Corps de l’article

L’anxiété de performance est une problématique existant dans différents domaines, mais particulièrement analysée dans le sport, l’éducation, ou la musique (Kenny, 2011). Plusieurs chercheurs estiment que l'anxiété de performance affecterait entre 20 et 35 % de tous les élèves et entre 16,5 et 60 % des musiciens professionnels (Fernholz et al., 2019; Patemiti, 2007). Dans une perspective large, celle-ci peut être définie comme un état psychologique désagréable en réaction à la perception d’une menace concernant une performance ou une tâche sous pression (Cheng et al., 2009). Partant de cette définition, on pourrait supposer que l’anxiété de performance puisse être observée dans davantage de domaines, notamment le travail et d’autres rôles sociaux importants comme la parentalité ou même la conjugalité. La pression de performance est complexe, car elle pourrait venir tantôt de l’extérieur (parents, amis, employeurs, entraineurs, voire société, etc. (O’Rourke et al., 2014; Poulin et al., 2015; Wang et al., 2020; Wiedermann et al., 2020) , tantôt venir de la personne elle-même en fonction des standards excessifs ou non qu’elle s’impose (Frost et al., 1990; Stoeber, 2018; Rowland et al., 2019), et de son degré d’expérience compétitive, de ses habiletés ou de ses responsabilités (Hanton et al., 2008; von Der Embse, 2017). Le présent numéro spécial vise à porter un regard large sur ce phénomène qui semble pouvoir affecter une diversité d’individus. Dans un premier temps, cet article d’introduction présente les modèles principaux qui ont été développés pour expliquer l’apparition et le maintien de l’anxiété de performance. Par le fait même, ces modèles feront ressortir les principales variables qui méritent d’être considérées dans différents contextes d’anxiété de performance. Ceci permettra de mettre en évidence la diversité des conceptions et nous permettra ensuite de contextualiser l’ensemble des thèmes d’anxiété de performance qui seront abordés dans le numéro.

Comme point de départ, l’étude du phénomène passe nécessairement par l’étude de l’état émotionnel central, l’anxiété. L’anxiété comme état situationnel ou comme trait est déjà un sujet complexe avec de multiples modèles tentant de l’expliquer (Cheng et al., 2009; Kenny, 2011). L’influence de l’anxiété sur la performance dans les divers domaines mentionnés ci-dessus vient complexifier l’explication de sa genèse et de ses conséquences.

Les premiers modèles

Parmi les théories qui ont inspiré les premiers modèles d’anxiété de performance, on retrouve principalement celles basées sur l’éveil physiologique ou émotionnel. La théorie de l’impulsion (traduction libre; drive theory) (Hull, 1943; Spence et Spence, 1966) appliquée à la performance, propose qu’il existe une relation linéaire entre le niveau d’excitation et la performance, et que cette dernière va augmenter ou diminuer, dépendamment du niveau de maîtrise de la tâche. Dans les premiers stades d’apprentissage, une anxiété élevée nuirait à la performance, tandis que lorsque la tâche est maîtrisée, la performance pourrait être améliorée. Parmi les premières critiques de ce modèle, on retrouve le manque de support empirique (Martens, 1971, 1974) et l’absence de considération de l’impact des cognitions (Gill, 1994). Par la suite, la théorie de la courbe en U inversée a été un point marquant dans le domaine (Figure 1). Celle-ci trouve ses bases dans une étude datant du début du siècle par Yerkes et Dodson (1908) mesurant l’apprentissage de souris, lorsque soumises à des punitions de forces et de fréquences différentes. Cette théorie aurait été généralisée de façon plutôt controversée à la performance humaine en relation avec le stress, l’éveil physiologique ou émotionnel (Broadhurst, 1957; Kenny, 2011). Selon cette théorie, il existerait un éveil ou une anxiété optimale, souvent d’intensité modérée, pour laquelle la performance serait maximale (Jones, 1995; Pallazolo et Arnaud, 2013). Cette théorie a reçu un appui empirique mitigé, certaines études apportant un faible soutien pour la théorie (Burton, 1988; Chamberlain et Hale, 2009; Sonstrem et Bernardo, 1982; Spielberg, 1989; Weinburg et Genuchi, 1980), alors que d’autres n’ont pas réussi à démontrer cette relation non linéaire (Woodman et Hardy, 2003; McKelvie et al., 1985; Thirer et O’Donnell, 1980).

Cette théorie semblait expliquer partiellement la relation entre la performance et le niveau d’excitation ou d’anxiété, c’est-à-dire la composante physiologie et somatique. En d’autres termes, le modèle mettait en évidence l’effet de l’anxiété somatique sur la performance objective, mais elle ne considérait pas l’effet de variables cognitives comme la peur de l’erreur ou la peur de ne pas atteindre la cible sur la performance. D’autres théories de l’anxiété clinique de l’époque suggéraient déjà que cette dernière serait multidimensionnelle, et inclurait une composante cognitive et somatique (Borkovec, 1976; Buss, 1962; Davidson et Schwartz, 1976; Endler, 1977; Hamilton, 1959; Jones, 1995; Liebert et Morris, 1967; Morris et al., 1981). Tout comme pour la « drive theory » le manque de support empirique clair de la courbe en U inversée, la confusion entourant les termes éveil, stress et anxiété, ainsi que l’absence de cognition dans ce modèle, ont évidemment mené à de nombreuses critiques par rapport à sa validité.

Figure 1

Courbe en U inversée de performance

Courbe en U inversée de performance

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Les modèles d’anxiété de performance multidimensionnelle

De ces théories sont nés les modèles d’anxiété de performance multidimensionnelle (Jones et Hardy, 1990; Martens et al., 1990). On peut dire que c’est à partir d’ici que l’on commence à parler de modèlesd’anxiété de performance et non pas de modèles qui expliquent uniquement l’impact de l’émotion d’anxiété sur la performance. Dans le modèle de Martens et al. (1990), les variables permettant d’expliquer la variance de la performance sont l’anxiété cognitive, soit l’appréhension ou la tension causée par des attentes pessimistes quant à la performance (la peur de ne pas atteindre la cible), l’anxiété somatique, c’est-à-dire les manifestations physiologiques émanant de l’excitation autonome (tension musculaire, fréquence cardiaque, sudation, etc.) et la confiance en soi qui consiste en la croyance de la personne en sa capacité de donner une bonne performance (Hardy, 1996; Martens et al., 1990; Pallazolo et Arnaud, 2013). Le modèle multidimensionnel de Smith et ses collaborateurs (1990) est légèrement différent. Dans ce modèle, la confiance en soi n’est pas considérée et l’anxiété cognitive est divisée en deux dimensions : l’inquiétude et la perturbation de la concentration. Les résultats d’études dans le domaine du sport montrent une relation en U inversée entre la performance et l’anxiété somatique, un lien linéaire négatif entre la performance et l’anxiété cognitive et un lien positif entre la performance et la confiance en soi, confirmant les hypothèses à la base, des théories sur l’anxiété multidimensionnelle (Burton, 1988; Hardy, 1996). Cependant, d’autres études ont tenté de répliquer les résultats précédents et les liens attendus n’ont pas toujours été confirmés, surtout le lien entre l’anxiété somatique et la performance (Bird et Horn, 1990; Caruso et al., 1990; Gould et al., 1987; Krane, 1990; Smith et al., 1990). Même si les résultats ne sont pas toujours constants, cette partie de la littérature nous rappelle l’importance de considérer que le sens des relations avec la performance pourrait changer selon ses composantes somatique, cognitive et de la confiance en soi, et que les relations ne sont peut-être pas toujours linéaires.

Par contre, les résultats quant à l’effet positif de la confiance en soi sur la performance et l’effet négatif de l’anxiété cognitive sur la performance, sont plus constants (Palazzolo et Arnaud, 2013; Woodman et Hardy, 2003). Certaines études ont aussi montré que les variables d’anxiété cognitive, somatique et de confiance en soi variaient de façon indépendante avant et après une performance, et que celles-ci pouvaient être affectées par le résultat de la performance (Jones et al., 1993; Martens et al., 1990; Palaazzolo et Arnaud, 2013; Caruso et al., 1990). Avec le temps, la maîtrise de la tâche et la complexité de la tâche ont aussi été proposées comme étant d’autres variables pouvant affecter la performance (Kenny, 2011; Bonnefond et al., 2003). Certains auteurs ont aussi suggéré de considérer l’impact de la fréquence des intrusions cognitives sur l’anxiété, celles-ci augmentant considérablement le jour de l’événement et diminuant la performance (Jones, 1991; Swain et Jones, 1993). Les modèles d’anxiété de performance multidimensionnels ont donc mis en lumière l’importance des cognitions et leurs impacts sur la performance. Ces études prennent toute leur importance dans des domaines comme l’anxiété de performance scolaire, parentale ou au travail, dans lesquelles l’implication de variables physiologiques est moins centrale. À l’inverse, l’impact de l’anxiété physiologique, et notamment l’impact du contrôle physiologique sur la performance, est plus évident dans le sport ou même la prestation musicale.

Martens, Vealy et Burton (1990) ont aussi proposé un modèle tentant d’intégrer d’autres précurseurs à l’état d’anxiété qui pouvaient affliger les athlètes. Ils introduisent la notion de perception de la menace, laquelle est influencée par l’incertitude entourant la finalité de l’événement ainsi que l’importance y étant accordée. Cette perception de menace, combiné aux traits anxieux d’une personne, influencerait l’anxiété cognitive et somatique avant et pendant un événement, et pourrait ainsi, nuire ou favoriser la performance. Cet ajout dans le modèle pourrait nous amener à faire des liens avec le modèle de l’intolérance à l’incertitude qui a été développé des années plus tard (Dugas et al., 2007) et vise à expliquer l’inquiétude et l’anxiété excessive en contexte clinique. Enfin, comme autre ajout au modèle, il suggère que le résultat de la performance peut à son tour influencer négativement ou positivement les traits anxieux. Une mauvaise performance peut augmenter le niveau d’anxiété cognitive avant la prochaine performance. Malheureusement, les études n’ont pas toujours été en mesure de valider complètement ce modèle plus complexe (Perreault et Marisi, 1997; Prapavessis et al., 1996), même s’il semble apriori considérer des variables cohérentes avec l’anxiété de performance. Le modèle de Martens et al. (1990) a été conceptualisé avant tout pour le domaine du sport. Cependant, il semble facile d’appliquer celui-ci à plusieurs autres domaines comme le monde académique ou musical où la menace peut provenir de l’incertitude quant au contenu d’un examen, des modalités d’évaluation, de l’évaluation par un auditoire ou toute autre menace à l’égo.

Malgré les améliorations conceptuelles apportées dans le temps aux modèles multidimensionnels, certains auteurs ont fait remarquer que ces modèles semblaient suggérer que l’anxiété de performance était naturellement négative et pathologique. Cheng et al. (2009) ont tenté d’y considérer le caractère adaptatif et normal de l’anxiété. Après tout, l’anxiété à la base est un mécanisme qui sert à préparer l’organisme à répondre à une menace perçue (Cheng et al., 2009; Lang, David et Ohman, 2000). Ils introduisent donc la variable d’autorégulation, qui réfère aux processus cognitifs impliqués dans le « coping » devant une menace perçue (Cheng et al., 2009) . La capacité d’une personne à réguler ses pensées et ses comportements malgré l’anxiété démontre ses capacités d’adaptation. Encore une fois ce modèle a été créé avant tout pour le domaine du sport. Il est cependant facilement applicable à d’autres domaines comme l’anxiété de performance scolaire (les auteurs s’étant inspirés de certains modèles d’anxiété de test), au travail ou même l’anxiété de performance parentale.

L’intensité de l’anxiété a toujours été au premier plan dans les modèles précédents, mais certains auteurs ont senti la nécessité de qualifier aussi le sens accordé à l’anxiété. C’est ainsi que Jones (1991) a souligné l’importance du sens qu’une personne va donner à son anxiété. Ce dernier propose que le degré de contrôle que la personne croit avoir sur l’environnement et sur elle-même, soit le facteur principal affectant le sens que va donner une personne à son anxiété, soit facilitante ou nuisible (Jones, 1995). Ce sentiment de contrôle pourrait ensuite affecter la performance, car l’anxiété devient ensuite une seconde source de menace. Le sentiment de contrôle et son impact sur le sens attribué à l’anxiété pourraient donner l’impression d’être moins applicable à d’autres domaines que le sport. Mais l’étudiant, le travailleur, le musicien, le parent qui a l’impression de ne pas avoir le contrôle devant une tâche, risque aussi de voir les symptômes anxieux, comme une deuxième menace à sa performance. On pourrait aussi facilement faire des liens avec la compréhension que nous avons du sens attribué à l’anxiété dans le trouble panique ou d’autres troubles anxieux. La psychoéducation sur les sensations physiologiques d’anxiété s’avère un outil important dans le traitement des attaques de panique, en limitant l’effet pervers de la catastrophisation des sensations physiologiques (Barlow, 2004). On semble ici s’approcher du concept de sensibilité à l’anxiété qui se définit comme la peur des sensations corporelles reliées à l’anxiété (Verreault et al., 2007). Le test de l’application de ce modèle à d’autres domaines que le sport pourrait s’avérer judicieux.

Modèle « catastrophe »

Parmi les autres modèles ayant pris racine de la courbe en U inversée, on retrouve le modèle « catastrophe » (Fazey et Hardy, 1988; Hardy, 1990, 1996). Selon ce modèle, la performance serait aussi liée à l’anxiété somatique et cognitive, mais l’impact sur la performance dépendrait d’un seuil critique de ces dernières. Lorsque l’anxiété cognitive est faible, des changements dans l’anxiété somatique entraîneraient de faibles changements au niveau de la performance, selon une courbe en U inversée. Par contre, si l’anxiété cognitive est élevée, une anxiété somatique élevée emmènerait une baisse fulgurante de la performance (Hardy, 1996). Plus tard, la confiance en soi ainsi que la difficulté de la tâche ont été ajoutées au modèle comme modérateur de l’effet interactif de l’anxiété cognitive et de l’excitation physiologique (Hardy et al., 2007). Les personnes ayant plus de confiance en soi pourraient donc tolérer plus d’excitation physiologique, lorsqu’ils ont aussi des niveaux élevés d’anxiété cognitive, avant d’en arriver à une baisse importante de performance. (Hardy, 1990, 1996; Landers et Lochbaum, 1998). Hardy (1996) a montré dans une étude que ce modèle explique largement mieux la variance de la performance que les premiers modèles multidimensionnels. D’autres recherches avec des athlètes de différents sports ont aussi appuyé ce modèle (Hardy et Parfitt, 1991; Hardy et al., 1994; Krane et al., 1994), tandis que d’autres n’ont pas eu autant de succès (Landers et Lochbaum, 1998).

L’impact des particularités de certains domaines sur les modèles conceptuels

Plusieurs des modèles présentés ci-dessus ont été développés dans le contexte de performance sportive. Les particularités et la complexité de l’anxiété de performance dans le domaine musical ou académique ont emmené certains auteurs à concentrer leurs efforts dans ces domaines particuliers.

Anxiété de test et académique

Dans le domaine académique, on parle davantage d’anxiété de test. Ici, les premiers modèles multidimensionnels mettant l’accent non pas sur l’excitation physiologique, mais davantage sur l’inquiétude et l’émotion (Liebert et Morris, 1967). Ces derniers viendraient interférer avec les processus cognitifs en situation d’évaluation. Le modèle du contrôle de l’attention (Eysenck et al., 2007) est aussi une pierre angulaire dans l’explication de l’anxiété de performance académique (von der Embse et al., 2017). Selon cette théorie, les processus attentionnels sont la clé, afin de comprendre la manière dont l’anxiété affecte la performance en situation d’évaluation académique (Eynseck et al., 2007). L’anxiété orienterait l’attention davantage vers les stimuli internes ou externes, et moins vers les buts ou les objectifs à atteindre au moment de la performance (Colbetta et Shulman, 2002; Eynseck et al., 2007). De plus, cette augmentation de l’attention portée aux menaces internes ou externes (Eynseck et al., 2007; Fox et al., 2001) aurait un effet néfaste sur la performance des fonctions exécutives (Kenny, 2011; Miyake et al., 2000; Smith et Jonides, 1999).

Le modèle transactionnel d’anxiété de test de Spielberg et Vagg (1995) a un point commun principal avec le modèle de Jones (1995), soit l’évaluation de la menace, et introduit aussi l’influence du sentiment d’efficacité personnelle, les mécanismes de coping de la personne, mais ajoute notamment l’environnement d’évaluation (Von der Embse et al., 2017; Zeidner, 1998). On remarque une complexification des modèles de l’anxiété de test avec le temps, dû à l’apport empirique des nombreuses études sur le sujet. Le rôle des variables mentionnées précédemment dans l’anxiété de performance académique ayant été validées a été appuyé empiriquement à de nombreuses reprises (Barrows et al., 2013; Dempsey et Comeau, 2019; Hanton et Connaughton, 2002; Papageorgi et al., 2007; Smith et Rickard, 2004;).

Toujours dans le domaine scolaire, plus récemment, le modèle d’autoréférence de Zeidner et Matthews (2005), met en lien trois systèmes : 1) les processus de régulation exécutifs (l’importance de l’évaluation, la perception de menace, les conséquences d’un échec, les mécanismes de coping et les croyances métacognitives sur l’inquiétude), 2) les croyances à propos de soi (concernant les motivations et compétences académiques), et 3) les interactions situationnelles mésadaptées (comportement maintenant l’anxiété à long terme comme l’évitement). Étant donné sa complexité, seulement certaines hypothèses de ce modèle auraient été validées empiriquement. Par exemple, l’anxiété de test est plus élevée dans les situations perçues comme très importantes et où les gens ne croyaient pas en leur capacité (Pekrun et al., 2004; Putwain et al., 2010; Putwain, 2019). Elle serait aussi plus élevée chez les gens qui utilisent l’évitement comme mécanisme de coping (Putwain et al. 2012, 2016; Stöber 2004) via des stratégies comme la baisse d’effort (Komarraju et Nadler, 2013; Pekrun et al. 2004) et la procrastination (Gadbois et Sturgeon 2011). D’autres modèles encore plus récents mettent aussi de l’avant les effets de l’environnement social ou éducationnel et certaines caractéristiques démographiques (Lowes et al. 2008; Seegol et al., 2014)

Performance musicale

Parmi les théories plus spécifiques au milieu musical, DeNelsky (1987) propose que dans le processus d’apprentissage, les renforcements positifs fréquents en début de formation qui se raréfient avec le temps, combinés à l’apparition de critiques externes plus sévères mèneraient à une obsession de la perfection et la peur des erreurs, et ultimement, à l’augmentation de l’anxiété de performance (DeNelsky, 1987; Kenny, 2011). D’autres facteurs individuels ont aussi été identifiés comme pouvant contribuer à l’anxiété de performance dans le domaine musical comme une tendance à la critique interne, une préparation inadéquate, le manque de volonté ou de motivation avant une performance, un faible concept de soi ou une relation ambivalente avec le public (Montello et al., 1990). Tout comme les modèles sur l’anxiété de performance multidimensionnelle, différents cadres conceptuels mettent de l’avant des variables comme les traits anxieux, le niveau de maîtrise de la tâche et le degré de stress situationnel qui émanent de l’environnement de la performance musicale (Kenny, 2011; Papageorgi et al., 2007; Wilson, 2002). Finalement, en s’appuyant sur le modèle de vulnérabilité à l’anxiété de Barlow (2000), Kenny (2011) tente de son côté d’expliquer la genèse et le maintien de l’anxiété de performance musicale, dans un modèle mettant en lien la vulnérabilité biologique et psychologique. Sa proposition a cependant l’intérêt de rappeler l’impact important du conditionnement classique d’anxiété de performance en musique. Un musicien pourrait vivre une anxiété dans certains lieux ou contextes par conditionnement et l’anxiété ressentie, pourrait affecter la performance et ainsi contribuer au maintien ou à l’augmentation de l’anxiété de performance (Kenny, 2011).

Anxiété de performance au travail

Un domaine de recherche plus récent est celui de l’anxiété de performance au travail. L’anxiété au travail est définie comme un sentiment de nervosité, d’inconfort, et de tension à propos de son niveau de performance au travail (McCarthy et al., 2016). Quelques études empiriques ont démontré une relation négative entre l’anxiété et la performance au travail (Cheng et McCarthy, 2018; McCarthy et al., 2016), mais aussi dans les processus de sélection (McCarthy et Goffin, 2004; Proost et al., 2008). Comme dans le domaine académique, les travaux sur l’anxiété de performance au travail, sont souvent basés sur les théories d’interférence cognitive, dans lesquelles des niveaux d’anxiété élevés, déstabilisent la capacité de traiter l’information adéquatement, augmentent le focus vers soi, ces pensées et symptômes provoquant ensuite une diminution de la performance (Eynseck et al., 2007; McCarthy et al., 2016; Wine, 1980).

Le problème que l’on retrouve dans ce domaine est qu’outre quelques études abordant l’impact de l’anxiété sur la performance au travail (Koukachi et Desai, 2015; McCarthy et al., 2016), peu d’études abordent la peur de ne pas atteindre la cible de performance exigée par le travail professionnel. Comme vu ci-dessus, beaucoup d’autres domaines (sportif, musicale, académique) ont créé des modèles afin de mieux comprendre ces mécanismes, par contre, le domaine de l’anxiété de performance au travail reste relativement inexploré du point de vue théorique. Parmi ces mécanismes, on retrouve l’épuisement émotionnel, l’interférence cognitive puis comme médiateurs, les relations entre les employés et superviseurs/employés (McCarthy et al., 2016). Rappelant aussi certains modèles dans le sport (Jones, 1995; Cheng et al., 2009), Cheng et McCarthy (2018) proposent un modèle dans lequel l’anxiété peut être facilitante ou nuisible pour la performance au travail. Leur modèle contient deux niveaux, le premier étant basé sur les traits de la personne, le deuxième étant situationnel. Certaines caractéristiques individuelles telles que le trait d’anxiété, le sentiment d’efficacité personnelle ou la confiance en soi, pourraient nuire à la performance via un épuisement émotionnel. Au niveau situationnel, la performance serait affectée via une interférence cognitive, emmenée par l’anxiété, des affects négatifs, des tâches exigeantes, des caractéristiques du travail lui-même ou les relations de travail. Finalement, ils proposent qu’un processus d’autorégulation de l’anxiété pourrait modifier son impact sur la performance. La motivation, les habiletés et l’intelligence émotionnelle sont aussi des médiateurs pouvant augmenter ou diminuer la performance au travail (Cheng et McCarthy, 2018).

Anxiété de performance sexuelle

Enfin, l’anxiété de performance dans le domaine de la sexualité se définit comme le besoin excessif de performer adéquatement ou de satisfaire son partenaire lors d’une interaction sexuelle (Wincze et Carey, 1991). Elle réfère à la peur qu’un individu peut avoir de ne pas atteindre un standard de performance préconçu dans le cadre d’une interaction sexuelle (Rowland et al., 2019) et affecterait de 9-25 % des hommes et de 6-16 % des femmes (Pyke, 2020).

Dans les premières études sur le sujet, l’anxiété de performance a rapidement été identifiée comme un facteur important dans les dysfonctions sexuelles (Masters et Johson, 1970; Kaplan, 1974, 1981). La peur d’être inadéquat coexisterait avec la peur de ne pas être performant et affecte grandement le fonctionnement sexuel (Masters et Joshson, 1970). Selon Kaplan (1981), la peur de l’échec, le besoin d’être performant et le besoin de plaire à l’autre auraient un rôle primaire dans le développement de l’anxiété de performance sexuelle et les dysfonctions associées. De façon similaire à certains modèles vus précédemment, l’anxiété ne semble pas toujours nuisible et pourrait même être facilitante, surtout chez la femme (Meston et Bradford, 2007; Palace et Gorzalka, 1990; Rowland et al., 2019). Par contre, chez les personnes vivant déjà avec des difficultés sexuelles, l’anxiété semble catalyser la problématique (Beck et Barlow, 1986; Beggs et al., 1987; Rowland et al, 2019). Chez l’homme par exemple, la présence d’anxiété pourrait emmener l’apparition de symptômes physiologiques via une activation plus élevée du système nerveux autonome, ce qui dans ce cas nuirait au processus érectile, qui demande principalement une réponse du système nerveux parasympathique (Rowland et al., 2019). Cette hausse de symptômes physiologiques pourrait avoir comme sources les inquiétudes et les appréhensions négatives liées à sa capacité de performer dans l’acte sexuel (Rowland et al., 2019).

Barlow (1986) a proposé quant à lui, un modèle dans lequel l’interférence cognitive (affects, ou pensées négatives) redirige l’attention vers soi, augmente l’anxiété somatique, influence négativement la performance puis augmente à nouveau les intrusions cognitives (Barlow, 1986). Dans une version révisée du modèle, une réponse sexuelle dysfonctionnelle affecte la performance via une boucle de rétroaction négative. Un faible contrôle perçu de l’excitation sexuelle, des attentes négatives, des attributions internes négatives, une hyper vigilance, et finalement, une attention tournée principalement vers soi, vont aggraver ce cycle (Barlow, 2002; Rowland et al., 2019; Wiegel et al., 2007). De nombreuses études ont déjà démontré l’impact négatif de l’interférence cognitive sur la réponse sexuelle et la performance (Dove et Wiederman, 2000; Elliott et O’Donohue, 1997; Przybyla et Byrne, 1984). De plus, si la personne vit une série d’échecs, les appréhensions et l’anxiété vont aussi monter au fil des interactions sexuelles, augmentant par le fait même, le risque d’interrompre la réponse sexuelle et la performance. (Bancroft, 2009; Bruce et Barlow, 1990; Nobre et Pinto-Gouveia, 2008; Rowland et al., 1995, 2019).

Le présent numéro spécial sur l’anxiété de performance

En acceptant de prendre en main un numéro spécial sur l’anxiété de performance, il aurait été possible de mettre l’accent sur les thèmes les plus souvent abordés, notamment le contexte sportif et académique. Mais rapidement, il nous a semblé essentiel d’aller vers des zones moins explorées. Le présent texte d’introduction nous a montré le nombre impressionnant de théories et de modèles tentant d’expliquer l’apparition et le maintien de l’anxiété de performance. Ceci montre à quel point ce sujet est complexe, et comment certains domaines comportent des particularités qui méritent d’être considérées, le temps venu, d’établir un plan d’intervention pour l’anxiété de performance. Cette revue non exhaustive des modèles nous montre aussi à quel point certains de ceux-ci mériteraient d’être testés dans de nouveaux domaines.

Les premières études en anxiété de performance sont principalement issues du domaine sportif et académique, et elles ont établi les bases permettant de comprendre les mécanismes somatique et cognitif expliquant cette problématique tant répandue. L’article L’anxiété compétitive en sport de Véronique Boudreault et Joanie Thibault présente des explications supplémentaires et complémentaires dans ce domaine, en plus de donner des indications intéressantes aux cliniciens qui voudraient s’ouvrir à ce thème de la psychologie du sport.

Le numéro spécial comprend aussi une revue de la littérature de l’anxiété de performance chez les enfants et adolescents. Cet article des auteures Marie-Michèle Soucisse et Marie-Pier Heins nous présente comment la recherche auprès de cette population prend différents visages et se rattachent à différents modèles d’anxiété de performance: anxiété de test, anxiété compétitive, anxiété de performance musicale. Cet article présente les variables importantes à considérer chez les enfants et adolescents, peu importe le domaine d’anxiété de performance, mais nous montre aussi qu’il y a encore peu de recherche clinique randomisée en raison de la grande diversité de domaines d’anxiété de performance.

D’autres domaines comme celui de la performance musicale ont produit une large littérature théorique et empirique. Ce sujet sera approfondi dans l’article empirique de Samuel Vachon-Laflamme, Luc Bardi et FrédéricLangloisAnxiété de performance, perfectionnisme et fonctionnement psychologique auprès d’étudiants en musique. Cet article met en évidence le fait qu’il est difficile de parler d’anxiété de performance, sans mentionner le concept de perfectionnisme. En plus d’être un phénomène en hausse depuis les dernières années (Curran et Hill, 2019), ce facteur de risque a été démontré comme un trait pouvant contribuer de façon significative à l’anxiété de performance dans plusieurs domaines, car les personnes avec des standards élevés vivent plus d’anxiété que ceux ayant des aspirations modérées (Dobos et al., 2019; Kenny, 2010; Mor et al., 1995; Rowland et al., 2019). On retrouve quelques similarités entre l’anxiété de performance et des manifestations du perfectionnisme comme la peur de l’échec, la présence de standards élevés, la préoccupation pour les erreurs (Masters, 1992; Rowland et al., 2019; Patson et Osborne, 2016; Taylor et al., 2021). L’article empirique ciblant des étudiants en musique, met en évidence à quel point les préoccupations perfectionnistes et l’anxiété de performance sont des construits très reliés chez les étudiants en musique, et comment ceux-ci peuvent nuire au bon fonctionnement de ces étudiants. L’étude semble encore démontrer que la nature saine du perfectionnisme est bien fragile, car la majorité des étudiants qui présentent un perfectionnisme présentent à la fois, le désir de se dépasser et la peur de l’échec. Cette peur qui se chevauche avec l’anxiété de performance pourrait limiter le plaisir de vouloir se dépasser et faire mieux.

Comme il aura été présenté dans les premiers articles du numéro, quelques études cliniques donnent des pistes intéressantes pour établir des plans d’interventions pour l’anxiété de performance. Cependant, la rareté des études cliniques randomisées suggère de rester ouvert à considérer de nouvelles approches pour le traitement de l’anxiété de performance. Dans cette optique, une approche basée sur les thérapies cognitives comportementales de troisième vague sera présentée dans l’article intitulé Accompagner les étudiants postsecondaires qui vivent de l’anxiété de performance à l’aide de l’approche d’acceptation et d’engagement, article proposé par France Landry et Simon Grégoire. Cet article suggère que l’ACT constitue une alternative viable pour accompagner les étudiants aux prises avec de l’anxiété, qui s’exprime sur un continuum allant de l’anxiété de performance à des troubles d’anxiété. Elle met aussi bien en évidence l’importance d’aborder l’anxiété de performance plus largement, en ciblant des initiatives qui visent à créer un climat d’apprentissage sain, sécuritaire et inclusif, et favoriser le dépistage et la sensibilisation aux signes de détresse psychologique que peut provoquer l’anxiété de performance.

Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir dans d’autres domaines qui abordent depuis plus récemment l’anxiété de performance. Le travail et la parentalité sont de ces nouveaux thèmes ciblés dans ce numéro spécial. Une enquête de l’institut de la statistique du Québec (ISQ, 2016) dresse un portrait intéressant de l’anxiété et le sentiment d’efficacité en tant que parent au Québec. En effet, environ 65 % de parents rapportent que la parentalité est une source de stress ou d’anxiété, jusqu’à 71 % des parents rapportent un faible sentiment d’efficacité parentale et environ 54 % disent ne pas savoir s’ils agissent correctement avec leurs enfants. Ces inquiétudes peuvent emmener de l’anxiété quant à leur capacité à être un bon parent. Une étude qualitative originale des auteures Lyne Douville, Kim Rocheleau et Ariane Normand intitulée L’utilisation d’Internet et des réseaux sociaux comme soutien aux pratiques parentales : expérience des mères d’enfants d’âge préscolaire, met en évidence comment la pression de performance est présente chez les mères. On y apprend que les mères s’orientent vers les réseaux sociaux afin d’obtenir du soutien social (Jang et Dworkin, 2014; Nolan et al., 2015) dans le but de diminuer des doutes ou de l’anxiété quant à leurs comportements parentaux. Cependant, l’étude met bien en évidence l’effet pervers de cette stratégie qui semble parfois augmenter le sentiment de pression sociale et l’anxiété de performance. Les réseaux sociaux semblent produire une pression à correspondre à des standards de la mère parfaite ou de l’enfant parfait. Cette étude qualitative suggère que l’anxiété de performance parentale pourrait mériter davantage l’attention des chercheurs et des cliniciens oeuvrant auprès des parents. En cherchant à devenir un parent parfait selon certains idéaux, plusieurs en viennent à développer un stress qui pourrait diminuer la qualité de leurs relations familiales (Meeussen et Van Laar, 2018) ou mener à l’épuisement parental (Roskam et al., 2021). Dans le futur, il serait intéressant de mesurer la proportion de parents qui souffrent d’une telle anxiété et quels profils de parents risquent plus d’en souffrir.

L’anxiété de performance au travail est aussi abordée dans une étude avec un devis qualitatif. Il s’agit d’une étude exploratoire conduite auprès de dix participants ayant fait l’expérience d’anxiété de performance au travail. Encore une fois, cette étude démontre bien que le monde du travail n’est pas épargné par la peur de ne pas atteindre les cibles de performance. Étonnamment, c’est une question très peu étudiée. L’article d’Anne-Marie Paiement, Odile-Anne Desroches, Lauriane Maheu, Félix-Étienne Leduc et Philippe Longpré intitulé L’anxiété de performance au travail : une étude exploratoire contribue à la compréhension du phénomène de l’anxiété de performance en milieu du travail, ainsi qu’à l’identification de pistes de recherches futures et de recommandations. Il met aussi en évidence le besoin flagrant de recherche pour développer des interventions ou des outils pour les travailleurs qui en souffrent, et pour les employeurs qui voudraient créer un environnement de travail favorisant un rapport sain avec la performance.

Enfin, les contextes de compétition de la vie qui nous demande d’en faire plus, de façon flexible et avec moins de moyens sont nombreux. Il est difficile de gérer ces exigences et cette anxiété sans tomber dans l’effet négatif de l’hyperperformance. L’article Peur d’échouer à l’école et dans les sports : apport du modèle de l’excellencisme et du perfectionnisme de Patrick Gaudreau, Laurence Boileau et Benjamin J. I. Schellenberg proposent un nouveau concept théorique qui pourrait nous permettre de diviser le sain désir de dépassement de soi, de la partie malsaine que l’on retrouve dans le perfectionnisme et qui mène à la peur de l’échec, la peur de l’erreur, des concepts proches de l’anxiété de performance. L’étude vise à répondre à cette question et ainsi mieux comprendre comment il est possible de viser l’excellence et son apport positif, sans toutefois incessamment repousser les standards à atteindre, via le perfectionnisme. Selon les résultats, poursuivre la perfection ne semble pas nécessaire, car la recherche de l’excellence semble suffisante pour obtenir des performances optimales et réduire les difficultés à concilier le sport et les études. Cette nouvelle conceptualisation semble donc ouvrir des avenues cliniques intéressantes pour favoriser le développement d’un rapport sain avec la haute performance.

Regard sur les pistes de recherches futures

Dans un numéro spécial sur un thème aussi vaste, on se retrouve naturellement à noter à quel point d’autres lorgnettes auraient pu être considérées dans la compréhension du phénomène. Parmi les éléments, notons tout d’abord une analyse du monde émotionnel plus diversifié et complexe que peut comprendre l’anxiété de performance. L’anxiété est l’émotion la plus facile à identifier puis mesurer, et elle est souvent mise en lien avec d’autres émotions négatives comme la culpabilité ou la honte (Candea et Tatar, 2018). Mais il est étonnant de voir, à quelques exceptions, que les recherches sur l’anxiété de performance ne ciblent pas ces émotions (Coşkun-Şentürk, Çırakoğlu, 2018; Partridge et Wiggins, 2008). La fonction normale de la honte, c’est-à-dire la protection du lien d’un individu avec un groupe de filiation en fonction des règles de ce groupe (Candea et Tatar, 2018; Gilbert, 2000), met en évidence à quel point l’anxiété de performance comprend une composante interpersonnelle et sociale. Ainsi, il serait intéressant de recourir davantage à la perspective de la sociologie pour avoir une vision encore plus large de la composante sociale du phénomène. D’ici là, la psychologie sociale pourrait aussi nous aider à mesurer les profils motivationnels qui seraient associés à la saine recherche d’excellence et de dépassement, plutôt que la peur de décevoir ses proches ou ses propres hauts standards. Enfin, il semble que la recherche fondamentale et la psychologie cognitive devraient être aussi considérées dans l’avenir. Il y a encore beaucoup à comprendre au niveau des relations complexes qui existent entre l’anxiété de performance, les motivations, le traitement de l’information, et la performance objective. Pour terminer, ce numéro spécial aura atteint sa cible s’il est parvenu à éveiller l’intérêt de cliniciens et de chercheurs, et s’il a réussi à stimuler de nouvelles idées. Dans un monde de compétition, nous sommes encore loin de comprendre tous les ingrédients qui favorisent l’équilibre entre le sain dépassement de soi et un désir excessif de vouloir toujours pousser plus loin les capacités humaines. Dans une perspective plus humaniste, c’est aussi un défi de viser le dépassement humain dans le respect des différences, des forces et des faiblesses interindividuelles.