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Introduction

Le Conners CBRS (Comprehensive behavior rating scale, Conners, 2008b) est un questionnaire à large spectre de psychopathologie qui permet une évaluation systématique du comportement de l'enfant. Il est à ce jour peu connu au Québec, car il n’était pas disponible en français jusqu’à tout récemment. Il a été publié en 2008 (puis révisé en 2014 avec l’arrivée du DSM-5), tout comme le questionnaire Conners-3 (Conners, 2008a), plus connu au Québec, puisqu'il est disponible en français depuis plusieurs années. Ce questionnaire, utile en clinique et en recherche, peut être utilisé afin de dépister ou d’évaluer différentes psychopathologies chez les enfants et les adolescents, d'établir un diagnostic de trouble de santé mentale, d'évaluer les besoins éducatifs particuliers chez le jeune, de contribuer à l'élaboration d'un plan d'intervention et d'évaluer les effets d’une intervention. Le Conners CBRS comprend trois questionnaires pour une évaluation multi-informants : une version parents (CBRS-P, 203 items, 6 à 18 ans), une version enseignant/e (CBRS-T, 204 items, 6 à 18 ans) et une version autorapportée par l’enfant/l’adolescent (CBSR- SR, 179 items, 8 à 18 ans). Chaque questionnaire prend environ 25 minutes à remplir et 10 minutes à corriger à l’aide d’un correcteur informatique.

Description

Structure du test

Le Conners CBRS comprend plus de 40 échelles réparties en grandes catégories (voir Tableau 1) : 1) les échelles de contenu (p. ex., Détresse émotionnelle, Comportements agressifs et oppositionnels, Problèmes d'apprentissage, etc.); 2) les échelles de symptômes basés sur le DSM-5 (p. ex., Trouble déficitaire de l’attention avec/sans hyperactivité, Épisode dépressif, Trouble d’anxiété généralisée, etc.); 3) des items de dépistage pour plusieurs autres troubles (p. ex., Trouble panique, Pica, Phobie spécifique, etc.), 4) des échelles de validité (Impression positive, impression négative, Index d’inconsistance), et 5) deux échelles d’items « critiques » (risque suicidaire/automutilation et risque de violence sévère) et 6) des échelles « autres » (déficit fonctionnel maison/école/pairs et Conners clinical index).

Tableau 1

Résumé des échelles du Conners CBRS

Résumé des échelles du Conners CBRS

Tableau 1 (suite)

Résumé des échelles du Conners CBRS

Notes. En italique et en retrait, sous-échelle; *, échelle continue (avec score T et rang centile); **, échelle continue (avec score T et rang centile) et échelle dichotomique (présence/absence du trouble, selon l'algorithme du DSM-5); ***, un seul item par catégorie, à moins d'indications contraires; ≠, échelle absente de la version P (parent), T (teacher) ou SR (self-report)

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Les échelles de contenu portent sur des domaines comportementaux plus larges. Elles ont été construites à l’aide des résultats d'analyses factorielles exploratoires et confirmatoires. Les deux premières échelles (Détresse émotionnelle et Comportements agressifs/oppositionnels) sont les deux échelles comprenant le plus grand nombre d’items et expliquant le plus de variances. Ces échelles rappellent les dimensions de troubles intériorisés et de troubles externalisés, souvent retrouvés dans les études factorielles de divers outils mesurant les comportements chez les enfants (Cicchetti et Toth, 2014). Les échelles de contenu ne sont pas exactement les mêmes selon la version du questionnaire utilisée (CBRS-P, CBRS-T, CBRS-SR), puisque les résultats des analyses factorielles n’étaient pas exactement les mêmes pour les trois versions (voir Tableau1). Les échelles de contenu sont généralement redondantes avec les échelles de symptômes DSM-5, à l’exception des échelles « problèmes d’apprentissage », « problèmes sociaux » et « symptômes physiques ».

Les échelles de symptômes DSM-5 sont quant à elles plus spécifiques puisqu’elles ont été construites en suivant les critères du DSM-5 pour chaque trouble. À noter pour les cliniciens et les chercheurs familiers avec le questionnaire Conners-3 (Conners, 2008a) que les échelles TDAH inattention, TDAH hyperactivité-impulsivité, trouble oppositionnel et trouble des conduites du Conners CBRS sont exactement les mêmes que celles du Conners-3. Les échelles de symptômes DSM-5 présentent le grand avantage de combiner des scores continus standardisés et des scores dichotomiques. L’évaluateur peut donc vérifier d’une part à quel point les comportements associés à un trouble sont présents par rapport aux enfants du même âge et du même sexe (scores continus standardisés : score T et rang centile) et d’autre part, vérifier si l’enfant rencontre les critères diagnostics pour le trouble en question (scores dichotomiques : absence/présence du trouble selon l’algorithme du DSM-5).

Des items de dépistage pour plusieurs autres troubles ont également été insérés dans le questionnaire : énurésie, encoprésie, trouble panique, trouble du spectre autistique (version autorapportée seulement), pica, trouble de stress post-traumatique, phobie spécifique, abus de substance, troubles de tic et trichotillomanie. Ces items peuvent aider à dépister d’autres troubles ou problématiques pour lesquels une évaluation plus approfondie pourrait s’avérer utile.

Les échelles de validité permettent d'identifier des patrons de réponses inhabituelles qui peuvent aider le clinicien à estimer la validité des résultats obtenus. L’échelle d’impression positive détecte la tendance à répondre de manière inhabituellement positive (idéalisation excessive), l'échelle d’impression négative détecte la tendance à répondre de manière inhabituellement négative (dévalorisation excessive) et l’index d'inconsistance détecte la tendance à répondre de façon incohérente aux questions, ce qui peut indiquer un problème de compréhension chez le répondant ou que le répondant ne s’est pas appliqué à la tâche.

Les échelles d’items critiques permettent de détecter les comportements hautement problématiques, nécessitant souvent des interventions immédiates. L’échelle de « Risque suicidaire et d'automutilation » (Self-harm) comprend des items portant sur le sentiment de désespoir, de découragement, de solitude, d’automutilation, de pensées suicidaires et de gestes suicidaires. Étonnamment, la version autorapportée ne comprend pas d’items sur les pensées suicidaires ni sur les gestes suicidaires. L’échelle de « Risque de violence sévère » (Severe conduct) comprend des items portant sur des comportements suggérant un risque élevé de violence grave comme l’utilisation ou le transport d’armes, la cruauté envers les animaux, le vol par confrontation, l’abus sexuel, l’entrée par effraction, etc.

Le Conners CBRS contient quelques autres échelles ou items. Trois items portent sur le déficit fonctionnel, c’est-à-dire l’impact des difficultés comportementales identifiées par le répondant dans différentes sphères de fonctionnement (à l’école, avec les pairs et à la maison). Finalement, le correcteur calcule également l’échelle d’index clinique de Conners (Conners clinical index) qui consiste en une version très abrégée du Conners CBRS comprenant une vingtaine d’items. Cette échelle présente la particularité de générer un score sous forme de pourcentage. Il s’interprète comme étant le pourcentage d’enfant/d’adolescents de l’échantillon clinique (voir plus bas) ayant obtenu un tel score. Un score élevé à cette échelle suggère qu’un diagnostic devrait être considéré pour le jeune en question.

Administration

Pour des raisons éthiques évidentes, seuls les professionnels possédant une formation pertinente peuvent administrer et interpréter les différents résultats du Conners CBRS. L’éditeur classifie le Conners CBRS dans la catégorie de test « B », ce qui implique que l’évaluateur devrait minimalement avoir complété des cours de niveau cycles supérieurs en évaluation et/ou administration de tests psychométriques. Le Conners CBRS peut s'administrer sous la forme de questionnaire papier ou en ligne (format papier seulement pour la version francophone). Un niveau de lecture de 6e année est requis pour les versions parent et enseignant, tandis qu’un niveau 4e année est suffisant pour le questionnaire autorapporté. Dans l'éventualité où le répondant aurait des difficultés de lecture, l'administrateur peut lui lire les questions. Le questionnaire évalue les comportements de l'enfant observés au cours du dernier mois seulement. Pour le Conners CBRS-T, il est donc essentiel que l'enseignant ait passé au moins un mois en présence de l'enfant afin de s'assurer qu'il soit minimalement familier avec ses comportements. Le répondant indique à quel point chaque énoncé s’applique au comportement de l’enfant/adolescent évalué sur une échelle Likert à quatre points : 0 = n'est pas du tout vrai (jamais, rarement); 1 = est un petit peu vrai (quelques fois); 2 = est assez vrai (souvent, assez souvent); 3 = est très vrai (très souvent, très fréquemment).

Correction

Les scores du Conners CBRS sont calculés à l’aide d’un logiciel disponible sur clé USB (nombre de correction illimitée) ou en ligne (coût fixe par correction). Il n’est pas possible de le corriger manuellement, sur papier. Il est donc important de s’assurer que le répondant ait fourni une réponse à la très grande majorité des énoncés, puisque dans le cas contraire, le correcteur ne pourra pas calculer certains scores. Le correcteur permet de générer trois types de rapport : le rapport d’évaluation (assessment report), le rapport comparatif (comparative report) et le rapport d’évolution (progress report). Le rapport d’évaluation permet de générer tous les calculs et scores pour un répondant (Tableau 2). Le rapport comparatif permet d’inclure dans un seul rapport les données de deux à cinq répondants, ce qui permet d’analyser les réponses de plusieurs répondants simultanément (p. ex., graphiques et tableaux avec les réponses de tous les répondants simultanément). Le rapport d’évolution permet de vérifier l’évolution des symptômes dans le temps, par exemple avant et après une intervention.

Développement et propriétés psychométriques

Le manuel du test (Conners, 2008c) fournit des informations très détaillées sur les propriétés psychométriques et celles-ci sont en général très bonnes. Un document de mise à jour, portant principalement sur les échelles de symptômes modifiées pour le DSM-5 (Conners, 2014), a également été distribué. Le développement du Conners CBRS s’est effectué en trois phases : la conception, l'étude pilote et l'étude normative. Durant la conception, des items ont été développés en se basant sur le DSM-IV. Les items ont été révisés ou éliminés selon leur potentiel à être traduits, leur application auprès de divers groupes culturels et leur clarté. Durant l’étude pilote, les items ont été testés auprès d'enfants issus de la population générale et auprès d'échantillons cliniques (environ 250 répondants pour chaque version du questionnaire : CBRS-P-CBRS-T, CBRS-SR). Des experts ont également évalué la pertinence des items. La version finale et révisée des questionnaires a été administrée lors de l’étude normative (4 626 répondants).

Le Conners CBRS dispose de normes par tranche de 12 mois d’âge. Chaque tranche d’âge comprend 100 enfants (50 garçons et 50 filles). Elles sont basées sur les résultats de 3400 répondants, dont 1200 parents (CBRS-P, 12 groupes d’âge), 1200 enseignants (CBRS-T, 12 groupes d’âge), 1000 enfants (CBRS-SR, 10 groupes d’âge). L'échantillon clinique (n~700) comprend 10 groupes d’enfants regroupés selon leur diagnostic principal : 1) troubles disruptifs (trouble oppositionnel et trouble des conduites), 2) troubles d’apprentissage, 3) trouble de langage, 4) TDAH à prédominance inattention, 5) TDAH à prédominance hyperactivité-impulsivité, 6) TDAH mixte, 7) troubles anxieux, 8) troubles dépressifs, 9) trouble bipolaire, 10) troubles envahissants du développement.

Tableau 2

Section du rapport d'évaluation et du rapport comparatif

Section du rapport d'évaluation et du rapport comparatif

Notes. * disponible uniquement dans le rapport d'évaluation (pas dans le rapport comparatif)

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Les échelles de contenu et les échelles de symptômes DSM obtiennent des alphas de Cronbach allant de 0,69 à 0,97, ce qui indique en général une bonne cohérence interne. Pour le CBRS-P, 19/25 échelles montrent un alpha de Cronbach plus grand que 0,80 [exception : pensées perturbatrices (0,79), perfectionnisme et comportements compulsifs (0,78), symptômes physiques (0,79), trouble autistique (0,78) et trouble d’Asperger (0,73)]. Pour le CBRS-T, 21/25 échelles montrent un alpha de Cronbach plus grand que 0,80 [exception : troubles de conduites (0,77), épisode maniaque (0,74), trouble autistique (0,76) et trouble d’Asperger (0,69)]. Pour le CBRS-SR, 15/17 échelles montrent un alpha de Cronbach plus grand que 0,80 [exception : épisode maniaque (0,74) et trouble d’anxiété sociale (0,79)]. La fidélité test-retest des échelles de contenu et des échelles de symptômes DSM a été réalisée à partir d'un échantillon de 84 parents (r = 0,66 à 0,96), 136 enseignants (r = 0,74 à 0,96) et 75 enfants (r = 0,56 à 0,82) sur un intervalle de 2 à 4 semaines. La fidélité interjuge a été évaluée en administrant le Conners CBRS à 199 dyades de parents et 130 dyades d'enseignants. La corrélation interjuge était jugée acceptable pour la majorité des échelles pour la version parent (r = 0,53 à 0,89) et pour la version enseignante (r = 0,50 à 0,89). Les échelles de contenu ont été déterminées à partir des résultats de nombreuses analyses factorielles exploratoires, puis d’analyses factorielles confirmatoires. Les échelles et sous-échelles de contenu (voir Tableau 1) diffèrent légèrement, selon la version du Conners CBRS, puisque les résultats des analyses factorielles n’étaient pas exactement les mêmes pour les trois types de répondants. Les résultats des analyses factorielles confirmatoires supportaient, en général, très bien les résultats des analyses factorielles exploratoires.

Le manuel du Conners CBRS contient plusieurs dizaines de pages d’analyses corrélationnelles entre le CBRS et d’autres questionnaires, par exemple l’ASEBA (Achenbach system of emprically based assessment; Achenbach, 1991) le CRS-R (Conners rating scales revised; Conners, 1997),le BASC-2(Behavior assessment system for children; Reynolds et Kamphaus, 2004), le BRIEF (Behavior rating inventory of executive function; Gioa, Isquith, Guy et Kenworthy, 2000), le CDI (Children’s depression inventory; Kovacs, 2003) et le MASC (Multidimensional anxiety scale for children; March, 1997). Les échelles du Conners CBRS corrèlent généralement dans le sens attendu avec les échelles comparables des autres questionnaires, et plus faiblement, avec des échelles non apparentées de ces questionnaires, ce qui supporte la validité convergente et divergente de l’outil.

Des analyses de covariance (contrôlant pour l’âge et le sexe) ont également montré que la très grande majorité des groupes cliniques ciblés (p. ex., groupe « troubles disruptifs ») montraient un score plus élevé aux échelles du Conners CBRS mesurant des construits associés à ce trouble (p. ex., échelles « comportements agressifs et oppositionnels », « troubles des conduites » et « trouble oppositionnel ») comparé aux enfants de la population générale et également lorsqu'ils sont comparés aux enfants des autres groupes cliniques. Une des exceptions notables pour les trois versions du questionnaire est l’échelle « TDAH inattention ». Les groupes cliniques « TDAH mixte » et « TDAH à prédominance inattention » ne montraient pas de scores plus élevés que le groupe clinique « TDAH à prédominance hyperactivité-impulsivité » à l’échelle « TDAH inattention ». A posteriori, ces résultats ne sont cependant pas si surprenants, puisque des recherches récentes ont montré que les sous-types de TDAH sont peu stables dans le temps (Willcuttet al., 2012). Ceci justifie d’ailleurs les changements apportés au DSM-5, qui utilise dorénavant le terme « présentation », plutôt que « sous-type » pour classifier les profils de TDAH.

Mise à jour de 2014 (actualisation avec le DSM-5)

Les changements apportés aux critères diagnostiques des différents troubles dans le DSM-5 (APA, 2013) ont obligé les auteurs à modifier certaines échelles du Conners CBRS, particulièrement les échelles de symptômes DSM. La mise à jour de 2014 du CBRS (Conners, 2014) ne concerne que le processus de correction des questionnaires par le logiciel en ligne ou sur clé UBS. Ainsi, les questionnaires parents, enseignants et autorapportés n’ont quant à eux pas été modifiés. Les principales modifications ont été les suivantes : 1) pour le TDAH : ajustement du nombre de symptômes requis pour les jeunes de 17 et 18 ans (5 symptômes au lieu de 6) et changement du terme « sous-type » pour « présentation »; 2) pour l’épisode dépressif : un item déjà existant dans le CBRS a été ajouté à l’échelle d’épisode dépressif pour couvrir l’ajout au critère A1 du terme « désespoir »; 3) pour l’épisode maniaque : le symptôme « augmentation anormale de l’activité orientée vers un but ou de l’énergie » fait maintenant partie des symptômes obligatoires dans le critère A1 et l’algorithme de correction du CBRS a été ajusté en conséquence (à l’exception du symptôme « augmentation de l’énergie », qui n’est pas couvert); 4) pour le trouble d’anxiété sociale (phobie sociale dans le DSM-IV) : les critères A, B, C et D, ont été modifiées, ils sont maintenant tous obligatoires et l’algorithme de correction du CBRS a été ajusté en conséquence; 5) pour le trouble obsessionnel-compulsif : deux critères (A2 et A4) du DSM-IV ont été retirés et l’algorithme de correction du CBRS a été ajusté en conséquence; 6) pour le trouble du spectre de l’autisme (TSA) : le DSM-5 regroupe les anciens diagnostics de trouble autistique, syndrome d’Asperger et TED non-spécifié sous le terme de « trouble du spectre de l’autisme » (TSA) et certains critères diagnostics ne s’appliquent plus (p. ex., retard de langage, difficulté à maintenir une conversation, absence de jeux symboliques). Les deux échelles originales du Conners CBRS « trouble autistique » et « syndrome d’Asperger » ont été remplacées par une seule échelle de « trouble du spectre de l’autisme » à l’aide d’items existants. Le nouveau critère B4 (hypo ou hyperréactivité sensorielle) n’est cependant pas couvert par le Conners CBRS.

Considérations interprétatives

Il est important de mentionner que tous les critères du DSM-5 pour un trouble en particulier ne sont pas nécessairement couverts par le Conners CBRS. Plus spécifiquement, les critères diagnostiques portant sur l’évolution, l’âge d’apparition des symptômes, la durée des symptômes et le niveau d’altération du fonctionnement ou la détresse engendrée par les symptômes doivent être déterminés par le clinicien avant d’en arriver à une conclusion diagnostique. Aussi, même pour les symptômes comportementaux, ceux-ci ne sont pas toujours tous couverts. Le rapport contient plusieurs notes interprétatives à ce sujet dont l’évaluateur doit tenir compte. Par exemple, la version enseignante (CBRS-T) ne couvre pas certains symptômes de certains troubles, puisque le comportement se manifeste habituellement à la maison. Par exemple, « fugue » (A14) ou « sort la nuit sans permission » (A13) pour le trouble des conduites; les problèmes d’insomnie ou d’hypersomnie (A4) pour l’épisode dépressif; la réduction du besoin de sommeil (B2) pour l’épisode maniaque; le refus d’aller dormir chez quelqu’un (A6) et les cauchemars avec thèmes de séparation (A7) pour le trouble d’anxiété de séparation. Tel que mentionné précédemment, le questionnaire demande au répondant de statuer sur la présence de comportements au cours du dernier mois, alors que plusieurs troubles/diagnostics nécessitent une durée des symptômes plus longue, par exemple au moins six mois pour le trouble d’opposition, le trouble d’anxiété sociale et le trouble d’anxiété généralisée. Par ailleurs, quelques rares comportements ne sont pas couverts par le Conners CBRS, puisque les auteurs n’ont pas réussi à trouver des items équivalents à l’intérieur des items déjà existants dans les protocoles CBRS-P, CBRS-T, CBRS-SR pour tous les changements apportés par le DSM-5. Aussi, les spécifications (specifiers) ne sont pas abordées dans le Conners CBRS (p. ex., trouble des conduites avec émotions prosociales limitées).

Processus de traduction

Nous avons traduit les trois versions du questionnaire (CBRS-P, CBRS-T et CBRS-SR) dans le cadre d’un projet de recherche. Les items du Conners-3 déjà traduits en français et approuvés par l’auteur et l’éditeur n’ont évidemment pas été traduits à nouveau. La traduction de l’anglais vers le français a été effectuée par le premier auteur (S. Monette). La rétrotraduction a été effectuée par un traducteur professionnel spécialisé en recherche. L’auteur et l’éditeur ont analysé la traduction et la rétrotraduction, demandé de légères modifications, puis ont approuvé la traduction francophone. Les trois versions du questionnaire sont ainsi maintenant disponibles en français, via l’éditeur (MHS). Le correcteur en ligne et sur clé USB ainsi que les rapports générés demeurent toutefois en anglais.

Forces et faiblesses

Le Conners CBRS nous apparaît une addition majeure aux questionnaires disponibles au Québec en matière d’évaluation psychologique d’enfants et d’adolescents pour plusieurs raisons. Sa plus grande qualité est sans doute l’étendue des symptômes et des troubles couverts par l’instrument. Les échelles de symptômes DSM-5 couvrent 10 entités diagnostiques parmi les plus fréquemment rencontrées en pratique clinique avec des enfants et des adolescents et des items de dépistages pour neuf diagnostics supplémentaires. Cette couverture étendue permet d’obtenir un portrait plus précis du tableau symptomatique, particulièrement des troubles intériorisés, qui ne sont pas couverts dans le Conners-3 et contribue ultimement à un meilleur diagnostic différentiel. Un autre avantage non négligeable de cette large couverture des troubles est la réduction des coûts, puisque le Conners CBRS permet de documenter une étendue de symptômes qui pourraient nécessiter plusieurs questionnaires séparés. Même parmi les questionnaires à large de spectre de psychopathologie existant (p. ex., ASEBA, BASC-3), il se démarque avantageusement en raison de sa couverture étendue de divers problématiques, symptômes et troubles. Un autre point fort est la disponibilité de deux types de scores pour les échelles de symptômes DSM-5 : les scores continus standardisés (score T et rang centile) et les scores dichotomiques (présence/absence du trouble, selon l’algorithme du DSM-5). Ces deux types de scores permettent une interprétation plus juste des observations des répondants, puisque souvent, un enfant peut avoir un résultat élevé à une échelle de symptômes DSM-5 (un exemple typique est l’échelle « épisode dépressif »), sans nécessairement rencontrer les critères diagnostiques pour ce trouble. Dans l’exemple de l’épisode dépressif, un enfant qui présente un TDAH peut facilement obtenir un score T > 70 à l’échelle d’épisode dépressif, en raison de la présence de symptômes non spécifiques à la dépression que le répondant endossera comme présents chez l’enfant (p. ex., difficulté à s’endormir, se réveille trop tôt, est agité, diminution de la capacité à penser/concentrer/prendre des décisions), alors que les symptômes-clés de la dépression (humeur dépressive/tristesse/irritabilité ou perte d’intérêt ou de plaisir dans les activités) sont absents. Cet exemple tiré de la pratique clinique, s’observe aussi dans les données de validation du test (Conners, 2008c, p. 215, 220). Le score dichotomique (absence/présence probable du trouble) basé sur l’algorithme du DSM-5 pour chaque diagnostic nous renseigne à cet effet. Le troisième avantage est la disponibilité de différents types de rapports générés par le correcteur (rapport d’évaluation, rapport comparatif et rapport de progression). Le rapport comparatif, qui permet de profiler les résultats de 2 à 5 répondants est particulièrement utile pour obtenir un portrait global du jeune selon une perspective multitraits et multi-informants.

Le Conners CBRS présente aussi certaines limites. Au plan conceptuel, les échelles de contenu sont pour la plupart redondantes avec les échelles de symptômes DSM-5. Par exemple, l’échelle de contenu « Peurs de séparation » est très semblable à l’échelle de symptômes DSM-5 « Trouble d’anxiété de séparation »; l’échelle de contenu « Hyperactivité et impulsivité » est très semblable à l’échelle de symptômes DSM-5 « TDAH hyperactivité et impulsivité », et ainsi de suite (voir Tableau 1). Ces échelles de contenus sont, à notre avis, peu utiles et complexifient inutilement l’interprétation des données. Dans l’utilisation clinique que nous en faisons, nous avons tendance à seulement interpréter les échelles de contenus non redondantes (échelles « Problèmes d’apprentissage », « Problèmes sociaux » et « Symptômes physiques »). Autre point à améliorer : certaines échelles de symptômes DSM-5 semblent moins bien construites que d’autres. Par exemple, l’échelle « Épisode maniaque » sort souvent comme très élevée, particulièrement chez les enfants ayant un TDAH à présentation mixte ou à présentation hyperactivité-impulsivité dominante, alors que ce trouble est excessivement rare chez les enfants, ce que nous observons en pratique clinique et également dans les données de validation (Conners, 2008c, p. 215, 220). Un autre point qui peut être irritant, lorsque le clinicien a besoin d’aller inspecter les scores à chaque item pour une échelle spécifique, est le fait que le rapport d’évaluation par défaut ne contient pas le texte des items. Ainsi, le rapport indiquera, par exemple, que l’item 56, qui mesure le critère A6 de l’épisode dépressif obtient un score de 3 (très souvent). Le clinicien doit demander une annexe optionnelle qui contient les scores de chaque item par échelle (option : « Item response by scale ») ET le texte de chaque item. Heureusement, cette annexe s’obtient facilement, mais encore une fois, cela complexifie inutilement l’interprétation du rapport. On a l’impression ici que cette décision de l’éditeur est motivée principalement par un désir de fournir un exemple de rapport aux acheteurs potentiels (en accès libre sur internet), sans avoir à divulguer le texte de chaque item du test. Parmi les autres limites de l’outil, nous retenons : la non disponibilité des rapports en français, la nécessité que la clé UBS du correcteur illimité soit connectée à l’ordinateur pour l’utiliser (il n'est pas possible de faire fonctionner le correcteur sur clé USB sur un réseau), le petit nombre d’items pour certaines échelles (p. ex., quatre items pour l’échelle du trouble obsessionnel-compulsif), la complexité des rapports informatiques pour le débutant, l'absence de normes canadiennes et l’absence complète de couverture pour certains troubles (trouble réactionnel de l’attachement, trouble explosif intermittent, trouble disruptif avec dysrégulation de l’humeur, troubles psychotiques, troubles alimentaires). Malgré ces quelques limites, le Conners CBRS nous semble être le questionnaire à large spectre de psychopathologie pour enfant/adolescents présentant le plus d’avantages pour les cliniciens et les chercheurs du domaine de la psychologie et la santé mentale chez les enfants et les adolescents.