Résumés
Résumé
Le processus de photosensibilisation (phototraitement) de l'eau suscite beaucoup d'intérêt, car il implique trois composants qui sont individuellement inoffensifs pour le milieu biologique, à savoir le photosensibilisant, la lumière et l'oxygène moléculaire. La photostabilité de la porphyrine tétra-méso-cationique (T4MPyP) dans l'eau usée et l’efficacité du phototraitement dépend de la concentration du photosensibilisant, de la qualité de l'eau (contaminants organiques, turbidité, pH, taux d'oxygène dissous et épaisseur de la lame d'eau) ainsi que de l'intensité et de la nature du rayonnement lumineux. L’étude expérimentale consistait à apporter à un sol sableux i) de l’eau usée secondaire traitée par boues activées, ii) la même eau usée, mais phototraitée avec 5 μM∙L-1 de T4MPyP pendant 6 h d’ensoleillement, et iii) une eau de puits. L’eau usée phototraitée était conforme aux normes tunisiennes (NT 106.03) pour l’irrigation sans restriction au niveau du taux de bactéries indicatrices de pollution fécale (l’abattement des coliformes fécaux avoisinait 99,99 %), mais renfermait encore une concentration résiduelle de porphyrine (environ 35 % de la concentration initiale). À la fin de l’expérimentation, la configuration saline du sol dépendait de la qualité des eaux d’irrigation. Dans le cas des eaux usées secondaires, la couche de surface (0-5 cm) se caractérisait par une concentration élevée de sels solubles et par une prolifération d’algues contribuant ainsi au colmatage superficiel et à un manque de continuité des macropores. En revanche, le colmatage chimique et biologique était réduit suite à l’utilisation des eaux usées phototraitées. La salinité était plus importante au niveau de la couche profonde (5-15 cm) due à une importante mobilité des ions chlorures et sodium suivie des sulfates et du calcium de la couche 0-5 cm vers la couche 5-15 cm, ce qui peut être attribué à une oxydation plus élevée de la matière organique induite par la présence de porphyrine. Il ressort de cette étude que la valorisation des eaux usées avec des concentrations micromolaires de T4MPyP dans le domaine agricole inhiberait le développement d'algues à la surface du sol et conduirait à une meilleure infiltration des sels vers les profondeurs évitant ainsi l’installation du colmatage à la surface. En outre, une meilleure rétention des ions ammonium et orthophosphates a été observée dans le sol sableux lors de la percolation des eaux usées phototraiteées.
Mots-clés :
- porphyrine,
- phototraitement,
- eaux usées,
- sol sableux,
- salinité
Abstract
The process of photosensitization (phototreatment) of water is gaining much interest as it involves three components that are individually harmless to the biological environment, namely, the photosensitizer, light, and molecular oxygen. Laboratory experiments on study factors affecting photostability of T4MPyP (meso-tetra [4-N-methylpyridyl] porphyrin) in water show that wavelength and intensity of incident light, concentration of photosensitizer and water quality (presence of organics contaminants, turbidity, pH, dissolved oxygen, and thickness of the water sheet) all affects the rate of photostability and phototreatment. The experimental study consisted in bringing i) secondary treated (by activated sludge) wastewater, ii) the same type of wastewater but photosensitized with 5 μM∙L-1 of T4MPyP during 6h of sunshine, and iii) well water to a sandy soil. Phototreated wastewater met Tunisian standards (NT 106.03) indicating that the porphyrin was efficient in removing indicator bacteria (fecal coliforms removal averaged 99.99%) but still contained a residual concentration of porphyrin (about 35% of the initial concentration). At the end of the experiment, the saline configuration of the soil depended on the irrigation water quality. In the case of the secondary wastewater, the surface layer (0-5 cm) was characterized by high concentration of soluble salts and by proliferation of some algae which resulted in surface clogging and lack of macropore continuity. In contrast, biological, chemical and physical clogging processes were reduced by using phototreated wastewater with a residual photosensitizer. The absence of algae in the surface layer of soil and the decrease of nutrients (nitrogen and phosphorus) and bacteria could reduce clogging of irrigated water. The higher salinity was observed in the deep layer (5-15 cm) due to a high mobility of the sodium and chloride ions followed by sulfates and calcium from the layer 0-5 cm to the layer 5-15 cm which can be attributed to the higher oxidation of organic matter induced by the presence of porphyrin. The results revealed that using wastewater with micromolar concentrations of T4MPyP in agriculture would inhibit the development of algae at the soil surface and lead to a better infiltration of salts in depths, which would prevent surface clogging. In addition, better retention of ammonium and orthophosphate ions was observed in the sandy soil during percolation of phototreated wastewater.
Keywords:
- porphyrin,
- phototreatment,
- wastewater,
- sandy soil,
- salinity
Corps de l’article
1. Introduction
Les résultats prometteurs de la photosensibilisation dans le domaine médical, l’inactivation d’une large gamme de microorganismes et la possibilité d'immobiliser le photosensibilisant sur des supports solides (JORI et al., 2006; CARVALHO et al., 2009) offrent de nouvelles perspectives d’applications dans des matrices environnementales diverses avec une approche moins coûteuse, facilement applicable et respectueuse de l'environnement (COSTA et al., 2008; ALMEIDA et al., 2012).
Bien que peu d'études aient été menées sur les applications de la photosensibilisation, les résultats préliminaires obtenus en laboratoire et à des stations pilotes suggèrent que le photosensibilisant a un grand potentiel pour la désinfection des eaux usées et des eaux de pisciculture (JEMLI et al., 2003; AROJADAO et al., 2011; TEDDY, 2012; SABBAHI et al., 2013).
Cette technologie combine la lumière, un photosensibilisant, molécule absorbant la lumière qui initie une réaction photochimique ou photophysique, et l'oxygène. Ces trois composants sont responsables de la formation des espèces réactives de l'oxygène (oxygène singulet et/ou des espèces radicalaires), qui conduisent à la photoinactivation des microorganismes (ALVES et al., 2009; TAVARES et al., 2010). L’efficacité de la désinfection de l’eau potable (BONNETT et al., 2006) et des eaux usées (JEMLI et al., 2002; CARVALHO et al., 2007) par photosensibilisation a été prouvée par des tests de laboratoire en utilisant les bactéries indicatrices de pollution fécale, les kystes de protozoaires et les oeufs d’helminthes (ACHER et al., 1990; ALOUINI et JEMLI, 2001; THANDU et al., 2015). Pour les applications environnementales sur terrain, la lumière solaire peut être utilisée comme source de lumière. Par ailleurs, en ce qui concerne les aquacultures, il a été démontré que les porphyrines utilisées comme photosensibilisants ne montrent aucune toxicité significative vers les organismes supérieurs (comme les poissons) à des doses de réactifs photochimiquement actifs (MAGARAGGIA et al., 2006).
L’ensemble des travaux de recherche qui ont testé le photosensibilisant comme insecticide, larvicide et pesticide (BEN AMOR et al., 1998; DONDJI et al., 2005; EL-TAYEB et al., 2011), ou comme désinfectant des eaux polluées (BONNETT et al., 2006; ALVES et al., 2011; BANERJEE et al., 2012), ou pour la décontamination et la préservation des denrées alimentaires (BUCHOVEC et al., 2010; LUKSIENE et al., 2014), ou dans le domaine industriel et domestique comme l’autonettoyage des surfaces (CARPENTER et al., 2012), n’ont pas souligné la présence de risques ou de toxicité; bien au contraire, ils déclarent qu’il s’agit d’un procédé sain, écologique, économique et à impact environnemental faible comparativement aux autres techniques (ALVES et al., 2009 ).
Beaucoup de chercheurs ont étudié la stabilité du photosensibilisant notamment la méso-tétra (4-N-méthyl-pyridyl) porphine, tétratosylate (T4MPyP) dans un solvant organique, dans une solution aqueuse et au niveau d’une membrane biologique (MERCHAT, 1995; SEGALLA et al., 2002). Il ressort de ces travaux que la T4MPyP reste sous forme de monomères non agrégés à des concentrations élevées (KALYANASUNDARAM et NEUMANN-SPALLART, 1982) et à des pH extrêmes grâce à sa charge périphérique positive responsable de la diffusion du nuage électronique π à la surface de la molécule, ce qui renforce son pouvoir photosensibilisant.
Ce travail s'intéresse à une nouvelle application de la technique de photosensibilisation, une éventualité qui pourrait se présenter dans les pays pauvres en ressources hydriques, il s’agit de l’utilisation des eaux usées phototraitées pour l’irrigation et la recharge des nappes. La photostabilité de la molécule de porphyrine dans un milieu liquide en fonction de différentes variables telles que l’intensité lumineuse, le taux du dioxygène dissous et le pH, a été étudiée. Les eaux usées photodésinfectées par la porphyrine et la lumière solaire ont été appliquées sur un sol sableux selon deux régimes hydriques. Un suivi mensuel de l’évolution des caractéristiques physicochimiques du sol ainsi que des percolats obtenus lors de l’application des doses d’eaux supérieures à la capacité du champ a été effectué.
2. Matériel et méthodes
2.1 Le photosensibilisant
Il s'agit de la porphyrine méso-tétra (4-N-méthyl-pyridyl) porphine, tétratosylate C40N8H26 (T4MPyP) de poids moléculaire 1 363,63 g. La porphyrine est un dérivé d’un système aromatique dit la porphine qui est formée de quatre cycles pyroles juxtaposés en une structure fermée reliée par les carbones 2 et 5 par des ponts méthyléniques (=CH–) (Figure 1).
La porphyrine mésosubstituée est un produit synthétique procuré de Porphyrin Products Inc. (Logan, UT, États-Unis). Il s’agit d’un colorant formé d’un ensemble de chromophores absorbant dans le visible. La concentration de la porphyrine est calculée à partir de la formule basée sur le principe de la loi de Beer-Lambert. La densité optique est mesurée par un spectrophotomètre (Spectronic® 20 GENESYSTM) où le coefficient d’absorption molaire est égal à 197 000 M∙cm-1 à 422 nm.
2.2 La source de rayonnement
Les expérimentations réalisées au soleil ont été menées pendant la saison chaude, à Tunis, où l’irradiation lumineuse à la surface de l’échantillon varie de 68 000 à 145 000 lux (0,064 à 0,137 W∙cm-2) ou (1,220 mM∙m-2∙s-1 à 2,610 mM∙m-2∙s-1 de photons selon le facteur de conversion qui concerne la lumière solaire : 1 lux 1,8 x 10-3 µM∙m-2∙s-1 de photons).
Une lampe halogène OSRAM (1 000 W, efficacité lumineuse = 30 lm∙W-1) dont l’éclairement lumineux à la surface de l’échantillon est de l’ordre de 30 000 lux (0,037 W∙cm-2) a été utilisée pour les expérimentations menées au laboratoire (Figure 2).
L’énergie et le flux lumineux reçus par unité de surface sont déterminés par un appareil de mesure de l’intensité lumineuse (solarimètre AMPROBE SOLAR-100) et par un luxmètre mesurant la luminosité (Lutron LX-102).
2.3 Les conditions expérimentales
Dans le cas d'une éventuelle valorisation des eaux usées phototraitées dans le domaine d'irrigation, une étude expérimentale a été menée au laboratoire sur des échantillons de sol léger (85 % de sable) placé dans des pots en plastique.
Les échantillons du sol, prélevés sur une profondeur de 0 à 40 cm, ont été séchés et tamisés (à 2 mm) puis placés dans des pots transparents de capacité 5 000 cm3. Chaque pot renferme un massif drainant de gravier d’une hauteur de 1 cm, au-dessus duquel l’échantillon du sol occupe une hauteur de 15 cm. Chaque pot du sol repose sur un bassinet qui sert à récupérer le percolat. Au départ, tous les pots contenant chacun l’échantillon de sols avec un bassinet au-dessous ont le même poids. L’ensemble des pots est placé sur un support en fer (1,5 x 1,5 m) dans une chambre et sous un plafond lumineux comportant sept lampes halogènes de 250 W et 30 tubes fluorescents (Figure 3).
La distance qui sépare les lampes et la surface du sol est de 60 cm. L’ensemble des pots est exposé quotidiennement pendant 8 h à une luminosité de l’ordre de 4 200 lux. La température ambiante de la chambre varie de 18 à 32 °C en obscurité et de 32 à 40 °C sous la lumière avec une aération contrôlée.
L’étude expérimentale réalisée pendant cinq mois consiste à apporter au sol de l’eau usée secondaire traitée à la station Charguia à boues activées, de la même eau usée, mais photodesinfectée avec 5 µM∙L-1 de porphyrine pendant 6 h d’ensoleillement et une eau de puits provenant de la nappe d’Ariana (Tunis).
Les caractéristiques physicochimiques et microbiologiques des eaux utilisées sont données dans le tableau 1. La salinité totale et la composition chimique en éléments majeurs et en éléments nutritifs des eaux usées secondaires et phototraitées sont dans l’ensemble similaires. La demande chimique en oxygène (DCO) est, cependant, relativement plus élevée dans l’eau usée phototraitée. Le faciès géochimique des eaux usées secondaires phototraitées et eaux de puits est chloruré sodique. Néanmoins l’eau de puits se caractérise par une salinité légèrement plus élevée que les eaux usées. Elle est plus concentrée en chlorures, en sulfates, en magnésium et en calcium.
Ces eaux ont été appliquées selon deux régimes hydriques différents. Pour le premier régime hydrique (dose D1), la quantité d’eau dans le sol oscille entre le point de flétrissement permanent et la capacité au champ, soit respectivement 3,66 % et 9,27 %. L’exposition à la lumière favorise la perte d’eau par évaporation. Cette perte est estimée par pesée des pots et compensée chaque fois par un nouvel apport d’eau, soit une moyenne de 300 cm3 pour chaque application. Le deuxième régime hydrique (dose D2) consiste à apporter une quantité d’eau permettant un lessivage régulier du sol, ce qui correspond à la dose D1 avec une quantité d’eau supplémentaire apportée chaque mois permettant la récupération de 600 cm3 de percolat, soit une moyenne de 900 cm3 pour chaque application.
2.4 Les analyses
L’évaluation des effets des eaux usées phototraitées sur le sol sableux est réalisée mensuellement par des analyses physicochimiques (pH, salinité, Na+, Ca++, Mg++, K+, Cl-, SO4--, HCO3-, C, N et C/N) avec deux répétitions pour chaque qualité d’eau. Parallèlement, des analyses mensuelles du pH, de la salinité, des cations solubles, du NH4+ et du P-PO4 des eaux percolées ont été effectuées. À la fin de l’expérimentation, la détermination des bases échangeables (% de S) a été faite selon la méthode à l'acétate d'ammonium (AFNOR X31-130). On procède à l'échange, par percolation, des cations de l'échantillon par les ions ammonium d'une solution aqueuse molaire d'acétate d'ammonium tamponnée à pH 7. Les ions ammonium en excès sont éliminés avec de l'alcool éthylique. Par agitation dans une solution aqueuse molaire de chlorure de sodium, on extrait les ions ammonium fixés. La capacité d’échange cationique (CEC) est déterminée par dosage des ions ammonium échangés.
La conductivité électrique (CE) est mesurée à l’aide d’un conductimètre (WTWLF 90) à température constante pour un rapport 1/5 (BAIZE, 1997), puis convertie en salinité (mg∙L-1).
Le calcium et le magnésium sont dosés par spectrométrie d’absorption atomique; le sodium et le potassium par spectrométrie d’émission atomique; les carbonates et les bicarbonates par titrimétrie (acide/base). Les sulfates sont précipités par le chlorure de baryum, en milieu chlorhydrique, à l’état de sulfate de baryum. Le précipité est stabilisé à l’aide d’une solution de gélatine et les suspensions sont mesurées au spectromètre. Les chlorures sont dosés en milieu neutre, par une solution titrée de nitrate d’argent en présence de chromate de potassium (méthode de Mohr) (RODIER, 1984). Le carbone organique est oxydé à chaud par un mélange de bichromate de potassium et d'acide sulfurique. Les formes réduites de l’azote total sont déterminées par la méthode de Kjeldahl; le phosphore assimilable par la méthode d’Olsen (RODIER, 1984).
Les ions orthophosphates, nitrates et ammonium sont déterminés par dosage colorimétrique respectivement en présence de tartrate double d’antimoine et de potassium de paranitrosalicylate de sodium et de réactif de Nessler (RODIER, 1984).
3. Résultats et discussion
3.1 Stabilité du photosensibilisant dans un milieu aqueux
Une solution aqueuse à 10 µM de T4MPyP se caractérise par
un pH aux alentours de 6,3;
une coloration orangée rouge;
une conductivité électrique de l’ordre de 8 µS∙cm-1;
un spectre d’absorption dans le visible représenté essentiellement par la bande de Soret, aux alentours de 400 nm et par la Q bande (500-700 nm). Dans le domaine des UV, le système de base de la T4MPyP absorbe intensément dans les UVC puis dans les UVB et enfin dans les UVA (190, 220 et 260 nm) (Figure 4).
L'étude de la photostabilité de la de T4MPyP dans les eaux usées destinées à l'irrigation, a été précédé par l'étude de sa photostabilité dans une solution aqueuse, où le pH, a été varié de 0,3 à 12 par l'ajout progressif d'une solution diluée d’acide sulfurique ou d’hydroxyde de sodium. Il ressort que la coloration et le spectre d’absorption de la solution varient en fonction du pH.
Le pH de la solution agit instantanément sur la bande de Soret de la T4MPyP à partir d’un pH ≤ 2,8 ou ≥ 8 (Figure 5). Il s’agit de la bande d’absorption autour de 400 nm qui correspond à la transition de l’état électronique fondamental à l’état électronique singulet. Aux pH extrêmes acides et basiques, la bande d’absorption dans le visible se déplace vers les grandes longueurs d’onde (effet bathochrome) et diminue d’intensité d’absorption à pH basique.
Selon les travaux de MERCHAT (1995), l’ajout de l’acide à une solution de T4MPyP (H2P) entraîne sa protonation. Les deux protons ne s'ajoutent pas simultanément, le premier proton conduit à la formation de l'espèce monoacide (H3P+) très instable qui sera immédiatement protoné pour donner la forme acide stable dication (H4P2+).
Par ailleurs, l’exposition prolongée de la solution de porphyrine à la lumière visible pourrait entrainer une diminution et même une disparition du spectre d’absorption dans le visible ainsi qu’à la décoloration totale de la solution (photobleaching). Ceci est probablement dû à une ouverture du macrocycle et à la dispersion des chromophores. À pH 6,3 la solution incolore obtenue absorbe uniquement dans les UV. Le spectre d’absorption présente des pics aux environs de 198, 220 et 260 nm (Figure 4). À des pH supérieurs à 9,6, le processus de photobleaching est plus rapide. La molécule de T4MPyP à pH neutre nécessite trois fois plus de temps sous la lumière solaire que la forme basique pour aboutir à la décoloration totale de la solution. Ceci confirme les travaux de SPIKES en 1989 qui avance que le photobleaching du photosensibilsant organique (S*), notamment la porphyrine, est plus poussé par la formation du radical cation porphyrine (S+.) à pH basique.
Parallèlement, le suivi de la photostabilité de la T4MPyP dans une eau usée secondaire montre que le photobleaching de la T4MPyP est plus rapide dans les cas suivants :
dans l’eau usée par rapport à l’eau distillée, la vitesse de photobleaching est de 20 à 50 % plus rapide en présence d'une concentration de matières en suspension (MES) de l'ordre de 40 mg∙L-1;
lorsque l'échantillon à phototraiter est exposé à la lumière solaire (flux lumineux ≥ 120 000 lux). Le photobleaching est plus important de 15 à 30 % par rapport à la lumière artificielle (flux lumineux ≥ 30 000 lux);
lorsque l’épaisseur de la lame d’eau à phototraiter est faible. Le photobleaching est plus rapide de 20 % quand l’épaisseur passe de 15 à 2 cm;
lorsque l’intensité du rayonnement solaire est plus forte;
lorsqu’on assure une aération artificielle, le taux de photodégradation de la molécule augmente de 8 à 12 % pour une élévation de 2 mg∙L-1 du dioxygène dissous.
3.2 Application des eaux usées phototraitées sur un sol sableux
Dans le cadre de cette étude expérimentale, les effets éventuels des eaux usées phototraitées sur les caractéristiques du sol par comparaison avec les eaux usées secondaires et les eaux de puits ont été étudiés. Les caractéristiques physicochimiques des trois qualités d’eaux utilisées sont présentées au niveau du tableau 1. Un volume de 10 L d’eau usée secondaire a été traité par 5 µM∙L-1 de T4MPyP pendant 6 h d’ensoleillement. L’intensité lumineuse moyenne a été estimée à (130 000 lux) et l’épaisseur de la lame d’eau à 5 cm. L'eau usée phototraitée ainsi obtenue est conforme aux NT 106.03 pour l'irrigation, de point de vue taux de bactéries indicatrices de pollution fécale (coliformes fécaux [CF] < 103/100 mL), mais renferme encore une concentration résiduelle de porphyrine (environ 35 % de la concentration initiale).
Les tableaux 2 et 3 présentent les caractéristiques physicochimiques moyennes du sol avant et après cinq mois d'application des eaux usées secondaires, des eaux phototraitées et des eaux de puits selon les régimes hydriques D1 et D2. Avec la dose D1 inférieure à la capacité au champ (CC), aucune différence liée à la présence de porphyrine n’a été détectée (Tableau 2). La répartition des sels dans les deux couches de sol (0-5 et 5-15 cm) est similaire. Parallèlement, l’évolution du pH et du rapport C/N est semblable. En présence de la dose D2, deux fois supérieure à la CC (Tableau 3), la configuration saline du sol a varié en fonction de la qualité de l’eau apportée. La concentration des sels est plus importante au niveau de la couche superficielle dans le cas des eaux usées secondaires et les eaux de puits et au niveau de la couche 5-15 cm dans le cas des eaux usées phototraitées. En présence de la molécule de porphyrine dans les eaux, une infiltration plus importante des sels solubles, notamment des ions chlorures et sodium suivis des sulfates et du calcium, a été observée. Ceci pourrait être en rapport avec les réactions de photo-oxydation et de phototransformation directe et indirecte de la matière organique des eaux usées. Cette dernière serait de taille plus petite (PICHAT, 1994) et s’infiltrerait plus facilement à travers les pores du sol limitant ainsi le colmatage physique et la précipitation des sels à la surface.
En outre, la présence de porphyrine résiduelle dans les eaux usées phototraitées joue un rôle important au niveau du sol. La molécule de porphyrine retenue à la surface du sol et exposée à la lumière visible continue ses réactions de photosensibilisations. En effet, elle inhibe l'apparition des algues à la surface des sols, contrairement à l’eau usée secondaire et l’eau de puits où on observe le développement des algues vertes à la surface du sol (Figure 6). La charge organique des eaux usées secondaires ainsi que le développement des algues à la surface entravent la circulation de l’eau dans le sol. L’eau retenue mécaniquement à la surface du sol subit plus intensément les effets de l’évaporation. La solution du sol se concentre et les sels précipitent. La précipitation des sels et leur enchevêtrement avec les filaments des algues contribuent à la consolidation de la couche superficielle et à l’installation du colmatage chimique, physique et biologique. Une croûte superficielle suite à la formation d’un dépôt de sel et le développement des algues a été observée à la surface du sol sableux recevant l’eau usée secondaire et l’eau de puits. Alors qu’avec les eaux usées phototraitées, la présence de matière organique photosensibiliséé et l’absence des algues à la surface contribuent à la facilité du mouvement d'infiltration des eaux loin de la couche superficielle.
Par ailleurs, l'évolution du rapport C/N suit celle de la salinité du sol. Le rapport C/N est légèrement plus élevé à la surface qu’en profondeur avec l’eau usée secondaire et inversement avec l’eau usée phototraitée par la porphyrine. MALLOHI et JACQUIN (1985) et SARDINHA et al. (2003) ont démontré que la salinisation du sol, notamment la teneur élevée en ions sodium, est considérée comme un des facteurs les plus stressants pour la croissance et la prolifération de la biomasse microbienne dans le sol. Les processus de nitrification et de minéralisation sont ralentis en milieu salin, ils sont inhibés voir complètement bloqués en présence de quantité élevée du sodium échangeable (BONNEAU et SOUCHIER, 1994).
À partir de l’ensemble de ces observations ainsi que du suivi mensuel du rapport C/N et du phosphore lors de l'application d'une dose D2 (Tableau 3), il apparaît que la salinité est le facteur le plus influençant pour le processus de la minéralisation par rapport à l'humidité et la biomasse exogène dans l'eau usée tertiaire. La matière organique photo-oxydée par la porphyrine serait ainsi facilement et rapidement biodégradée par la microflore du sol (BARROW, 1991). Par analogie, JORET et LEVI (1986) ont montré que l’oxydation poussée des eaux usées augmente la fraction biodégradable du carbone organique et transforme partiellement des matières organiques non assimilables en des sous-produits assimilables.
Parallèlement, la caractérisation physicochimique mensuelle des percolats obtenus avec le régime hydrique D2 montre que les valeurs de la salinité les plus élevées ont été enregistrées avec l’application des usées phototraitées (Tableau 4). En effet, il arrive par moment que le lessivage des ions sodium et chlorure suivi des sulfates et de calcium est beaucoup plus important avec les eaux usées phototraitées, par exemple durant le troisième et le cinquième mois de l’expérimentation décelant une meilleure percolation des éléments majeurs. Le pH, quant à lui, ne présente pas de variations notables.
La somme des bases échangeables au niveau du sol sableux est de 5,9 meq∙L-1, avec 74 % de Ca++, 9 % de Na+, 11 % de K+ et 6 % de Mg++. À la fin de l’expérimentation, on observe un enrichissement du complexe adsorbant du sol en sodium et en potassium et un appauvrissement en calcium et en magnésium. Ces phénomènes d’échanges sont observés de façon plus prononcée dans la couche 0-5 cm en présence des eaux usées secondaires et des eaux de puits et au niveau de la couche 5-15 cm avec les eaux usées phototraitées.
L’azote et l’orthophosphate se comportent différemment suivant la qualité de l’eau apportée. En présence des eaux usées phototraitées, l’ion ammonium est très bien retenu par le sol sableux. La concentration mesurée dans le percolat ne dépasse pas 9 mg∙L-1 durant la période d’investigation. En revanche, en appliquant les eaux usées secondaires, la quantité de NH4+ lessivée est plus importante, elle est quatre à cinq fois plus élevée notamment durant les derniers mois de l’expérimentation. GUILLOTEAU (1994) montre que l’augmentation de NH4+ à la sortie d’une colonne de filtration-percolation des eaux usées est synonyme d’une chute de la nitrification au niveau du sol. Elle sert ainsi d’alarme pour visualiser une réoxygénation incomplète. Dans le cas de l’application des eaux usées secondaires, l’installation du colmatage en surface conduirait à une diminution de la diffusion d’oxygène à travers la surface du sol et par conséquent entraînerait l’inhibition de la nitrification.
Par ailleurs, nous avons constaté qu’après deux mois d’application de l’eau, la concentration d’orthophosphate lessivée est plus marquée avec les eaux usées secondaires. Ceci pourrait s’expliquer par le fait qu’en présence de porphyrine, l’absence des algues et des précipités de sel à la surface, ainsi qu’une matière organique facilement biodégradable, favorise l’installation des conditions oxydantes au niveau du sol ce qui aide à mieux fixer le phosphore.
Il ressort que la porphyrine résiduelle contenue dans l'eau usée tertiaire partiellement retenue au niveau de la couche superficielle du sol éventuellement par des forces physiques, des mécanismes d’adsorption électrostatiques ou d’immobilisation physicochimiques continue à exercer son pouvoir photodynamique sur les microorganismes (algues et bactéries) en présence de la lumière visible.
4. Conclusion
L'étude expérimentale menée au laboratoire montre que le phototraitement des eaux usées destinées à l'irrigation par la T4MPyP permet un taux d'abattement satisfaisant des coliformes dans les eaux et une inhibition de développement des algues à la surface du sol. L'apport des eaux usées phototraitées au sol sableux conduit à une percolation des sels de la surface vers la couche 5-15 cm contrairement aux eaux usées secondaires qui entraine leur concentration à la surface.
L’ensemble de ces facteurs fait que le colmatage superficiel chimique, physique et biologique est moins prononcé avec les eaux usées phototraitées. À grande échelle, beaucoup de travail reste à faire pour étudier la faisabilité et l’efficacité de la photosensibilisation dans le domaine agricole, notamment l’impact du photosensibilisant sur la faune et la flore du sol et sur le matériel végétal ainsi que la photostabilité de la molécule sur le sol.
Parties annexes
Remerciements
Nos remerciements au feu Dr. Alouini Zoubeir, Chef du laboratoire de Parasitologie des Eaux Usées et des Boues Résiduaires, Institut National de Recherches en Génie Rural, Eaux et Forêts, Tunis et au feu Pr. Giulio Jori, pilier de la photobiologie à l’université de Padova.
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