Corps de l’article

Depuis les quinze dernières années, les revendications d’identité métisse ont fleuri parmi les personnes descendant des premiers colons français, en Ontario, au Québec, en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick, y compris par le biais de la création de près de cinquante organisations dites « métisses ». En fait, des dizaines de milliers d’individus ont émergé au cours de la dernière demi-génération pour revendiquer une identité autochtone en tant que « Métis » basée sur une ascendance autochtone infime remontant au début du xviie siècle. Bien qu’il y ait eu certaines réclamations d’individus s’identifiant comme « métis » dans cette région avant 2003, comme dans un certain nombre d’organisations provinciales représentant des Métis et des Autochtones non inscrits ou hors réserve dans les années 1970 et 1980, il ne s’agissait pas de revendications pour un peuple métis distinct détenteur de droits autochtones, mais plutôt de revendications concernant une identité métissée (voir l’encadré « Les termes “métis” et “Indiens [sans statut]” »). C’est l’arrêt R. c. Powley de la Cour suprême du Canada en septembre 2003 qui a effectivement mis le vent dans les voiles du mouvement « métis » dans cette région. Dans l’arrêt Powley, la Cour suprême reconnaît pour la première fois des droits de récolte aux Métis sous l’article 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. La Cour fournit également un cadre constitutionnel pour déterminer l’appartenance à une communauté métisse dans la forme d’un test en dix parties, connu sous le nom de « test Powley ». Quoique la décision de la Cour suprême aille à l’encontre des critères de citoyenneté adoptés par la Nation métisse en 2002, elle clarifie néanmoins qu’une simple ascendance autochtone ne répond pas aux critères juridiques.

La branche académique du mouvement des « Métis de l’Est »

Les possibilités politiques et juridiques qu’ont apportées l’arrêt Powley ont mené à une hausse bien documentée de revendications pour un peuple « métis » distinct dans les provinces de l’Est et ont également conduit au développement d’une nouvelle littérature savante, principalement en langue française, prônant la présence de « Métis de l’Est » détenteurs de droits autochtones constitutionnels. Sur ce point, l’anthropologue Emmanuel Michaux (2014) résume succinctement l’importance de l’arrêt Powley dans l’augmentation du nombre d’individus s’identifiant comme « Métis » et du fait même le développement des études sur les « Métis de l’Est » :

[L’arrêt Powley] a conduit à une forte augmentation du nombre de personnes s’identifiant comme Métis […] et en même temps a favorisé le développement des études sur les Métis au Canada, en particulier dans l’Est. Il a suscité l’espoir et la prise de conscience de la légitimité d’affirmer une certaine autonomie culturelle en tant que Métis, ainsi que la curiosité et l’intérêt des chercheurs

44 ; voir aussi Gélinas 2011 : 9 ; Michaux et Gagnon 2012 : 202 ; Rousseau 2012 : 25 ; Gagnon 2019 : 39

Bien qu’une partie de ce que j’appelle les « études sur les Métis de l’Est » réfute activement l’existence d’un peuple métis distinct dans les provinces de l’Est (Charest 2003, 2009 ; Rousseau 2012 ; Cook 2016 ; O’Toole 2017, 2020), la majorité des ouvrages scientifiques publiés dans ce sous-domaine tentent de réviser l’historiographie sur la question de l’existence des « Métis de l’Est » (Rivard 2004, 2017a, 2017b ; Gagnon 2006, 2008, 2011 ; Huot 2010 ; Tremblay 2012 ; Malette 2014 ; Michaux 2014 ; Marcotte 2015 ; Pelta 2015 ; Malette et Marcotte 2017, 2019 ; Papen 2017 ; Bouchard, Malette et Marcotte 2019).

Afin de comprendre les arguments intellectuels en faveur des soi-disant Métis de l’Est, je passe en revue une série d’articles de périodiques, de chapitres de livres et de thèses de doctorat sur le sujet, et tout au long de cet article je mets ce matériel en conversation avec des universitaires métis et/ou en études autochtones pour illustrer certaines des lacunes de ce sous-domaine universitaire émergent. J’ai donc divisé l’article en deux grands thèmes qui émergent de la revue de littérature à ce sujet. Le premier thème mise sur une vision historique qui tente de réécrire l’histoire des origines de la Nation métisse. Le deuxième thème se concentre sur la façon dont ce sous-domaine se tourne vers des préoccupations nationalistes dominantes, telles que les enjeux linguistiques et/ou la division politique français-anglais.

Les néo-métis : s'inventer un nouveau peuple

L’ethnogenèse métisse réinventée

Lors de la première revue de ce corpus de littérature, j’ai été frappé par l’effort déployé dans la réécriture de l’histoire. Naturellement, si l’on veut plaider en faveur de l’existence de soi-disant Métis de l’Est et dire qu’il existe peu ou pas d’histoire documentée sur une telle communauté, alors il faut créer quelque chose de nouveau. Selon les récits fondateurs de ce sous-domaine, l’ethnogenèse de la Nation métisse ne se situe pas dans les environs de la vallée de la rivière Rouge au début du xixe siècle, mais plutôt dans la Nouvelle-France du xviie siècle.

D’après mes recherches, le géographe Étienne Rivard serait le premier universitaire à avoir discuté en profondeur de cette idée après l’arrêt Powley. La thèse de doctorat de Rivard (2004) cite le passage suivant du site web de la Nation Métis Québec (NMQ) pour soutenir cette réécriture de l’Histoire :

Il ne faudrait jamais oublier que l’histoire des revendications des Métis du Bas Canada, au Québec, au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse, au Labrador et à l’île du Prince Édouard a établi la forme de pensée et a soutenu la philosophie politique Métis de la région des provinces des prairies à laquelle adhéraient déjà les familles Métis au Québec tel la famille Riel, la famille Dumont, la famille Morin, la Famille Bohnet, la famille Desmeules, la famille Rivard et bien d’autres pour ne pas tous les nommés [sic]. Le départ du Bas Canada de ces familles déjà imprégnées de leur identité Métis pour la terre promise de la Nation Métis orchestré par Louis Riel, était la promesse d’un territoire accessible aux Métis, loin de l’emprise et des contraintes politiques que tout [sic] les Métis vivaient dans le Bas Canada.

2004 : 205

Ce passage a toutes les caractéristiques de la thèse d’ethnogenèse des « Métis de l’Est » : premièrement, il suggère qu’une communauté « métisse » existait dans l’Est (ayant une forme de pensée et une philosophie politique) avant les événements dans les Prairies ; deuxièmement, il soutient que des familles ont migré vers les Prairies en tant que Métis ; et troisièmement, il établit des liens symboliques entre certaines de ces familles et les principaux leaders politiques métis (p. ex., Louis Riel, Gabriel Dumont). Rivard n’est pas le seul à s’appuyer sur les propos d’un tiers intéressé comme preuve des revendications identitaires des « Métis de l’Est ». Dans le même sens, Emmanuel Michaux (2014) et Anne Pelta (2015) interprètent dans leurs recherches de doctorat les déclarations de leurs informateurs au sujet de leur nouvelle identité autochtone comme une question de fait, bien qu’ils reconnaissent que bon nombre d’entre eux avaient peu ou pas de connaissances sur leurs origines autochtones. Dans un exemple plus récent, Sébastien Malette et Guillaume Marcotte (2017) se fient à un document inédit fourni par un informateur, document qu’ils appellent un témoignage oral, pour inventer une relation de parenté entre une femme sauteuse vivant en Outaouais à la fin du xixe siècle et Louis Riel (ibid. : 46). Ils utilisent ce document tout en admettant à plusieurs reprises qu’il contredit des faits historiques vérifiables. Preuve supplémentaire du manque de rigueur académique dans ce sous-domaine, Malette et Marcotte expliquent qu’« il est quasiment impossible de prouver ou de réfuter un lien biologique » entre cette femme et Louis Riel (ibid. : 48), affirmation surprenante étant donné que leur travail est basé sur ce même lien improuvable. Dans une analyse critique de ce même article, Darren O’Toole (2020) illustre à travers des preuves documentaires (dans ce cas, les écrits de Louis Riel lui-même) que les efforts de Malette et Marcotte échouent de façon indéniable. Parfois, comme l’explique O’Toole, la recherche dans les études sur les Métis de l’Est « recourt à la tactique de la théorie du complot consistant à renverser le fardeau de la preuve » (ibid. : 89). Sans aucun doute, O’Toole illustre l’une des principales limites du sous-domaine : ses auteurs semblent tellement enthousiasmés par leur découverte de nouvelles « preuves » qu’ils aboutissent à des conclusions qui ne sont pas étayées par une preuve documentaire plus large[1].

Par conséquent, ce qui constitue trop souvent une preuve dans ce sous-domaine consiste en fait en des affirmations soutenues par des dirigeants organisationnels et/ou des « Métis » auto-déclarés. À bien des égards, l’existence des « Métis de l’Est » est une question de croyance, car elle repose sur un mélange de confiance et de conviction. Notamment, les travaux beaucoup plus récents de Rivard (2017b) réitèrent la même déclaration de la NMQ comme preuve de l’existence des « Métis de l’Est » (ibid. : 330), bien que cette dernière s’oppose farouchement au virage récent et généralisé vers une identité « métisse » au Québec que Rivard semble soutenir[2]. Claude Aubin (2010), fondateur et éventuel « sénateur » de l’organisation, explique sa critique :

[Les Premiers peuples] du Québec, ceux qui ont toujours maintenu et fait valoir leur identité autochtone distincte depuis longtemps se font royalement bousculer, bafouer par des Québécois ou des Canadiens français qui se sont auto-identifiés comme étant des autochtones et qui ont joint depuis l’arrêt Powley de 2005 [sic] une brochette d’organisations et de communautés virtuelles qui prétendent être autochtones ou Métis et qui proclament que les trois-quarts de la population du Québec [près de six millions de Québécois] ont le droit de s’auto-identifier Métis à cause d’une certaine métissité sanguine avec les Premières Nations.

Il est particulièrement remarquable de mettre en avant la relation hostile de la NMQ avec les organisations post-Powley, car elle est la seule organisation dite métisse au Québec qui s’oppose ouvertement à ces revendications plus récentes. Aubin (2010) continue :

Faut aussi lire pour voir comment ces Québécois métissés ou Métis canadiens-français se sont vite adaptés à une espèce de définition autochtone globale qui leur a permis de s’auto-identifier autochtones sans pour autant être reconnus par les autochtones depuis belle lurette. […] Le mouvement Métis est devenu un vrai zoo culturel et spirituel au Québec et la grande risée des Premières Nations.

La critique de la NMQ place l’effacement des Premiers peuples au centre des débats sur les « Métis de l’Est ». Pourtant, la NMQ fait la promotion de la thèse de l’ethnogenèse des « Métis de l’Est » depuis une vingtaine d’années maintenant et a donc fourni la base intellectuelle pour le développement du même environnement post-Powley qu’elle dénonce.

Dans les années qui suivirent immédiatement la thèse de doctorat de Rivard, le chercheur le plus éminent qui défendit la thèse de l’ethnogenèse des « Métis de l’Est » fut l’anthropologue Denis Gagnon. À la suite de quelques articles qu’il a publiés sur le sujet avant 2010, plusieurs de ses anciens étudiants diplômés publient des documents scientifiques à l’appui de cette thèse. À ce titre, Gagnon est le plus souvent cité comme la source scientifique définitive du récit de l’ethnogenèse des « Métis de l’Est », car ses partisans s’appuient largement sur des pratiques d’autocitation qui excluent presque systématiquement les chercheurs autochtones. Bien qu’il soit juste de supposer que le manque d’engagement avec la littérature sur les Métis en anglais pourrait être dû à une barrière linguistique, tous les auteurs mentionnés auparavant interagissent avec d’autres documents en anglais. L’un des fils conducteurs les plus courants de la littérature en question est le manque presque complet d’engagement avec les chercheurs autochtones. La déclaration suivante de Gagnon (2008) est emblématique de ce corpus de littérature et suit deux des éléments narratifs identifiés plus tôt (stipulant que les Métis auraient d’abord existé dans l’Est avant d’émigrer vers l’Ouest et fonder la Nation métisse) :

Le métissage entre les colons européens et les femmes amérindiennes et inuites débute dans l’Est du continent dès le xviie siècle et probablement avant. Une partie des individus métissés vont s’identifier comme Métis et peupler les territoires aux marges de l’État officiel (Gaspésie, Abitibi, Saguenay, Labrador, Maritimes). Certains vont s’assimiler aux Canadiens français ou anglais et d’autres aux populations amérindiennes ou inuites. Le développement de la traite des fourrures va encourager la migration de plusieurs individus, dont certains sont déjà Métis, vers les Grands-Lacs et dans l’ouest du continent, où ils vont former une nation distincte dans ce qui est alors appelé Terre de Rupert.

ibid. : 300

Premièrement, Gagnon affirme que les « Métis de l’Est » existaient dès les années 1600 (et « probablement avant ») ; deuxièmement, il confond les processus coloniaux dans des régions disparates, étant donné que le métissage entre Européens et peuples autochtones du Labrador s’est produit deux cents ans plus tard qu’en Nouvelle-Écosse (Mi’kma’ki ou Acadie) ; et finalement, Gagnon prétend que des individus se seraient auto-identifiés comme Métis au xviie et/ou au xviiie siècle. Il affirme ces « faits » historiques bien qu’il ne fournisse aucune preuve empirique historique dans ses travaux sur le sujet.

Quel que soit l’argument sur les origines géographiques des Métis dans la thèse de l’ethnogenèse des « Métis de l’Est », une constante est que des individus métissés nés d’unions franco-autochtones durant la période de la Nouvelle-France formaient des communautés « métisses » distinctes qui voyageaient déjà vers l’Ouest en tant que Métis. Dans ces versions de l’histoire, il y a peu de place pour les contributions des Cris, des Saulteaux, des Assiniboines ou même des Dénés à l’ethnogenèse de la Nation métisse, ce qui va à l’encontre des travaux universitaires sur les Métis (Macdougall 2006 et 2011 ; Andersen 2008, 2014 ; Adese 2014), et, plus important encore, des revendications des Métis fondées sur leur autodétermination en tant que peuple autochtone. De plus, les femmes cries, sauteuses, assiniboines et dénées qui sont à la base de l’autochtonicité métisse se voient effacées au profit de la mise en valeur du rôle singulier des hommes québécois/canadiens-français dans la thèse de l’ethnogenèse des « Métis de l’Est ». Nous traiterons plus loin de l’enjeu du genre dans les travaux universitaires appuyant l’existence d’un peuple « Métis de l’Est » distinct.

Dans un effort parallèle pour territorialiser les « Métis de l’Est », le politologue Sébastien Malette, qui a été à la fois universitaire et lobbyiste pour divers organismes « métis de l’Est » (dont deux organismes métis auto-identifiés : la Voyageur Métis Nation basée à Windsor en Ontario et la Fédération des Métis du Canada, basée à Maniwaki au Québec), va jusqu’à réinventer l’ensemble du Québec actuel comme territoire métis. L’extrait suivant met en évidence plusieurs de ses principaux arguments :

Comment en sommes-nous venus à disloquer les identités métisse et québécoise au point que certains les voient maintenant comme mutuellement exclusives ? Pourquoi un Québécois ne pourrait-il pas se concevoir comme Métis et Québécois, lui qui baigne pourtant dans une société historiquement métissée et porteuse d’une culture distincte de par ce fait ? […] Selon ce jugement [l’arrêt Paquette], un individu peut revendiquer des droits autochtones s’il existe une filiation continue et strictement territorialisée entre une « communauté métisse », qui devait exister avant le « contrôle effectif » des pouvoirs coloniaux, et l’individu habitant encore dans cette communauté. Or le Québec au grand complet ne pourrait-il faire figure de territoire historiquement parcouru et habité par des Métis, comme d’ailleurs plusieurs lieux en Amérique du Nord ? N’est-il pas temps de décloisonner l’identité métisse et de l’affranchir ?

Malette 2014 : 6, l’italique est dans l’original

Les revendications territoriales de Malette ont été parmi les plus audacieuses à ce jour. Examinons attentivement l’aspect territorial de son argumentation. Il s’appuie sur le récit mythique du métissage, largement démystifié par la recherche historique et démographique (Charbonneau 1989, 1990 ; Aubert 2004 ; Belmessous 2005 ; Desjardins 2008 ; Havard 2008 ; Deslandres 2012 ; Vézina et al. 2012 ; Cook 2015 ; Cowan 2019). En fait, même si les historiens et les démographes du Québec ont discrédité l’étendue de la mixité biologique des colons français depuis maintenant plusieurs décennies, Malette (2014) insiste néanmoins sur le fait que le métissage biologique est en quelque sorte évident : « On le voit bien, reconnaître la métissitude franco-amérindienne des Québécois sur le plan strictement biologique est désormais un sujet qui ne choque plus. » (ibid. : 12) La base ancestrale réelle d’une revendication franco-descendante métissée est une moyenne de moins d’un pour cent d’ascendance globale sur une période de près de quatre siècles, ce qui signifie simplement que la plupart des Franco-Québécois/Canadiens français peuvent retracer leur ascendance à quelques femmes autochtones nées avant 1650. Fait important, la même recherche a démontré que l’ascendance anglaise moyenne des Franco-Québécois/Canadiens français est plus du double de l’ascendance autochtone moyenne (Desjardins 1990). Suivant sa logique biologisante et les recherches démographiques historiques disponibles, Malette pourrait raisonnablement prétendre que le Québec soit imaginé comme un territoire anglais, bien que l’impensable de cette affirmation révèle la teinte spécifiquement nationaliste de son argument. La petite empreinte généalogique et génétique des Premiers peuples sur les Franco-Québécois et la possibilité très réelle que d’autres groupes ethniques européens aient contribué à l’ascendance collective québécoise à un taux beaucoup plus élevé compliquent sérieusement les revendications identitaires des « Métis de l’Est ».

Qu’elle ait une base territoriale au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse ou au Québec (et parfois, au Labrador), la thèse de l’ethnogenèse des « Métis de l’Est » qui émerge après Powley imagine des populations franco-descendantes avec une toute petite ascendance autochtone comme propriétaires de la terre, répétant une ancienne préoccupation des colons blancs pour la domination territoriale. Par ailleurs, un élément essentiel de ces histoires est l’effacement de la présence des Premiers peuples à la fois passée et présente, qui expose ces nouvelles revendications « métisses » comme contraires aux intérêts des peuples autochtones. Par exemple, nous avons déjà soulevé dans un travail antérieur comment la plus grande organisation « métisse » au Québec mobilise son histoire génétique pour effacer la présence historique mi’kmaq en Gaspésie (Leroux 2018).

La thèse de l’ethnogenèse des « Métis de l’Est » est devenue courante dans la littérature scientifique que j’ai passée en revue, malgré l’absence de preuves empiriques à l’appui de ses affirmations. Suivant cette thèse, la grande majorité des Franco-descendants, qu’ils soient Québécois, Franco-Ontariens, Franco-Albertains, Acadiens ou Franco-Américains, entre autres, sont en fait des Métis avec des droits constitutionnels autochtones, pour la simple raison de la présence d’une faible ascendance autochtone datant d’entre dix et quatorze générations.

Nationalisme normatif euro-descendant : langue et ethnicité

Un deuxième fil conducteur commun dans ce sous-domaine est l’accent mis sur la division politique francophone-anglophone au Canada. Par exemple, Gagnon, Michaux et Rivard construisent tous un argument selon lequel l’ascendance française, la culture canadienne-française et/ou la langue française sont dévalorisées par les Métis, montrant comment les études sur les « Métis de l’Est » sont piégées dans la division binaire normative français versus anglais. Cela ne laisse aucune place à la possibilité que les individus et les communautés métis qui parlent ou désirent parler des langues autochtones (exemple : le cri, le michif, le déné, ou l’anishinaabemowin) maintiennent des relations de parenté qui ne tournent pas principalement autour du sang. Alors que ces auteurs voient l’exclusion d’un (autre) ensemble de pratiques culturelles émanant d’une forme de colonialisme de peuplement blanc (langue française et/ou culture canadienne-française), de leur côté les Métis peuvent y voir des formes de résurgence autochtone (Gaudry 2018).

Pourtant, la langue n’est pas une catégorie dans la définition identitaire mise en valeur par la Nation métisse ; c’est pour cette raison qu’aux grands rassemblements métis dans les provinces des Prairies nous pouvons rencontrer des locuteurs du cri, de l’anishinaabemowin, du déné, du michif, du français ou de l’anglais. En fait, selon le recensement de 2016, presque 10 000 Métis vivant en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba peuvent soutenir une conversation dans une langue autochtone, dont le cri, le déné, le michif et l’anishnaabemowin (Statistique Canada 2017). Cependant, selon la logique nationaliste de ce sous-domaine, la majorité de ces individus deviennent simplement des anglophones assimilés qui oppriment des francophones, principalement de l’Est.

Dans ce sens, Gagnon (2011) présente son argument lorsqu’il déclare que

… les associations officielles des Métis de l’Ouest, qui se considèrent comme les seuls « vrais Métis » sur la planète, m’ont ignoré en raison de mon intérêt pour les communautés métisses canadiennes-françaises, qu’elles jugent assimilées, et pour les communautés métisses non reconnues de l’Est canadien qu’elles voient comme des opportunistes

ibid. : 155

Ici, Gagnon confond langue et ethnicité, ce qui est une stratégie discursive importante dans ce sous-domaine. Par exemple, Michaux et Gagnon (2012) vont jusqu’à définir un « Métis canadien-français » comme un « Métis du Canada qui parle français » (ibid. : 196), excluant eux-mêmes tous les Métis locuteurs de langue autre que le français de cette catégorie, ce qui efface utilement l’autochtonicité métisse et soutient l’autochtonisation des franco-descendants de l’Est. Plus tard dans ce même travail, Michaux et Gagnon (2012) expriment leur désaccord politique avec les organisations représentant la Nation métisse en les accusant ouvertement de refuser de reconnaître les Métis francophones (ibid. : 204, 210), une accusation qui est pourtant fausse. En effet, des milliers de Métis francophones du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Alberta sont membres des gouvernements métis provinciaux, contrairement aux accusations erronées de Michaux et Gagnon.

Un travail récent d’Étienne Rivard s’appuie également sur un récit selon lequel la population francophone du Québec, et dans ce cas, les « Métis du Québec », est marginalisée vis-à-vis des Métis :

En dépit du fait que la seule province francophone canadienne soit l’une des régions de l’Amérique du Nord dont l’expérience des métissages franco-amérindiens est des plus anciennes, les Métis du Québec n’ont jamais eu, contrairement à ceux de l’Ouest canadien, droit à un chapitre dans le grand récit historique national.

2017a : 2

Jouant sur la victimisation de la population francophone du Québec, Rivard ignore le fait que les Métis, alliés avec leurs parents cris, saulteux et assiniboines, ont lancé deux résistances majeures contre l’État canadien naissant à la toute fin du xixe siècle, ce qui assure que la Nation métisse perdure dans la conscience historique collective. Pour être clair, les origines du peuple de la Nation métisse dépassent le simple métissage biologique ; ce sont les relations de parenté que les Métis entretiennent avec leurs parents autochtones qui font d’elle un peuple autochtone (Raven 2018), des relations que les « Métis du Québec » n’ont tout simplement pas entretenues depuis le xviie siècle. En d’autres mots, les « Métis du Québec » prônés par Rivard ont en effet plusieurs chapitres dans le « grand récit historique national » en tant que Québécois.

On voit même apparaître des arguments encore plus contestables. En effet, selon un reportage de l’Aboriginal Peoples Television Network en novembre 2016, Sébastien Malette affirmait que les formes d’autodétermination des Métis ressemblent aux discours des nazis (APTN 2017). Un an plus tard, en discutant le consensus académique en études autochtones contre l’existence des « Métis de l’Est », Malette et Marcotte accusent toute une gamme d’universitaires de « psychologisme, de rhétorique politique et de généralisations abusives » (2017 : 28) et d’être membres d’une « faction extrémiste » (ibid. : 36), parlant à leur sujet « d’expressions agressives, voire intolérantes » (ibid. : 35), et d’utilisation d’un « cadre quasi Darwinien social » (ibid. : 36).

Bien qu’une telle rhétorique surchauffée puisse elle-même sembler extrême, même Gagnon, un ancien titulaire d’une chaire de recherche du Canada, a utilisé un langage tout aussi chargé, cette fois, lors de son témoignage oral devant le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones en 2012 :

Les experts échouent à tous les niveaux et s’opposent avec arrogance, comme des porteurs de vérité, sans manifester le moindre devoir envers la validation de leurs conclusions ni la moindre sensibilité face aux populations touchées. C’est un discours qui est xénophobe, cette peur de l’autre.

Sénat du Canada 2012

Ici, Gagnon rejette les efforts des Métis pour déterminer les contours de leur propre nation/peuple comme étant xénophobes, montrant un mépris pour les principes bien articulés au coeur de l’autodétermination et de la souveraineté autochtones. Par conséquent, les efforts de la Nation métisse pour l’autodétermination sont construits comme des exemples de nazisme, d’extrémisme, de darwinisme social et/ou de xénophobie par plusieurs des principaux chercheurs dans ce sous-domaine.

Lorsque les Métis se défendent en tant que peuples autochtones, les spécialistes de ce sous-domaine interprètent ces efforts comme excluant la francité, puis situent cette supposée exclusion dans un continuum d’oppression tel que celui des francophones aux mains de la société anglo-dominante. Ce discours n’est possible que si l’on rejette la compréhension des Métis concernant leur propre autochtonicité. Ironiquement, les mêmes universitaires qui défendent les « Métis de l’Est » comme étant des Autochtones dépouillent les Métis actuels de leur autochtonicité. L’historienne métisse Brenda Macdougall (2006) a mis en garde il y a plus de dix ans contre de telles intrusions dans la vie des Métis :

Nous devons dépasser ce cadre conceptuel du « peuple entre les deux » pour évaluer comment les Métis, en tant que peuple autochtone distinct, ont façonné non seulement leurs propres communautés et identités sociales de manière à soutenir leurs préoccupations politiques et économiques, mais aussi comment leurs notions de famille ou d’appartenance ont façonné le commerce des fourrures, l’interaction avec les institutions religieuses et leurs relations avec les étrangers – Indiens ou Blancs, Cris ou Français, Écossais ou Dénés.

2006 : 439, notre trad.

En se concentrant intensément sur les questions de francité, les chercheurs de ce sous-domaine contribuent à soutenir une forme normative de nationalisme franco-descendant qui oeuvre contre l’autodétermination autochtone. Ce cadre idéologique facilite également la marginalisation, voire, l’effacement des contributions essentielles des femmes autochtones à la vie des Métis.

Encore une fois, le travail de Macdougall (2011) permet de mieux comprendre les réseaux familiaux centrés sur les femmes au coeur de la culture métisse. Dans son travail sur les communautés métisses du nord-ouest de la Saskatchewan, elle a démontré comment « les femmes autochtones de la région sont devenues la force centripète et centrifuge qui a incorporé des vagues successives d’hommes de l’extérieur » (ibid. : 17, notre trad.). En d’autres mots, ce ne sont pas les hommes québécois/canadiens-français qui sont à la base de l’ethnogenèse du peuple métis, comme le soutiennent les principaux chercheurs dans les études sur les Métis de l’Est. Au contraire, Macdougall met en évidence l’apport décisif des femmes autochtones (dans ce cas, des femmes cries et dénées) dans la fondation de la Nation métisse. Sans les considérables contributions de ces femmes et de leurs familles ainsi que des communautés cries, sauteuses, assiniboines et dénées dans le bassin versant du lac Winnipeg, il n’existerait simplement pas de peuple métis autochtone.

Un accent particulier sur la culture, la langue et/ou l’ascendance française lorsqu’il s’agit des Métis minimise inévitablement non seulement leur autochtonicité, mais aussi la contribution spécifique des femmes autochtones à la vie métisse. Comme le résume Robert Innes (2013), professeur d’études autochtones et membre de la Première Nation Cowessess au Saskatchewan :

En mettant en évidence le rôle des femmes autochtones, Macdougall conteste non seulement l’accent mis sur les hommes libres français, mais met également en lumière l’importance des pratiques culturelles des Premières Nations dans le développement culturel des Métis. Le poids accordé à l’européanité métisse a injustement éclipsé la culture des Premières Nations dans la culture émergente des Métis.

2013 : 85, notre trad.

En outre, dans une récente entrevue sur le thème de l’identité métisse, Jennifer Adese réprimande la tendance spécifique des études sur les « Métis de l’Est » à miser sur les relations patrilinéaires :

En tant que femme métisse, j’estime que les affirmations concernant les Métis comme « originaires de l’Est » ou de la « patrie paternelle du Québec » sont inexcusablement sexistes. […] Ce récit problématique démontre la façon dont ceux qui revendiquent de telles identités dévalorisent les femmes cries, sauteuses et autres femmes autochtones des Prairies, ainsi que leurs histoires et leurs vies. Ces récits dévalorisent les femmes métisses qui en sont issues, offrant un récit public où ces femmes sont effacées comme si elles n’avaient pas d’importance pour la Nation métisse. Ce récit est dangereux et sexiste, car il élude l’enracinement des Métis dans leur patrie maternelle, et donc dans la langue, les réseaux de parenté et les systèmes de connaissances des relations maternelles.

Adese, Todd et Stevenson 2017 : 10, notre trad.

Or, les chercheurs dans ce sous-domaine ignorent l’importante littérature académique sur les Métis produite principalement par des chercheurs autochtones, y compris la critique du cadrage sexiste et patriarcal de ce sous-domaine, et de la centralité qui est accordée aux hommes québécois/canadiens-français dans leur histoire mythique d’aventures et d’intrigues masculines (voir p. ex. Foxcurran, Bouchard et Malette 2016). Denis Gagnon (2008) illustre ces tendances lorsqu’il se concentre intensément sur la prétendue négation par les Métis de leur ascendance canadienne-française :

Soulignons pour terminer qu’un processus à l’oeuvre depuis quelques années consiste pour les Métis de l’Ouest à mettre en valeur leur héritage amérindien et à passer sous silence, d’une façon peut-être involontaire (mais on peut en douter), leur héritage canadien-français ; il s’agit d’un processus qu’on pourrait appeler l’indianisation des Métis de l’Ouest. (2008 : 305, l’italique est dans l’original)

Gagnon semble associer la résurgence autochtone, un processus bien documenté par les chercheurs autochtones et non autochtones et qui est en cours depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (en particulier depuis les années 1960), à une preuve de la « xénophobie » anti-francophone des Métis. Pourtant, la résurgence des Métis se produit de manière parallèle à d’autres formes de résurgence autochtone précisément parce que les Métis se considèrent autochtones et sont perçus comme tels. Or, au lieu de célébrer le fait que, par exemple, les Métis anglophones (et francophones) peuvent déjà parler ou choisir d’apprendre le cri, le michif ou le déné comme langue (seconde), au lieu d’une autre langue coloniale européenne, Gagnon délégitime les Métis de parler une langue (l’anglais) qui fait partie intégrante du paysage colonial. Encore une fois, Macdougall (2006, 2011) et Innes (2013) documentent la riche variété linguistique et culturelle des communautés métisses dans deux régions très différentes de la Saskatchewan (le Nord-Ouest et le Sud-Est, respectivement), variété qui va certainement au-delà des préoccupations linguistiques exposées dans la littérature savante prônant les soi-disant « Métis de l’Est ». En particulier, Macdougall (2006 : 432) décrit les Métis de langue crie et d’influence culturelle dénée du nord-ouest de la Saskatchewan, dont le principal lien avec le français passait par les missionnaires de la région, tandis qu’Innes (2013) se concentre sur les Métis multiculturels et multilingues du sud-est de la Saskatchewan, qui parlaient michif, anishinaabemowin et/ou cri.

De plus, malgré la domination de la langue française sur plusieurs des institutions coloniales au coeur de la vie métisse (Église, école), il y a remarquablement peu de discussions dans ce sous-domaine sur les Québécois/Canadiens français comme force du colonialisme. À son honneur, Rivard (2017b) reconnaît brièvement que les colons canadiens-français au Manitoba dans la seconde moitié du xixe siècle méprisaient les Métis qui parlaient le michif, s’assurant que « l’arrogance manifestée envers le michif par les Canadiens français venus s’installer au Manitoba dès 1870 […] représente l’exil forcé du fait métis de la grande famille francophone » (2017b : 332).

Pourtant, les archives récemment découvertes par l’historienne Émilie Pigeon (2017) illustrent que les missionnaires et les prêtres catholiques ont souvent agi comme des agents coloniaux chez les Métis, contribuant à l’effacement des langues autochtones. De plus, l’hypothèse soutenue par les chercheurs dans ce sous-domaine, qui stipule que les Québécois/Canadiens français francophones sont innocents de la violence coloniale, sert à reproduire des formes insidieuses d’effacement colonial. L’idée que les penseurs métis (et plus largement les Métis) nient le français et/ou l’ascendance française n’est jamais proprement prouvée. Comme Chris Andersen (2014) l’a expliqué, l’important n’est pas que les Métis aient des ancêtres européens, mais de reconnaître que tous les peuples autochtones sont métissés selon les formes spécifiques de colonialisme auxquelles ils ont été confrontés. En ce sens, les Métis sont autochtones en raison de la force continue de leurs relations de parenté réciproques avec d’autres peuples autochtones des Prairies, et non en raison de leur métissage biologique. À l’inverse, les soi-disant Métis de l’Est ne sont pour la plupart pas autochtones parce qu’ils n’ont pas ces mêmes relations avec les peuples autochtones. En fait, comme déjà démontré, de nombreuses organisations « métisses de l’Est » sont ouvertement hostiles aux peuples autochtones (Gaudry et Leroux 2017 ; Leroux 2019b, 2019c).

Par cela, nous pouvons voir comment, dans le cadre du sous-domaine des études sur les « Métis de l’Est », la résurgence des Métis est perçue comme problématisée, alors que les récents efforts d’auto-autochtonisation des « Métis de l’Est » se voient salués et encouragés. Nous sommes ici confrontés à un étrange paradoxe : d’une part, un peuple autochtone (les Métis) qui a été reconnu comme tel au cours des deux derniers siècles, est rejeté pour ne pas avoir adopté son soi-disant caractère européen (c.-à-d. la langue française, la culture canadienne-française), alors qu’un autre groupe de personnes qui ont été reconnues comme non autochtones (Canadiens-français/Québécois) pendant plus de trois siècles est célébré pour son courage de se déclarer « autochtone ». Compte tenu de la place prépondérante accordée à la notion des deux nations fondatrices européennes et du fait que la politique linguistique attachée au binaire anglais-français ne joue pas beaucoup dans les recherches scientifiques autochtones, il n’est pas surprenant que les travaux universitaires en études autochtones soient ignorés dans les études sur les « Métis de l’Est », même si certains textes clés ont été traduits en français. Tout engagement soutenu avec le corpus substantiel de littérature explorant les concepts de citoyenneté, d’appartenance et de relations de parenté autochtones nuirait certainement aux arguments dans ce sous-domaine.

Conclusion

Dans cet article, j’ai cherché à esquisser deux des principaux thèmes utilisés pour plaider en faveur de l’existence des soi-disant « Métis de l’Est ». Premièrement, j’ai présenté la thèse de l’ethnogenèse des « Métis de l’Est » comme une nouvelle création post-Powley qui attire un soutien scientifique important dans ce sous-domaine. Affirmant, contrairement aux preuves empiriques existantes, que les « Métis » de la Nouvelle-France ont ultimement fondé la Nation métisse, ce récit s’oppose ouvertement à l’histoire du peuple métis dans des relations de parenté et des alliances politiques cries, sauteuses, assiniboines (et parfois dénées). Également, ces efforts minent l’autodétermination des peuples algonquin, abénaquis, atikamekw, innu, mi’kmaq, malécite et mohawk dans leur territoire respectif, comme l’attestent plusieurs énoncés publics émis par les premiers peuples depuis au moins 2016 (voir l’encadré « Opposition au mouvement “Métis de l’Est” par les Premiers peuples »).

Deuxièmement, j’ai présenté l’impulsion nationaliste étroite qui est à la base de la plupart des arguments avancés par les chercheurs dans ce sous-domaine. Que ce soit en mobilisant l’importance de l’ascendance française, de la langue française et/ou d’autres aspects culturels liés au français, ces chercheurs représentent systématiquement les Métis comme opprimant les francophones. Pourtant, en se concentrant sur la francité, la base patriarcale de leurs arguments est mise à nu, puisque les rôles cruciaux des femmes autochtones dans la construction de la Nation métisse disparaissent. Le manque presque complet d’engagement avec les chercheurs autochtones de la part des partisans des « Métis de l’Est », en particulier avec le corpus substantiel de littérature produite par les chercheurs métis sur l’identité métisse, permet à ce sous-domaine de s’adresser principalement à un lectorat peu informé sur les enjeux autochtones contemporains.

Par conséquent, les études sur les « Métis de l’Est » constituent une branche politique du mouvement social du même nom. La majorité de ses auteurs (i.e. Bouchard, Gagnon, Malette, Marcotte, Michaux, Rivard et Tremblay) ont travaillé pour le compte d’au moins une organisation faisant activement pression sur les gouvernements et les tribunaux pour des droits autochtones. Depuis 2001, il y a plus de cent dix décisions juridiques contre le mouvement des « Métis de l’Est » en Ontario, au Québec, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, mais ces organisations continuent de faire grande pression sur les tribunaux provinciaux. Aucun gouvernement provincial ne reconnaît ces organisations comme représentant des peuples autochtones détenteurs de droits, pas plus que le gouvernement fédéral. Plus important encore, pratiquement tous les Premiers peuples de ces territoires ont fait des déclarations publiques contre leurs revendications, et aucun n’est connu pour avoir collaboré avec le mouvement sur aucune base.

Pourtant, les études sur les « Métis de l’Est » ont fait des progrès dans les milieux institutionnels francophones mûrs avec des stratégies d’autochtonisation post-Commission de vérité et de réconciliation. Par exemple, Les Bois-Brûlés de l’Outaouais. Une étude ethnoculturelle des Métis de la Gatineau, de Bouchard et al., a gagné le Prix du Canada 2020 de la Fédération des sciences humaines. Après l’attribution de ce prix, les quatre membres du Cercle consultatif autochtone de la Fédération ont démissionné, soulignant encore une fois l’écart important entre les chercheurs en études autochtones et le soutien pour les études sur les « Métis de l’Est » dans le milieu académique francophone. Dans ce contexte, il est concevable que même des professeurs et des enseignants bien intentionnés utilisent le travail erroné des études sur les « Métis de l’Est » dans leurs classes, contribuant à nuire aux vrais peuples autochtones.

Pour finir, gardons à l’esprit, comme nous l’avons démontré à maintes reprises, jusqu’où la société dominante est prête à aller pour priver les peuples autochtones de leurs droits. Le volet académique du mouvement des « Métis de l’Est » que j’ai présenté dans cet article n’est qu’un exemple des stratégies déployées contre les peuples autochtones.