombreux : on en compte une trentaine, certains étant même spécialisés dans la publication de livres en traduction. Un autre trait frappant est qu’à l’instar de certains périodiques ces maisons d’édition portent des noms empruntés à l’histoire préislamique comme Parsé, Paziné, Vahuman ou Foruhar[12]. Le choix de ces dénominations peut s’interpréter comme une prise de position, voire comme l’indice d’une résistance contre un régime ouvertement hostile à cette composante historique de l’identité nationale.
Entre 1971 et 2009, le corpus des publications originales et traduites sur les Achéménides totalise 485 titres. Parmi ces titres, on trouve à la fois des livres (251) et des articles (234). Ces derniers ont paru dans des revues universitaires et des périodiques culturels spécialisés (156) ainsi que dans la presse (78)[13]. La présence d’articles savants dans la presse quotidienne est un fait courant dans cette région du monde. En Iran, c’est aussi une façon de contourner la procédure imposée par le Ministère de la culture islamique, car chaque livre doit lui être soumis d’abord pour le contenu, ensuite pour l’impression et une troisième fois pour la diffusion. Il arrive donc souvent qu’un livre soit en partie publié dans un quotidien (sous forme d’un ou deux chapitres) avant de paraître en version intégrale. Quand on voit que les articles de presse représentent 16% du corpus, on se rend compte que les spécialistes atteignent par ce canal un plus large public.
Le corpus des traductions
On dénombre 190 livres et articles importés de l’étranger, soit près des deux tiers de toutes les publications répertoriées sur les Achéménides. Parfois, il existe des traductions concurrentes du même livre sans doute parce que l’Iran n’a pas légiféré en matière de droit d’auteur. C’est le cas de l’Histoire de l’Empire perse de Pierre Briant ou encore de Darius und die Perser de Walter Hinz, qui chacun font l’objet de deux traductions différentes dans le catalogue. Un autre cas est celui du livre d’A. Abulkalâm sur Cyrus et le Coran, trois fois traduit et chaque fois publié sous un titre différent. À l’inverse, on voit la même traduction rééditée après la révolution sous un nouveau titre : Les Achéménides et la grandeur de la Perse devient sobrement Les Achéménides et la Perse quand il n’est plus admis de célébrer ce qui pourrait passer pour la supériorité du passé préislamique. À ces différents cas de traductions multiples s’ajoute celui des livres dont un ou plusieurs chapitres paraissent d’abord sous forme d’articles. Qu’elles soient intégrales ou partielles, les traductions multiples d’un même texte signalent l’intérêt qu’on lui porte et sont donc incluses dans le corpus[14].
Les traductions répertoriées sont faites à partir de six langues, mais l’anglais vient sans surprise au premier rang. Près de 60% des livres et articles sont traduits à partir de cette langue, qui sert à l’occasion de langue intermédiaire. Par exemple, l’une des deux traductions persanes du livre de W. Hinz cité plus haut a été faite à partir d’une version anglaise au lieu de l’original allemand. De même, les grands classiques grecs traitant de la Perse sont traduits à partir d’une version anglaise et non du grec original. Loin derrière l’anglais viennent le français (19%) puis l’allemand (11%) qui à leur tour distancent le russe (6%), l’arabe (4%) et l’italien (un seul titre répertorié).
La présence considérable des traductions dans le corpus – soit 40% – tient au fait que ce sont des orientalistes européens qui ont fourni la clé des inscriptions royales et qui ont été les premiers à développer le savoir historique et archéologique sur les Achéménides. Aujourd’hui encore, beaucoup d’études qui s’attachent à recomposer l’histoire des Achéménides émanent d’orientalistes étrangers. Prenons l’exemple des publications sur les deux grands souverains, Cyrus et Darius (114 titres). Dans cette catégorie de loin la plus fournie, un titre sur cinq est une étude provenant de l’étranger. Mais la proportion dépasse la moitié pour les publications concernant les femmes sous les Achéménides.
Un passé recomposé
Même si les titres n’ont par eux-mêmes qu’une valeur indicielle, on doit les considérer comme des éléments de la communication qui circulent dans le système sociopolitique de l’Iran. Les publications sur l’Antiquité perse abordent des sujets très divers, depuis les grands personnages dynastiques et leurs oeuvres respectives jusqu’à l’organisation administrative et sociale de l’empire en passant par les coutumes des peuples qui en dépendaient.
Le corpus regroupe un nombre substantiel de publications cherchant les traces de la Perse achéménide chez les auteurs grecs. En plus des livres sur l’Empire perse et sur les guerres médiques tirés des Histoires d’Hérodote et traduits en persan, on trouve plusieurs essais critiques sur Hérodote et sa vision de la Perse et des guerres livrées par les Grecs : *L’Iran achéménide chez Hérodote, *Hérodote et l’historiographie, Les Perses et les Barbares : l’autre face de l’Histoire, The Persian Wars by Herodotus[15]. Sur les références aux Achéménides dans les livres sacrés, on trouve plusieurs études associant Cyrus à la figure coranique de Dhul Qarnayn ([l’homme] aux deux cornes). À côté de titres explicites comme *Cyrus le Grand ou Dhul Qarnayn, *Cyrus le Grand dans le Coran, *Cyrus le Grand, prophète ou symbole sacré dans le Coran[16] ou encore *L’influence de Cyrus l’Achéménide ou Dhul Qarnayn dans l’expansion de l’Empire perse, on trouve un essai qui soutient l’assimilation des deux personnages en réaction contre un livre intitulé *Cyrus inventé.
Ces traces et témoignages du passé achéménide sont plus ou moins substantiels et fiables tandis que les inscriptions royales, in situ, sont déterminantes pour connaître les différents aspects – dynastiques, militaires, socio-économiques, religieux – de l’Empire perse. Prenons l’exemple de l’inscription de Suez trouvée en 1866 où Darius le Grand décline son identité et son origine avant de préciser qu’il a conquis l’Égypte et ordonné le creusement du canal du Nil. Mais il faut distinguer l’inscription dans cette fonction d’archive et l’inscription comme objet linguistique, même si les recoupements sont inévitables. Le corpus renferme une soixantaine de publications (soit un peu plus de 13% du corpus) qui décrivent les écritures cunéiformes et les langues des inscriptions ou font état des récents travaux de décodage par les spécialistes iraniens et européens : *Manuel du cunéiforme de Bisotun, Les inscriptions de la Perse achéménide (la traduction persane de ce livre de P. Lecoq a fait l’objet de quatre éditions successives en l’espace d’une dizaine d’années), La version akkadienne de l'inscription trilingue de Darius à Behistun, Comparative Studies of King Darius’s Bisitun Inscriptions, The Bisotun Inscriptions of Darius the Great, Old Persian, Seals on the Persepolis Fortification Tablets. Images of Heroic Encounter, etc. Mais la plupart des études répertoriées s’intéressent aux inscriptions dans une perspective autre que strictement linguistique. Les auteurs s’y réfèrent pour appuyer des événements historiques ou des pratiques sociales, comme par exemple : *La vie de Darius et ses conquêtes vues à travers les inscriptions achéménides ou encore cette étude d’une iranologue allemande sur la religion au temps de Darius d’après les tablettes de Persépolis : Die religiösen Verhältnisse der Dareioszeit. Untersuchungen an Hand der elamischen Persepolistäfelchen. À ces publications se rattachent également celles qui, d’un point de vue ethnographique ou administratif, s’intéressent aux peuples et aux langues de l’empire puisque ces connaissances ont été recueillies à partir des inscriptions royales, comme c’est le cas pour *Les peuples de l’Empire achéménide, *La participation des peuples à la gouvernance de l’Empire achéménide, *Les Grecs et l’Empire perse, *Les Élamites et les Perses, *Les Juifs sous les Achéménides, *Les Juifs dans la Perse antique : Cyrus le Messie et la libération des Juifs, etc. Les inscriptions, dans ce cas, nous renseignent sur l’ampleur et la diversité de la mosaïque ethnique gouvernée par les Achéménides ou ayant des relations avec l’empire.
Près de 40 % du corpus sont consacrés à l’histoire générale de l’Empire achéménide et à la vie de ses différents souverains. Dans cette catégorie, on relève entre autres titres *L’Empire perse, *L’Empire achéménide, *Histoire des Achéménides, Histoire de l’Empire perse de Cyrus à Alexandre, Forgotten Empire : The World of Ancient Persia. Parmi les publications consacrées aux souverains achéménides se détachent celles qui s’intéressent aux deux rois les plus importants de la dynastie, Cyrus le Grand et Darius Ier, auxquels 69 et 45 titres sont respectivement consacrés : Cyropedia, La vie de Cyrus selon les documents historiques, *Cyrus le Grand et la charte des droits humains, *Cyrus, génie de l’Histoire, *La vie et les conquêtes de Cyrus le Grand ou encore Darius, le roi des rois, *Darius le Grand, architecte de l’Empire achéménide, *Darius le Grand et le percement du canal du Nil, Darieos I. König der Perser, Darieos und die Perser, Darius der Grösse, König der Perser, Der Aufstand Gaumâta und die Anfänge Dareios, etc. Après Cyrus et Darius, l’histoire de la dynastie achéménide retient surtout Xerxès, Cambyse, Artaxerxès Ier et Darius III. L’accent est mis sur leurs contributions respectives, en particulier leurs opérations militaires, leurs victoires et leurs défaites : *Artaxerxès Ier, *Xerxès, le roi qui traversa la mer, *Xerxès et les guerres médiques, Xerxes Invasion of Greece, The Legitimacy of Cambyses and Darius as Kings of Egypt, *Cambyse et l’armée perdue… Ces publications célèbrent surtout la grandeur conquérante des Achéménides. Elles décrivent les batailles et les stratégies et jusqu’aux ouvrages militaires, comme les ponts et les fortifications, qui ont assuré la suprématie de l’armée perse jusqu’à son affrontement avec celle d’Alexandre le Grand. Certaines études soutiennent que ce dernier a poursuivi la politique des Achéménides et qu’en épousant Roxane, princesse iranienne, il a cherché à unir la noblesse grecque à celle de la Perse : *La politique perse d’Alexandre le Grand, Alexandre le Grand successeur des Achéménides, etc. Même si la fin de l’empire aux mains d’Alexandre fait l’objet d’un ensemble non négligeable, l’accent est mis sur la continuité plutôt que sur l’effondrement.
Des sujets comme l’art ou l’architecture des palais et des monuments royaux, des temples zoroastriens et des mausolées fournissent un important contingent de publications de même que les grands travaux de génie civil entrepris durant cette période, au nombre desquels figure le canal du Nil. Dans tous les cas, le degré de civilisation de la Perse achéménide et son rayonnement sont mis en valeur : *L’influence de l’art et de l’architecture de la Perse sur la civilisation grecque, *La culture et la civilisation de la Perse et leur influence dans d’autres régions du monde, *La civilisation achéménide au coeur de l’Europe, *L’Art achéménide en Afrique, The Royal Palace Institution in the First Millennium BC. Regional Development and Cultural Interchange Between East and West, The Royal Garden at Pasargadae : Evolution and Legacy, Kunst, Kultur und Geschichte der Achämenidenzeit und ihr Fortleben, etc. Derrière ces références exemplaires à la civilisation perse se profilent des valeurs de “progrès” comme dans les titres qui se réfèrent à l’organisation économique, administrative, judiciaire ou sociale de l’Empire achéménide : The Culture and Social Institutions of Ancient Iran, *L’économie sous les Achéménides et le prolétariat ouvrier, *L’urbanisme sous les Achéménides, *Le droit des anciens Perses, *Le système judiciaire durant la période achéménide, *L’éducation dans la Perse antique, *Les lois économiques, sociales et culturelles sous les Achéménides, *Les droits humains dans la Perse antique, *Les droits humains dans la Perse antique et la première organisation mondiale pour l’union et la paix des nations… On comprend que ces études qui associent plus ou moins explicitement la période achéménide à des valeurs de “modernité” (développement, éducation, droits, tolérance…) puissent alimenter l’opposition à la théocratie islamique. Dans la catégorie des institutions sociales, on trouve aussi des publications décrivant les fêtes religieuses et les traditions populaires, comme Now rooz qui marque la nouvelle année du calendrier iranien. Les titres évoquant ces traditions (5 %) font ressortir l’intérêt porté à l’origine achéménide, en l’occurrence préislamique, de grandes fêtes célébrées dans l’Iran d’aujourd’hui. Ce lien historique revêt une importance particulière sous un régime qui s’efforce d’en effacer la mémoire. Dans cette même catégorie on peut ranger les publications sur la religion des Achéménides (4 %). Elles abordent surtout le zoroastrisme et le mithraïsme, les deux religions indo-iraniennes, et s’intéressent au moment et à la manière dont ces religions se sont formées. Par leur nature, ces publications servent moins de repoussoir au totalitarisme religieux du régime islamique qu’elles ne renseignent sur une antécédence susceptible d’ébranler des certitudes identitaires.
Bien qu’elles puissent nous paraître peu significatives, car peu nombreuses (10 titres), les études sur la place des femmes dans la société achéménide prennent du relief sur le fond d’une histoire ancienne saturée d’exploits virils : *L’Image des femmes achéménides, The Women in Ancient Persia, Le rôle des femmes sous les Achéménides, Frauen und Schlangen. Die geheimnisvolle Kultur der Elamer in Alt-Iran… D’après les tablettes (contrats de mariage, accords commerciaux…) trouvées sur les sites archéologiques, on sait qu’avant la conquête d’Alexandre les femmes de la Perse antique pouvaient occuper de hautes fonctions y compris dans l’armée; elles pouvaient diriger l'empire (cas de régence), hériter et posséder des terres, divorcer en conservant leur dot, exercer certains métiers comme les hommes (maçonnerie, culture de la vigne…) et diriger des équipes mixtes d’ouvriers pour un salaire égal et parfois supérieur à celui des hommes. Ces publications peuvent s’interpréter comme le symptôme d’un courant féministe affrontant de biais une théocratie qui soumet les femmes à des pratiques archaïques, au nombre desquelles le port obligatoire du voile n’est pas la moindre expression du contrôle des corps. Ces publications apparaissent durant la parenthèse réformiste du régime Khatami où elles font écho au programme de libéralisation de ce nouveau président, particulièrement soucieux de la participation féminine à la démocratie et à toutes les activités de la société. Elles se poursuivent sous le régime Ahmadinejad. Dans ce contexte, la référence au passé achéménide fournit un ancrage historique et une justification à l’expression d’un féminisme qui cherche à contrer la régression imposée par le courant religieux conservateur, régression d’autant plus saisissante qu’elle alternait avec la politique d’émancipation du régime Pahlavi.
En conclusion, l’analyse du corpus montre l’importance accordée à l’histoire générale des Achéménides. Le chiffre et le lieu des publications montrent que celles-ci rejoignent un lectorat beaucoup plus vaste que celui des spécialistes de la période, historiens ou archéologues. Dans cette histoire, les grandes réalisations architecturales, les prouesses militaires, mais aussi les institutions administratives et juridiques et les pratiques socioculturelles dessinent une image de la Perse antique porteuse d’une dynamique “progressiste” (osons l’anachronisme) à laquelle le courant réformiste peut s’identifier.
Au rythme des événements politiques
Compte tenu de ce qui précède, nous avons fait l’hypothèse que le rythme des publications pouvait être en corrélation avec les événements politiques. Entre 1971, année qui marque le début de l’étude, et 2009 où se termine notre relevé de la Bibliothèque nationale d’Iran, le graphique ci-joint (Fig. 1) distingue cinq périodes :
1971-1978 : période pré-révolutionnaire;
1979-1988 : instauration de la République islamique sous la conduite de l’ayatollah Khomeyni et guerre avec l’Irak;
1989-1997 : présidence du conservateur Rafsandjani;
1998-2004 : présidence du réformiste Khatami;
2005-2009 : retour du conservatisme islamique sous la présidence d’Amahdinejad.
La première période (1971-1978) coïncide avec le soutien actif du chah Mohammad Reza Pahlavi aux recherches sur la période achéménide y compris le financement des traductions d’ouvrages s’y rapportant. Néanmoins, le nombre de publications reste modeste : 12 livres dont 8 traductions[17]. La moitié porte sur les stratégies et les expéditions militaires des rois achéménides, ce qui s’accorde avec le militarisme du chah et sa propension à représenter l’Iran comme la grande puissance militaire du Moyen-Orient. Les autres livres sont des biographies de Cyrus et Darius ou concernent les découvertes archéologiques. Certains titres sont directement ou indirectement consacrés au cylindre de Cyrus, un des documents majeurs de la période achéménide et qui fut traduit, nous l’avons vu, pour promouvoir une image progressiste du chah sur la scène internationale.
La deuxième période (1979-1988) coïncide avec l’instauration de la République islamique. Elle est marquée par des conflits entre les courants politiques, la fermeture des universités, l’occupation de l’ambassade des États-Unis, la prise des otages américains et la guerre contre l’Iraq ou première guerre du Golfe (1980-1988). Ce conflit doublé d’instabilité politique ainsi que le boycott international de l’Iran ont freiné les recherches archéologiques et expliquent la quasi-absence de publications. On relève la traduction d’un livre sur l’histoire générale des Achéménides.
La décennie 1990 marque un retour au calme. La présidence est occupée par l’ayatollah conservateur Hachemi Rafsandjani (1989-1997). Les Iraniens affrontent l’islamisation imposée par ce régime. La crise économique entraînée par la guerre oblige peu à peu le pays à s’ouvrir aux investissements étrangers. Cette nécessité économique s’accompagne d’un apport de connaissances extérieures, notamment technologiques. Ce souffle de libéralisme annonce un “nouveau printemps iranien”. Durant cette période, les publications sur les Achéménides réapparaissent timidement (23 titres dont 5 traductions).
La période 1998-2004 correspond à la présidence de l’ayatollah réformateur Mohammad Khatami et signe la victoire populaire contre l’extrémisme islamique. Le nouveau président prône la tolérance et la liberté d’expression. Partisan d’un État de droit et d’une réelle participation démocratique, il répond aux aspirations de la jeunesse et à celles des femmes dont les voix, dans les deux cas, ont été déterminantes pour son élection. Le régime Khatami est vu comme un tournant culturel de même ampleur que la révolution de 1979 : “Nationalism appeared to have attained a happy synthesis between pre-Islamic Iran and Islam” (Abrahamian 2009 : 187). Plusieurs quotidiens indépendants sont créés durant cette parenthèse réformiste. Les publications sur les Achéménides bondissent à 181 titres (84 livres et 97 articles). Les traductions dépassent 38 % des titres publiés durant la période. On peut interpréter ce phénomène éditorial comme le signal d’une réappropriation identitaire de la part des Iraniens sortant du cauchemar postrévolutionnaire. Activement produits par les éditeurs privés, ces livres et articles contrastent avec ceux que le régime fait paraître et qui tournent autour de l’islam. Ils portent non seulement sur l’art et l’architecture, mais également sur la gouvernance des Achéménides dont ils soulignent la tolérance et l’ouverture à ce qu’on appelle aujourd’hui le pluralisme.
Si la période 1998-2004 signale un réveil culturel et identitaire matérialisé par un regain d’intérêt pour le passé préislamique, la dernière période (2005-2009) manifeste une résistance plus affirmée, si l’on en juge par la poussée des publications sur les Achéménides (260 titres dont 182 livres et 78 articles). Les conservateurs ont repris le pouvoir sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad, personnalité emblématique de l’islam extrémiste. Plus le nouveau président affermit son pouvoir, plus il se réfère aux valeurs islamiques des premières années de la révolution en incitant la société, par voie de presse, à abandonner les valeurs non islamiques. On lui doit la décision de supprimer des manuels scolaires toute référence aux dynasties, depuis celles de l’Antiquité perse jusqu’à celle des Pahlavi, ou encore de construire un barrage à proximité de la tombe de Cyrus à Pasargades, comme en leur temps les régimes communistes d’Europe s’étaient appliqués à défigurer les sites historiques et religieux par de gigantesques usines et autoroutes construites dans leurs abords immédiats.
Amorcée dès 2004 avec l’élection du Parlement, l’élimination progressive de ces ancrages identitaires et nationalistes dans l’histoire préislamique se traduit par une montée de l’insatisfaction sociale et de la résistance populaire. Parallèlement, on note une flambée des publications sur les Achéménides, passant d’un peu plus de 25 titres annuels sous le régime Khatami à 52 titres sous le régime Ahmadinejad, soit plus du double. Moins spectaculaire, l’accélération des traductions n’en reste pas moins conséquente avec une moyenne de 15 titres par an contre moins de 10 durant la période antérieure. Parallèlement, les publications originales en persan (livres et articles) font plus que doubler. Les titres de cette période concernent surtout les exploits de Cyrus le Grand (apogée de l’Iran), le cylindre (emblème de la défense des droits humains), le rayonnement de la culture et de la civilisation des anciens Perses (au moment où l’Iran d’Ahmadinejad est au ban de la communauté internationale), Darius et la pacification des peuples (contraste avec les déclarations belliqueuses du président et la politique nucléaire du régime). En résumé, l’accent est mis sur la puissance, la culture et le rayonnement de l’Iran préislamique.
Une altérité qui revient au Même
L’étude qui précède met en lumière un aspect du rapport entre traduction et altérité qui échappe à “l’éthique du traduire” quand celle-ci est assimilée à une “éthique poétique” (Meschonnic 2007)[18]. Le privilège accordé à la littérarité, ou plus exactement à l’oeuvre définie comme “pure nouveauté, pur surgissement” (Berman 1985 : 89) rejette les autres productions textuelles du côté de la communication “ordinaire”[19]. Dans cette optique héritée du Romantisme allemand, le rapport à l’altérité se joue entre une (grande) oeuvre et un sujet traduisant qui échapperait aux contingences mises au jour par la sociologie des communications, y compris de la communication littéraire : “L’acte éthique consiste à reconnaître et à recevoir l’Autre en tant qu’Autre”, c’est-à-dire “[à] ouvrir l’Étranger en tant qu’Étranger à son propre espace de langue” (Ibid. : 88, 89). Le problème inaperçu est que l’espace récepteur ne se réduit pas à un espace de “langue” : c’est un espace socio-discursif, fût-il restreint au seul champ esthétique, qui ouvre ou limite le pouvoir dire du traducteur suivant l’état de ce champ[20].
L’analyse des pratiques traductives dans le contexte du (post)colonialisme et de la mondialisation a débouché sur une semblable“éthique de la différence” (Venuti 1998) où la “responsabilité” individuelle et sociale du traducteur va jusqu’à transformer la traduction en acte de “résistance”[21]. Au final, l’éthique de la “différence” prend la forme d’une injonction déontologique coincée dans la même alternative entre “naturalisation” (domestication) et “décentrement” (foreignization) du texte étranger. L’Iran fait partie des cas qui, comme ceux étudiés notamment par Susam-Sarajeva (2005) et Tyulenev (2009) ou encore Payàs Puigarnau (2010), font ressortir le caractère réducteur voire inopérant de ces dichotomies en montrant que la sélection et la transformation des textes importés relève de l’auto-organisation du système social qui les a distingués pour son usage (Luhmann 1986)[22].
En Iran, les publications sur l’Antiquité perse remplissent une fonction qui change avec le système politique. Dans un premier temps, ces publications sont sollicitées par les chahs Pahlavi pour légitimer leur dynastie autoproclamée et soutenue par des intérêts étrangers. Dans un deuxième temps, après la révolution islamique, les traductions vers le persan d’ouvrages orientalistes européens servent à mieux faire connaître un patrimoine historique lui-même au service d’une composante identitaire que la théocratie islamique voudrait éliminer. Si l’on admet que les thèmes privilégiés par les auteurs, les traducteurs, leurs éditeurs et leurs lecteurs exaltent des valeurs contraires à celles que la théocratie islamique impose à la société et qui sont vécues par beaucoup comme une régression par rapport aux acquis du régime précédent (éducation, modernisation des institutions, laïcisation, émancipation des femmes), alors on peut dire que les traductions d’études sur les Achéménides, ce point incandescent de la civilisation iranienne, participent à la communication qui défie le régime et lui oppose une résistance. Compte tenu de leur prévalence et des pics d’édition, on peut penser que ces publications offrent un exutoire à la liberté d’expression dans un régime où l’opposition explicite est violemment réprimée et que, protégées par leur statut “scientifique”, elles échappent plus facilement à la censure.
Dans son introduction au numéro de la revue The Translator consacré aux rapports entre nation et traduction au Moyen-Orient, Samah Selim (2009) souligne que l’histoire moderne de la traduction s’est construite sur des modèles de transfert où l’Occident occupe le point d’origine. En sorte que le débat sur l’éthique de la traduction a négligé l’existence et la spécificité d’autres traditions et pratiques de la traduction façonnées par des hégémonies coloniales et qu’il faut réexaminer à la lumière des processus complexes de construction d’identités nationales (nation building). Ce constat n’est pas faux, mais le cas de l’Iran éclaire d’un jour plus nuancé le schéma victimaire qui sous-tend une fois encore le discours sur les relations Orient-Occident. Les langues et les inscriptions achéménides ont été tirées de l’oubli grâce aux travaux d’orientalistes européens. Les motivations de ces archéologues, épigraphistes et philologues étaient essentiellement scientifiques (même si le recul nous permet de questionner aujourd’hui le caractère idéologique de certaines hypothèses ou l’instrumentalisation de leurs travaux). Si la mémoire de la Perse antique, que la conquête musulmane avait achevé d’éradiquer, est devenue accessible aux Iraniens modernes, c’est en bonne partie grâce à ce legs occidental. Dans cet esprit, on peut considérer que la traduction en persan moderne des ouvrages orientalistes européens constitue dans certains cas des traductions retour. Rappelons que la traduction retour (back translation) désigne la retraduction d’un texte vers sa langue originale après qu’il ait été traduit dans une autre langue (Shuttleworth et Cowie 1997 : 14). En élargissant le sens habituel du terme, on peut faire entrer dans cette catégorie les retraductions des inscriptions achéménides effectuées vers le persan moderne à partir de leurs versions en langues occidentales. Dans le cas de l’Iran, ces retraductions constituent une réappropriation culturelle : un corpus de connaissances revient sur sa terre d’origine. Plutôt qu’un retour impossible à la langue originale, en l’occurrence à un ensemble de langues (vieux-perse, élamite, babylonien…) qui n’existent plus, la retraduction des inscriptions achéménides vers le persan moderne est un puissant vecteur du retour aux origines de l’identité iranienne. En redonnant vie et sens aux textes rédigés dans ces langues disparues, la traduction retour “fait parler” les archives achéménides dans la sphère publique au-delà du cercle restreint des spécialistes. Elle alimente des recherches et des publications qui redonnent voix aux héritiers actuels de la Perse contre ceux qui s’efforcent d’occulter les valeurs dont cette mémoire est porteuse.
Parties annexes
Notes biographiques
ANNIE BRISSET est professeure à l’École de traduction de l’Université d’Ottawa et l’auteur de Sociocritique de la traduction (Prix Ann Saddlemyer) ainsi que de nombreux articles sur les approches théoriques et critiques de la traduction. À titre de consultante pour l’UNESCO, elle a conduit plusieurs études sur le développement de la traduction en Europe centrale et orientale. Elle a dirigé l’enquête sur les pratiques et les flux mondiaux de traduction pour le rapport mondial de l’UNESCO sur la diversité culturelle (2009) dans le cadre d’un partenariat avec IATIS (International Association for Translation and Intercultural Studies) dont elle a été présidente fondatrice. Elle est membre de la Société royale du Canada.
NAZILA KHALKHALI est titulaire d’une maîtrise en linguistique de l’Université de Téhéran et d’une maîtrise en traductologie de l’Université d’Ottawa. Elle a contribué à la traduction persane du Dictionnaire des oeuvres contemporaines de tous les pays et traduit The Cambridge Encyclopedia of Language. Entre autres livres, elle a également traduit en persan le Cours de linguistique générale de Saussure et Les Inscriptions de la Perse achéménide de Pierre Lecoq. La traduction commentée de cet ouvrage, qui regroupe toutes les inscriptions connues à ce jour, lui a valu une maîtrise en épigraphie de l’Académie de langue et littérature persanes.
Notes
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[1]
H. Buzelin (2005, 2007) a notamment utilisé la méthode ethnographique qui sous-tend la théorie de l’acteur-réseau de Latour et Callon (Akrich et alii 2006) pour étudier la chaîne des décisions et des agents qui, chez les éditeurs, interviennent dans la production des livres traduits.
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[2]
La dynastie achéménide est nommée d’après son fondateur, Achaiménès, roi d’Anshan, qui libère la Perse de la tutelle des Mèdes vers 556 av. J.-C. Elle compte une trentaine de rois dont les plus illustres sont Cyrus le Grand (559-529 av. J.-C.) et Darius Ier (522-486 av. J-C.)
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[3]
Religious toleration was a remarkable feature of Persian rule and there is no question that Cyrus himself was a liberal-minded promoter of this humane and intelligent policy. Many other examples of Cyrus’ help in restoring Babylonian and alien shrines could be quoted, for this was part of a well thought-out policy [...] One remarkable characteristic which many historians attributed to Cyrus is his clemency to fallen rulers, in the true fashion of medieval chivalry.
Mallowan 1968 : 414-415 -
[4]
L’Avesta est l’ensemble des textes sacrés de la religion mazdéenne. Cette religion monothéiste des anciens Perses tire son nom de sa divinité suprême, Ahuramazda. Fondée par le prophète Zarathoustra ou Zoroastre vers l’an mil avant notre ère, on la désigne également sous le nom de zoroastrisme. L’étude des textes avestiques par les orientalistes européens a été déterminante pour déchiffrer les langues achéménides. On doit à l’indianiste français Anquetil-Duperron la première traduction de l’Avesta, publiée en 1771 (Kellens 2005).
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[5]
Jean Chardin, dont le Journal de voyage en Perse (1686) inspira en grande partie les Lettres persanes de Montesquieu, fut le premier à recopier une inscription complète, relevée sur le palais de Darius à Persépolis. Elle figure dans ses Voyages (1711). J.-J. Rousseau, dans son Essai sur l’origine des langues (1781), commente cette écriture “inconnüe et d’une antiquité effrayante” : “Ce caractère paraît fort beau et n’a rien de confus ni de barbare […]. Du reste ce n’est pas merveille qu’aucun de tous les savans du monde n’aient jamais rien compris à cette écriture, puisqu’elle n’approche en aucune manière d’aucune écriture qui soit venüe à notre connoissance”. La première traduction d’une inscription en vieux-perse sera présentée par Rawlinson en 1838 devant la Royal Asiatic Society de Londres.
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[6]
L’inscription monumentale de Bisotun (15m x 25m) est gravée à flanc de montagne sur une ancienne route reliant Babylone à Ecbatane, alors capitale de l'empire. Elle rend compte du lignage de Darius Ier et relate ses conquêtes dans trois textes juxtaposés : l’original en vieux-perse est accompagné d’une version en élamite et d’une autre en babylonien. Après la transcription effectuée par Niebuhr (1764) on découvre que le vieux-perse est une langue alphabétique. Il faudra attendre les transcriptions de Rawlinson (1835 et 1843) pour déchiffrer le texte lui-même en s’appuyant sur la langue avestique déjà traduite.
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[7]
En 1934, la Perse change de nom et devient l’Iran. Le souci des origines, inhérent à l’idéologie nationaliste qui caractérise Reza Pahlavi, se manifeste dans l’abandon du nom arabisé “Fars” (Perse) au profit de la désignation ancienne du plateau iranien (Âryânâ) et de ses habitants (Âryân), dont le dérivé en moyen perse (Êrân) figure sur une inscription de Naqsh-e-Rustam.
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[8]
Une fois ses langues décryptées, le texte du cylindre a notamment été traduit en allemand (Weissbach 1911, Berger 1970), en anglais (Nies 1920, Kent 1953) et en français (Lecoq 1997).
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[9]
À la traduction inaugurale de Pirnia succèdent, outre la version remise à l’ONU en 1971, celles de Razmjou (du babylonien, non datée, disponible sur le site du British Museum), d’Arfa’i (du babylonien, 1977) et de N. Khalhali (à partir de la version française de Pierre Lecoq, 2003). Une version identique à la traduction manipulée de 1971, mais cette fois datée de 2009, circule sur Internet sous la signature de Qias-Abadi. Celui-ci ne révèle pas les “différentes sources” dont il dit s’être inspiré.
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[10]
“Révolution blanche” est le terme utilisé par le chah Mohammad Reza Pahlavi (1967) pour décrire le train de réformes qu’il introduit en 1963 : réforme agraire, intéressement des travailleurs aux bénéfices des entreprises privées, nationalisation des forêts et des pâturages, réforme de la loi électorale garantissant une meilleure représentation des agriculteurs et des ouvriers et octroyant le droit de vote aux femmes, programme d’alphabétisation – auxquels les jeunes gens avaient le choix de participer au lieu de faire leur service militaire. Le taux officiel d’approbation de ces mesures soumises à référendum fut de 99%.
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[11]
Dans le même ordre d’idées, le quotidien de Téhéran Ettela’at (05/15/2010) rapporte qu’au terme de sa visite au salon du livre de Téhéran qui s’est tenu en 2010, le guide suprême Ali Khamenei a demandé qu’on retire de l’exposition tous les livres sur les Achéménides.
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[12]
Le mot Parsé désigne la terre des Perses avant la conquête islamique. Pazine est un nom propre à consonance perse choisi par une maison d’édition spécialisée dans la période préislamique : langues, religions, culture et civilisation de l’Antiquité perse. Le terme Vahuman provient de l’Avesta, le livre sacré des zoroastriens, où il représente le principe du Bien inhérent à tout être humain. Foruhar désigne la force vitale qui, selon le zoroastrisme, anime toutes les créatures du dieu Ahuramazda; à leur mort, elle s’élève au ciel où elle demeure pour l’éternité.
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[13]
Boxaaraa (l’équivalent de la Quinzaine littéraire) est un exemple des magazines culturels. Fondée à Téhéran en 1998, la revue est dirigée par l’écrivain et iranologue Ali Dehbashi. À côté d’articles destinés à faire connaître les grands noms de la littérature mondiale contemporaine, la revue publie surtout des articles savants sur l’histoire et la philosophie, l’art, la littérature et la culture de l’Iran. Un autre exemple est Majale-ye Baastan Shenaasi va Taarix (Journal of Archeology and History). Cette revue semestrielle publie, en anglais et en persan, des articles sur l’archéologie, l’histoire et la culture rédigés par des spécialistes iraniens et étrangers. Elle connaît un tel succès qu’elle doublera son rythme de publication dès le printemps 2011. Parmi les revues universitaires, on trouve Motaale'aat-e Melli, qui se spécialise dans les sciences humaines en général mais fait une place importante à l’histoire et à la culture de la Perse, ou encore Iran-Shenaaxt, mensuel du Centre d’études iraniennes, exclusivement consacré à l’histoire et à la culture de l’Iran.
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[14]
Parfois, seuls les articles extraits d’un livre sont officiellement répertoriés, mais ils figurent tantôt sous le nom de leur auteur tantôt sous celui du traducteur. C’est pourquoi le dépouillement du catalogue de la Bibliothèque nationale d’Iran a été complété par une recherche auprès des éditeurs. La censure ministérielle peut expliquer l’absence de certaines publications dans le catalogue officiel. Par ailleurs, celui-ci ne recense pas systématiquement les articles publiés dans les revues savantes. Les chiffres cités sont donc en deçà de la réalité.
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[15]
Les titres précédés d’un astérisque sont, ici par commodité, traduits du persan. Ils correspondent à des publications originales en persan, mais parfois aussi à des publications signalées comme des traductions sans que le titre original ait pu être identifié. Dans le cas contraire, les titres sont cités dans leur langue originale (anglais, français, allemand).
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[16]
Ces trois titres correspondent à trois traductions différentes du même livre d’Azad Abulkalâm.
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[17]
Les articles publiés à cette époque ne sont pas répertoriés par la Bibliothèque nationale d’Iran.
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[18]
Pour Meschonnic, l’éthique doit être pensée “avec et par le poétique” (2007: 7). Elle est “inévitablement affaire de langage […] Il s’agit de voir comment on se comporte avec le langage, comment se comporter avec le langage” (Ibid.: 20-21). Un poème est un acte éthique “qui transforme à la fois une vie et un langage”; c’est “ce qu’un corps fait au langage : une sémantique sérielle” (Ibid. : 33). En conséquence, “l’éthique du traduire est une écoute du continu dans le poème, l’écoute non de ce que dit mais de ce que fait un poème, et qui emporte dans son mouvement ce qu’il dit.” (Ibid.)
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[19]
Établie et explicitée par Schleiermacher dans sa conférence de 1813 sur les “différentes méthodes du traduire”, cette opposition se situe déjà dans une réflexion d’ordre éthique. L’opposition est reconduite par Benjamin dans son essai sur “la tâche du traducteur” (2008 : 255) et de façon tout aussi marquée chez Berman (1985) et Meschonnic ([2007 : 11-15]; voir sa critique d’une éthique qui, chez Pym (1997), serait “réduite au marché” ou tout au moins à une “morale sociale” dans la mesure où elle ferait l’impasse sur la poétique et la pensée du sujet).
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[20]
L’“hospitalité langagière” selon également Ricoeur (2004) est une vertu édifiée sur une idée de la traduction réduite à des paramètres sémiolinguistiques. La pratique résiste à des obstacles d’une autre nature comme le montrent, par exemple, ceux auxquels se heurtent les traductions successives de la littérature orale amérindienne ou plus exactement sa reconnaissance et son inclusion dans d’autres systèmes littéraires (“Ethnographic Translation of Verbal Art” dans Sturge 2007).
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[21]
Dans sa critique du rôle militant qu’on assigne au traducteur, Maria Tymoczko fait valoir ceci : “In the term resistance there is an implicit metaphor about activism : the metaphor presumes the existence of a specific powerful opponent that exerts force in particular ways or in particulardirections, and the metaphor suggests that it is the role of activists to oppose the opponent’s force, attempting to deflect or twart (i.e., resist) the actions that the force initiates and the directions that the power wishes to take and to impose on others.” (2007 : 210) Cette métaphore, précise-t-elle, réduit le traducteur à un rôle passif, car la résistance est réactive plutôt que proactive et les opposants auxquels on se réfère dans le contexte spécifique de la traduction ne sont pas clairement identifiés; ce sont des entités aux contours plus ou moins flous : patriarcat, discours dominant, conventions littéraires et linguistiques, conditions d’oppression, etc. Effectivement, si le cas de l’Iran permet d’identifier un lieu discursif de la résistance cristallisée autour de l’objet “Achéménides”, en revanche il est moins sûr que le point d’entrée de cette résistance se situe au niveau des seuls traducteurs. La valorisation de l’individualité du sujet qui caractérise notre culture explique sans doute les responsabilités exorbitantes que la traductologie occidentale leur assigne. Sur le rapport entre traduction et résistance, voir aussi Tymoczko 2009 et 2010.
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[22]
Seule une étude textuelle confrontée au discours social iranien sur l’identité pourrait montrer que la transformation des originaux relève du même principe d’auto-organisation (fondement de l’approche sociocritique). Il faudrait aussi comparer les traductions concurrentes pour voir si elles reflètent l’hétérogénéité des positions identitaires.
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