Corps de l’article

Introduction

Longtemps tenus à l’écart de la mise en place des parcs et des aires protégées, les peuples autochtones se présentent aujourd’hui comme chefs de file en matière de protection et de conservation des environnements naturels au Canada (Cercle autochtone d’experts 2018). La multiplication d’initiatives d’aires protégées et de conservation autochtones (APCA) en témoigne largement. S’écartant de manière significative des pratiques usuelles en matière de conservation de l’environnement, les approches retenues par les communautés instigatrices mettent à l’avant-plan les valeurs culturelles, systèmes de connaissances et lois coutumières de leurs peuples, aux côtés des critères d’ordre écologique couramment adoptés (Conservation through Reconciliation Partnership 2021). Autrement dit, la restauration des relations et des responsabilités culturelles millénaires des peuples autochtones envers leurs territoires d’appartenance s’affiche dorénavant comme une condition sine qua non de la conservation, pierre angulaire de la lutte aux changements climatiques et de la protection de la biodiversité.

C’est du moins le constat qu’a dressé le Cercle autochtone d’experts (CAE), qui, dans un rapport publié en 2018, rappelait le rôle fondamental des premiers peuples dans l’atteinte des cibles fixées par les instances gouvernementales en matière de protection des milieux terrestres et aquatiques. Véritables tremplins vers un contrôle accru sur le territoire et son aménagement, les APCA se développent ainsi en réponse aux ambitions environnementales des pays où elles se déploient, démontrant la nécessité d’une autodétermination effective de ceux et celles qui en sont les gardiens et gardiennes. Ces initiatives constituent par ailleurs des avenues particulièrement prometteuses pour envisager la protection et la transmission d’un patrimoine qui se définit essentiellement comme une manière de vivre et d’être en relation avec le monde, alors qu’elles contribuent à maintenir l’intégrité des sites et des paysages culturels qui en sont les dépositaires.

Afin de mieux saisir cette mouvance et l’esprit qui lui est sous-jacent, l’entretien qui suit a été réalisé le 22 janvier 2021 auprès de Valérie Courtois, Ilnu de Mashteuiatsh et directrice de l’Initiative de leadership autochtone (Indigenous leadership initiative – ILI). Depuis 2013, ILI oeuvre en soutien au travail des gardiens et gardiennes à travers le Canada dans leur volonté d’honorer leur responsabilité sacrée de veiller sur les terres et les eaux. Mettant en lumière son propre cheminement comme femme Ilnu dans le domaine de la foresterie, de la planification territoriale et de la conservation environnementale, les propos de Valérie Courtois jettent un éclairage nouveau sur la manière dont les pratiques de conservation peuvent contribuer à la réconciliation, ne serait-ce qu’en vertu des occasions de rencontre et de dialogue ainsi générées (https://www.nationaliteautochtone.ca/). La conservation devient en effet un espace de conversation entre les actrices et acteurs impliqués dans la gouvernance du territoire, entraînant une reconnaissance mutuelle plus que nécessaire.

*****

Justine Gagnon : Avant toute chose, pourriez-vous vous présenter, présenter votre parcours et expliquer comment vous en êtes arrivée à devenir directrice de l’Initiative de leadership autochtone ?

Valérie Courtois : Je suis membre de la communauté ilnu de Mashteuiatsh, donc je suis une Pekuakami Ilnu, Pekuakami ishkueu (une femme Ilnu), mais j’ai grandi un peu partout au Canada. Mon père était agent de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), ce qui explique mon anglais. Je suis née en Saskatchewan et j’ai grandi un peu partout, au Nouveau-Brunswick, en Ontario. J’ai donc passé très peu de temps dans la réserve. Je n’ai pas eu la chance d’apprendre ma langue en tant que femme Ilnu, mais j’avais toujours une affinité avec le territoire. Quand j’avais onze ans, une fois, j’étais avec mon grand-père sur le lac St-Jean. C’était en avril. C’est dans ce temps-là, normalement, que le lac ouvre tranquillement. Il y a seulement de petites zones qui sont dégagées des glaces. On était à la petite décharge et on pêchait la ouananiche parce que c’est le temps de la ouananiche. On avait un filet, puis mon grand-père dirigeait le bateau avec le moteur en arrière pour éviter les îlots de glace. Moi, j’étais en avant et je tirais le filet, puis là je l’entends rire derrière moi. J’étais un peu orgueilleuse comme jeune fille de onze ans, alors je lui dis : « Voyons, qu’est-ce tu fais là à rire de moi ? Je suis en train de faire la bonne affaire ! » Puis il dit : « Non, non, je ris de joie parce que je vois comment tu es dans ton élément. » Et il me dit : « J’espère que quand tu vas grandir, tu vas continuer à être dans ton élément, à penser au territoire. » Et donc, depuis que j’ai onze ans, je savais que j’allais travailler, me dédier au niveau de ma carrière, de mes efforts, pour le territoire.

Je n’étais pas vraiment une bonne étudiante, je suis une étudiante qui est un peu distraite, intéressée par tout. Et au secondaire, il y avait une session pour des formations pour les universités. Quand on participait à ces sessions-là, on n’était pas obligés d’aller en classe. Donc je participais à toutes les sessions universitaires qu’il y avait, pour ne pas être obligée d’aller en classe. Un jour, il y avait une session qui était menée par l’Université d’Edmonton. Dans ce temps-là, je regardais un peu du côté de l’environnement, mais c’était tout nouveau. Les sciences environnementales, les études environnementales, c’étaient des programmes qui étaient tout nouveaux. J’étais un peu nerveuse d’entrer parce que je ne voyais pas ce qu’était la carrière qui allait sortir de ce genre de choses-là. Il y avait un dépliant en dessous de tous les autres dépliants et c’était sur la foresterie. Plus je lisais, plus ça avait un sens pour moi. Je voyais ce qu’était un ingénieur forestier. Je suis entrée pour faire ma foresterie à l’Université d’Edmonton et j’y ai passé cinq ans.

Je suis ensuite devenue porte-parole de la classe de foresterie. Je passais d’étudiante très distraite à une étudiante très appliquée parce que c’était un programme qui m’énergisait et je me retrouvais au niveau de mes valeurs innues. J’ai donc été recrutée pendant ma dernière année par l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, parce qu’on est rares comme Autochtones à avoir étudié en sciences ou en sciences forestières. Je suis devenue conseillère en foresterie et j’étais la première employée autochtone de l’Institut de développement durable de l’Assemblée des Premières Nations (IDDPNQL).

Je suis restée là presqu’un an, mais après un moment, je me disais qu’il fallait vraiment que j’acquière de l’expérience sur le terrain. Je voulais savoir ce que c’est que d’être assise dans un Conseil de bande et de recevoir toutes les pressions, les demandes et d’être obligée de gérer ça. Je me trouvais mal placée de conseiller des communautés sans avoir cette expérience-là. Il y avait un poste qui était ouvert ici, au Labrador, pour être directrice de la foresterie. Je savais qu’au Labrador, il y avait une approche écosystémique et dans mon cours, je m’étais spécialisée dans cette approche. En même temps, je savais que 99 % des Innus, ici au Labrador, parlaient leur langue. Je me disais que c’était la meilleure chance que j’avais d’apprendre ma langue, d’être complètement en immersion. Chez nous à Mashteuiatsh, seulement 20 % de la population parle Innu-aimun. Je suis donc arrivée au Labrador et toutes les rencontres de la Nation Innue (Innu Nation) avaient lieu en Innu. Je devais me débrouiller.

J’ai été directrice ici en foresterie pendant neuf ans et je suis auteure sur le plan en aménagement forestier pour la région. Même si on avait un cadre de foresterie, l’approche de planification était plus une approche de planification territoriale. C’était une approche où on planifiait pour la conservation d’abord et ce qui restait était disponible pour la foresterie. On avait ce luxe ici parce qu’on n’a pas la présence de contrats d’approvisionnement et d’aménagement forestier (CAAF) ni de licences, qui ont des obligations particulières avec des compagnies comme au Québec. Ici, c’était ouvert et à développer, alors on a vraiment eu l’espace pour consolider les pratiques de conservation de façon beaucoup plus poussée par rapport aux possibilités qui existent dans les zones aménagées au Québec.

JG : Autrement dit, au Québec, la conservation arrive au second plan, après les besoins en foresterie ?

VC : Exact. Et si on pense aux mandats des départements ou des ministères, par exemple le Ministère de l’Énergie et des ressources naturelles (MERN), ils doivent développer au maximum la valeur de la ressource pour le bénéfice et le bien des Québécois et des Québécoises, tandis que le bureau de l’environnement qui s’occupe de la conservation a comme mandat de protéger les ressources pour la pérennité des populations. Ces mandats-là sont contradictoires et c’est difficile de gérer un territoire quand tu es dans cette situation. Ici, au Labrador, on a eu la chance de tout faire en même temps. Même le plan d’aménagement forestier est assujetti à une évaluation environnementale. On a eu la chance vraiment d’avoir une approche plus intégrée, mais c’est une rareté d’avoir cet espace de planification-là malheureusement.

JG : Dirais-tu que le cas du Labrador, c’est-à-dire cette possibilité de pouvoir envisager la conservation en amont du développement des ressources, est aussi exceptionnel à l’échelle du Canada ?

VC : Absolument, surtout dans une zone qui est considérée exploitable pour la foresterie. Normalement, toutes les zones qui sont exploitables ou productives au niveau de la foresterie sont déjà allouées. Il faut se rappeler que c’était la première industrie majeure qu’on avait au Canada et elle a même débuté chez nous. C’est le Saguenay-Lac-Saint-Jean qui a servi de modèle industriel en foresterie pour le Canada. C’est donc normal qu’il y ait une concentration de cette activité et de cette réalité dans l’est. Cela dit, c’est dans l’intérêt de l’industrie forestière d’être vue comme une industrie qui oeuvre à l’intérieur d’un effort plus large de conservation. Si on pense aux mouvements de certification en foresterie, la norme FSC par exemple, elle, promeut la conservation des valeurs. Elle a même une catégorie qui s’appelle « les forêts à haute valeur de conservation », qui est un de ses principes. C’est une foresterie qui, pour moi, respecte plus ou est plus apte à respecter nos valeurs et nos intentions pour le territoire. En tant que peuples autochtones, on a droit à l’autodétermination. Si on pense à la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, ce droit à l’autodétermination devrait se traduire par le choix du modèle économique qu’on veut pour nos territoires pour assurer notre pérennité en tant que Nation, et nous sommes véritablement des Nations.

JG : Malgré la déclaration des Nations Unies, il semble y a voir des défis qui se posent toujours. Nous avons l’impression que le droit à l’autodétermination, même s’il est reconnu, n’est pas toujours pleinement exercé.

VC : C’est drôle parce que le public et les médias semblent s’attacher au « pire » scénario qui pourrait arriver advenant que la relation entre les Autochtones et les allochtones soit encadrée par la déclaration, c’est-à-dire la mise en oeuvre d’un droit de véto. Mais la réalité, c’est qu’on devrait effectivement avoir le droit de dire non. Ce n’est pas une question de véto, c’est une question d’expression de la nationalité et de la responsabilité territoriale des peuples autochtones. La déclaration, la reconnaissance de la nationalité autochtone, ça crée aussi un contexte de relation qui est beaucoup plus favorable aux partenariats et à la prise en compte des valeurs de tout le monde, des aspirations de tout le monde. Le contexte actuel, où on n’a pas la protection de la déclaration, mène à des situations où il faut négocier. Et la négociation, on le sait, comme le disent souvent les négociateurs : « S’il n’y a personne de content, c’est une bonne négociation. » On devrait plutôt s’attendre à tous être contents et pour moi, c’est ce que la déclaration va permettre. Ça va permettre de créer un contexte de discussion et de partenariat où on peut vraiment explorer des modèles respectueux de nos valeurs, de nos aspirations, de nos intentions en tant que Nations.

JG : Je trouve ça intéressant que tu parles de relation parce que ce n’est pas là-dessus qu’on met l’accent quand on parle du « droit de véto », alors qu’au fond, l’idée derrière tout cela est d’établir de meilleures relations, à partir desquelles on pourra négocier ou bâtir quelque chose.

VC : Cette idée de bâtir des relations, c’est aussi relié à la façon de voir les choses, en tant que peuples autochtones, c’est à la base de notre science. J’ai eu de longues conversations avec David Suzuki sur la nature de la science autochtone versus la nature de la science occidentale. Puis il m’a fait remarquer quelque chose que je n’avais pas identifié si précisément, soit que la science occidentale s’oriente sur les objets et la description des objets tandis que la science autochtone s’oriente sur les relations entre les objets et sur l’interdépendance. C’est vraiment une science relationnelle. Et pour moi, c’est naturel que la déclaration soit aussi axée sur les relations. J’aimerais juste qu’on le voie tous comme ça.

Pour revenir à mon emploi au sein de la Nation Innue, au Labrador, une chose qui m’a vraiment marquée c’était le programme des gardiens. Innu Nation avait la plus grande troupe de gardiens au pays. Ils étaient dix-huit dans le temps et il y avait tout un système de formation et de responsabilisation des gardiens. Plus je travaillais avec eux, plus je réalisais leur potentiel et leur importance pour la Nation Innue, et plus je me disais : « Qu’est-ce qui arriverait si toutes les Nations au Canada avaient des gardiens ? » L’hypothèse que j’avais est que ça changerait complètement la nature de la conversation qu’on a sur le développement des ressources naturelles au Canada.

JG : Veux-tu nous expliquer ce qu’est un gardien ou une gardienne ?

VC : Un gardien du territoire, ce sont « nos yeux et nos oreilles » sur le territoire. Ce sont nos mocassins, nos mukluks. Ce sont les gens qui ont la responsabilité de prendre soin, de surveiller le territoire pour s’assurer que nos valeurs en tant que Nation autochtone sont protégées, et qu’on peut être nous-mêmes. Dans le cas de la Nation Innue par exemple, le caribou joue un rôle central dans la compréhension et l’utilisation du territoire. Les gardiens ont donc le souci du caribou. Les gardiens participent aussi à la prise de décision dans la communauté et la Nation, c’est-à-dire que ce n’est pas juste une question de rassemblement de données, mais il faut que ces données, les tendances, les constatations sur l’état du territoire nourrissent notre leadership, parce que c’est eux qui ont la responsabilité d’être nos représentants et nos leaders. C’est l’élément qui, pour moi, définit vraiment la différence entre un gardien et un surveillant. C’est le fait que le gardien contribue à la prise de décision de la communauté et de la Nation. Ici, au Labrador, il y a des gardiens pour Voisey’s Bay, qui est la plus grande mine de nickel au monde. Leur rôle est assuré par l’Entente sur les répercussions et les avantages depuis le début du projet et ils seront encore là à la toute fin.

Je dirais même que le rôle des gardiens a contribué à l’atteinte de l’acceptabilité sociale pour le projet à l’intérieur de la communauté. Souvent, l’absence de l’acceptabilité sociale est le résultat des inquiétudes sur les implications du projet, sur les risques encourus. Les membres de la Nation sont rassurés de savoir qu’il y a en tout temps deux gardiens sur place. Ce sont des gens qui sont vus comme des observateurs indépendants et ils assurent que le plan de la protection de l’environnement est appliqué et qu’il n’y a aucun, ou presque aucun risque par rapport à l’utilisation territoriale des Innus dans cette région-là. Et c’est un modèle qui, j’espère, va être appliqué ailleurs. Pour moi, chaque compagnie minière qui arrive devrait poser la question : « Où sont vos gardiens ? » Parce que c’est clairement dans l’avantage de la mine d’avoir cette présence, non seulement pour l’acceptabilité sociale, mais aussi pour des incidents particuliers. Comme à Voisey’s Bay, il y a eu un incident. Si les gardiens n’avaient pas été sur place, s’ils n’avaient pas été en patrouille, ce pipeline-là aurait continué à fuir et l’amende aurait été proportionnelle au déversement. Peu importe la nature du projet, s’il y a une implication environnementale, Innu Nation a la possibilité et la capacité de dédier des ressources pour s’assurer de minimiser les risques de ces activités-là.

Et c’est un modèle qui m’a menée à l’Initiative de leadership autochtone. On a commencé à bâtir l’équipe et, en 2013, on a fondé ILI (Indigenous Leadership Initiative), qui a, d’une certaine façon, remplacé l’Initiative boréale canadienne. Depuis ce temps-là, on est une vingtaine de leaders un peu partout au Canada. Ce sont des anciens premiers ministres, des anciens grands chefs. Notre mandat, c’est de renforcer la nationalité ou l’expression de la nationalité par rapport au territoire. Quand c’est une Nation autochtone qui occupe l’espace de leadership, en général elle protège plus de 60 % du territoire. Si on pense à la Nation Crie, par exemple, ils ont annoncé le mois dernier que 23 % de Eeyou Istchee serait dorénavant protégé sous forme d’aires protégées et ils ont déclaré avoir l’intention d’en faire plus.

JG : Les Cris ont un territoire conventionné et j’ai l’impression que ça change le rapport de pouvoir, non ? Je pense entre autres aux projets d’aires protégées qui n’ont pas été retenus pour atteindre la cible de protection de 17 % des milieux naturels pour 2020, notamment le projet des Innus de Pessamit autour du réservoir Pipmuacan. Ça semble inégal de ce côté également.

VC : En tant que femme Ilnu, je te le confirme, c’est absolument inégal, il y a une iniquité. Et j’ai vraiment espoir que le gouvernement du Québec voie l’intérêt d’avoir un dialogue avec la Nation Innue, parce que c’est une nation qui est quand même très ancrée dans le territoire. On sait qui on est, on a encore notre langue, on a encore nos valeurs et on ne peut qu’enrichir le peuple québécois si on s’inscrit dans une logique de partenariat plutôt que dans une logique où chacun reste de son côté de la table.

JG : Parlant de discussion autour de la table, il est abondamment question, depuis une quinzaine d’années, de consultations avec les peuples autochtones dans le cadre de projets d’exploitation. Mais lorsque les projets de développement sont déjà en marche avant même qu’une discussion ait eu lieu, cela laisse peu d’espace, me semble-t-il, pour véritablement mettre en oeuvre les principes de gardiennage. Devrions-nous aller au-delà de la consultation ? Comment établir cette logique de partenariat ?

VC : Les consultations sont souvent perçues de la façon suivante : « On va leur demander, mais finalement, on va faire ce qu’on veut. » Ça crée des problèmes, c’est ça qui crée des conflits. C’est là qu’on a des manifestations, qu’on a des organisations communautaires qui se mettent en place pour défendre les droits. Quand on a un dialogue continu, on peut éviter ce genre de situation-là et éviter aussi des problèmes au niveau de la responsabilité environnementale de la province. Même le gouvernement canadien n’est pas équipé pour faire le travail que font les gardiens en cas d’incidents sur certains sites d’exploitation. Pensons par exemple à la rivière Moisie (Mishta shipu), où il y a eu des conflits au niveau de la pêche au saumon, en raison de l’octroi de permis qui excluaient les Innus et qui contraignaient l’exercice de leurs droits ancestraux. La présence de gardiens peut contribuer à créer des ponts entre les pêcheurs innus et les pêcheurs non autochtones qui sont sur place, et à créer des systèmes où on peut tous pêcher ensemble. Selon moi, la profession de gardien devrait être établie et reconnue, et il devrait y avoir des gardiens partout. Même ici à Goose Bay, quand la foresterie a débuté, l’opérateur local, qui est un non autochtone de la région, disait : « Je n’ai pas le temps d’arrêter ma machine parce que vous vous inquiétez pour une plante. » Ce qu’on faisait, ce n’était pas protéger la plante, mais protéger la région et les zones humides. À un moment donné, l’opérateur s’est aperçu que s’il écoutait les gardiens innus, il sauvait de l’argent parce que ses opérations étaient beaucoup plus efficaces. Au départ, il disait : « On n’a pas besoin d’eux, ça va être du trouble. C’est bien trop de contraintes, ça va me coûter de l’argent. » C’est ce que j’entrevois comme dynamique pour toutes les régions. Chez nous, à Mashteuiatsh, on a des belles occasions de participer au développement régional ensemble. Il y a des choses qu’on peut faire et si on travaille en partenariat, tout le monde peut en bénéficier.

JG : Tout à l’heure, tu faisais la comparaison entre la science autochtone et la science occidentale ou non autochtone. Il y a peut-être aussi un manque de compréhension au niveau de ce que la science autochtone peut apporter ou sur la manière dont l’environnement est compris, interprété et aménagé en contextes autochtones ?

VC : Je vais te donner un exemple concret : le caribou. La science qui est mobilisée par les gouvernements pour le caribou est basée sur l’utilisation des colliers pour évaluer le déplacement des troupeaux. C’est l’outil de gestion le plus important. Les premiers colliers ont été installés sur des caribous au Canada en 1982, ici au Labrador, ce qui veut dire que ça fait autour de quarante ans qu’ils ont des données sur la façon dont le caribou se développe. Le cycle de population d’un troupeau de caribous migratoires, c’est entre 70 et 90 ans. La science occidentale n’a donc pas un portrait complet d’un cycle de la population du caribou. Dans ma Nation, la Nation Innue, ça fait 10 000 ans qu’on dépend du caribou pour notre survie. Ça fait 10 000 ans qu’on l’observe, qu’on vit avec, qu’on risque notre vie pour cette relation-là. On a sûrement quelque chose à offrir sur la gestion du caribou. On connait les cycles, on était là. On a vécu la famine avec les déclins. On a vécu l’abondance aussi. Et on a un intérêt fondamental envers la survie du caribou. C’est notre survie. Nos aînés disent : « S’il n’y a plus de caribous, il n’y a plus d’Innus. » Pourquoi donc ne pas nous impliquer dans la gestion de cet animal-là ? Ce serait bénéfique pour tout le monde.

JG : Les principes de gardiennage, c’est aussi une façon de mettre de l’avant les savoirs autochtones et la manière de construire la connaissance, qui ont toujours été mis de côté et marginalisés dans la gestion du territoire. À l’heure actuelle, quels sont les principaux défis qui se posent pour mettre en oeuvre ces principes ?

VC : Premièrement, je pense qu’on devrait avoir une conversation sérieuse en tant que nation canadienne, nation québécoise, Nation Innue, sur le modèle économique qu’on veut pour notre futur. On est riches en ressources en tant que pays, mais on a aussi une responsabilité. 80 % de la biodiversité actuelle se répartit dans cinq pays que sont le Brésil, les États-Unis, le Canada, la Russie et l’Australie. Le Canada a la forêt intacte la plus importante au monde. C’est le type d’écosystème terrestre qui capte le plus de carbone de tous les écosystèmes terrestres au monde. On a une responsabilité globale de protéger ces ressources-là. Les gens en Allemagne respirent parce que la forêt boréale respire. On doit donc prendre cette responsabilité sérieusement, mais on doit aussi travailler sur la reconnaissance de cette responsabilité-là. Le territoire qui capte le plus de carbone à l’intérieur de la forêt boréale, c’est ce qu’on appelle les terres basses de la Baie James et de la Baie d’Hudson. C’est tout le territoire qui fait le tour de la Baie James et de la Baie d’Hudson, c’est quasiment toutes des tourbières. C’est vraiment comme une géante tourbière. C’est aussi, surtout sur le côté ouest de la Baie, là où les communautés autochtones les plus marginalisées sont localisées. La forêt est belle, elle est en santé, c’est une valeur globale, mais les gens qui sont là ont les pires conditions de vie dans tout le pays. Si on pense à Neskantaga, qui est la communauté qui a l’ordre de faire bouillir son eau depuis plus de vingt ans, elle est là. Attawapiskat, c’est là. On doit faire quelque chose, on doit reconnaître que leur intendance a une importance globale et qu’on a tout intérêt à ce que leur mode de vie continue. Et donc on devrait investir dans leurs infrastructures, dans leur niveau de vie. Et pour moi, ça passe par l’investissement dans les gardiens.

JG : Le lien apparait effectivement clair entre la justice sociale et la protection de l’environnement.

VC : Tout à fait. Et si l’on pense aux cibles internationales, les engagements qu’on a pris en tant que pays, c’est impossible d’y arriver sans partenariats avec les Autochtones. Récemment, Justin Trudeau parlait du High Ambition Coalition, qui nécessite la protection d’un territoire plus grand que la province du Manitoba. Or les territoires qui sont intacts ou qui contiennent encore des éléments de la biodiversité, des grands troupeaux qui font leur migration, des populations d’oiseaux, des lacs clairs, ce sont tous des territoires autochtones. 80 % de la biodiversité restante au Canada est localisée sur des territoires autochtones.

Et quand je parle de l’occasion de pouvoir développer notre propre modèle économique, ce que j’entends, c’est que le modèle axé sur l’exploitation est un modèle désuet. Les gardiens, les aires protégées autochtones, et cette approche plus équilibrée et responsable envers le territoire, pour moi, c’est la base d’une nouvelle économie, d’une économie basée sur la conservation, d’une économie qui, à court terme, ne rapporte peut-être pas les mêmes redevances, mais qui, à long terme, va vraiment assurer notre pérennité. On a beaucoup développé à ce niveau-là. Si on pense au Nord québécois, il y a tellement de potentiel touristique qui n’est pas développé dans cette région-là. Il y a tellement de choses qu’on peut recommencer à valoriser en tant que peuple québécois. C’est important pour les gens de Montréal que la Baie James soit intacte. L’eau, l’électricité, on l’a vu pendant les grosses canicules ou les pannes de courant qu’on a eues avec le verglas, l’importance de ces réseaux-là, et l’importance du Nord. Mon rêve, c’est que les gens qui ont la chance de vivre dans une zone urbaine réalisent que c’est grâce à la présence du Nord que le mode de vie urbain qu’on prise, la métropole, est possible.

JG : Il faut en quelque sorte développer une nouvelle conscience territoriale, prendre vraiment conscience de ces interrelations. Le territoire de la ville existe parce qu’il y a d’autres territoires ailleurs qui le nourrissent.

VC : C’est même plus fondamental que ça. S’il n’y avait pas de Québec, il n’y aurait pas de Québécois, et s’il n’y avait pas de Québécois, il n’y aurait pas d’économie québécoise. L’illusion du développement durable qui place tous les éléments sur un pied d’égalité, c’est faux. La réalité c’est que ce qu’on devrait priser d’abord, c’est le territoire. Et ça, ça changerait complètement notre façon de l’aménager.

JG : Ça nous ramène à la question de la relation, de l’égalité entre les parties. Je doute qu’on puisse parler de relation égalitaire si l’un des groupes assis à la table de discussion doit faire bouillir son eau avant de la consommer.

VC : Effectivement, et ce n’est pas tout le monde qui est familier avec les réalités des communautés autochtones. Je me suis déjà assise à la table de négociation avec les représentants d’une minière. C’était tous des ingénieurs. Ils avaient l’air bien reposés, bien nourris. Ils avaient toutes les conditions nécessaires pour performer et ils étaient très préparés pour la négociation. Je regardais du côté de ma Nation et je savais que le grand chef avait dû jongler avec un enjeu de suicide la veille et qu’il avait eu peut-être trois heures de sommeil. De l’extérieur, on pourrait penser qu’il y a égalité dans la négociation et que si les Autochtones n’obtiennent pas gain de cause, c’est leur faute. Mais la réalité, c’est qu’il y a toujours du chemin à faire du côté des Autochtones pour obtenir les leviers de négociation nécessaires. C’est ça, la réalité de la négociation aujourd’hui. C’est la réalité de la loi sur les Indiens, qui existe toujours. C’est la réalité de la politique fédérale sur les revendications territoriales. Et c’est pour cette raison que l’Initiative de Leadership Autochtone travaille à renforcer la nationalité. Plus les Nations sont fortes et peuvent exprimer leur nationalité, mieux placées elles sont pour ces négociations-là.

JG : Je suis contente que tu abordes la politique sur les revendications territoriales. Est-ce que selon toi les gardiens ont un rôle à jouer dans ce processus qui, admettons-le, est souvent parsemé d’embûches ? Il y a des Nations qui abandonnent même. Est-ce que les aires protégées autochtones et une présence accrue des gardiens sur le territoire pourraient constituer une autre avenue vers l’autodétermination, ouvrir de nouvelles portes à cet égard ?

VC : J’ai quarante-deux ans et ma Nation négocie depuis que je suis née. Je vois ces initiatives plutôt comme une porte « intérimaire », parce que oui, d’une certaine façon, l’établissement des aires protégées autochtones ou d’un processus de planification territoriale, c’est en quelque sorte une augmentation de l’autorité autochtone sur le territoire. Et c’est ce qu’on cherche dans la revendication territoriale, c’est d’avoir une certaine autorité sur notre territoire et sur nos institutions, sur nos politiques, sur nos droits, sur nos gouvernements. C’est donc effectivement un pas de plus dans cette direction, mais dans tous les cas, les Nations doivent déterminer pour elles-mêmes quelle est la meilleure stratégie. Selon mon expérience, les Nations qui ont les moyens financiers d’emprunter la voie juridique peuvent quand même réaliser de bonnes avancées. Si on pense à la Nation Crie par exemple, qui a été la première à signer un traité moderne (la Convention de la Baie James et du Nord québécois), cette convention a été rouverte plusieurs fois pour être renégociée, pour être redéfinie selon les contextes. J’admire le pouvoir de la Nation Crie de défendre ses droits et au moment venu, d’aller en Cour et de créer ses propres leviers. Elle a aussi été très stratégique. Quand le gouvernement québécois s’était donné comme priorité le Plan Nord, ça a été une occasion pour le Grand Conseil des Cris de renégocier des conditions et c’est ce qui a mené justement à la nouvelle entente de gouvernance, à la création de la nouvelle municipalité Eeyou Istchee et Baie James, qui a rehaussé l’autorité territoriale de la Nation Crie. Selon moi, les Nations doivent vraiment considérer tous les outils qui s’offrent à elles et les utiliser au moment opportun. Au sein de ma Nation, on a une approche mixte : ma communauté est en négociation, tandis que d’autres ont opté davantage pour une approche judiciaire. Et j’espère, je rêve du jour où on commencera à agir davantage comme une seule Nation. Même si j’ai beaucoup d’amour pour ma communauté, je trouve qu’on est plus forts en tant que Nation qu’en tant que communauté.

JG : Quelle est la réalité actuellement des aires protégées autochtones à l’échelle du Canada ? Et qu’est-ce que cela implique exactement au niveau de l’autorité territoriale quand il y a une aire protégée qui est établie ?

VC : Le modèle d’aire protégée autochtone, ce n’est pas nouveau. Je considère par exemple que le parc national de Gwaii Haanas, c’est une aire protégée autochtone, car c’est un processus qui a été mené par les Haida dès le début. Dans l’entente de Gwaii Haanas, il est dit que la Nation Haida, sous son autorité déléguée par le créateur, détient le pouvoir décisionnel sur les îles Haida Gwaii, alors que le Canada, selon la Proclamation royale, a également l’autorité. Maintenant que c’est établi, voici ce qu’on peut faire ensemble. C’est un modèle qui est très intéressant, car c’est justement ce que les aires protégées autochtones sont. Normalement, il s’agit d’une zone assujettie aux lois autochtones à des fins de conservation, mais les gouvernements ont la possibilité de répliquer avec leurs propres politiques et leur modèle. Si on s’en tient au contexte plus moderne, la première aire protégée autochtone officielle c’était Edéhzhíe, qui se trouve chez les Dehcho, dans les Territoires du Nord-Ouest. Au moment de sa création, l’Assemblée Générale de la Nation Dehcho a déclaré que Edéhzhíe était une aire protégée selon leurs lois, leurs raisons. Et le gouvernement du Canada a répliqué pour désigner cette zone-là comme une National Wildlife Area. Dorénavant, c’est une aire protégée qui est reconnue par tout le monde. Thaidene Nëné en est une autre. C’est un parc national qui a été créé dans le Bras Est du Grand lac des Esclaves et ça a été d’abord déclaré sous la loi de la communauté de Lutsel K’e et c’est Parcs Canada qui a répliqué pour créer une zone fédérale. Il y a aussi le modèle des parcs tribaux qui existe. On peut penser notamment à Meares Island, ou même au parc tribal qui a été créé par les Tsilhqot’in en Colombie-Britannique, ce sont d’autres exemples. Dans le fond, ce qui définit une aire protégée autochtone, c’est le leadership autochtone. C’est proposé et développé dans l’optique de rencontrer nos obligations culturelles, nos responsabilités culturelles, et de pouvoir être qui on est sur le territoire. Pour l’instant, il y en a un peu plus de vingt-cinq qui sont en processus d’établissement. Les modèles varient selon l’utilisation territoriale. La communauté de Sayisis Dene ou Tadule Lake au Manitoba propose une aire protégée pour tout le bassin versant de la Rivière Seal. Ce serait la plus grande aire protégée au Canada s’ils réussissaient. Il y en a d’autres qui sont plus petites parce que c’est dans une vallée des Rocheuses, par exemple. Donc ça dépend de l’utilisation territoriale, ça dépend de la définition de la responsabilité culturelle, mais il s’agit dans tous les cas de l’expression d’une approche autochtone de l’aménagement territorial. Nous (l’Initiative de Leadership Autochtone), on est partenaires avec la majorité des aires. Non seulement on les finance, mais on offre aussi notre expertise, que ce soit une expertise technique (comment créer une aire protégée), ou une expertise politique (comment négocier une aire protégée).

JG : Nous savons qu’il y a de nombreux territoires autochtones sur lesquels se déploient de multiples activités industrielles, et qui ont subi plusieurs phases d’accaparement foncier. Est-ce qu’il y a des initiatives d’aires protégées sur de tels territoires ? Souvent on imagine les aires protégées comme des environnements « intacts », mais ce n’est pas la réalité de tous les territoires autochtones.

VC : Effectivement, il y a aussi des aires protégées en zones industrielles. C’est certain que la tendance est de protéger ce qui est intact, mais il y a des communautés pour qui ce n’est pas possible, car l’empreinte industrielle est trop importante. Il y a donc des projets qui ont davantage pour but de restaurer les environnements. Sachant que le gouvernement du Canada souhaite planter plus de deux millions d’arbres pour capter le carbone dans sa lutte contre les changements climatiques, quelle occasion incroyable de réconciliation il s’agirait si c’était les gardiens qui plantaient ces arbres-là, qui participaient à la restauration de leur territoire. Pour moi, ce serait le plus bel acte de réconciliation parce que ça aurait directement rapport au territoire et qu’il s’agirait donc d’un acte de reconnaissance de notre identité. Je souhaite que ce soient les gardiens qui plantent ces arbres-là et qui décident de l’aménagement du territoire, un aménagement basé non pas sur une plantation qui a comme but de nourrir nos usines, mais sur une plantation qui a comme but de restaurer les processus et la santé de nos écosystèmes.

JG : Ce que tu viens de dire donne vraiment un sens au mot réconciliation, qui est parfois galvaudé.

VC : La réconciliation avec le territoire, pour nous, c’est fondamental, c’est la première chose qu’on veut, mais aussi une réconciliation entre nous. Si les gardiens sont sur le territoire, cela crée des occasions de conversation. J’ai vu les gardiens qui patrouillent là où il y a des chasseurs de caribou par exemple. À un moment donné ils deviennent amis, puis là, il y a réconciliation, c’est une réconciliation individuelle. Puis, pour moi, c’est la meilleure chance pour monsieur et madame tout le monde de créer des relations. Ce n’est pas en lisant des documents qui sortent du centre de réconciliation à Winnipeg que monsieur et madame tout le monde vont vraiment pouvoir se retrouver là-dedans. C’est à travers des conversations entre des propriétaires de chalets et des gestionnaires fauniques, par exemple. Quand je vois des politiciens, c’est ce que je leur conseille : « Oui, faites les institutions, les rapports, tout cela est important, mais assurez-vous aussi que sur le terrain, on puisse se parler. »

JG : Tout passe par le territoire finalement. C’est LE vecteur de dialogue.

VC : Oui, mais ce n’est pas seulement pour les peuples autochtones. Si on pense à l’identité québécoise, « mon pays c’est l’hiver »[1], c’est un rapport au territoire. Les images du fermier avec son cheval, ce sont des images du territoire. La famille de ma mère est québécoise, ils viennent de la région de la Mauricie. Ce sont des fermiers, des marchands, des gens qui aiment le territoire aussi. Et on a vraiment beaucoup de valeurs communes. Si on pouvait s’orienter sur ce qu’on a de commun plutôt que sur ce qui nous différencie, on serait bien mieux placés.

JG : Il y a une autre chose que je voulais aborder avec toi en terminant. Tu t’es présentée au tout début comme ishkueu, qui veut dire femme en Innu-aimun. J’aimerais t’entendre sur le rôle des femmes autochtones dans tout ce mouvement de conservation et de protection du territoire, sachant qu’elles sont souvent des piliers pour la transmission.

VC : Les femmes jouent un rôle important dans notre gouvernance traditionnelle. Nous avions des rôles très définis pour les hommes et les femmes, mais ce n’était pas des rôles hiérarchiques. Même si le peuple innu est effectivement un peuple qui était patriarcal, les femmes étaient respectées. On avait un rôle dans la discussion et dans la prise de décisions. C’est nous qui menions le campement, c’est nous qui menions la chasse au petit gibier, c’est nous qui nous assurions de la continuité de nos Nations. Et cette réalité-là est exprimée de plus en plus par les femmes. Ce que je trouve intéressant dans les programmes des gardiens c’est que souvent, les gardiens, ce sont des hommes, mais les coordonnatrices des programmes sont des femmes en général. En tant que femmes, on est habituées de gérer des choses. De plus en plus, il y a des femmes qui sont gardiennes aussi.

Dans le passé, avant la colonisation, on définissait ce qu’était un homme bon, un homme qui était bon chasseur, qui pouvait produire pour sa famille, s’assurer de la survie de sa famille, les protéger. La définition d’une femme bonne c’était quelqu’un qui était capable de faire une bonne banique [pain traditionnel innu], de prendre soin de sa tente, de s’assurer du maintien des relations, de l’éducation des enfants, etc. Aujourd’hui, il faut redéfinir ces rôles et pour moi, les gardiens c’est justement ça, c’est la redéfinition de ce qu’est un homme bon et une femme bonne, toujours en lien avec le territoire. Si on pense à l’Initiative de Leadership Autochtone, il y a aussi beaucoup de femmes : Ethel Blondin-Andrew, la première femme autochtone élue au parlement canadien, Michèle Audette, ancienne commissaire sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, Norma Kassi, qui a longtemps été à la tête de la bataille pour protéger le troupeau de caribous de Porcupine, Bev Sellars, qui est reconnue comme auteure et a gagné plusieurs prix. Ce sont elles mes leaders, des femmes fortes qui soutiennent qu’on a un rôle à jouer pour la protection du territoire, et qui sont en train de reprendre ce rôle-là et de réoccuper ce leadership-là. Ça m’énergise de penser aux possibilités que les femmes autochtones futures auront pour s’épanouir. J’ai hâte.