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Sur le mode de la chronique, cet ouvrage retrace l’évolution du Premier cycle sur mesure (PCSM), une expérience française d’intégration des technologies de l’information et de la communication (TIC) en milieu universitaire. Ce projet-pilote sert de prétexte, en quelque sorte, à l’étude des rouages du processus d’innovation. Or, dans la conception hexagonale de l’éducation, la nécessité d’innover est associée à l’entreprise privée. Le monde universitaire, fort d’une tradition séculaire, est imperméable aux tentatives de réformes pédagogiques, notamment en ce qui concerne l’implantation de formations ouvertes à distance (FOAD) (chapitre 2). Au final, les TIC ne feraient que s’infiltrer dans l’université sans arriver à s’y intégrer, ne constituant jamais une innovation durable (chapitre 7). Plusieurs chapitres du collectif discutent les causes de cette impossibilité.
Le chapitre trois explique pourquoi, dans le cadre du Premier cycle sur mesure, la création d’outils pédagogiques a avorté, cédant tout le terrain à une production massive de ressources didactiques. Le chapitre quatre analyse la collision entre la démarche française d’édition des contenus et la tendance mondiale à industrialiser et à commercialiser les formations. Quant au cinquième chapitre, il traite de l’autonomisation des étudiants et des modifications que les FOAD font subir au statut traditionnel d’enseignant-chercheur. Enfin, le problème du tutorat est abordé dans le chapitre 7 ; on y répertorie les usages actuels et on souligne la difficulté à définir le tutorat à distance lié aux formations ouvertes à distance.
L’ampleur de la recherche menée sous la direction de Jacquinot-Delaunay et Fichez force l’admiration. Leur chronique analytique rend compte de façon exhaustive d’une décennie de tentatives d’intégration des technologies. Ainsi les points de vue sociopolitique, socioorganisationnel, socioéconomique et sociopédagogique sont-ils constamment sollicités par les auteurs. Ces éclairages complémentaires permettent de saisir les implications complexes de l’intégration des TIC dans le contexte français.
Malheureusement, cette analyse est tellement enracinée dans la culture et les problèmes hexagonaux qu’elle nous semble difficilement transférable à d’autres contextes nationaux. Conséquemment, les descriptions parfois trop minutieuses des luttes de pouvoir et des tensions entre diverses instances françaises deviennent incompréhensibles pour le lecteur étranger. Par exemple, afin d’identifier les bureaux, associations et autres organes qui ne sont nommés que par un sigle dans le texte, on doit fréquemment se référer à une liste d’abréviations de quatre pages. Cela gêne la compréhension du propos.
Mentionnons que le choix de la chronique est fort efficace dans la mesure où l’on veut que l’ouvrage constitue aussi et peut-être en premier lieu une archive (p. 271). C’est précisément ce que les auteurs désiraient et c’est pourquoi leur chronique si précise et si détaillée constitue un document précieux. Toutefois, cette dimension archivistique suppose qu’on relate avec force détails la genèse du Premier cycle sur mesure, ce qui ne sert pas toujours l’analyse. Cette chronique nous a même souvent semblé l’alourdir. Résultat : la lecture de cet ouvrage de 319 pages est souvent déroutante, voire aride, et intéressera surtout un public universitaire bien informé des enjeux et de la configuration du système éducatif français.