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Ce collectif est le fruit d’un colloque tenu à Montréal en septembre 2009. Comme l’indique le titre, l’objectif du livre est de déterminer si le fédéralisme multinational est viable, quelles sont ses conditions de fonctionnement et ses perspectives d’avenir. Le livre porte tout particulièrement sur le cas canadien, quoiqu’on y trouve aussi deux chapitres sur la Belgique, un portant sur l’Union européenne (UE) et un autre sur la Catalogne. La leçon de l’étude, si une telle leçon peut vraiment être identifiée à travers les différents chapitres et un tout assez décousu, est que le fédéralisme multinational a peu de chances de succès.
Le collectif est divisé en trois sections. La première section intitulée « Perspectives générales » est plus théorique que les autres. Elle aborde diverses questions, dont celle de la démocratie dans une fédération multinationale (chapitre de Geneviève Nootens). Alain-G. Gagnon, pour sa part, note que l’État multinational nécessite pour fonctionner l’existence d’un lien de confiance entre les différentes communautés. Selon lui, l’expérience internationale démontre depuis plus d’une vingtaine d’années qu’il y a de moins en moins de place pour les revendications des peuples minoritaires. La deuxième section est intitulée « Perspectives constitutionnelles ». Cette section comprend, entre autres, un chapitre écrit par Eugénie Brouillet et Yves Tanguay sur la Cour suprême du Canada. Utilisant des mots assez durs, les auteurs soulèvent des doutes sur la légitimité de la Cour. Ils en appellent à une refonte institutionnelle en profondeur qui permettrait de mieux garantir l’autonomie provinciale, tout particulièrement celle du Québec. La troisième section est intitulée « Perspectives politiques ». Le chapitre rédigé par François Rocher et Philippe Cousineau-Morin est, ici, sans aucun doute le plus intéressant. C’est une réflexion sans détour sur le concept de fédéralisme asymétrique, décrit comme étant l’arme du faible. De ce fait, l’asymétrie s’opérationnalise difficilement dans la sphère politique.
Ce livre, somme toute, est assez décevant. Le thème du fédéralisme multinational se prête très bien à une stratégie d’étude comparative. Pourtant, malgré ce que l’on pourrait croire en lisant la couverture du livre, la majorité des chapitres étudient, encore, la place du Québec au sein du Canada. Les chapitres sur la Belgique – celui de Hugues Dumont en particulier met l’accent sur la récente crise politique en Belgique – apparaissent isolés. Les chapitres de Daniel Innerarity sur l’UE et de Ferran Requejo sur la Catalogne (il semble bon de rappeler que l’UE et l’Espagne ne sont pas des fédérations) sont très courts et placés à la fin du livre ; en outre, ils donnent l’impression d’avoir été ajoutés après-coup puisqu’ils ne sont pas bien intégrés dans l’étude. D’ailleurs, l’analyse offerte dans ces chapitres demeure assez rudimentaire et apporte peu à la discussion. En plus de mettre en relief les États susmentionnés pour offrir une vraie analyse comparative, il aurait été profitable d’étendre la recherche au-delà des cas souvent étudiés. D’autres cas tels que celui de la Russie actuelle, l’Inde ou même la Malaisie auraient pu et auraient dû être analysés. Réfléchissant au fédéralisme multinational et aux populations autochtones, il aurait été tout à fait pertinent de jeter un regard sur des pays comme le Brésil ou encore le Mexique. Pourquoi ne pas comparer davantage le fédéralisme multinational et le fédéralisme mononational à des fins théoriques, constitutionnelles et politiques ? En d’autres mots, la comparaison offerte dans ce collectif apparaît comme étant superficielle ; l’ajout de cas permettrait un regard beaucoup plus riche sur le fédéralisme multinational. La conclusion sur la viabilité du fédéralisme multinational est affaiblie et ne peut pas être généralisée en raison du manque de cas étudiés.
Soulignons une autre faiblesse de l’ouvrage : le thème du livre est assez bien identifié, mais les chapitres ne « se parlent » pas entre eux. Il n’y a donc pas vraiment de fil conducteur, quoique le lecteur attentif identifie assez rapidement l’orientation générale de l’oeuvre. Puisque le livre est issu d’un colloque, cela est, en partie, surprenant. Dans les versions corrigées, suite aux présentations, il aurait certainement été possible pour les auteurs de tenir compte des analyses de leurs collègues. Michel Seymour et Guy Laforest auraient dû faire un effort supplémentaire pour mieux tisser l’ensemble et assurer le débat intellectuel entre les chapitres. De plus, puisque le livre traite tant de la place du Québec au Canada, il aurait été souhaitable d’avoir une véritable diversité d’opinions. Pourquoi ne pas inclure des chapitres de constitutionnalistes comme Patrick Monahan ou de politologues comme Tom Flanagan (pour n’offrir que deux noms plus polémiques) pour présenter une vision alternative ? Charles Blattberg accuse le Canada anglais de résister à l’inclusion qui assurerait la multinationalité, tout particulièrement sur le plan culturel. C’est tout de même surprenant, alors, que ce livre sur le fédéralisme multinational n’inclut personne du Canada anglais. Bref, l’analyse qu’offre cet ouvrage semble relativement biaisée et incomplète.
Comme c’est le cas de plusieurs collectifs, la pertinence ou même la qualité des chapitres varient beaucoup. Ainsi, le chapitre de Hugo Cyr sur Carl Schmitt n’est pas vraiment à sa place dans ce livre. Le chapitre de Daniel Turp n’est qu’un plaidoyer pour une constitution québécoise. Le chapitre de Charles Blattberg zigzague dans de nombreuses directions ; le lecteur a l’impression d’y lire une présentation orale plutôt qu’un chapitre de livre. Quant au chapitre de Michel Seymour sur l’autodétermination interne du Québec dans la fédération canadienne – une attaque en règle contre James Tully –, il ressemble à un discours politique plutôt qu’à une analyse universitaire. Si l’objectif du livre est de dire que le fédéralisme multinational tel que pratiqué au Canada ne peut pas fonctionner, si l’objectif de l’analyse est limité, pourquoi au moins ne pas le dire clairement dès le départ et construire tout l’argumentaire autour de cette idée ?
Dans le vaste champ des études sur le fédéralisme, il y a certainement de la place pour un regard autre sur le fédéralisme multinational, en soi un sol assez fertile. La volonté de participer aux débats d’un point de vue à la fois théorique, légal et politique est aussi intrigante. L’exécution, toutefois, n’est pas à la hauteur. Ce livre rassurera ceux qui croient déjà que le fédéralisme multinational ne peut pas fonctionner. Pour ceux qui veulent croire au fédéralisme multinational, ce livre sera tout de même utile pour les aider à se tenir informés et à prendre en compte le point de vue adverse dans leurs propres analyses. Pour ceux qui hésitent, qui cherchent une réflexion neuve ou un travail comparatif et empirique solide, ce livre ne répondra malheureusement pas à leurs attentes.