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Cet ouvrage porte sur la carrière de la militante Madeleine Parent qui a participé à plusieurs luttes sociales au Canada depuis les années 30. Les textes présentés proviennent d’un colloque tenu le 10 mars 2001 à l’Université McGill. Rappelons que Madeleine Parent demeure encore active et s’engage dans plusieurs causes, notamment dans des organismes communautaires et des associations d’appui aux femmes.
Dirigé par Andrée Lévesque, spécialiste de l’histoire des femmes et de l’histoire du mouvement ouvrier, ce recueil de textes traite principalement des deux grandes luttes qui ont ponctué la carrière de Madeleine Parent, à savoir le syndicalisme et le féminisme. Les dix textes, d’inégale longueur, sont écrits par des universitaires ainsi que des militantes et des militants qui ont côtoyé Madeleine Parent. Certains de ces textes s’appuient sur des sources de première main et des entrevues avec Madeleine Parent, alors que d’autres non seulement représentent des témoignages de son parcours, mais sont également le fruit de l’expérience de femmes et d’hommes qui ont joué un rôle actif lors de ces luttes. Débutant par un texte sur le mouvement étudiant, l’ouvrage se divise par la suite en trois parties. La première concerne la vie syndicale de Madeleine Parent, alors que la deuxième traite de sa participation au mouvement des femmes. Enfin, la troisième et dernière partie regroupe des témoignages de son influence sur le féminisme et le syndicalisme.
L’introduction, écrite par Andrée Lévesque, présente les textes et décrit en outre le contexte historique de la période abordée, sur le plan de la scène tant internationale que québécoise. Cette mise en contexte s’avère essentielle pour comprendre les enjeux dont traitent certains textes du recueil.
Le premier texte, dense dans son contenu, porte sur la période où Madeleine Parent a étudié à l’Université McGill, de 1936 à 1940. Bien que cette université soit considérée comme un milieu conservateur, Andrée Lévesque montre que Madeleine Parent y développera une conscience sociale. Elle étudie, entre autres, la sociologie, nouveau champ d’études et discipline d’avant-garde pour l’époque. Son engagement au sein du mouvement étudiant, notamment dans les associations catholiques et des groupes plus revendicateurs, et sa rencontre avec certains professeurs influents sont à la source de son militantisme. Madeleine Parent participe alors à l’Assemblée des étudiants canadiens (AEC), un mouvement pancanadien. Cette organisation s’occupe de questions sociales et revendique du gouvernement fédéral des bourses d’études. Vers la fin de cette période, elle fait aussi la rencontre de Léa Roback, organisatrice syndicale et militante socialiste. Madeleine Parent travaillera par la suite dans le mouvement syndical après avoir obtenu son baccalauréat.
La première partie de l’ouvrage portant sur la vie syndicale de Madeleine Parent contient trois textes qui suivent un ordre chronologique. On peut difficilement parler du militantisme syndical de Madeleine Parent sans faire référence à celui qui deviendra son complice au travail et aussi son compagnon dans la vie privée, Kent Rowley. C’est avec lui qu’elle assumera une partie de son rôle comme organisatrice syndicale. L’historienne Denyse Baillargeon fait une mise en contexte fouillée de trois grèves qui touchent les Ouvriers unis des textiles d’Amérique (OUTA), syndicat affilié à la Fédération américaine du travail (FAT) dans lequel Madeleine Parent milite. L’auteure s’attarde sur les grèves de 1946, 1947 et 1952. Elle fait ressortir le climat de répression qui sévit à l’époque tout en dégageant les traits communs de ces grèves. Madeleine Parent travaille comme organisatrice syndicale durant la Seconde Guerre mondiale où elle s’occupe du sort des ouvriers et des ouvrières de l’industrie textile. L’après-guerre correspond au retour de Maurice Duplessis au pouvoir après un intermède de quelques années avec le Parti libéral de Godbout. Madeleine Parent et Kent Rowley dirigent alors les grèves de la Dominion Textile à Montréal et à Valleyfield en 1946, puis celle de l’Ayers Woollen Mill à Lachute l’année suivante. La reconnaissance syndicale constitue l’un des enjeux de la grève de 1946. Tandis que le conflit se règle à Montréal, il se poursuit à Valleyfield où Maurice Duplessis déclare la grève « illégale » en raison du refus du syndicat d’accepter la procédure de conciliation et d’arbitrage. La violence éclate, et Madeleine Parent est arrêtée par les forces de l’ordre. Après bien des tergiversations, la compagnie doit signer un premier contrat de travail avec le syndicat. L’année suivante, Madeleine Parent et Kent Rowley prennent part à la grève de l’Ayers à Lachute où le conflit comporte certaines similitudes avec celui de Valleyfield. Cette grève est elle aussi déclarée « illégale ». Madeleine Parent est arrêtée trois fois en l’espace d’une semaine. Kent Rowley et elle sont également accusés par Duplessis de « conspiration séditieuse ». La grève de 1952 à Montréal et à Valleyfield s’inscrit dans un contexte d’anticommunisme virulent, et une chasse aux sorcières sévit au sein du mouvement syndical. L’équipe Rowley-Parent est alors évincée de la direction canadienne des OUTA. Malgré les difficultés éprouvées lors des conflits, l’auteure conclut que c’est « durant ces dix années où Madeleine Parent et Kent Rowley ont été à la tête des OUTA que les tisserands ont obtenu les gains les plus considérables de leur histoire, au niveau des salaires et des conditions de travail » (p. 58-59).
Militant et juriste de formation, John Lang, pour sa part, s’intéresse à l’influence de Madeleine Parent sur le syndicalisme canadien en Ontario à partir des années 50 jusqu’au début des années 70. Il y traite des différents conflits, de la fondation de la Confédération des syndicats canadiens (CSC) en 1969 et de quelques grèves importantes. Les travailleurs des mines métallurgiques de Sudbury donnent leur appui à Kent Rowley et à Madeleine Parent lors de la grève menée contre la Dominion Textile en 1952. Madeleine Parent se rend par la suite dans le nord-est de l’Ontario et explique à ces travailleurs la trahison des dirigeants de syndicats américains dans les accords obtenus avec les patrons. Elle s’engage également dans leur syndicat. L’expulsion de l’équipe Rowley-Parent des OUTA les amène à adhérer au Conseil canadien du textile (CCT). Ce syndicat remporte une victoire importante en 1956 contre la compagnie Harding Carpets en Ontario. Kent Rowley et Madeleine Parent participent à la fin des années 60 à la fondation de la CSC, un syndicat canadien, distinct des grandes centrales américaines. Au début des années 70, ils prennent part à quelques grèves en Ontario, dont celle de Texpack. Durant cette période, Madeleine Parent s’intéresse en outre aux droits des femmes dans la CSC.
Enfin, John St-Amand, ancien professeur de sociologie et organisateur syndical en Nouvelle-Écosse, relate à son tour l’influence de Madeleine Parent sur le syndicalisme dans cette province à partir des années 70 jusque dans les années 90. Son texte s’intitule : « Le rayonnement de l’action syndicale de Madeleine Parent : la filière atlantique ». La CSC a été importante pour organiser un syndicat canadien à Cap-Breton. Bien que les tentatives pour former des syndicats canadiens dans différents secteurs apportent à l’occasion des victoires, elles se soldent parfois par des échecs. John St-Amand souligne l’apport de Madeleine Parent au militantisme des travailleurs et des travailleuses (p. 93) :
Le leadership ouvrier de Madeleine est à mes yeux un rare trésor. L’implantation du mouvement syndical canadien en Nouvelle-Écosse témoigne du mouvement social qu’elle a créé et auquel elle se consacre toujours. S’y sont implantés non seulement des syndicats canadiens, mais aussi des principes, des pratiques et des valeurs différentes de celles du syndicalisme d’affaires des centrales internationales.
C’est à partir du mouvement syndical, où elle se préoccupe du sort des travailleuses et où elle les incite à être actives dans les syndicats, que Madeleine Parent en vient à s’intéresser au féminisme.
La deuxième partie de l’ouvrage, axée sur la participation de Madeleine Parent au mouvement des femmes, comprend deux textes. Dans le premier, l’avocate Lynn Kaye et la sociologue Lynn McDonald brossent un tableau du mouvement des femmes au Canada de 1970 à 2000. Madeleine Parent participe alors au Comité canadien d’action sur le statut de la femme (CCASF) fondé en 1972. De concert avec cet organisme, elle s’engage dans certaines causes. Il est question des batailles sur l’équité salariale, qui initialement est connue sous l’appellation « un salaire égal pour un travail d’égale valeur ». C’est cette dernière mesure que l’on tente de faire intégrer à la Loi sur les normes du travail en Ontario. Les tentatives pour faire adopter cette idée rencontrent toutefois plusieurs obstacles. Les auteures montrent également l’appui de Madeleine Parent aux luttes pour les droits des femmes autochtones. La Loi fédérale fait perdre le statut d’indien à une femme qui marie un Non-indien. Madeleine Parent soutient une militante mohawk, Mary Two-Axe Early, représentante du groupe Droits égaux pour les femmes indiennes. Cette dernière se bat pour faire modifier cette loi discriminatoire. Par ailleurs, durant les années 80, une femme ojibwé, victime de discrimination, Mary Pitawanakwat, combat pour la réintégration de son poste dans la fonction publique fédérale à Regina. Madeleine Parent sera à ses côtés dans cette lutte où elle obtiendra gain de cause.
Dans le second texte de cette partie, « Comment une militante a conquis le coeur des femmes immigrantes au Québec », Shree Mulay, directrice du Centre de recherche et d’enseignement sur les femmes de l’Université McGill, raconte qu’elle voit pour la première fois Madeleine Parent lors d’un discours que celle-ci prononce en 1989 dans ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Chantal Daigle. Puis elle relate comment la militante en vient à faciliter l’intégration du groupe Centre communautaire des femmes sud-asiatiques (CCFSA) au sein de la Fédération des femmes du Québec (FFQ). Le CCFSA fera ensuite partie du comité de coordination de la Marche contre la pauvreté en 1995 intitulée : « Du pain et des roses ».
La troisième et dernière partie du recueil, plus disparate, comporte des textes beaucoup plus courts que les précédents. Elle concerne à la fois le syndicalisme et le féminisme. Ces témoignages concernent le rôle de Madeleine Parent tant sur le plan syndical que sur celui de la lutte des femmes. Françoise David y souligne l’apport de Madeleine Parent à l’évolution de la Fédération des femmes du Québec (FFQ), alors que Michèle Rouleau rappelle son importance pour l’association Femmes autochtones du Québec. Pour sa part, Rick Salutin met en relief certaines des qualités de Madeleine Parent, notamment sa capacité à concilier nationalisme canadien et souveraineté du Québec. Quant à Monique Simard, elle livre également un témoignage de l’influence de l’ancienne syndicaliste.
Outre les réalisations de Madeleine Parent, les textes de ce colloque font aussi ressortir ses qualités humaines. Rick Salutin mentionne à ce propos : « La clé se trouve à la base de tous ses engagements politiques : le respect. Un mot qui est le même en français et en anglais. Le respect, en particulier pour ce qu’elle appelle le droit humain fondamental de faire des choix qui affectent notre vie » (p. 118).
En résumé, ce livre montre que Madeleine Parent a joué un rôle d’intermédiaire entre francophones et anglophones et entre différents groupes de femmes. Son cheminement permet de constater que les femmes n’ont pas été inactives dans le mouvement syndical et qu’elles se sont battues pour leur cause. En fait, son parcours lève en partie le voile sur l’histoire du syndicalisme et sur l’histoire des femmes.