Corps de l’article

PROBLÉMATIQUE

Malgré une volonté politique certaine en faveur de l’inclusion sociale et de la pleine participation citoyenne des jeunes qui présentent une déficience intellectuelle (DI) au Québec, nombreux sont les jeunes présentant une DI encore exclus et stigmatisés dans notre société. À l’ère du numérique, est-il possible de croire que les médias sociaux puissent favoriser l’inclusion et augmenter la participation sociale des jeunes présentant une DI? L’article tente de répondre à cette question sur la base d’une recension d’écrits de type scoping study. Les scoping studies visent à synthétiser et analyser un bassin de connaissances provenant à la fois de la littérature scientifique et non scientifique. Ce type de recension vise à brosser un portrait assez large d’une problématique (Davis, Drey et Gould, 2009).

Il ne s’agit donc pas ici uniquement d’une recension systématique des écrits, guidée par des critères d’inclusion et d’exclusion présélectionnés. Au départ, une recherche couvrant la période 2010-2016 dans les bases de données de publications scientifiques Academic Search Complete, Medline, Psychology and Behavioral Sciences Collection, CINAHL, Education Source, ERIC, ScoINDEX, PsycINFO et PsycARTICLES a été effectuée au printemps 2016 en employant les mots clés suivants : (learning AND disab*) OR (mental* AND retard*) OR (intellectual* AND disab*) OR (developmental* AND disab*) AND (social AND media) AND teen* OR adolescen*. Cette recension (voir Figure 1) n’a permis d’identifier que quatre études. Ainsi, l’absence d’un corpus de connaissances suffisant [1] a obligé les auteurs à revoir cette approche, en incluant dans leur analyse des études réalisées auprès d’adultes présentant une DI ou de jeunes ayant des incapacités autres, tels un trouble du spectre de l’autisme, la paralysie cérébrale, ou des troubles d’apprentissages. Les sites ou rapports gouvernementaux ou d’organismes qui colligent des données sur l’utilisation des médias sociaux ont aussi été fouillés. S’ajoute à ces sources écrites les bulletins d’information de l’American Association on Intellectual and Developmental Disabilities (AAIDD), des échanges oraux ou d’articles avec des collègues dans le domaine, des communications dans des congrès récents portant sur les technologies ou les clientèles avec des handicaps, et le rapport d’expériences cliniques d’intervenants en déficience intellectuelle.

Figure 1

Étapes et résultat de la recension des écrits scientifiques

Étapes et résultat de la recension des écrits scientifiques

-> Voir la liste des figures

En partant du concept d’exclusion sociale, l’article présente comment le développement d’un réseau personnel et social de soutien peut devenir un vecteur d’inclusion sociale. Ensuite, les auteurs examinent comment les jeunes présentant une DI utilisent les médias électroniques dans leurs interactions sociales. Le constat étant qu’ils sont moins « branchés » que leurs pairs ne présentant pas une déficience intellectuelle, l’article décrit les barrières de l’accessibilité aux technologies de l’information des communications (TIC) qu’ils doivent surmonter. Enfin, les auteurs proposent des pistes de solution visant à augmenter la participation en ligne de ces jeunes tout en réduisant les risques associés à l’utilisation des médias sociaux.

De l’exclusion à l’inclusion sociale : l'importance des réseaux sociaux 

Nos sociétés sont composées d’individus que le sociologue Bernard Eme catégorise de façon sommaire en deux groupes, les in et les out (1998). Les in seraient, à un pôle, associés à des rôles et attributs valorisés socialement, tandis qu’à l’autre pôle, les out cumuleraient des caractéristiques majoritairement dévalorisées socialement. Par exemple, les caractéristiques peu prisées qui mèneraient à un statut de out ou d’exclusion seraient : l’isolement social, la stigmatisation et le dénuement sur le plan économique. Nombreuses sont les personnes présentant une DI qui manifestent un ou plusieurs de ces attributs.

Les individus dotés d’un statut social moins légitime (les out) chercheraient à transiter vers un statut plus acceptable socialement; bref, à devenir in ne fusse qu’un peu plus (Eme, 1998). Dans le champ de l’intervention en DI, la trame de fond consiste à assister l’individu dans ce passage de l’exclusion vers l’inclusion[2]. Pour y arriver, l’individu devrait, entre autres, cumuler des attributs valorisés socialement, comme l’accès à des liens sociaux, davantage de ressources économiques et une opinion favorable à son égard. Parmi ceux-ci, l’accès à des liens sociaux et leur maintien constituent un incontournable afin de participer à la vie collective, car ils engendrent des répercussions sur d’autres sphères de la vie des gens (Gravel, 2016). Les réseaux personnels favorisent notamment l’accès au soutien matériel, alors que les réseaux sociaux fournissent des informations et des contacts utiles, particulièrement pour l’accès aux activités en rapport avec le travail.

Cependant, les personnes présentant une DI ont habituellement des réseaux personnels et sociaux d’une faible étendue et ils sont peu diversifiés dans leur composition. Ces liens se limitent fréquemment à ceux entretenus avec d’autres personnes présentant une DI, la famille et les membres du personnel rémunéré afin de les soutenir (Cambridge et al., 2002; Forrester-Jones et al., 2006). Alors que le réseau personnel et social d’un adulte exempt d’une DI est constitué d’environ 40 personnes, celui d’un adulte présentant cette condition se situe entre 11 et 22 personnes selon les estimations (White et MacKenzie, 2015). Cet isolement s’accentue chez les individus dont le degré d’atteinte est plus élevé (Clement et Bigby, 2009; Robertson et al., 2001). Chez les jeunes présentant une DI, la période de sortie du système scolaire constitue fréquemment un risque d’isolement social qui s’accroit et où les contacts sociaux se restreignent aux liens familiaux (Duvdevany et Arar, 2004). Au fur et à mesure que les personnes vieillissent, elles ne peuvent plus compter sur le soutien apporté auparavant par leurs parents (White et MacKenzie, 2015).

La présence de liens sociaux constituerait un facteur de protection et un indicateur de la qualité de vie des individus (Sullivan, Bowden, McKenzie et Quayle, 2013; Tobin, Drager et Richardson, 2014). À cet égard, les personnes présentant une DI elles-mêmes ainsi que leurs familles et proches mentionnent l’importance de soutenir le développement de réseaux personnels et sociaux des personnes (Kampert et Goreczny, 2007).

Les réseaux personnels et sociaux virtuels

Alors qu’en 1995 moins de 1 % de la population mondiale était branché à Internet, cette proportion s’est accrue si bien qu’en Amérique du Nord, ce sont plus de 88 % des citoyens qui y ont désormais accès. Sur le plan mondial, ce sont près de 4 milliards de citoyens qui utilisaient Internet en mars 2017 (Internet World Stats, 2017). Cet essor a amené les réseaux personnels et sociaux traditionnels à se transposer, puis à se développer dans le cyberespace.

Les données de l’Enquête sociale générale (ESG) de 2013 (Statistique Canada, 2013) révèlent en effet que les contacts entre amis, au Québec, se déroulent désormais plus fréquemment par l’entremise de messages texte, par courriel ou par les médias sociaux de façon régulière (74 %), comparativement aux contacts par téléphone (56 %) ou en personne (63 %). C’est donc dire que l’accès aux TIC, et notamment au téléphone intelligent, deviendrait une condition nécessaire à l’entretien de nos réseaux personnels et sociaux. L’UNESCO reconnait d’ailleurs que les TIC ont le potentiel d’augmenter le pouvoir d’agir des personnes et de favoriser une participation citoyenne égalitaire (Watkins, 2014).

Bienfaits des interactions virtuelles et des médias sociaux. Les médias sociaux, qui comprennent les blogues et les réseaux sociaux numériques (ex : Facebook, Instagram, Snapchat), se définissent comme étant des sites internet proposant des contenus générés par leurs utilisateurs (L’intern@ute, 2016). Ce sont des moyens de communication sociale par lesquels des individus ou groupes d’individus utilisateurs, liés entre eux par un fournisseur de service, créent, organisent, indexent, modifient, partagent ou commentent des contenus sur le web. Les chercheurs dans le domaine des TIC estiment que les médias sociaux permettent à leurs utilisateurs d’élargir leur réseau d’amis, de recevoir du soutien, de se forger une identité positive, et de participer pleinement à leurs communautés réelles et virtuelles (Amichai-Hamburger, 2013; García-Galera, Del-Hoyo-Hurtado et Fernández, 2014; Moisey et van de Keere, 2007; Raghavendra, Newman, Grace et Wood, 2013; Subrahmanyam, Greenfield et Tynes, 2004; Ybarra, Mitchell, Palmer et Reisner, 2014). Les jeunes figureraient parmi les premiers à en bénéficier. L’accès aux TIC par les enfants et adolescents a connu une croissance phénoménale dans les dernières années. Les jeunes sont en effet branchés plusieurs heures par jour sur leurs iPod, tablettes, ordinateurs ou téléphones intelligents (Boyd, 2014; Helweg-Larsen, Schütt et Larsen, 2012; International Telecommunication Union [ITU], 2011; Lenhart et al., 2011; Livingstone, Haddon, Görzig et Olafsson, 2011). Selon les données recueillîtes en 2015 de l’organisme Pew Research Center, 73 % des adolescents (13-17 ans) possèdent ou ont accès à un cellulaire ou un téléphone intelligent aux États-Unis, ce qui serait relié à une plus grande utilisation quotidienne des médias sociaux (Lenhart, 2015). Presque le quart d’entre eux (24 %) déclarent être « constamment » branchés (en ligne; Lenhart, 2015). D’ailleurs, les lieux de rencontre sont devenus virtuels et accessibles 24 heures sur 24, à peu de frais (Boyd, 2014).

Loin de nuire au développement des jeunes, on estime que leur utilisation des réseaux sociaux numériques, leur permet, entre autres, de développer leur identité, d’explorer leur orientation sexuelle, d’entretenir des liens et d’en créer de nouveaux, de partager leurs intérêts, de se divertir ou s’informer (Blomfield Neira et Barber, 2014; Boyd, 2014; Cover, 2016; Martin, 2004; Metton, 2004; Peter et Valkenburg, 2008; Walsh, Wolak et Mitchell, 2013; Ybarra et al., 2014). Selon le Teen Health and Technology Study mené aux États-Unis, les jeunes de populations vulnérables sujettes à la stigmatisation et l’exclusion sociale, comme les lesbiennes, gais, bisexuels, transgenres et queers (LGBTQ), sont plus susceptibles que leurs pairs hétérosexuels de déclarer avoir rencontré en ligne des personnes qui sont devenues des amis « proches » et sources de soutien véritable (Ybarra et al., 2014). L’accès à un plus grand bassin d’amis potentiels grâce aux médias sociaux aurait favorisé le développement de leur réseau de soutien. Mais qu’en est-il des jeunes qui vivent avec des incapacités, vulnérables eux aussi, à la stigmatisation et l’exclusion ?

Interactions virtuelles et médias sociaux chez les personnes qui présentent une DI

Bien peu de choses sont connues quant à l’utilisation d’Internet et des médias sociaux faite par les jeunes qui présentent une DI (Lussier-Desrochers, Dupont, Lachapelle et Leblanc, 2011; Sallafranque St-Louis et Normand, 2011; Normand et Sallafranque St-Louis, 2015). Assurément, l’arrivée d’Internet leur a ouvert une fenêtre sur le monde, notamment en enlevant la barrière du transport et des déplacements pour rencontrer de nouvelles personnes (Blascovich et Bailenson, 2012; Hampton et Wellman, 2003). L’accès aux médias sociaux offre la possibilité de rencontrer et de se lier à un nombre toujours grandissant de personnes ou d’organisations (Blascovich et Bailenson, 2012; García-Galera et al., 2014). L’anonymat que procure la communication par texte permettrait de cacher son diagnostic stigmatisant, d’être sur un pied d’égalité avec ses pairs (Chadwick, Wesson et Fullwood, 2013; Dagenais, Poirier et Quidot, 2012; DeHaan, Kuper, Magee, Bigelow et Mustanski, 2013; Löfgren-Mårtenson, 2008; Mazur et Kozarian, 2010; Raskind, Margalit et Higgins, 2006), voire même de réduire la possibilité d’être discriminé sur la base du diagnostic de DI. Car, en dépit d’améliorations au Québec, comparativement aux résultats d’études antérieures (Morin, Rivard, Crocker, Parent-Boursier et Caron, 2013), la déficience intellectuelle constitue un état qualifié d’extrêmement stigmatisant (Maulik, Mascarenhas, Mathers, Dua et Saxena, 2011).

Il est donc permis de croire que l’accès à Internet pourrait permettre aux jeunes présentant une DI de se créer un cercle d’amis virtuels avec qui partager leurs intérêts, opinions, créations, grâce aux médias sociaux qui comptent des millions d’abonnés. Cet accès contribuerait à accroître leur sentiment d’appartenance à la vie collective. Néanmoins, il ne faudrait pas oublier qu’outre le nombre et la variété des liens sociaux, la fréquence de contacts doit être considérée un indicateur fiable de la solidité, la durabilité et la réciprocité des rapports entre amis (Gravel, 2016). Cependant, certaines études suggèrent que les jeunes qui vivent avec des incapacités passent moins de temps en ligne (sur Internet ou leur cellulaire) que les jeunes exempts d’une incapacité (Wells et Mitchell, 2014). Dans la deuxième vague du National Longitudinal Transition Study-2 effectuée en 2001, les parents de 850 jeunes Américains de 13 à 17 ans diagnostiqués avec un « retard mental » (terme employé par les chercheurs) rapportaient que leur adolescent utilisait un ordinateur pour jouer à des jeux, mais seulement 6 % d’entre eux consultaient l’Internet, envoyaient des courriels ou discutaient en ligne (clavardage; Mazurek et al., 2012). En fait, près des deux tiers (64,4 %) de ces parents déclaraient que leur enfant n’utilisait pas l’ordinateur à des fins sociales (courriel ou clavardage). Ces données peuvent paraitre désuètes, mais elles demeurent pertinentes : l’échantillonnage est représentatif, le nombre de répondants est exceptionnellement grand, et des comparaisons entre sous-groupes de jeunes avec diverses incapacités sont présentées (Mazurek et al., 2012). Ainsi, on découvre que les jeunes dysphasiques (n = 860), autistes (n = 920) ou ayant des troubles d’apprentissages (n = 880) sont plus nombreux à utiliser l’ordinateur, jouer à des jeux vidéo, consulter l’Internet, envoyer des courriels ou clavarder que leurs pairs avec une DI. Par contre, il est possible que certains parents aient du mal à départager ou sous-estiment les activités en ligne que peuvent avoir leurs adolescents (comme le démontrent les données de EUKids Online; voir Livingstone et al., 2011).

Plus récemment, de jeunes Américains ont été interrogés directement dans le cadre du Youth Internet Safety Survey de 2010 (YISS-3). Ces données ont été analysées en comparant les élèves « réguliers » (n = 1 393) à ceux recevant des services d’éducation spécialisée (SES; n = 167; Wells et Mitchell, 2014). Bien que ce dernier groupe ait une composition très hétérogène de jeunes, il inclut les élèves présentant une DI et autres troubles d’apprentissage ou de comportement. Malgré une plus grande accessibilité aux ordinateurs et au réseau Internet dans les foyers nord-américains, les élèves avec SES étaient significativement moins nombreux à se brancher à l’Internet fréquemment, c’est-à-dire quatre jours ou plus par semaine (68 % vs 75 %), ou alors à employer un cellulaire (38 % vs 49 %), ou à fréquenter des sites de réseaux sociaux (68 % vs 82 %) ou bien des salons de clavardage vidéo (24 % vs 32 %). Ils seraient aussi moins sujets à « discuter » en ligne avec des amis qu’ils connaissent déjà (86 % vs 94 %).

Le défi de l’accessibilité. D’où provient cet écart dans l’utilisation de l’ordinateur ? Divers prérequis sont nécessaires à l’utilisation d’Internet, dont l’accès à des ressources financières pour s’équiper (Dagenais et al., 2012; Hoppestad, 2013). Granjon (2011) rappelle que les inégalités dans l’accès au numérique sont le reflet d’inégalités sociales préalables. En 2012, Statistique Canada révélait que 42 % des ménages dans le quartile du revenu le plus faible (moins de 30 000 $ CAN par année) n’avaient pas de connexion Internet, comparativement à 2 % des ménages dont le revenu se situait dans le quartile supérieur. Les données sur la situation économique des personnes présentant une déficience intellectuelle amènent à comprendre que les enfants et adultes présentant cette condition sont surreprésentés sur le plan de la précarité financière (Emerson et Parish, 2010). Au Québec, il parait évident « que les personnes handicapées, tout comme les familles où elles vivent, sont fortement touchées par la pauvreté » (Office des personnes handicapées du Québec [OPHQ], 2013, p. 3). Près de la moitié d'entre elles gagnent moins de 15 000 $ CAN annuellement et 75 % des adultes présentant une DI se situent sous le seuil de la pauvreté au Canada (Association canadienne pour l’intégration communautaire, 2013). Le fossé économique qui existe entre ceux présentant une DI et ceux qui n’en présentent pas réduit chez les moins nantis la possibilité de s’équiper d’appareils électroniques performants (ordinateur, tablette, Ipod, cellulaire) et d’une connexion au réseau Internet à la maison (Palmer, Wehmeyer, Davies et Stock, 2012). Toujours selon les données du YISS-3, les familles d’élèves ayant besoin de soutien en éducation spécialisée étaient en plus forte proportion en situation d’appauvrissement (Wells et Mitchell, 2014). On fait le même constat dans le National Longitudinal Transition Study-2 (Mazurek et al., 2012). Un peu plus de la moitié (51 %) des familles de jeunes présentant une DI avaient un revenu familial annuel sous la barre du 25 000 $ US. Cette proportion variait de 18,2 % à 36,1 % chez les autres familles d’enfants handicapés. De plus, seuls 53,4 % des foyers où l’enfant présentait une DI détenaient un ordinateur à la maison en 2001 (contre 66,8 % à 84,9 % des autres familles sondées).

La moins grande utilisation des ordinateurs, appareils mobiles et du réseau Internet pourrait s’expliquer par d’autres contingences (Lussier-Desrochers et al., 2016). Les croyances et attitudes de l’entourage voulant que les personnes qui présentent une DI n’ont que faire de ces appareils électroniques font en sorte qu’elles manquent d’instruction liée à leur utilisation (Hoppestad, 2013). L’analphabétisme et les capacités intellectuelles réduites chez certaines personnes constituent autant d’obstacles à l’utilisation d’Internet, étant donné les compétences en lecture et en écriture requises pour la navigation et la communication en ligne (Sullivan et al., 2013). Un rapport de Communautique postule que « l’inclusion numérique est donc moins liée à des compétences techniques directement issues des TIC qu’au complexe problème de la littératie » (Dagenais et al., 2012, p.16).

Il est aussi plausible que d’autres habiletés sensorimotrices, cognitives et techniques requises pour une utilisation gratifiante de l’Internet et des médias sociaux, soient limitées chez de nombreuses personnes qui présentent une DI (Chadwick et al., 2013; Dagenais et al., 2012; Lussier-Desrochers et al., 2016; Palmer et al., 2012). Sans soutien de leur entourage, ceci mettrait un frein à une plus grande exploitation du potentiel de ces technologies, restreignant du même coup leurs activités en ligne et leur participation sociale sur les réseaux sociaux numériques (Dagenais et al., 2012; Löfgren-Mårtenson, Sorbring et Molin, 2015; McClimens et Gordon, 2009; Parsons, Daniels, Porter et Robertson, 2008; Raghavendra et al., 2013).

À cet effet, plusieurs chercheurs et défenseurs des droits des personnes ayant des incapacités militent pour le développement et le design de TIC, sites web et médias sociaux accessibles à la population qui présente une DI (Kennedy, Evans et Thomas, 2011; Keskinen et al., 2012 ; President's Committee for People with Intellectual Disabilities [PCPID], 2015; Shpigelman et Gill, 2014; Watkins, 2014; World Wide Web Consortium, 2017), allant jusqu’à la signature d’une déclaration des droits des personnes ayant des limitations cognitives à l’accès aux technologies et à l’information introduite dans la législation du Maine et du Colorado : The Rights of People with Cognitive Disabilities to Technology and Information Access (Coleman Institute for Cognitive Disabilities, 2013). On suggère même qu’à l’instar des personnes en fauteuil roulant qui représentent le groupe de référence lorsqu’il est question d’aménager l’accessibilité aux immeubles, la population qui présente une DI devrait constituer le groupe de référence pour la conception des outils technologiques (Hoppestad, 2013; Kennedy et al., 2011; Langevin, Robichaud et Rocque, 2014). De telles initiatives appuieraient l’accès au soutien interpersonnel en ligne, qui favorise aussi d’une autre façon l’expansion du réseau personnel et la trajectoire de l’exclusion vers l’inclusion et la participation sociale.

Le besoin de soutien. Des personnes présentant une DI estiment que leur participation à des réseaux sociaux comme Facebook les amène à « se sentir comme tout le monde » et à accéder à un sentiment d’appartenance accru (Kampert et Goreczny, 2007; Löfgren-Mårtenson, 2008; Shpigelman et Gill, 2014). Il est donc souhaitable et aussi possible d’augmenter l’activité des personnes qui présentent une DI dans le monde numérique grâce au soutien de leur entourage (Chadwick et al., 2013; Seale, 2014). Ce soutien serait un facilitateur face à la difficulté qu’ont ces personnes à forger des liens sociaux d’une plus vaste étendue. Par exemple, une fois jumelés à des étudiants universitaires, des adultes avec une DI ont pu créer leur propre blogue en aussi peu que cinq sessions (McClimens et Gordon, 2009), ou ont appris à partager des photos et commentaires sur Flickr en quatre rencontres (Kydland, Molka-Danielsen et Balandin, 2012). Ailleurs, une intervention a ciblé des adultes avec une DI de 40 à 60 ans qui n’avaient jamais touché à un ordinateur. Avec de l’assistance technique et de l’encouragement de la part d’intervenants en réadaptation, ils ont appris à se servir de l’ordinateur de façon plus optimale. Qui plus est, selon les chercheurs, ils ont développé une compréhension de la relation de « cause à effet », amélioré leur motricité fine, leur estime de soi, leur confiance en leurs capacités et même entrepris des projets (Näslund et Gardelli, 2013). Dans cette même étude, des jeunes de 15 à 20 ans présentant une DI employaient tous déjà un ordinateur (surtout pour des jeux vidéo ou pour communiquer) ou un téléphone cellulaire. Ils avaient accès à l’ordinateur à l’école et faisaient notamment l’emploi de traitement de texte et de logiciels correcteurs. Mais grâce à un soutien accru et l’exploration de leurs intérêts par les intervenants, ils ont développé de nouvelles habiletés numériques et intensifié leur utilisation de l’ordinateur.

Enfin, Raghavendra et son équipe (2013) ont enseigné l’utilisation d’Internet à des jeunes (10 à 18 ans), atteints d’une paralysie cérébrale ou ayant subi un traumatisme craniocérébral et qui ont un réseau d’amis restreint. Ces enseignements avaient pour but d’augmenter la densité de leur réseau social. Ils ont proposé des plans d’intervention individualisés en fonction des besoins et intérêts de ces jeunes et de leurs familles et qui sont en lien avec les connaissances en informatique. La mise en oeuvre a nécessité des visites à domicile (en moyenne 11 visites par famille, étalées sur 6,8 mois d’intervention), l’achat d’équipement, de la formation et un partage d’information. Au final, ils ont pu observer une forte augmentation des communications interpersonnelles et du nombre d’interlocuteurs en ligne, mais aussi de grandes variations entre les sujets. D’abord, 11 participants sur 16 n’avaient jamais communiqué en ligne auparavant. À la fin du projet, tous utilisaient une forme de communication en ligne (ex : courriel, Facebook, Skype), certains avec aussi peu que quatre personnes, ou jusqu’à 170, pour une moyenne de 38 pour l’ensemble de l’échantillon. De plus, leur score sur une échelle de solitude avait diminué légèrement (mais non significativement statistiquement) suite à l’intervention (Raghavendra et al., 2013). Il est à noter que le score sur l’échelle de solitude (en moyenne) n’était pas particulièrement élevé au départ, et que la plupart des communications en ligne se faisaient avec des personnes connues hors ligne (famille et amis) faisant déjà partie de leur réseau de fréquentation et de soutien social hors ligne.

Ces résultats rejoignent les propos de parents et d’enseignants dans des programmes spécialisés pour jeunes adultes (de 18 à 20 ans) présentant une DI, qui décrivent leurs élèves comme étant isolés socialement. Ils ajoutent que l’Internet est devenu un outil très important dans la vie de ces jeunes. Selon leurs dires, certains n’ont un réseau d’amis qu’en ligne (Löfgren-Mårtenson et al., 2015). Par ailleurs, leurs élèves utiliseraient l’Internet de multiples façons, comme rédiger un blogue, clavarder, socialiser et rechercher des amis (Molin, Sorbring et Löfgren-Mårtenson, 2015). Ils y ont aussi recours pour rechercher de l’information, écouter de la musique et visionner des vidéos.

Les rares études sur l’utilisation d’Internet par les adultes présentant une DI, démontrent l’importance que revêt l’utilisation des médias sociaux afin de se forger une place dans la société, et de faire partie d’un réseau. Les adultes interviewés aiment tout particulièrement Facebook (FB) pour garder contact avec des parents et amis, se faire de nouveaux amis, donner et recevoir du soutien (sous forme de Like, entre autres), et se sentir « comme les autres » (Holmes et O’Loughlin, 2012; Löfgren-Mårtenson, 2008; Molin et al., 2015; Sallafranque St-Louis, 2015; Shpigelman et Gill, 2014). La majorité des participants à l’étude de Shpigelman et Gill (2014) rapportent également qu’ils considèrent plus facile de se faire de nouveaux amis par Internet et qu’ils y sont plus à l’aise de communiquer avec les gens en ligne, qu’en face à face. De plus, les adultes qui présentent une DI déclarent que les médias sociaux leur offrent un (cyber)espace où ils échappent au contrôle parental ou à celui des intervenants, un lieu où ils sont plus autodéterminés. Sur le Web, ils sont plus libres « d’aller » où ils le désirent et de se lier d’amitié avec qui ils souhaitent, loin du regard de leurs tuteurs ou aidants (Löfgren-Mårtenson, 2008). Ils sont capables de décrire leurs activités et d’exprimer ce qu’ils ressentent dans des blogues ou autres médias sociaux (McClimens et Gordon, 2009; Sallafranque St-Louis, 2015; Shpigelman et Gill, 2014). On peut postuler qu’il en serait de même pour des adolescents diagnostiqués d’une DI, mais aucune étude en ce sens n’a encore été réalisée.

Les risques associés à la communication en ligne. La montée du cyberharcèlement et de la cyberviolence, couplée à la surreprésentation des personnes présentant une DI sur le plan de la victimisation amène à se préoccuper du risque que posent le clavardage et l’utilisation des médias sociaux. Paradoxalement, bien qu’ils passent moins de temps en ligne, les jeunes présentant une incapacité entretiendraient des conversations avec des étrangers dans des proportions équivalentes à leurs pairs du secteur régulier (Wells et Mitchell, 2014). Or, plusieurs études ont découvert qu’il y avait un lien entre le clavardage et le harcèlement ou la sollicitation sexuelle (Matsuba, 2006; Ybarra, 2004; Ybarra, Alexander et Mitchell, 2005; Ybarra, Espelage et Mitchell, 2007). D’ailleurs, parmi les jeunes qui présentent une incapacité, ceux qui entretiennent des conversations avec des étrangers sont presque deux fois plus susceptibles de déclarer avoir été victimes de sollicitation sexuelle (Wells et Mitchell, 2014). De façon similaire, un jeune sur deux avec un statut de minorité sexuelle (LGBTQ et incertains) serait la cible de cybervictimisation (harcèlement, intimidation ou sollicitation sexuelle en ligne), comparativement à un sur quatre jeunes hétérosexuels (Ybarra et al., 2014).

Plusieurs études auprès de personnes avec une DI réfèrent à des situations à risque lors de l’utilisation de l’Internet et plus particulièrement des médias sociaux (Holmes et O’Loughlin, 2012; Löfgren-Mårtenson, 2008; Molin et al., 2015; Sallafranque St-Louis, 2015). On relate la présence simultanée du désir de se faire des amis et d’être apprécié, combinée à une vulnérabilité à l’exploitation et à la violence, une volonté de désirabilité sociale, et une tendance à l'acquiescement, caractéristiques de nombreuses personnes (et surtout des femmes) qui présentent une DI. À titre d’exemple, des jeunes et des adultes présentant une DI déclarent n’accepter sur FB que les demandes d’amitié de personnes qu’ils connaissent ou reconnaissent (Molin et al., 2015; Sallafranque St-Louis, 2015). Toutefois, le nombre de leurs « amis » sur FB, qui se compte par centaines, et leur discours discordant (« je regarde sa photo et s’il a l’air honnête… »; Communication personnelle, Sallafranque St-Louis, 2013) semble les trahir. Holmes et O’Loughlin (2012) décrivent, à l’aide de vignettes, comment le désir de se faire des amis peut mener à des dérapages. Par exemple, une jeune femme de 30 ans présentant une DI légère acceptait toute demande d’amitié reçue sur FB, cumulant ainsi plus de 600 « amis ». Parmi eux, un homme lui soutirait plus de 100 $ par mois, d’autres l’insultaient au sujet de son apparence, ou la harcelaient sexuellement. Une autre jeune femme, avec un diagnostic d’autisme associé à une DI légère, prenait au pied de la lettre la signification du mot « ami » FB et se présentait à des fêtes où elle était ignorée par ses soi-disant amies. Les entrevues de Löfgren-Mårtenson (2008) menées auprès de jeunes adultes ayant une DI révèlent que leurs propos laissent croire qu’ils comprennent les risques liés à rencontrer des inconnus sur Internet (ex. : vol d’argent, exploitation sexuelle). Néanmoins, elle soulève l’hypothèse que ces adultes ne font que répéter les mesures de prudence qu’on leur a enseignées, mais n’en tiennent pas compte sur l’impulsion du moment. En présence de l’« Autre », ils accepteraient de se mettre en danger et de subir des abus. Selon son interprétation, les personnes présentant une DI perçoivent comme un plus grand danger la possibilité d’être isolées et exclues de la vie en couple.

Cette vulnérabilité, combinée à l’engouement pour les médias sociaux, sème l’inquiétude chez les parents d’adolescents ou jeunes adultes (avec ou sans DI), et les intervenants des milieux scolaires ou de la santé et des services sociaux (Chadwick et al., 2013; Holmes et O’Loughlin, 2012; Löfgren-Mårtenson, 2008; Löfgren-Mårtenson et al., 2015; Molin et al., 2015; Seale, 2014). Parmi ces inquiétudes, on relève :

  1. l’exposition à des contenus inappropriés en ligne (ex : pornographie; Dowdell, 2013; Löfgren-Mårtenson et al., 2015);

  2. le harcèlement et la cyberintimidation (Buijs et al., 2017; Didden et al., 2009; Guan et Subrahmanyam, 2009; Suzuki, Asaga, Sourander, Hoven et Mandell, 2012; Wells et Mitchell, 2014; Ybarra, 2004; Ybarra et al., 2007);

  3. l’usage excessif ou la dépendance à l’Internet (Blaya, 2015; MacMullin, Lunsky et Weiss, 2016; Young, 2009);

  4. la cybersollicitation sexuelle (Buijs et al., 2017; Guan et Subrahmanyam, 2009; Noll, Shenk, Barnes et Haralson, 2013; Noll, Shenk, Barnes et Putnam, 2009; Molin et al., 2015; Wells et Mitchell, 2014; Ybarra et al., 2007);

  5. la malveillance et les abus (ex : sexe, violence, vol) lorsque des communications en ligne avec des inconnus mènent à des rencontres en personne (Buijs et al., 2017; Dowdell, 2013; Löfgren-Mårtenson et al., 2015; Noll et al., 2013; Noll et al., 2009)

  6. la judiciarisation du jeune qui ne voit pas les conséquences négatives ou sérieuses de ses actes ou ses propos en ligne (ex : harcèlement, diffamation, menaces, sollicitation sexuelle; Löfgren-Mårtenson et al., 2015).

De plus, quelques études très médiatisées ont démontré qu’il pouvait y avoir un lien entre une utilisation excessive d’Internet et divers troubles de santé mentale tels : la toxicomanie, la dépression, l’anxiété, le déficit d’attention et l’hyperactivité (voir Ho et al., 2014 pour une méta-analyse). Malgré l’absence de relation de cause à effet de ces études corrélationnelles, on laisse entendre que ce serait l’Internet qui pose problème en induisant divers problèmes de santé mentale. Pourtant l’inverse est aussi vrai : des problèmes de santé mentale pourraient pousser les gens à passer plus de temps en ligne. Par exemple, Ybarra et ses collègues (2014) ont démontré que les jeunes qui sont la cible d’intimidation en ligne affichent des symptômes de dépression en plus forte proportion. Il faut noter, par contre, qu’ils sont aussi sujets à de l’intimidation en personne.

Il n’en demeure pas moins que certaines inquiétudes sont fondées. En Europe, la vaste enquête EUKids Online, qui a questionné un échantillon stratifié randomisé de 25 142 enfants de 9 à 16 ans en provenance de 25 pays, révèle que 14 % des utilisateurs de TIC fournissent leur adresse ou numéro de téléphone en ligne. Cependant, plus les jeunes avancent en âge, plus ils semblent prendre des risques. À cet égard, ce ne sont que 4% des enfants européens de 11-12 ans qui ont rencontré en face à face des gens d’abord connus en ligne. Cette proportion augmente à 16 % (soit 1/7) chez les 15-16 ans (Livingstone et al., 2011). Plus alarmantes sont les données provenant d’une étude auprès de 3707 élèves danois de 14-17 ans. On y indique que 45,4 % des garçons, et 40,8 % des filles ont accepté de rencontrer en personne des connaissances en ligne, mais que rares sont les rendez-vous qui se sont soldés par des relations sexuelles non désirées (cinq garçons et neuf filles; Helweg-Larsen et al., 2012). On rapporte toutefois que les jeunes qui reçoivent des services d’éducation spécialisée ont plus d’échanges à caractère sexuel en ligne que leurs pairs (Helweg-Larsen et al., 2012; Wells et Mitchell, 2014), et que de faibles habiletés cognitives sont liées à des comportements plus risqués en ligne (Noll et al., 2013). On craint donc pour la sécurité et le bien-être des jeunes qui présentent une DI lorsqu’ils passent beaucoup de temps sur Internet, et particulièrement lors de leurs activités sur les médias sociaux. Chez les adultes qui présentent une DI, il est clair que le désir de rencontrer l’âme soeur motive l’emploi des médias sociaux et des sites de rencontre en ligne (Löfgren-Mårtenson, 2008; Sallafranque St-Louis, 2015). Ajoutons qu’ils souhaitent se trouver un partenaire en ligne dans le but de développer une relation hors ligne, avec une personne qui, de préférence, est exempte d’incapacité. Une étude préliminaire auprès de huit adultes (cinq avec une DI, trois avec un TSA) a révélé que tous avaient une page FB, et tous sauf un (7/8) avaient déjà eu recours à des sites de rencontre en ligne dans l’espoir de se trouver un partenaire amoureux (Normand et Sallafranque St-Louis, 2015). En comparaison, dans la population générale américaine, seul un adulte sur huit (1/8) a eu recours à des services de rencontres en ligne en 2015 (Smith, 2016).

Augmenter la participation en ligne en réduisant les risques

Un rapport des Nations Unies propose une série de mesures en vue de contrer le phénomène de la cyberviolence et de la cyberintimidation qui prend de l’ampleur et qui touche notamment un nombre sans cesse croissant de filles, adolescentes et de femmes. Ces mesures s’articulent autour de trois axes :

  1. la prévention / sensibilisation;

  2. le développement de mesures de soutien;

  3. l’application de sanctions.

Ces mesures sont réclamées dans une perspective d’assurer la navigation sécuritaire chez les femmes, sans brimer leur liberté d’expression ou les exclure de la communauté d’internautes (United Nations Broadband Commission for Digital Development, 2015). Les mêmes constats et mesures s’appliquent à toute population vulnérable, dont le statut social est moindre que celui de la classe dominante.

Différentes initiatives destinées aux gens présentant une DI vont dans le sens de la prévention/ sensibilisation et du soutien. Sachant que les adultes présentant une DI adeptes de l’Internet préfèrent les médias sociaux à toute autre application et qu’ils cherchent à se faire des amis en ligne (Löfgren-Mårtenson, 2008; Sallafranque St-Louis, 2015), la société aimerait penser que le jumelage, le parrainage ou le mentorat en ligne offre la possibilité de réduire la vulnérabilité des jeunes qui présentent une DI. Malheureusement, le Teen Health and Technology Study, indique que, pour la population adolescente en général, le soutien social en ligne provenant de leurs amis ne peut protéger les jeunes d’intimidation ou d’abus sexuel, en ligne ou hors ligne; seul le soutien social en personne aurait un effet modérateur (Ybarra et al., 2014).

Que réserve l’avenir au regard de l’inclusion à la société numérique des jeunes présentant une DI?

Les études recensées démontrent que les adultes qui présentent une DI utilisateurs d’Internet apprécient particulièrement la possibilité de renouer ou rencontrer des amis à travers les médias sociaux. Bien que du soutien personnel et technique soit souvent nécessaire pour en faire de meilleurs utilisateurs des technologies numériques, il n’est pas suffisant (Chadwick et al., 2013; Lussier-Desrochers et al., 2016). De plus, il présuppose l’accès aux dispositifs comme tel, ce qui ne serait pas toujours le cas pour ce type d’utilisateurs. À cet effet, un comité américain mandaté par le Président des États-Unis s’est penché sur la question de l’accessibilité aux TIC. Il offre de nombreuses recommandations, de nature économique, sociale et politique, pour les rendre accessibles aux personnes qui présentent une déficience intellectuelle (PCPID, 2015). L’accessibilité universelle du Web rêvée par son créateur, Tim Berners-Lee, n’est pas encore atteinte. Le fossé numérique est loin d’être comblé. Mais pour y arriver, il faudrait entre autres combler le fossé économique qui sépare les personnes qui vivent avec une DI du reste de la société.

Les concepteurs des technologies, des logiciels et des sites Web ont aussi beaucoup à apprendre pour atteindre l’accessibilité universelle (Hoppestad, 2013; PCPID, 2015). Au contraire, certains craignent que les avancées dans ces secteurs accroissent la distance qui sépare l’utilisateur avec des limitations cognitives, adaptatives et sensorimotrices du reste de la population, au lieu de les rendre plus faciles d’utilisation (Chadwick et al., 2013; Molin et al., 2015). La synthèse vocale et les correcteurs d’orthographe sont utiles si on considère que les adultes utilisateurs de courriel et de FB se préoccupent de leurs difficultés d’écriture lorsqu’ils ont à communiquer par texte (McClimens et Gordon, 2009; Molin et al., 2015; Shpigelman et Gill, 2014). L’utilisation grandissante de la communication par vidéo pourrait réduire cette barrière, mais par le fait même, réduire les avantages associés à la communication par texte (ex : temps de réflexion, anonymat, apparence physique cachée). La création du domaine des technologies cognitives appliquées (applied cognitive technologies) a mené au développement d’interfaces créées pour et testées auprès d’adultes présentant une DI dans le but d’augmenter leur autodétermination et leur participation à la société dans les milieux de vie (travail, école, loisirs) communs à tous (Wehmeyer et Shogren, 2013). À titre d’exemple les équipes de Daniel Davies et Steven Stock ont facilité l’utilisation d’un GPS, téléphone cellulaire, livre audio, navigateur d’Internet, et logiciel financier (Davies, Stock, Holloway et Wehmeyer, 2010; Davies, Stock, King et Wehmeyer, 2008; Davies, Stock et Wehmeyer, 2001, 2003; Stock, Davies, Wehmeyer et Palmer, 2008). Même FB a sa version plus accessible et sécuritaire appelée Endeavor Connect (Davies, Stock, King, Brown, Wehmeyer et Shogren, 2015). Fait à noter : la plupart de ces innovations ne sont disponibles qu’en anglais, ce qui ajoute une barrière à l’accès pour la population francophone du Québec, et les autres populations non anglophones.

Une fois ces barrières franchies, il devient possible de promouvoir le développement d’un réseau personnel et social de soutien grâce aux médias sociaux. Si un tel réseau est garant de la santé mentale et de la sécurité des jeunes qui présentent une DI, alors il est souhaitable d’élargir leur cercle d’amis, même virtuellement. Néanmoins, alors que l’utilisation d’Internet et des médias sociaux pour communiquer avec des amis est corrélée à un score moins élevé de solitude (loneliness) chez des élèves avec des troubles d’apprentissage de niveau collégial (16-18 ans), l’amitié strictement virtuelle avec des étrangers rencontrés en ligne serait associée à un plus grand sentiment de solitude (Sharabi et Margalit, 2011). Le besoin d’amis véritables que l’on fréquente en face à face demeure (Raghavendra et al., 2013; Sharabi et Margalit, 2011; Shpigelman et Gill, 2012; Ybarra et al., 2014). Mais comme nous l’avons vu, plusieurs contacts établis en ligne avec des inconnus évoluent hors ligne. C’est d’ailleurs la base des sites de rencontre en ligne qui peuvent mener à des relations durables.

Face aux inquiétudes des parents et intervenants, restreindre l’utilisation d’Internet par les jeunes avec une DI n’est certes pas une solution envisageable dans une société qui prône l’inclusion et la participation citoyenne, alors que la très grande majorité des jeunes de leur âge sont « branchés ». Les jeunes qui présentent des incapacités devraient être « protégés » du fait qu’ils passent moins d’heures sur Internet (Mazurek et al., 2012; Mitchell, Finkelhor et Wolak, 2007), et reçoivent plus de soutien et de supervision de la part de leurs parents (Almack, Clegg et Murphy, 2009; Helweg-Larsen et al., 2012; Noll et al., 2013). Cependant, les données disponibles actuellement laissent croire qu’ils sont néanmoins plus vulnérables à la cybervictimisation (Buijs et al., 2017; Wells et Mitchell, 2014) et échappent au contrôle de leurs parents ou tuteurs lorsqu’ils sont en ligne (Löfgren-Mårtenson, 2008). C’est pourquoi les créateurs de Endeavour Connect, une interface « accessible » de FB, comprend des mesures de sécurité additionnelles exigeant que le choix d’un nouvel ami FB soit approuvé par un tiers parti (parent, tuteur ou intervenant; Davies et al., 2015). Par contre, si les jeunes adultes sont de plus en plus attirés par les sites de rencontres en ligne (Smith, 2016), il y a lieu de croire que les jeunes présentant une DI qui ont un pauvre réseau d’amis et de relations amoureuses vont s’y adonner en plus grand nombre aussi, augmentant les risques d’abus. Les arguments de Seale (2014) nous rappellent que cette ouverture augmente aussi la possibilité de nouvelles rencontres et d’expériences de vie qui peuvent rehausser la résilience des personnes, ce qu’elle nomme positive risk taking et que nous pouvons traduire par l’idée d’accorder aux personnes la dignité du risque.

Recherches futures

Le besoin d’études sur l’utilisation des TIC, de l’Internet et des médias sociaux par les jeunes qui présentent une DI est criant. Le milieu scientifique a sondé les jeunes tout-venant, en particulier sous l’angle de l’utilisation excessive des TIC et ses impacts sur leur santé mentale et physique. Par contre, la population de jeunes avec des incapacités, et de façon plus spécifique celle diagnostiquée d’une DI, est sous-étudiée. Peut-être la capacité de cette clientèle à utiliser l’ordinateur pour des fonctions autres que la communication assistée, l’apprentissage ou la réalisation de tâches a-t-elle été sous-estimée. On commence à peine à s’intéresser aux adultes présentant une DI utilisateurs des TIC, alors que les générations plus jeunes sont beaucoup plus « branchées ». Dans ce monde où les TIC mobiles, donc disponibles en tout temps, et leurs applications se multiplient à un rythme effarant, les habitudes des utilisateurs se transforment rapidement. Il est donc urgent d’étudier le phénomène, à défaut de quoi nos « nouvelles » connaissances seront désuètes, aussitôt publiées.

En outre, les avantages que présente la communication en ligne pour les uns peuvent s’avérer des risques pour les autres. Il importe donc de réaliser davantage d’études sur le phénomène auprès de clientèles vulnérables pour éviter de priver la société de mesures de prévention appropriées et de programmes de sensibilisation adaptés à la complexité de la réalité des relations sociales, qui doivent tenir compte de leur dimension en ligne. On ne peut qualifier ces relations en ligne de « virtuelles ». Dans la plupart des cas, elles sont bien réelles. Pour le meilleur et pour le pire.