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Mireille Neptune
Mireille Neptune Anglade (1944-2010) est décédée à Port-au-Prince le 12 janvier 2010, victime du tremblement de terre qui a frappé Haïti ce jour-là. En Mireille Neptune Anglade, les membres et le lectorat de la revue Recherches féministes perdent une collègue, une amie et une associée de longue date à la vie de cette publication. Membre du comité-conseil international de 1992 à 2006, Mireille a aussi publié dans la revue Recherches féministes deux articles portant respectivement sur les femmes et le développement en Haïti (vol. 1, no 2, 1988) et sur l’impact dans ce pays des conférences mondiales sur les femmes de l’Organisation des Nations Unies (ONU) (vol. 8, no 1, 1995) ainsi qu’un compte rendu (vol. 13, no 1, 2005). Docteure en économie, Mireille Neptune Anglade est l’auteure de L’autre moitié du développement : à propos du travail des femmes en Haïti (1986), une analyse incontournable de l’économie haïtienne et des rapports entre le travail marchand et non marchand des femmes, qui en sont le poto mitan[1]. Militante féministe et intellectuelle reconnue et respectée en Haïti, au Québec et dans l’ensemble de la diaspora haïtienne, Mireille Neptune Anglade a mis ses compétences de chercheuse et d’économiste au service des femmes d’Haïti en participant aussi bien aux instances politiques consacrées à l’instauration de l’égalité entre les sexes qu’au mouvement féministe autonome haïtien. Elle a participé aux travaux préparatoires à la Conférence mondiale de Beijing de 1995, notamment au sein de la délégation haïtienne à la Conférence régionale de la Caraïbe. Membre du cabinet de Marie Thérèse Guilloteau, ministre de la Condition féminine et des Droits de la femme en 1995 et en 1996, Mireille Neptune Anglade a oeuvré à la réforme du Code civil haïtien. Cofondatrice en 1996 et membre active de la Ligue pour l’empowerment des femmes (LIPOUFANM), elle en était présidente depuis décembre 2009. Retraitée, elle partageait son temps entre Montréal, où elle a longtemps été enseignante, et Haïti, où elle consacrait l’essentiel de ses énergies à la cause des Haïtiennes et à la LIPOUFANM. Mireille est morte aux côtés du regretté Georges Anglade, intellectuel engagé bien connu qui a été son compagnon de vie pendant 43 ans et le père de ses filles, Dominique et Pascale.
Myriam Merlet
Décédée à 53 ans sous les débris de sa maison de Port-au-Prince peu après le tremblement de terre, Myriam Merlet était une économiste engagée de longue date en recherche féministe et une leader du mouvement des femmes d’Haïti et des Caraïbes aimée et respectée. Directrice du cabinet du ministère de la Condition féminine et des Droits des femmes d’Haïti de 2006 à 2008, elle continuait de servir la cause des femmes à titre de consultante de haut niveau, notamment comme représentante nationale à l’Association caraïbéenne pour la recherche et l’action féministe (CAFRA). Collaboratrice de l’Observatoire sur le développement régional et l’analyse différenciée selon les sexes (ORÉGAND) (dirigé par Denyse Côté[2] de l’Université du Québec en Outaouais), elle participait à un projet de recherche en vue d’une proposition de politique d’égalité entre les femmes et les hommes en Haïti.
Eve Ensler, auteure des Monologues du vagin, pièce de théâtre qui a donné naissance au mouvement international V-Day, a dit de Myriam Merlet qu’elle était une femme humble, dévouée, engagée, brillante, affectueuse, une révolutionnaire et une visionnaire au très grand coeur. Jeune fille de la bourgeoisie, Myriam Merlet est née en Haïti; elle a grandi en France et en Italie et ses parents l’ont amenée quelques fois en vacances à Port-au-Prince : « Mes parents étaient duvaliéristes. Je leur en ai beaucoup voulu et je me suis longtemps sentie coupable[3]. »
En 1974, Myriam Merlet s’est installée à Montréal, où elle a entrepris des études d’économie, de sociologie politique et en études féministes. Elle est retournée en Haïti en 1987, peu après le renversement de la dictature duvaliériste. Elle s’est jointe alors à EnfoFanm, un centre de documentation et d’information qui défend les droits des Haïtiennes et fait leur promotion en tant qu’actrices du développement. EnfoFanm intervient dans quatre domaines : la documentation spécialisée en littérature et actualité féministes, la formation, la communication et le plaidoyer. Notons qu’EnfoFanm publie le seul journal en créole pour les femmes, Ayiti Fanm, et produit des émissions radiophoniques et télévisées. Plus récemment, Myriam Merlet s’était engagée dans la création de la V-Day Haiti Sorority Safe House, maison d’hébergement pour femmes victimes de violence à Port-au-Prince.
Magalie Marcelin
Également décédée dans le séisme du 12 janvier 2010 à 47 ans, Magalie Marcelin était aussi une leader féministe haïtienne, grande amie et complice de Myriam Merlet. Consultante en développement, elle était avocate et depuis longtemps engagée dans la lutte pour l’obtention de droits pour les filles et les femmes d’Haïti et contre la violence qui leur est faite. Elle était en outre comédienne, conteuse et danseuse. À 18 ans, elle faisait du théâtre de rue pour dénoncer la dictature du gouvernement Duvalier qui l’a expulsée pour avoir enfreint les libertés de presse et de parole. Expatriée au Venezuela, elle y a séjourné un an, puis a émigré à Montréal où elle a résidé de 1981 à 1987, poursuivant des études universitaires en sciences juridiques à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). On a pu aussi la voir dans quelques films, dont Anita (Rassoul Labuchin, 1982) et Haïti dans tous nos rêves (Jean-Daniel Lafond et et Michaëlle Jean, 1996).
Dès son retour en Haïti, après la chute du régime Duvalier, elle a fondé Kay Fanm, maison qui accueille les femmes violentées. En décembre 2005, soit peu après l’instauration de la loi cessant de traiter les viols comme des crimes passionnels, Kay Fanm inaugurait le centre REVIV (Revivre) pour soutenir les fillettes et les adolescentes agressées sexuellement et leur permettre de surmonter leurs traumatismes.
Magalie Marcelin accompagnait personnellement les victimes de violence et les défendait au tribunal; elle faisait des analyses juridiques, produisait du matériel didactique, se servait du théâtre dans un but d’éducation populaire. Grâce à elle, de nombreuses Haïtiennes ont pris connaissance de leurs droits et ont pu entreprendre des poursuites judiciaires contre leurs agresseurs. Par ses plaidoyers, le courage des victimes elles-mêmes et le soutien des organisations de femmes, Magalie Marcelin a réussi à faire criminaliser la violence faite aux femmes jusque-là banalisée. Elle a aussi été l’instigatrice d’une loi qui fait en sorte que les femmes mariées cessent d’être considérées comme mineures.
Parties annexes
Notes
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[1]
Ce terme antillais se rapporte à celle qui est au centre du foyer, la personne autour de laquelle tout s’organise et s’appuie.
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[2]
Nous remercions Denyse Côté qui nous a permis de reproduire les informations du site de l’ORÉGAND (www.oregand.ca). Ce dernier a contribué à la création de la Fondation Magalie-Marcelin, qui recueille des dons au Québec et au Canada.
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[3]
Monique Durand, « Une seconde vie en Haïti », Le Devoir, 27 décembre 2008.