Résumés
Résumé
L’objectif de cette étude est le suivi du devenir des polluants majeurs et des micropolluants dans une filière rustique de traitement des eaux pluviales strictes et l’évaluation de son efficacité. Le site expérimental est localisé à Strasbourg (67, France). Les eaux de ruissellement du bassin versant résidentiel urbain (2,71 ha) sont collectées par une mare de sédimentation connectée à un filtre planté de roseaux à écoulement vertical via un déversoir flottant. Elles sont ensuite rejetées dans le cours d’eau Ostwaldergraben. Le site est équipé d’une station météo dédiée et de trois préleveurs automatiques situés à trois points stratégiques du traitement : dans la canalisation d’entrée du système (eaux pluviales brutes), entre la mare de sédimentation et le filtre planté (eaux décantées) et à la sortie du système (eaux décantées et filtrées). Le suivi de la qualité de l’eau est réalisé via l’analyse des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et des éléments traces métalliques (ETM) dans les phases particulaire et dissoute (Cd, Ni, Pb, Co, Cu et Zn). Sept campagnes de prélèvement ont été réalisées entre octobre 2015 et octobre 2016 lors d’événements pluvieux. Dans les eaux pluviales, les matières en suspension (MES), le carbone organique total (COT), les nutriments (N,P) et le chrome sont détectés à de faibles concentrations (MES < 18 mg∙L-1, COT < 8 mg∙L-1, N < 7 mg∙L-1, Cr < 5 µg∙L-1) alors que le zinc et cinq HAP (fluorène, fluoranthène, phénanthrène, pyrène et naphtalène) sont présents à des concentrations nocives pour la faune et la flore (Zn = 100-360 µg∙L-1, HAP = 10-60 µg∙L-1). Après cinq années de fonctionnement de la filière de traitement, le niveau d’abattement des micropolluants issus des rejets urbains de temps de pluie demeure très élevé.
Mots-clés :
- éléments traces métalliques,
- hydrocarbures aromatiques polycycliques,
- rejets urbains de temps de pluie,
- filtre planté de roseaux,
- mare de sédimentation
Abstract
The aim of this study was to assess the fate of pollutants and micropollutants in an extensive treatment system and to evaluate its efficiency. The experimental site is located in Strasbourg, France. Stormwater from a residential watershed (27 100 m2) is released into a sedimentation pond, followed by a vertical flow constructed wetland and finally into a water course. The instrumentation consists of an on-site weather station and three automatic samplers. These samplers are located in three points: inlet pipe, pond and constructed wetland outlet. Total suspended solids (TSS), total organic carbon (TOC), total phosphorus (P), total nitrogen (N), heavy metals and polycyclic aromatic hydrocarbons (PAHs) are measured. Seven sampling campaigns were carried out from October 2015 to October 2016. Pollutants (TSS, TOC, N) and chromium were detected at low concentrations (TSS < 18 mg∙L-1, TOC < 8 mg∙L-1, N < 7 mg∙L-1, Cr < 5 µg∙L-1). Zinc and five PAHs were detected in high concentrations that are harmful for aquatic life (Zn = 100-360 µg∙L-1, PHAs = 10-60 µg∙L-1). After five years of operation, the treatment system is efficient in removing pollutants and micropollutants in stormwater.
Keywords:
- heavy metals,
- polycyclic aromatic hydrocarbons,
- urban stormwater,
- sedimentation pond,
- constructed wetland
Corps de l’article
1. Introduction
Les rejets urbains de temps de pluie (RUTP) sont l'ensemble des eaux rejetées par les exutoires pluviaux pendant un événement pluvieux (CHOCAT et al., 2007). Ils sont pollués par de nombreuses sources de contaminants depuis l’atmosphère jusqu’à l’exutoire du bassin versant. Lors de leur transit, les eaux pluviales se chargent en différents micropolluants, tels que les hydrocarbures, les éléments traces métalliques (ETM) et les pesticides. Dans le cas de réseaux d’assainissement séparatifs pluviaux stricts, ces polluants sont alors usuellement déversés dans le milieu naturel sans traitement préalable et peuvent avoir un impact non négligeable sur la faune et la flore aquatique.
De nombreuses études ont étudié la qualité des RUTP, montrant que ces eaux sont peu chargées en pollution carbonée et en nutriments, mais polluées fortement par les ETM et les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) (BRESSY, 2010; CHOCAT et al., 2007; LAMPREA, 2009; SCHMITT, 2014; TRUCHOT et al., 1994). Pour autant, d’après notre connaissance, peu d’études ont porté sur le traitement des RUTP par des systèmes de traitement extensifs (SCHMITT, 2014).
L’objectif de cette étude est le suivi du devenir des polluants et micropolluants dans un système extensif de traitement des eaux pluviales strictes et urbaines, et l’évaluation de son efficacité. Le système de traitement a été construit en 2011 par l’Eurométropole de Strasbourg (EMS), afin de répondre aux exigences de la Directive Cadre sur l’Eau (UNION EUROPÉENNE, 2000) qui oblige les états membres de l’Union européenne à diminuer voire supprimer toutes les sources de polluants présentant un risque significatif pour l'environnement aquatique. La détermination de l’efficacité de ce système de traitement permettra à l’EMS d’envisager ou non l’extension de cette technologie à l’ensemble de son territoire.
2. Matériels et méthodes
2.1 Bassin versant
Le site expérimental est situé à Strasbourg (67, France), entre un bassin versant urbain (2,71 ha) et son exutoire l’Ostwaldergraben. Le bassin versant est occupé par des immeubles, des maisons individuelles avec jardin, des routes goudronnées et un terrain de jeu. Les toitures occupent 15,5 % de sa surface totale et la voirie 17,8 %. Son coefficient d’imperméabilisation est de 0,33.
2.2 Filière de traitement
La filière de traitement (Figure 1) est composée d’une mare de sédimentation en série avec un filtre planté de roseaux (FPR) à écoulement vertical. La mare de sédimentation est située à l’exutoire du réseau d’assainissement séparatif pluvial du bassin versant. Son alimentation en eau est donc discontinue et tributaire des événements pluvieux. Un déversoir flottant connecte la mare de sédimentation (28 m3) et le filtre planté de roseaux (90 m2). Lorsque le niveau d’eau atteint 0,28 m dans la mare, l’eau se déverse dans le FPR.
L’eau déversée dans le FPR s’écoule verticalement au travers de trois couches de 20 à 30 cm et à granulométrie variable (sable de diamètre compris entre 0 et 4 mm [0/4], gravier fin 4/8 et gravier grossier 10/14). Au fond du filtre, un système de drainage permet d’évacuer l’eau vers le milieu naturel. La surface du filtre est plantée de Phragmites australis. Une retenue d’eau permanente au fond du FPR permet d’éviter un stress hydrique des végétaux en cas de période de temps sec prolongée.
2.3 Instrumentation
Les paramètres météorologiques du site sont suivis grâce à une station météo installée sur le site. Trois points stratégiques de la filière sont équipés en préleveurs automatiques (Liquistation CSF48 Endress & Hauser) : la canalisation d’entrée de la filière, la sortie de la mare et la sortie du FPR. Un ensemble de capteurs de hauteurs d’eau permet de suivre l’hydraulique du site (entrée : ultrason The Probe Siemens; mare : capteur de pression Waterpilot FMX21 Endress & Hauser; sortie : radar Micropilot FMR250 Endress & Hauser). Les préleveurs sont connectés à un capteur de pression situé dans la mare de sédimentation et se déclenchent en fonction de la hauteur d’eau dans la mare.
2.4 Stratégie de prélèvement
Les préleveurs se déclenchent dès qu’un événement pluvieux est suffisamment important pour provoquer un déversement dans le FPR. Du fait des temps de séjour hydraulique différents au niveau des points d’échantillonnage, les préleveurs en entrée et au point intermédiaire prélèvent 200 mL d’eau toutes les 2 min pendant 6 h alors que le préleveur en sortie prélève 200 mL toutes les heures pendant cinq jours. Chaque préleveur remplit 24 bouteilles par campagne de prélèvement. Pour chaque point de prélèvement, un échantillon composite est reconstitué, pour lequel le volume prélevé dans chaque bouteille est proportionnel au volume écoulé au point de prélèvement (SCHMITT, 2014).
2.5 Paramètres étudiés et méthodes d’analyses
Les analyses ont été réalisées par un laboratoire extérieur (Eurofins, Saverne), sont certifiées COFRAC et sont réalisées sur l’échantillon brut ou filtré (sur filtre à membrane de nitrate de cellulose pores 0,45 µm). Les paramètres analysés seulement sur l’échantillon brut sont : matières en suspension (MES), (NF EN 872), azote total (N total) par spectrophotométrie (NF EN ISO 13395), demande chimique en oxygène (DCO), (NF T 90-101) et phosphore (P), (NF EN ISO 11885). Les paramètres recherchés sur l’échantillon brut et filtré sont : le carbone organique (COT et COD), (NF EN 1484), les ETM (Cd, Cr, Co, Cu, Ni, Pb, Zn), (NF EN ISO 11885) et 16 hydrocarbures aromatiques polycycliques (acénaphtène, benzo(a)pyrène, fluorène, phénanthrène, anthracène, fluoranthène, pyrène, benzo(a)anthracène, chrysène, benzo(b)fluoranthène, benzo(k)fluoranthène, dibenzo(a,h)anthracène, naphtalène, acénaphthylène, benzo(ghi)pérylène, indeno (1,2,3-cd) pyrène), (NF EN ISO 17993).
3. Résultats et discussion
3.1 Caractéristiques des événements pluvieux déversants prélevés
Sept événements pluvieux ont été prélevés entre octobre 2015 et octobre 2016. Leurs caractéristiques sont présentées dans le Tableau 1. Les périodes de retour ont été estimées à partir du modèle empirique de Montana (BENABDESSELAM et HAMMAR, 2009).
Le plus long événement pluvieux prélevé est E6 au printemps 2016, avec une durée de 1,2 jour et une lame d’eau de 45,5 mm alors que l’événement le plus important en termes d’intensité est E2 en décembre 2015 avec une intensité maximale de 4,8 mm∙h-1. C’est en automne et en hiver 2015 (E1 et E2) que les plus grandes périodes de temps sec ont eu lieu, susceptibles de provoquer l’accumulation de polluants sur les surfaces lessivées par la suite par les eaux de pluie.
3.2 Abattement de la pollution
Les concentrations en polluants majeurs et micropolluants de chaque événement pluvieux échantillonné ont été étudiées afin d’évaluer l’abattement de la pollution par la filière de traitement.
3.2.1 Faibles concentrations des polluants majeurs
Les concentrations en MES, carbone organique, phosphore et azote total sont présentées pour chaque événement pluvieux et chaque point de prélèvement dans la Figure 2.
Les eaux pluviales en entrée du système de traitement sont très peu chargées en MES (<20 mg∙L-1) et il y a une forte diminution de la charge en MES après le passage de l’eau dans la mare (point de prélèvement 2). Pour les événements E4, E5 et E6, on observe entre 70 et 100 % d’abattement des MES. Le processus de sédimentation dans la mare permet ainsi d’éviter le colmatage du filtre.
Les concentrations en carbone organique sont faibles dans l’ensemble de la filière, mis à part dans la mare (point de prélèvement 2) pour les événements E3 et E6 (>9 mg C∙L-1). Les concentrations en COT dans les eaux pluviales sont faibles par rapport aux données de la littérature (89-552 mg C∙L-1, BRESSY, 2010; LAMPREA, 2009; SCHMITT, 2014). On remarque une augmentation de la teneur en carbone organique entre l’entrée de la filière (point de prélèvement 1) et la mare (point de prélèvement 2). Ceci est probablement dû à la remise en suspension de sédiments riches en matière organique avec l’arrivée d’eaux pluviales dans la mare. Le carbone organique est très majoritairement sous forme dissoute.
Les nutriments (phosphore et azote) sont présents en concentrations faibles dans la filière, et les concentrations en sortie sont quasi nulles. Les concentrations en nutriments dans les eaux pluviales sont en accord avec les données de la littérature (CHOCAT, 2008; ZGHEIB, 2009). On remarque un pic de concentration des nutriments pour l’événement E4.
3.2.2 Micropolluants
Les concentrations en métaux et HAP sont présentées pour chaque événement pluvieux et chaque point de prélèvement dans la Figure 3.
Parmi l’ensemble des métaux recherchés (voir section 2.5), seul le zinc a été détecté de manière chronique. Le zinc est le métal classiquement retrouvé dans les eaux pluviales à de fortes concentrations (BRESSY, 2010; LAMPREA, 2009; SCHMITT, 2014). Ses sources potentielles sont les résidus d’usure de freins et pneumatiques et les bâtiments (BRESSY, 2010). Les concentrations en Zn très élevées (>5 µg∙L-1) sont nocives pour les milieux aquatiques. En fin de traitement, le FPR (point de prélèvement 3) retient 100 % du Zn, ce dernier étant très majoritairement sous forme soluble. Le chrome est détecté deux fois à concentration moyenne dans la filière (E2 et E4, <7 µg∙L-1).
Six HAP sur 16 recherchés ont été détectés dans la filière (fluorène, fluoranthène, pyrène, phénanthrène, benzo(b)fluoranthène et naphtalène). Aucun HAP n’a été détecté pour E2. Les sources potentielles de ces HAP sont pyrolytique et pétrolière (phénanthrène et naphtalène). Les autres HAP détectés peuvent être issus de la combustion domestique de bois, d’incinérateurs d'ordures ménagères, de la production de goudron et d'asphalte et des échappements des véhicules essence et diesel. Les concentrations en HAP en entrée de filière sont élevées à très élevées et nocives pour l’environnement. Selon les événements pluvieux, c’est la mare (efficacité entre 0 et 60 %) ou le FPR (efficacité entre 30 et 100 %) qui permettent de retenir les HAP dans la filière.
4. Conclusion
Les résultats de cette étude ont démontré le potentiel d’une mare de sédimentation couplée à un filtre planté de roseaux à traiter des rejets urbains de temps de pluie. Sept campagnes de prélèvement ont été réalisées d’octobre 2015 à octobre 2016. Les polluants majeurs (MES, carbone organique, nutriments) et les micropolluants (ETM et HAP) ont été suivis à trois points de prélèvements stratégiques (entrée de la filière, sortie de la mare de décantation et sortie du FPR).
Les polluants majeurs ne sont pas présents à des concentrations nocives pour les milieux aquatiques tout au long de la filière. Les MES sont retenues par la mare de sédimentation, ce qui permet de limiter le colmatage du filtre. Deux ETM ont été retrouvés dans la filière : le zinc et le chrome. Le zinc est présent à de fortes concentrations sous forme dissoute et est retenu par le FPR. Le chrome est détecté deux fois et n’est pas non plus présent en sortie de filière. Six HAP parmi 16 recherchés ont été détectés à des concentrations importantes, mais ils ne sont pas détectés en sortie.
La filière de traitement composée d’une mare et d’un filtre planté de roseau en série est donc efficace pour abattre la pollution issue des RUTP d’un bassin versant urbain. Des micropolluants nocifs pour l’environnement et présents à de fortes concentrations dans les RUTP sont retenus par la filière, ce qui empêche ainsi leur rejet dans l’Ostwaldergraben, et la dégradation de ce milieu naturel. Cette étude s’est intéressée à l’impact à court terme (échelle de l’évènement pluvieux) des eaux pluviales sur le système de traitement. Or, les eaux pluviales ont un impact potentiel sur le long terme. La décantation et la filtration de la pollution des rejets urbains de temps de pluie à l’échelle de l’année provoquent des phénomènes de vieillissement (comblement de la mare, colmatage du filtre) qu’il est important d’appréhender. L’étude présentée précédemment se poursuit dans cet objectif.
Parties annexes
Remerciements
Cette étude fait partie du projet LUMIEAU-Stra (Lutte contre les Micropolluants des Eaux urbaines – Strasbourg) de l’Eurométropole de Strasbourg (EMS). Elle a été supportée financièrement par l’EMS, l’Agence de l’Eau Rhin-Meuse et la Zone Atelier environnementale urbaine de Strasbourg. Les auteurs remercient Martin Fischer pour sa contribution à l’instrumentation du site et à la réalisation des campagnes de prélèvement et Carole Lutz et Marie-Pierre Ottermatte pour leur aide en laboratoire d’analyse.
Références bibliographiques
- BENABDESSELAM, T. et Y. HAMMAR (2009). Estimation de la réponse hydrologique d’un bassin versant urbanisé. Eur. J. Sci. Res., 29, 334-348.
- BRESSY, A. (2010). Flux de micropolluants dans les eaux de ruissellement urbaines. Effets de différents modes de gestion des eaux pluviales. Thèse de doctorat, Univ. Paris-Est, France, 333 p.
- CHOCAT, B. (2008). État de l’art sur la gestion urbaine des eaux pluviales et leur valorisation. Tendances d’évolution et technologies en développement. Office International de l’Eau, Limoges, France, 36 p.
- CHOCAT, B., J.L. BERTRAND-KRAJEWSKI et S. BARRAUD (2007). Eaux pluviales urbaines et rejets urbains par temps de pluie. Techniques de l’ingénieur, W6800 v1.
- LAMPREA, K. (2009). Caractérisation et origine des métaux traces, hydrocarbures aromatiques polycycliques et pesticides transportés par les retombées atmosphériques et les eaux de ruissellement dans les bassins versants séparatifs péri-urbains. Thèse de doctorat, École Centrale de Nantes, France, 296 p.
- SCHMITT, N. (2014). Caractérisation des systèmes hybrides pour le traitement des eaux pluviales: mitigation des substances prioritaires et émergentes. Thèse de doctorat, Univ. Strasbourg, France, 371 p.
- TRUCHOT, M.C., B. CHOCAT, M. CATHELAIN, A. MARES, J.M. MOUCHEL (1994). La pollution due aux rejets urbains par temps de pluie: impacts sur les milieux récepteurs. La Houille Blanche, 1, 97-105.
- UNION EUROPÉENNE (2000). Directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau. Directive européenne, France.
- ZGHEIB, S. (2009). Flux et sources des polluants prioritaires dans les eaux urbaines en lien avec l’usage du territoire. Thèse de doctorat, École des Ponts ParisTech, France, 360 p.