Résumés
Résumé
Nous proposons dans cet article une analyse de la collaboration entre une enseignante et un chercheur dans le cadre d’une recherche doctorale visant à documenter l’apprentissage à s’entreprendre d’élèves du primaire à l’appui d’un projet de magasin scolaire. Le concept de « double vraisemblance » est convoqué en tant qu’il permet de jeter un regard analytique éclairant sur la démarche de collaboration de recherche. Trois moments de négociation des points de vue des partenaires sont plus spécifiquement analysés comme révélateurs des enjeux à la fois respectifs et communs qui les mobilisent dans la construction de la double vraisemblance du projet de magasin, au bénéfice de l’apprentissage à s’entreprendre des élèves.
Mots-clés :
- recherche collaborative,
- réflexivité,
- entrepreneuriat scolaire,
- enseignement primaire
Abstract
This article proposes an analysis of the collaborative monitoring of an entrepreneurial project, namely a school store, at the primary school level. The concept of “double credibility” serves as an analytical standpoint to look at the collaboration between a teacher and a researcher whose common aim is to teach pupils how to be enterprising through the school store. The concept of “double credibility” entails that the common project of the research partners must be both credible for research and practice. Three negotiation processes of the partners’ points of view are more specifically analyzed. This allows to highlight the common and specific concerns that each partner bring into play to maintain the “double credibility” of the project, all with a view to allow pupils to learn through the school store.
Keywords:
- collaborative research,
- reflexivity,
- enterprise education,
- primary school
Corps de l’article
Introduction
Pour introduire notre propos, situons d’abord le cadre collaboratif de la recherche doctorale à l’origine de ce texte. Le projet doctoral visait au départ à documenter l’apprentissage à s’entreprendre de jeunes élèves du primaire, soit leur compétence à concevoir et mettre en oeuvre des projets d’action (Pepin, 2015). La conception de l’entrepreneuriat qui sous-tend la recherche se veut une conception ouverte, qui entend non pas former les jeunes à devenir entrepreneurs, mais bien les former à devenir plus entreprenants dans la vie en général (Leffler, 2009). Cette conception se fonde sur la théorie de l’apprentissage expérientiel de John Dewey (1916/1990, 1938 a) et a conduit à développer un modèle d’approche entrepreneuriale (Pepin, 2012) où les jeunes s’investissent dans ce que Dewey conçoit comme des « occupations », c’est-à-dire des activités pratiques (comme le jardinage, le travail du bois ou la cuisine) qui reproduisent des activités sociales courantes et, par-là, réduisent l’écart entre l’école et la vie en société. Mais pour que l’activité pratique devienne éducative, elle doit prendre la valeur d’une « expérience », au-delà du « faire », ce qui implique que l’activité soit abordée avec les élèves comme un projet d’action à réaliser et selon une démarche d’enquête (Dewey, 1938b) par laquelle les problèmes rencontrés conduiront à explorer des solutions pour atteindre la fin souhaitée. C’est là tout le sens de l’action réfléchie, chère à Dewey, et qui fera de l’occupation ou du « faire » propre à l’activité projetée, une expérience éducative.
Cette expérience éducative, le devis de recherche prévoit la faire vivre à un groupe d’élèves du primaire en vue de documenter finement le processus par lequel ces élèves, de l’intérieur de cette expérience du projet entrepreneurial, apprennent à s’entreprendre. Un échange informel, dans le cadre d’une activité de formation de stagiaires en enseignement primaire à l’Université, permet de faire une rencontre décisive. Marie-Christine est une enseignante du primaire qui, depuis plusieurs années déjà, met en place un projet entrepreneurial avec ses élèves, plus spécifiquement, un magasin de fournitures scolaires autogéré par les élèves. Pour le chercheur, ce projet, qui se déroule sur toute l’année scolaire, se prête à l’investigation qu’il veut réaliser. Pour l’enseignante, qui partage la conception ouverte du chercheur concernant l’approche entrepreneuriale, il y a un intérêt à participer à cette recherche pour mieux comprendre et éventuellement améliorer les conditions gagnantes de cette approche qu’elle pratique depuis plusieurs années. Une collaboration de recherche s’amorce ainsi entre le chercheur et l’enseignante, collaboration qui les conduira à mettre en place les conditions pédagogiques nécessaires pour réaliser, avec un groupe d’élèves de deuxième année primaire (7-8 ans), un projet de magasin scolaire qui rejoigne les besoins, intérêts et conceptions des deux parties autour de l’idée de faire de ce projet une expérience éducative pour les élèves à documenter par le chercheur.
C’est l’analyse de cette collaboration qui fait l’objet du présent texte. Nous établirons d’abord le cadre conceptuel à partir duquel amorcer cette analyse. En ce sens, le concept de « double vraisemblance » sera convoqué permettant d’aborder la collaboration comme une rencontre entre les préoccupations à la fois communes et respectives des partenaires. À cet égard, la mise en place d’un conseil d’élèves dans le projet entrepreneurial sera examiné en tant qu’il sert de point d’appui à la double vraisemblance. De manière plus spécifique, nous analyserons par la suite des moments de négociation et plus largement de coconstruction entre les deux partenaires, sélectionnés à partir des rencontres conjointes de planification pédagogique autour de ce qu’il convient de soumettre au conseil d’élèves quant à la manière de mener le projet de magasin scolaire. Ces moments seront analysés en tant que révélateurs d’enjeux à la fois communs et distincts sur la base desquels se construit la « double vraisemblance » du projet entrepreneurial. Enfin, nous tenterons de dégager, en posant un regard d’ensemble sur cette analyse, la plus-value de cette collaboration pour le bon déroulement du projet entrepreneurial et l’éclairage qu’il permet de porter sur l’apprentissage à s’entreprendre des élèves.
1. Le concept de « double vraisemblance » pour aborder l’analyse de la collaboration de recherche
Le concept de « double vraisemblance[1] », inspiré de Dubet (1994), et au fondement d’une certaine approche de la recherche collaborative dont nous nous inspirons ici (Bednarz, 2013 ; Desgagné, 1997, 1998, 2001 ; Desgagné et al. 2001), s’appuie sur l’idée que l’activité de recherche scientifique et l’activité de pratique professionnelle sont des activités différentes qui n’ont pas les mêmes enjeux et qui ne répondent pas aux mêmes exigences pour ceux et celles qui les exercent. Partant de ce postulat, on conçoit que le chercheur et le praticien, en tant que collaborateurs d’une recherche qui se passe sur le terrain de la pratique, n’abordent pas le questionnement de recherche du même « point de vue[2] » (Darré, 1999) ou encore ne mobilisent pas le même « champ de compétences[3] » (St-Arnaud, 2003) pour faire avancer cette démarche de questionnement de recherche. Et c’est bien là ce qui est souhaité dans la démarche collaborative de recherche. C’est précisément parce qu’on considère que le chercheur et le praticien ont un « point de vue » différent sur le monde à apporter et qu’ils ont un « champ de compétences » respectif à mettre à contribution qu’on peut justifier une collaboration. La démarche collaborative permettra justement que, dans leur interaction autour du questionnement de recherche, le chercheur et le praticien se créent une zone d’influence mutuelle où les points de vue de l’un et de l’autre seront négociés, argumentés, et ou leur champ de compétences respectif sera mutuellement reconnu et mis à contribution.
Ainsi, dans l’esprit de la recherche collaborative, la « double vraisemblance » devient le critère par lequel on s’assure, en tant que partenaires, que ce qui est coconstruit entre le chercheur et le praticien le soit dans le respect du point de vue de chacun, c’est-à-dire de sa manière de voir le monde, et dans le respect du champ de compétences de chacun. C’est à ce prix que la démarche par laquelle le savoir de recherche sera coconstruit et que le savoir produit par la recherche demeurera crédible pour le chercheur et pour le praticien et, derrière eux, crédible autant pour la communauté scientifique à laquelle appartient le chercheur que pour la communauté de pratique professionnelle à laquelle appartient le praticien. Il est certain que le chercheur, dans une telle démarche, joue un rôle d’« acteur interface » important (Desgagné, 2007) pour créer ce rapport égalitaire entre les partenaires, qui ne va pas de soi ; pour créer, en d’autres termes, les conditions d’interaction qui feront qu’il ne s’arrogera pas la position de celui qui décide pour laisser au praticien la position de celui qui exécute, conditions qui feront plutôt d’eux des coconstructeurs dans la démarche de recherche. L’analyse que nous proposons dans ce texte vise précisément à porter un éclairage sur la démarche de recherche, car elle met à l’épreuve le critère de double vraisemblance dans la collaboration qui s’est établie entre le chercheur et l’enseignante pour réaliser le projet entrepreneurial du magasin scolaire et y documenter l’apprentissage à s’entreprendre des élèves.
2. La mise en place d’un conseil d’élèves comme point d’appui à la « double vraisemblance » du projet entrepreneurial
Au départ, les partenaires ont à établir les conditions pédagogiques de base pour faire en sorte que les élèves apprennent à s’entreprendre et, du même coup, pouvoir documenter cet apprentissage. On a évoqué, en introduction, que le chercheur s’appuyait sur la théorie de l’apprentissage expérientiel de John Dewey pour élaborer sa conception du projet entrepreneurial. À l’appui de cette théorie, pour faire du projet une expérience éducative, il faut engager les élèves à « faire » le magasin, soit le créer puis le faire tourner, mais aussi les engager à réfléchir sur la manière de le « faire », notamment à partir des questionnements qui émergent, voire des problèmes à résoudre qui se présentent au fil du projet. Sans connaître explicitement la théorie de Dewey, l’enseignante endosse cette conception qu’elle met en pratique dans sa manière de réaliser le projet de magasin depuis plusieurs années. Elle croit aussi que pour apprendre à s’entreprendre, les élèves doivent, à la base, pouvoir exercer un pouvoir d’initiative et de décision quant à la manière de « créer » d’abord et de « faire tourner » ensuite le magasin. Par expérience, elle a l’habitude de partir des élèves, de leurs idées, pour orienter le projet de magasin scolaire, tout en se réservant un pouvoir décisionnel, au besoin. En ce sens, elle partage cette idée qu’il ne faut pas seulement mettre les élèves en action, mais qu’il faut aussi prendre le temps qu’ils réfléchissent sur la manière d’orienter l’action, quitte parfois à provoquer leur questionnement.
Le chercheur va lui proposer de systématiser cette démarche réflexive pour les élèves en lui donnant une structure formelle : celle d’un conseil d’élèves. Le conseil d’élèves est cette structure démocratique par laquelle les élèves sont amenés à délibérer en groupe à partir des problèmes qui se présentent au fil du projet en vue de leur apporter des solutions, de sorte que le projet puisse avancer. Il sert aussi à voir, à partir de ce qui pose problème, les apprentissages qui sont nécessaires pour les dépasser. L’aménagement proposé du conseil d’élèves rejoint, en soi, le critère de double vraisemblance, comme on l’a défini plus haut. En effet, du côté de la pratique, le conseil d’élèves constitue une structure réflexive crédible pour les élèves (de même que pour l’enseignante) leur permettant de soutenir leur apprentissage à s’entreprendre. D’ailleurs, on l’a dit, dans son approche habituelle du projet entrepreneurial, l’enseignante a toujours valorisé la réflexion des élèves par rapport à la manière de faire avancer leur projet. Du côté de la recherche, ce même conseil d’élèves constitue le dispositif principal de collecte de données sur l’apprentissage des élèves à s’entreprendre, un dispositif qui se veut crédible d’un point de vue méthodologique (Pepin, 2017a). Car c’est dans ce conseil que les élèves vont faire émerger leurs questionnements quant à la manière de faire avancer le projet, les solutions qu’ils envisagent pour dépasser les problèmes rencontrés ; c’est dans ce conseil, somme toute, qu’ils vont donner accès, par leur réflexivité, à leur apprentissage à s’entreprendre. Le conseil d’élèves, en ce sens, constitue le point d’appui, la plaque tournante du projet entrepreneurial et de ce qu’il vise, l’apprentissage à s’entreprendre, au carrefour de la pratique et de la recherche.
Cela dit, les deux partenaires vont vite établir leur champ de compétences respectif par rapport à la gestion de ce conseil d’élèves qu’ils s’entendent pour mettre en oeuvre dans des séances de réflexion de groupe régulières, au fil des semaines de déroulement du projet. Bien qu’ils décident de co-animer les séances, les rencontres de planification de ces conseils par les deux partenaires vont assez vite révéler le souci prévalant du chercheur de se faire le gardien de la réflexivité des élèves pour protéger le fondement démocratique du conseil et la conception de l’apprentissage à s’entreprendre qu’il sous-tend. Autrement dit, dans les discussions à savoir ce qu’il convient de soumettre ou non à la délibération du groupe d’élèves, le chercheur va exercer une vigilance pour faire en sorte que les élèves soient le plus possible mis à contribution, laissant à l’enseignante, cela dit, le jugement final. Et l’enseignante reconnaît au chercheur l’importance d’exercer ce rôle de gardien de la réflexivité du groupe d’élèves. Par ailleurs, se dessine assez vite aussi dans les rencontres de planification, le souci de l’enseignante de repérer, partant de ce qui est discuté en conseil d’élèves, tous les apprentissages que devront faire les élèves pour dépasser les problèmes qui se posent à eux par rapport au bon déroulement du projet de magasin scolaire. Elle connaît le programme scolaire et sait tout ce qu’il est possible d’exploiter dans ce programme pour justifier et encadrer ces apprentissages, protégeant ainsi la crédibilité éducative, dirait-on, du projet et son inscription dans un cadre curriculaire bien spécifique. Le chercheur reconnaît cette expertise de l’enseignante, vu son expérience du magasin, sa connaissance des élèves et du programme.
On aura compris, dans le propos qui précède, que l’« espace réflexif » où se coconstruit l’objet de la recherche, soit l’apprentissage à s’entreprendre, est un espace à double registre : il y a d’abord le conseil d’élèves où les élèves donnent accès, par leur réflexivité de groupe, à leur façon de prendre en charge les problèmes qui se présentent dans le déroulement du projet et de leur trouver des solutions en vue de les dépasser ; un accès, en fait, à leur apprentissage à s’entreprendre. Mais il y a aussi les rencontres de planification de ces conseils, entre l’enseignante et le chercheur, rencontres tout aussi réflexives où se décide la manière d’engager les élèves dans les problèmes qui surviennent. C’est dire que la collaboration entre l’enseignante et le chercheur, là où les partenaires vont devoir s’entendre sur la manière de conduire le conseil en mobilisant leur champ de compétences respectif trouve un terrain particulièrement fertile d’analyse dans ces rencontres de planification. Mais du même coup, on voit bien que les rencontres de planification prennent leur ancrage dans les conseils précédents et sont orientés vers les conseils suivants. Autrement dit, l’analyse de la collaboration, à partir des rencontres de planification, ne peut se faire que sous l’éclairage de la trame de continuité des conseils d’élèves dans le déroulement du projet entrepreneurial. C’est dans l’articulation de ce double registre de l’espace réflexif (les rencontres de planification en tant qu’elles ponctuent le déroulement des conseils d’élèves) que doit s’opérationnaliser le cadre d’analyse de la collaboration chercheur et enseignante.
3. Des moments de négociation enseignante-chercheur pour construire la « double vraisemblance » du projet entrepreneurial
Pour opérationnaliser le cadre d’analyse de la collaboration, dans les rencontres de planification, il nous faut délimiter les unités d’analyse, c’est-à-dire, pour nous, sélectionner, dans le dialogue des partenaires, des moments de négociation de points de vue, où la double vraisemblance est susceptible de se construire, se déconstruire ou se reconstruire, et qui est l’angle d’analyse par lequel nous abordons la collaboration de recherche. Ces moments de négociation sont susceptibles d’enclencher un travail d’argumentation à partir des points de vue des partenaires de la collaboration sur la base de leur champ de compétences respectif et conduisant éventuellement à une entente au carrefour des raisons de la recherche et de la pratique. Ce sont de tels parcours de négociation[4], de leur amorce jusqu’à leur clôture, en tant qu’ils mobilisent une quête de rétablissement, à tout le moins de maintien de la double vraisemblance de la part des partenaires de la collaboration, qui constitueront nos unités d’analyse. Sur le trajet de ces parcours de négociation, c’est la gestion du conseil d’élèves et donc aussi la manière d’apprendre à s’entreprendre des élèves, qui sera mise en cause, comme support d’analyse. Qu’est-ce qui fait l’objet de la négociation de points de vue en lien avec ce qu’il convient d’amener en conseil ? Quels enjeux sont soulevés de part et d’autre des partenaires qui les justifient de souhaiter orienter le conseil de telle façon ? À quelle décision les conduit leur négociation quant aux suites à donner à la gestion du conseil ? Ce sont les questions qui lient l’analyse de la collaboration à son objet, l’engagement des élèves en conseil, et ce qu’il vise, l’apprentissage à s’entreprendre.
3.1 Un survol du projet de magasin scolaire pour situer les moments de négociation analysés
Pour contextualiser l’analyse des moments de négociation dans la construction du magasin avec le groupe-classe de deuxième année du primaire, il convient d’aborder brièvement son déroulement général. Au départ du projet de magasin, il y a, dans la classe, un manque récurrent de fournitures scolaires qui oblige régulièrement l’enseignante à prêter ou à donner du matériel à l’un ou à l’autre élève pour assurer la bonne marche des diverses activités quotidiennes de la classe. Ce problème initial, l’enseignante va l’amplifier, en insistant régulièrement auprès des élèves sur le manque de matériel en classe, et s’en servir comme élément déclencheur du projet de magasin en suscitant une réflexion des élèves autour des solutions possibles à apporter pour y pallier, au cours de ce qui allait être le premier conseil d’élèves lié à la recherche. Il se dégage de cette première discussion un consensus de groupe, provoqué par l’enseignante qui voulait en arriver là, autour de l’idée d’ouvrir un magasin de fournitures scolaires pour les autres élèves et intervenants adultes de l’école. Partant de rien, le groupe allait alors devoir réfléchir à tout ce qu’il faudrait considérer et mettre en oeuvre pour en venir progressivement à « faire exister » puis à « faire tourner » le magasin dans l’école. Les données de recherche montrent, à cet égard, que le magasin s’est déployé selon une succession de problèmes à résoudre appelant la conduite d’enquêtes (Dewey, 1938b) pour réussir à les dépasser et, ainsi, continuer à avancer dans le projet.
Huit cas d’enquêtes menées par le groupe ont fait l’objet d’une description fine dans le cadre de la thèse, en ce qu’ils ont permis de détailler le déploiement progressif du magasin, les décisions prises et l’engagement des élèves, tout au long du projet. Le premier renvoie à l’autorisation d’ouvrir un magasin dans l’école et conduit à inviter le directeur de l’école dans le conseil d’élèves pour obtenir sa permission d’aller de l’avant avec le projet. Le second cas d’enquête renvoie à la construction proprement dite du magasin qui est résolu par une situation-problème mathématique au cours de laquelle les élèves tracent un plan du chariot qui leur servira de lieu de vente, lequel sera construit par le menuisier de l’école. Le troisième renvoie à la nécessité de faire connaître le nouveau service offert par le magasin dans l’école, ce qui conduit à la création d’affiches publicitaires. Le quatrième cas d’enquête renvoie à la crainte des élèves de se tromper dans les calculs à effectuer dans le magasin, ce qui conduit à intégrer des gérants, soit des élèves plus âgés de l’école qui superviseront les ventes. Le cinquième renvoie au besoin d’assurer la pertinence du magasin à long terme, ce qui conduira à ajouter des collations « santé » aux produits à vendre dans le magasin. Le sixième cas d’enquête renvoie à l’organisation de la prise en charge concrète du magasin, ce qui conduit à la création d’horaires gérés par les élèves. Le septième renvoie à des problèmes de surconsommation des clients dans le magasin, ce qui conduit à les moraliser ponctuellement. Le huitième et dernier cas d’enquête renvoie à la question des profits dans le magasin ; cas qui se clôture par une sortie éducative avec le groupe-classe qui met un terme définitif au magasin.
La Figure 1 permet d’apprécier la temporalité du déploiement du magasin, sous forme d’une succession de cas d’enquêtes pour faire avancer le projet de magasin. Notons que, sur la ligne du temps supérieure, les dates du haut correspondent aux rencontres avec le groupe-classe (conseils d’élèves ou observations), tandis que les dates du bas renvoient aux rencontres de planification avec l’enseignante. Sur la Figure 1, on constate que les problèmes apparaissent tous plus ou moins en même temps, soit dans les premiers conseils d’élèves entourant l’analyse de l’idée d’ouvrir un magasin dans l’école. Néanmoins, ces problèmes ne sont pas tous traités simultanément ; certains, moins urgents, sont mis temporairement de côté, là où d’autres apparaissent en cours de route. Par ailleurs, les problèmes ne sont pas traités successivement, mais plutôt en parallèle et sur des périodes allant parfois jusqu’à plusieurs mois. C’est à l’intérieur de ce déploiement du magasin sous forme d’une succession intriquée de problèmes à résoudre par le groupe-classe que prend place la négociation enseignante-chercheur. Car apprendre aux élèves à s’entreprendre, dans la conception de la thèse, c’est réussir à les engager dans la conduite du magasin, c’est-à-dire aussi dans les processus d’enquête qui permettront de dépasser les problèmes qui surviennent en cours d’activité en vue de faire avancer le projet. Et ce que l’un et l’autre acteurs de la collaboration estiment nécessaire d’apporter à la réflexion des élèves ne fait pas toujours immédiatement l’objet d’une entente réciproque…
3.2 Une convergence des points de vue dans la négociation ou la « double vraisemblance » confortée
On aura donc compris, à l’appui de la Figure 1, qu’un cas d’enquête tire invariablement son origine du magasin lui-même, le problème ou le questionnement à sa base pouvant être issu soit directement de l’action dans le magasin, soit de la réflexion sur l’action en conseil d’élèves. Et chaque cas d’enquête, en tant qu’il permet de continuer à avancer dans le magasin, doit également trouver son réinvestissement dans le magasin. C’est dire, au sens deweyen, que la résolution des cas d’enquête est expérientielle (Dewey, 1938b), autrement dit que la solution choisie par le groupe-classe pour dépasser le problème ou le questionnement initial de chaque cas d’enquête doit trouver un écho concret dans la poursuite de l’action du magasin.
Le cas d’enquête 7, portant sur la surconsommation, est à cet égard intéressant à analyser du point de vue de la construction de la double vraisemblance du magasin. Ce cas débute alors que le magasin vient d’être ouvert dans l’école. À ce moment, l’engouement des clients pour le magasin est intense, les files d’attente sont longues pour se procurer du matériel scolaire au magasin. Aussi l’enseignante permet-elle à son groupe d’acheter des articles dans le magasin directement en classe, pendant la routine du matin, pour éviter de grossir indûment les files d’attente pendant les périodes de vente aux clients durant les récréations. En rencontre de planification, l’enseignante revient sur ces moments de vente en classe. Elle rapporte, à cet égard, le comportement d’une élève de la classe qui se demande quoi acheter avec les 15 cents dont elle dispose, n’ayant manifestement besoin de rien…
Enseignante (T151) – […] c’est Jessica qui me dit : « J’ai 15 cennes [centimes], j’ai 15 cennes, est-ce que je peux acheter quelque chose à 15 cennes ? » J’ai dit : « Est-ce que tu as besoin de quelque chose ? », elle dit : « Non ». Bien j’ai dit : « Pourquoi tu dépenserais 15 sous, mets-les dans tes poches puis garde-les pour t’acheter quelque chose quand tu auras le goût ou que tu auras besoin de quelque chose ». […] Ça m’a fait penser, tu sais, il n’y a pas juste l’éducation de « j’achète pour acheter au magasin scolaire », mais il y a aussi une éducation à faire de « je n’ai besoin de rien, je n’ai pas besoin d’acheter ». […]
Enseignante (T153) – Parce qu’on est dans une société tellement de consommation […]. Depuis que les enfants sont petits, à 2 ans, 3 ans : « Maman, je veux, je veux ». […] Le magasin scolaire, oui, c’est là pour dépanner, mais c’est aussi là pour dire : « Regarde, tu n’en as pas besoin, n’en achète pas ».
Entrevue du 19/02/2013
Vu sous l’angle du magasin, ce problème n’en est pas vraiment un. Ce ne sont d’ailleurs pas les élèves qui le relèvent. Au contraire, on pourrait penser que, du point de vue de l’efficacité du magasin, la surconsommation serait encouragée afin de maximiser les ventes. Or, c’est la responsabilité d’éduquer les élèves qui prend le dessus. L’extrait de verbatim est évocateur à cet égard, car l’enseignante se montre critique face à la société de consommation et voit l’importance de faire réfléchir les élèves sur cette question. On comprend que le chercheur, qui se fait le gardien de la réflexivité des élèves, abonde dans le même sens. En fait, il y a entente entre les deux partenaires sur la pertinence d’un conseil d’élèves qui soulèverait cette question auprès des élèves. On convient cependant qu’il sera difficile d’aborder la question avec les élèves, qui ont 7-8 ans rappelons-le, sans brimer d’emblée toute réflexion par une réponse normative stipulant qu’on ne dépense son argent que lorsqu’on a vraiment besoin de quelque chose. Ceci étant, l’enseignante ayant fait, si l’on peut dire, un pas dans la direction des préoccupations du chercheur, la réflexivité des élèves, le chercheur va alors faire un pas dans celle de l’enseignante, en allant explorer le programme de formation des élèves pour essayer de raccrocher la thématique à un contenu du programme et justifier d’autant plus cette occasion à saisir pour une éducation réflexive et critique sur la société de consommation.
Chercheur (T64) – […] Cela dit, j’ai regardé dans le programme puis dans le domaine général de formation (Enseignante – Ah, tu as regardé là ? Bonne idée), oui. Il y a « environnement et consommation », ça s’appelle. Puis « consommation », c’est vraiment, c’est pile dans cette question-là. Tu sais, ils parlent de consommation de masse, de faire la différence entre un besoin et un désir, c’est assez dans nos affaires. […] J’ai essayé de trouver des ressources […], mais je n’ai rien trouvé.
Entrevue du 25/02/2013
Cette incursion du chercheur dans le champ de compétences de l’enseignante va remémorer à cette dernière une leçon, sans rapport avec le magasin scolaire, qu’elle a réalisé avec ses élèves, portant sur les besoins et les désirs à l’approche des fêtes de fin d’année, en lien avec les cadeaux qu’ils demandent et reçoivent éventuellement. L’enseignante envisage alors de conduire une réflexion similaire, relativement dirigée, entourant le problème de surconsommation dans le magasin. Le chercheur, pour sa part, essaie de trouver une question de départ plus ouverte qui permettrait de faire réfléchir les élèves sur la question des dépenses et de l’épargne, par exemple en leur demandant comment les adultes s’organisent pour acheter des biens coûteux. La discussion en restera là durant un moment. Dans l’intervalle, l’enseignante fera ses recherches de son côté et trouvera un manuel d’éthique qui propose une activité portant précisément sur les besoins et les désirs. Partant de là, elle envisage une activité de réflexion au cours de laquelle les élèves devront classer diverses propositions en deux colonnes, soit les besoins ou les désirs, tout en leur faisant prendre conscience qu’une même proposition peut représenter l’une ou l’autre catégorie, en fonction de ce qui la justifie. Dans le même temps, l’enseignante évaluera la capacité des élèves à dialoguer, compétence qui renvoie au programme de formation des élèves.
Enseignante (T30) – OK. J’ai fait une question d’éthique […]. Puis c’est une question où je vais aussi évaluer le dialogue. C’est que là, je n’ai pas mis juste le magasin scolaire là-dedans, j’ai un petit peu des objectifs qu’on a à atteindre, des compétences qu’on a à atteindre au niveau du programme (Chercheur - Pas de problème). […] Ça s’appelle « Près de moi », le livre auquel j’ai fait référence […] qui est un document plus officiel. […]
Enseignante (T34) – Dans le fond, ce que je suis allée chercher, c’est justement une leçon qui se rapporte aux besoins et aux désirs.
Entrevue du 13/03/2013
Le conseil d’élèves qui s’ensuit, organisé le lendemain de cette dernière rencontre de planification, suit le plan imaginé par l’enseignante. Au terme de l’activité, la réflexion est transposée au problème de surconsommation observé dans le magasin et les élèves, désormais conscients du problème, sont appelés à lui trouver une solution. Après quelques échanges et diverses propositions, les élèves s’entendent pour moraliser ponctuellement les clients qui veulent dépenser leur argent au magasin alors qu’ils n’ont manifestement besoin de rien, ce qui sera mis en application par les caissiers dans le magasin. Au fond, dans ce cas, la coconstruction entre l’enseignante et le chercheur permet de faire en sorte que les élèves comprennent puis s’emparent de la problématique de la surconsommation, dans l’esprit de leur apprendre à s’entreprendre. Si cette problématique avait été abordée directement avec le groupe, la discussion aurait été dirigée vers une réponse normative attendue ou n’aurait pas été traitée du tout, eu égard à la difficulté initiale de trouver un angle de discussion suffisamment ouvert pour en discuter avec les élèves.
Ceci étant, en quoi ce cas d’enquête nous éclaire-t-il sur la « double vraisemblance » du magasin ? On pourrait dire que la double vraisemblance, dans ce cas, est immédiatement confortée[5]. En effet, l’enseignante amène, en rencontre de planification, la problématique de la surconsommation, y voit une occasion de prise de conscience éducative pour les élèves, rejoignant ainsi d’emblée le point de vue du chercheur sur la nécessité de faire réfléchir autant que possible les élèves à partir du magasin. En contrepartie, le chercheur va à son tour adopter le point de vue de l’enseignante en investiguant du côté du programme des élèves, qui est a priori le champ de compétences de l’enseignante. Le point d’appui de la coconstruction est ici un exemple remarquable de convergence, où chacun adopte et conforte le point de vue de l’autre acteur de la collaboration. En effet, chacun reconnaît à l’autre la légitimité, dans la collaboration, de déborder de son strict champ de compétences pour construire la pertinence du magasin scolaire, au bénéfice de l’apprentissage à s’entreprendre des élèves, en leur permettant de s’investir dans la problématique constatée, d’y réfléchir et de trouver une solution pour la dépasser.
3.3 Une divergence des points de vue dans la négociation ou la « double vraisemblance » confrontée
Le cas d’enquête 8, portant sur la question des profits dans le magasin, témoigne pour sa part d’une autre facette de la construction de la double vraisemblance du magasin. Ce cas débute dès le premier conseil d’élèves et sera ponctué de deux objets principaux de négociation, au fil de l’année scolaire. Au départ du cas, il y a la nécessité de faire comprendre aux élèves le principe économique d’un magasin, soit l’achat d’un stock de matériel initial, requérant une mise de fonds, puis la vente des produits à un montant donné. Le premier objet de négociation émerge lorsque vient la question, soulevée en conseil, à savoir si les produits dans le magasin seraient donnés ou vendus ; une première discussion avec le groupe permettant de privilégier la seconde option. En rencontre de planification, l’enseignante rappelle alors qu’elle souhaite établir la liste de prix des produits elle-même, estimant trop compliqué pour les élèves de deuxième année de calculer le prix à l’unité des différents produits, au départ de ce qu’ils ont vraiment coûté (exercice qu’elle réalisait, les années précédentes, avec ses groupes de sixième année). Reconnaissant la meilleure connaissance des capacités des élèves de l’enseignante, qui relève de son champ de compétences, le chercheur ne remettra pas en question ce choix. Par contre, il amènera l’idée de laisser ouverte, afin de laisser décider les élèves, la question de réaliser ou non un profit sur les collations qui seront ajoutées aux produits à vendre dans le magasin, dans l’optique d’amener une réflexion plus importante, soit ce qui serait fait de l’argent gagné.
Le véritable enjeu de la négociation va apparaître clairement au cours de la prochaine rencontre de planification alors que le chercheur, suite à un commentaire d’élève en conseil, demande à l’enseignante son ouverture vis-à-vis de la possibilité de ne pas faire de profit sur les collations ; étant déjà convenu entre adultes qu’aucun profit ne serait réalisé sur les fournitures scolaires. En effet, pour l’enseignante, les fournitures scolaires représentent un bien de première nécessité à l’école et le but du magasin est précisément d’offrir un service de dépannage bon marché à la communauté scolaire. Comme en témoigne le prochain extrait de verbatim, la question du chercheur va conduire à une confrontation de points de vue, l’enseignante n’étant pas prête, pour diverses raisons, à laisser les élèves prendre une décision relative au profit sur les collations ; décision qu’elle aurait préféré se réserver.
Chercheur (T33) – […] je voulais savoir ton ouverture vis-à-vis du fait de ne pas faire de profit sur les collations. Marianne m’a dit : « Monsieur Matthias, mais notre but, c’est quand même pas de faire des profits ». […] Là, je me suis dit : il y aurait vraiment un objet de conseil d’élève, de réflexion sur… Au lieu de dire on va faire des profits […], si tu as de l’ouverture pour ne pas en faire, pour les laisser décider si on en fait ou si on n’en fait pas […]
Enseignante (T34) – […] la mise de fonds du départ […] je la sors de ma poche personnelle. Si je dis, on joue kif-kif, il n’y a pas de profit et qu’on a un déficit, c’est moi qui assume le déficit et pas l’école. […] les profits, je ne veux pas que les enfants misent là-dessus en deuxième année ([imitant la voix d’un enfant] On fait de l’argent ! On fait de l’argent !) […] En deuxième année, ça va sortir tout croche ». On fait de l’argent. Moi, je ne veux même pas en parler du profit. On va décider des prix avant, etc. Ils ne s’en rendront même pas compte si on ne leur dit pas […].
Chercheur (T35) – Moi, je trouve ça très, très problématique. […]
Chercheur (T37) – […] Une des grosses critiques qu’il y a de ces micro-entreprises-là, au niveau des gens en éducation qui critiquent l’approche entrepreneuriale, c’est justement qu’on se sert de l’argent qu’on gagne pour acheter des choses pour l’école ou pour les enfants […].
Enseignante (T38) – Oui, sauf qu’ils sont petits en deuxième année pour parler de profit, je trouve.
Entrevue du 28/10/2012
Cet extrait de la négociation autour de la question du profit est particulièrement révélateur des enjeux de l’un et l’autre acteurs de la collaboration. Chacun va en effet camper sur ses positions, quitte à s’appuyer sur des arguments d’autorité, pour faire valoir son point de vue. Ainsi, l’enseignante désire-t-elle réaliser un profit sur les collations dans le magasin pour ne pas essuyer de pertes, engageant personnellement la mise de fonds qui permet au magasin de démarrer. Elle dira à cet égard que les élèves ne se rendront pas compte qu’un profit est réalisé puisque c’est elle qui déterminera le prix des produits. L’enseignante craint par ailleurs que ses élèves, qui sont jeunes, se vantent maladroitement de réaliser des profits grâce au magasin, raison qui la pousse à ne pas vouloir aborder le sujet avec eux et qui renvoie à la dimension publique du magasin dans l’école et à son corollaire, le regard des membres de la communauté, autres enseignants, voire parents. De son côté, le chercheur trouve l’argumentation problématique. Il se replie sur sa communauté de recherche en précisant que la dimension pécuniaire des projets entrepreneuriaux fait l’objet de vives critiques en éducation et devrait conduire à laisser les élèves décider eux-mêmes s’ils souhaitent réaliser un profit. La clôture semble hasardeuse, l’enseignante estimant que les élèves sont trop jeunes pour parler du profit, appréciation qui relève de son champ de compétences.
Finalement, pour garder ouverte la question de réaliser un profit ou non sur les collations et la possibilité d’en discuter avec les élèves, le chercheur proposera à l’enseignante de contribuer à la mise de fonds initiale dans le magasin, pour éviter qu’elle perde éventuellement de l’argent (promesse qui n’aura pas besoin d’être tenue). L’enseignante laisse alors entendre que la discussion repose sur un malentendu, qu’elle avait mal interprété les propos du chercheur, pensant qu’il désirait ne pas faire de profit du tout. On finit, pour clore un échange relativement tendu, par se retrancher sur la conception commune de l’entrepreneuriat qui sous-tend la collaboration de recherche. En effet, dans l’échange, le chercheur rappelle sa vision des choses, à laquelle se rallie l’enseignante, soit que l’entrepreneuriat à l’école ne devrait pas conduire à valoriser les questions d’argent. Il est alors entendu, sans grande conviction de la part de l’enseignante, que le sujet sera abordé avec les élèves, mais plus tard, l’enseignante restant sur l’impression que les élèves ne seront pas capables de discuter du sujet.
Chercheur (T40) – Moi, je serais vraiment prêt à faire la mise de fonds avec toi (Enseignante – OK), ou tout seul même, ça ne me dérange pas, pour ouvrir cette possibilité de réflexion. Peut-être qu’on va en discuter et qu’ils vont dire : « on fait du profit ». Mais, je voudrais qu’on n’ait pas pris la décision avant et qu’il y ait… (Enseignante – Ah ! OK. Toi, tu veux en discuter avec eux. Je pensais que tu disais : « Non, on n’en fait pas du tout [du profit] »)… Non ! Non ! Peut-être que la discussion ça va être : on fait un peu de profit, un cinq cents, dix cents, sur les collations. […]
Enseignante (T49) – […] Il va falloir attendre que le magasin soit plus concret, qu’ils en aient un peu manipulé de l’argent.
Chercheur (T50) – […] Moi, tu sais que ma vision des choses ce n’est vraiment pas un entrepreneuriat où on fait de l’argent (Enseignante – Non, moi non plus au départ, mais ce n’est pas non plus…) […]. Ils sont capables d’en parler. Si on passe à côté de cette discussion-là, on va vraiment passer à côté de quelque chose.
Enseignante (T51) – Toi, tu sens qu’ils sont capables, moi j’ai le « feeling » qu’ils ne comprendront pas vraiment. On verra ce que ça fait…
Entrevue du 28/10/2012
Finalement, le sujet sera traité avec les élèves trois mois plus tard, alors que le magasin vient effectivement d’ouvrir dans l’école et que les collations vont bientôt être introduites aux produits à vendre. Partant d’une question ouverte, les élèves apparaissent globalement en faveur de réaliser des profits sur les collations, les explications de l’enseignante les convaincant de tendre vers cette option. Néanmoins, un élève mentionne que si les collations sont vendues trop cher, certains clients ne pourront plus se les payer, l’école étant située dans un milieu socio-économique mixte. Il est finalement convenu, par un vote à main levée, qu’on réalisera un profit raisonnable sur les collations, afin de conserver un prix de vente accessible. C’est l’enseignante, en établissant la liste de prix au moment d’ajouter les collations aux produits à vendre dans le magasin, qui déterminera la marge de profit, de l’ordre de quelques centimes par collation.
Ceci étant, en quoi ce premier moment de négociation entourant la question des profits nous éclaire-t-il sur la « double vraisemblance » du projet de magasin ? Cette négociation est particulièrement représentative d’une divergence entre les deux acteurs de la collaboration. Il se construit, dans la négociation, ce que Tully & al. (2007) pourraient qualifier de désaccord raisonnable. En effet, chacun a ses raisons, valables en elles-mêmes, de tenir à son point de vue. L’enseignante fait appel à sa communauté de pratique (dimension publique du profit dans l’école), à son champ de compétences (jeune âge des élèves pour aborder le sujet) et à un enjeu personnel (ne pas faire de déficit), là où le chercheur se replie derrière les arguments de sa communauté de recherche (critiques philosophiques de la dimension pécuniaire de l’entrepreneuriat à l’école). L’échange conduit à une impasse, à une situation de non-clôture de la négociation. Pour préserver la double vraisemblance du magasin et de la relation, on devra se retrancher derrière ce qui est bien établi, soit la conception commune de l’entrepreneuriat qui habite l’un et l’autre partenaires (former des entreprenants, pas des entrepreneurs, les questions d’argent étant dès lors secondaires), conception qui est au fondement même de la collaboration de recherche. Il n’en demeure pas moins qu’aucun véritable compromis n’est trouvé. Le chercheur peine à convaincre l’enseignante et cette dernière accepte, presqu’à contrecoeur, d’aborder la question du profit avec les élèves.
3.4 Une conciliation des points de vue dans la négociation ou la « double vraisemblance » accommodée
Le deuxième objet de négociation relatif aux profits est directement en lien avec le premier. En effet, dès lors qu’il est décidé de réaliser un profit raisonnable sur les collations, apparaît immédiatement la nécessité de décider comment ce profit sera utilisé ; un aspect qui avait été anticipé très tôt en rencontre de planification. Le chercheur souhaite amener ce sujet en conseil d’élèves, mais l’enseignante appréhende l’orientation possible d’une telle discussion avec les élèves, leur jeune âge refaisant surface dans ses raisons d’hésiter.
Enseignante (T41) – Mais, si on leur en parle du fait de faire du profit, ils vont se poser des questions sur ce qu’on fait avec l’argent. (Chercheur – C’est sûr que ça va amener cette réflexion-là). […]
Enseignante (T43) – […] Je me disais : le profit, en deuxième année… Je ne me voyais pas dire aux élèves : « Bon, qu’est-ce qu’on fait avec notre profit ? ». [En imitant la réponse d’un élève] On s’achète des jeux, on se le partage. […]
Enseignante (T45) – […] Ils ne me feront pas acheter des cadeaux avec cet argent-là !
Chercheur (T46) – C’est sûr qu’en tant qu’adultes, on a un droit de veto. Nous, on n’est pas d’accord que vous achetiez des cadeaux avec l’argent qu’on va faire. Il faut que ça revienne à tout le monde.
Enseignante (T47) – […] Moi là, il faut que je pense que si un parent arrive et vient me voir à l’école : « vous faites un profit sur les collations que vous vendez à mon enfant, vous faites quoi avec cet argent-là ? », « je fais un souper de fête, un pique-nique de pizza ». Je ne trouve pas ça très pédagogique. […]
Chercheur (T48) – Ça, je suis vraiment d’accord avec toi, sauf que je pense qu’on peut ne pas avoir pris cette décision-là et leur laisser vraiment le choix (Enseignante – Dans ce sens-là, c’est correct).
Entrevue du 28/10/2012
Dans l’extrait de verbatim, on comprend que la question a déjà été, très tôt dans le projet de magasin, abordée avec les élèves et que ces derniers avaient alors fait des propositions qui ne plaisaient pas à l’enseignante. Une élève avait par exemple suggéré de s’acheter des cadeaux. Ceci étant, aucune réflexion formelle sur le sujet n’a encore été conduite avec le groupe et aucune décision n’a encore été prise. La discussion en rencontre de planification permet de relever un élément qui va prendre de l’importance par la suite. Idéalement, pour le chercheur, les élèves décideraient eux-mêmes de l’usage des profits. Néanmoins, on a compris que l’enseignante hésite à aborder le sujet avec le groupe. Aussi, pour rassurer l’enseignante, le chercheur évoque-t-il la possibilité, d’une part, qu’elle se garde un droit de veto relativement aux propositions des élèves et, d’autre part, qu’elle établisse des critères de recevabilité des propositions ; l’enjeu de l’enseignante étant entre autres de rendre acceptable publiquement, face aux parents d’élèves notamment, l’utilisation des profits du magasin.
Enseignante (T139) – […] je peux te dire une chose, c’est que je ne suivrai pas nécessairement leurs suggestions (Chercheur – Tu as le droit) parce que qu’est-ce qu’ils vont faire [proposer] en 2e année, ça me fait peur. […]
Entrevue du 25/02/2013
En fait, l’enseignante a déjà une idée en tête concernant ce qu’elle veut faire du profit. Rassurée dans la possibilité de se garder un droit de veto, elle va alors accepter que la question soit discutée avec le groupe. Le sujet est finalement abordé en conseil à la mi-avril. Les échanges avec les élèves permettent d’explorer plusieurs possibilités : tirer quelqu’un au sort qui recevrait tous les profits, acheter quelque chose pour l’école, soutenir une cause sociale ou s’offrir quelque chose comme groupe-classe. Cette dernière suggestion fera l’objet de plus amples discussions et de propositions d’activités plus précises. Sur la base des discussions en rencontres de planification, l’enseignante établit à cet égard deux critères de recevabilité des propositions : ces dernières devront sortir un peu de l’ordinaire et, surtout, être éducatives. Partant de là, elle écartera certaines propositions (pas assez spéciales, trop coûteuses) et elle se servira de la suggestion d’une élève pour faire avancer une idée, soit une sortie de groupe à la librairie au cours de laquelle les élèves disposeraient d’une part égale des profits pour s’acheter un livre. La discussion en restera là, sans qu’une décision soit prise collectivement. L’idée de soutenir une cause sociale sera discutée plus avant dans un prochain conseil, mais finalement écartée. Dans l’ensemble, les réflexions auront permis aux élèves de s’intéresser à la question de l’utilisation des profits et même d’avancer une option à laquelle l’enseignante n’avait pas pensé, le don d’argent.
Enseignante (T79) – C’est une bonne idée [de soutenir une cause]. Si j’avais fait ça les autres années, [où on réalisait beaucoup de profits], ça aurait été génial. Mais là, je vais avoir 200 et quelques dollars. Je trouve qu’ils ont tellement fait d’efforts […].
Enseignante (T83) – […] j’aurais aimé ça, vraiment, qu’ils puissent jouir de tous ces efforts-là en choisissant un livre dans une librairie ou en allant faire une activité quelconque. […]
Entrevue du 12/05/2013
Finalement, l’enseignante ira de l’avant avec l’idée de la sortie à la librairie, dans la mesure où elle désire que les élèves soient récompensés pour leur travail, toute l’année, dans le magasin. Des parents et le chercheur seront conviés à encadrer la sortie afin d’emprunter le transport en commun de la ville (plutôt que le transport scolaire), en vue de minimiser les coûts de la sortie. Les élèves disposeront chacun d’une part égale des profits du magasin, que les parents avaient l’option de compléter, afin de s’acheter un livre ; l’activité répondant aux deux critères de recevabilité qui avaient été établis (son caractère à la fois spécial et éducatif).
En définitive, en quoi ce deuxième moment de négociation entourant la question des profits nous éclaire-t-il sur la « double vraisemblance » du projet de magasin ? On pourrait dire, ici, que chacun va accueillir le point de vue de l’autre, la double vraisemblance reposant alors sur un compromis. En effet, l’enseignante est réticente à laisser les élèves décider ce qui sera fait des profits, l’acceptabilité publique de son usage représentant un enjeu. Bien qu’il aurait préféré que la décision appartienne aux élèves, le chercheur conforte l’enseignante vis-à-vis de la possibilité d’user de son droit de veto face aux propositions des élèves. L’enseignante acceptera alors d’amener le sujet en conseil, tout en imposant des conditions de recevabilité des propositions. Ainsi, la négociation conduit-elle à une solution qui se situe au carrefour des intérêts et enjeux de l’un et l’autre acteurs de la collaboration. L’enseignante garde le contrôle de la décision finale, ce que le chercheur lui concède. Elle s’assure que l’usage des profits soit éducatif, donc acceptable, et que l’activité choisie soit une forme de récompense du travail des élèves. En définitive, même si c’est l’enseignante qui choisit l’activité au cours de laquelle les profits seront dépensés (sur la base de ce qui avait été discuté en conseil et tout en s’assurant que ladite activité plaise aux élèves), les élèves auront eu l’opportunité de réfléchir à la question de l’usage des profits, ce que l’enseignante concède au chercheur.
4. Un éclairage sur la « double vraisemblance » au carrefour des points de vue des acteurs de la collaboration
En quoi ces trois moments de négociation dans la collaboration permettent-ils de jeter un éclairage transversal sur la double vraisemblance du projet de magasin ? Rappelons d’abord le mouvement général de la collaboration à la base de la recherche. Toute l’énergie des deux partenaires, dans leur effort de faire converger leurs préoccupations à la fois respectives et communes, est dirigée sur le bon déroulement du projet de magasin scolaire, et surtout sur ce qu’on cherche à favoriser à travers ce projet, soit l’apprentissage à s’entreprendre des élèves. Mais un apprentissage à s’entreprendre qui ne va pas dans n’importe quel sens : car il s’agit bien de documenter un apprentissage réflexif et démocratique chez les élèves, autant que possible, un apprentissage qui a comme point d’appui le conseil d’élèves. C’est ce conseil d’élèves, on l’a vu, qui constitue le point d’ancrage et le point d’horizon de la collaboration des deux partenaires. Quoi soumettre en conseil et comment réinvestir le fruit de la réflexion des élèves au bénéfice de la bonne marche du magasin, au bénéfice, surtout, de l’apprentissage à s’entreprendre des élèves ? La réponse à ces questions est issue, on l’a vu, d’une démarche de négociation entre les deux partenaires qui porte l’enjeu de satisfaire une double vraisemblance. Ce modèle d’apprentissage réflexif et démocratique doit rester crédible à la fois pour l’enseignante (et son contexte de pratique) et pour le chercheur (et son modèle théorique).
Avant d’aller plus loin, situons également les limites méthodologiques de notre illustration. Les trois moments de négociation choisis ne permettent sans doute pas d’épuiser la variété des modes de négociation en oeuvre dans la recherche, pas plus qu’ils n’autorisent à mettre en évidence l’ensemble des enjeux, de pratique ou de recherche, qui ont habité les négociations. Il aurait, pour cela, fallu entamer un travail systématique d’analyse de tous les moments de négociation qui ont ponctué les rencontres de planification, ce qui n’était pas notre prétention. Ceci étant, la sélection proposée nous semble suffisamment représentative de trois « parcours de négociation » illustrant respectivement, on l’a vu, une convergence, une divergence et une conciliation des points de vue des acteurs de la collaboration. À cet égard, ce qui rejoint ces trois moments de négociation renvoie aux fondements de la conception de la recherche collaborative sur laquelle s’est appuyée la recherche (Desgagné, 2001). La collaboration de recherche, dans cette perspective, ne consiste pas à imposer son point de vue de chercheur au praticien, pas plus qu’elle ne suppose d’accepter à tout prix le point de vue du praticien. La collaboration repose plutôt sur un équilibre, délicat, à instaurer entre les différentes parties, où le point de vue de chacun dispose d’un poids relatif dans la coconstruction de la double vraisemblance du projet collaboratif.
Comme le remarque Saboya (2013), dans la coconstruction de la double vraisemblance du projet collaboratif s’opère un subtil enchevêtrement des points de vue et des champs de compétences respectifs des partenaires de la collaboration. Bien que les croyances, voire les convictions, des partenaires se rejoignent à la base quant à la valeur de mener un projet que les élèves s’approprient pour eux-mêmes dans le « faire » et dans la réflexion sur le « faire », convictions qui tiennent lieu de socle à la collaboration, la coconstruction n’en est pas toujours pour autant, pourrait-on dire, un long fleuve tranquille, ni, comme on pourrait le penser, un compromis au carrefour des raisons et enjeux qui habitent l’un et l’autre partenaires de la collaboration, comme l’illustre le deuxième moment de négociation autour des profits. Tantôt les enjeux sont convergents au départ (comme dans le cas de la surconsommation). Il est intéressant de voir qu’on ne se limite alors pas à mobiliser son propre champ de compétences, dans le travail de coconstruction autour de la façon de mener le projet, mais qu’on va jusqu’à créer une zone de compétences partagée par les deux partenaires (c’est l’enseignante qui propose et justifie de faire un conseil d’élèves sur la surconsommation et c’est le chercheur qui va puiser au programme scolaire différentes façons de le concrétiser). Tantôt les enjeux sont divergents, voire inconciliables, comme en témoigne le premier moment de négociation autour des profits, et conduisent la négociation dans une impasse, en dépit de tous les arguments qui auront pu être apportés.
Serait-ce à dire qu’il y a des parcours de négociation plus acceptables que d’autres ou encore témoignant d’un potentiel plus grand quant au résultat à obtenir de la collaboration des partenaires ? En d’autres mots, va-t-on plus loin dans la coconstruction de la double vraisemblance du projet quand on converge que quand on diverge ? Ce questionnement permet de préciser que le but de notre analyse n’est surtout pas de hiérarchiser les moments de négociation comme facilitant ou contraignant plus ou moins la collaboration. En fait, il ne faut pas juger de chaque moment de négociation pour lui-même, mais en tant qu’il s’insère dans une longue trame de négociation où les deux partenaires poursuivent une cible commune : faire en sorte que les élèves apprennent à s’entreprendre. Et cette trame de négociation se tisse sur la croyance partagée que le point de vue de l’autre est un apport à son propre point de vue et, réciproquement, que son propre point de vue est un apport au point de vue de l’autre. Autrement dit, tant que les deux partenaires restent ouverts à une interinfluence, tant que cette interinfluence leur paraît féconde, au fil des moments de convergence, de divergence ou de conciliation, toujours transitoires cela dit, pour le bénéfice des élèves et de leur apprentissage à s’entreprendre, leur collaboration sera maintenue. N’est-ce pas là le sens même de la double vraisemblance visée dans le projet collaboratif ?
Conclusion
L’objet spécifique du projet de recherche, rappelons-le, était de documenter l’apprentissage à s’entreprendre des élèves. La collaboration entre le chercheur et l’enseignante, que nous venons d’analyser, était au service de cet objet. Quelle est la plus-value de cette démarche collaborative pour le bénéfice de l’objet de recherche investigué ? En fait, en établissant un rapport de coconstructeurs de savoir avec l’enseignante, plutôt qu’un rapport de producteur de savoir à exécutant, le chercheur a pu documenter non pas un modèle théorique imposé aux contraintes de la pratique, mais un modèle où le théorique et le pratique se coconstituent (Desgagné, 2007). Les huit cas d’enquêtes menées par le groupe d’élèves, évoquées plus tôt dans cet article, et qui ont servi à documenter l’apprentissage à s’entreprendre des élèves dans la thèse doctorale, sont le produit conjugué des négociations menées et des décisions prises par les partenaires, on l’a illustré dans cet article, décisions qui, entre autres, ont orienté ce qu’il convenait de soumettre à la réflexion des élèves en conseil démocratique et la manière de soutenir cette réflexion, au fil du déroulement du projet entrepreneurial. En d’autres termes, si on a pu documenter les composantes structurantes du processus d’enquête, en tant qu’elles témoignaient d’une conception démocratique et réflexive de l’apprentissage à s’entreprendre, c’est que les conditions de cet apprentissage, à l’appui de cette conception, ont été coconstruites par les partenaires. Et en ce sens, les résultats de la recherche, comme produit de cette coconstruction, rejoignent le critère de double vraisemblance.
Par ailleurs, et c’est là la conséquence logique de ce qui précède, en documentant l’apprentissage à s’entreprendre des élèves dans un projet mené en collaboration avec une enseignante, le chercheur a pu documenter du même coup les conditions pédagogiques permettant cet apprentissage (Pepin, 2017 b et c). Autrement dit, le chercheur n’a pas choisi d’investiguer son objet de recherche en vase clos, dans une classe laboratoire où auraient été créées des conditions particulières, protégées des contraintes de la vie scolaire. Bien au contraire, il a choisi de s’associer à une enseignante en exercice, qui devait composer, pour mener à bien le projet de magasin scolaire, avec un programme de formation à dispenser à ses élèves, avec un groupe de jeunes élèves de deuxième année du primaire (7-8 ans), avec un environnement scolaire contraignant à certains égards, avec une direction d’école et des collègues qui devaient donner leur adhésion à un projet susceptible de perturber la vie de l’école tout entière, voire avec des parents dont le regard pesait à distance sur ses décisions. Autrement dit, les conditions pédagogiques qui ont été négociées entre le chercheur et l’enseignante, pour rendre possible le projet de magasin scolaire et permettre de documenter l’apprentissage à s’entreprendre des élèves, selon la conception démocratique et réflexive inspirée de Dewey, l’ont été sur la base de leur mise à l’épreuve dans un contexte réel d’enseignement. Cette préséance donnée par les partenaires au contexte réel d’enseignement ajoute à la double vraisemblance des résultats.
Parties annexes
Notes
-
[1]
En fait, Dubet (1994) parle d’une « vraisemblance » à « double exigence » pour un chercheur qui, dans une démarche de recherche impliquée empruntant, dans son cas, à la méthode dite d’intervention sociologique, doit à la fois répondre aux « normes habituelles du métier de sociologue » et « être crédible » pour des acteurs sociaux qu’il considère capables de réflexion sur leur action. En ce sens, le sociologue, dans le cadre de cette méthode, vise un « double public » : « la communauté scientifique » et celle des « acteurs » sociaux concernés par la recherche (p. 249).
-
[2]
Le point de vue, chez Darré (1999), renvoie à la manière dont un acteur social conçoit les choses. Et la manière dont il conçoit les choses est liée à l’activité qu’il mène et à la position sociale qu’il occupe dans cette activité. En ce sens, le « point de vue » ne renvoie pas simplement à l’opinion qu’on donne ou au jugement qu’on porte sur les choses, mais au « point d’où l’on voit les choses » (Mathieu, Lasseur & Darré, 2004, p. 25). Darré (1999) conçoit la recherche en collaboration comme une rencontre, voire une confrontation des « points de vue » entre les acteurs concernés, chercheurs et praticiens.
-
[3]
St-Arnaud (2003) identifie tois éléments indissociables pour établir ce qu’il appelle une « structure de coopération » entre un acteur et un interlocuteur : « 1) les partenaires se concertent dans la poursuite d’un but commun; 2) les partenaires se reconnaissent mutuellement des compétences à l’égard du but visé; 3) le pouvoir est partagé, chacun des partenaires exerçant une influence sur l’autre tout en respectant son champ de compétence » (p. 88). Bien que l’auteur situe son propos dans le contexte d’une interaction professionnelle, ces éléments nous semblent transposables dans le contexte de la recherche collaborative.
-
[4]
L’analyse de ces parcours de négociation renvoie à l’esprit de ce qu’il est convenu d’appeler l’analyse du discours en interaction, plus spécifiquement à la problématique liée à l’analyse des « négociations conversationnelles » (Kerbrat-Orecchioni, 2005). Globalement, on parle de « négociations conversationnelles » quand les participants à l’interaction, suite à un désaccord, du moins à un non-accord, sur un objet à négocier, mettent en place des procédures discursives visant une entente. L’analyse de nos parcours de négociation, on le verra, se situe au niveau des contenus des échanges entre les participants.
-
[5]
Peut-on parler de négociation, au sens strict, dans cet exemple, puisqu’il n’y a pas de désaccord initial, ni même de non-accord, qui déclenche une recherche d’accord ou d’entente entre les deux participants à l’interaction (Kerbrat-Orecchioni, 2005)? Comme il y a entente, presqu’au départ de la conversation, sur l’idée de faire réfléchir les élèves sur la problématique de la surconsommation, la négociation, la suite de l’exemple le montre, porte plus sur la manière de faire réfléchir les élèves sur cette problématique. Autrement dit, les participants ne s’arrêtent pas à l’entente initiale concernant la problématique de la surconsommation; ils cherchent à se mettre d’accord sur la manière de faire, d’où leur besoin de discourir plus avant et de mener à terme leur entente. S’il n’y a pas un désaccord, comme déclencheur, il y a bien un processus de coordination de sens en vue de rechercher un accord.
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