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Introduction

Depuis quelques années, des questionnements entourant le rôle et la place de l’université ont marqué les politiques publiques et les discours politiques. En ce sens, diverses études ont été réalisées concernant les formations et les études universitaires, selon différents points de vue discutant de leur pertinence, de leur efficacité, de leurs visées ou même de leur coût. Une autre préoccupation, très spécifique, est la capacité des universités à diplômer les étudiants qui s’y inscrivent, étudiée sous l’angle des taux de réussite ou d’abandon, de même que des facteurs associés à ces taux.

Au Québec, cette préoccupation marquante autour de l’obtention du diplôme ou de l’abandon des études universitaires a vu le jour au début des années 2000. On assistait alors à la mise en place des contrats de performance entre le ministère de l’éducation du Québec et les universités, avec des cibles de taux de réussite à atteindre, négociées avec chaque université, et un financement conséquent. Toutefois, peu d’études ou de publications révèlent les taux d’abandon des formations universitaires. En 2012, un rapport d’un groupe de réflexion relance cette question du taux d’abandon dans un domaine précis, celui de la formation à l’enseignement professionnel (FEP).

Parmi tous les programmes universitaires québécois de formation à l’enseignement, seuls ceux à l’enseignement professionnel (FEP) forment des enseignants après leur début en enseignement. En effet, en formation professionnelle (FP) au secondaire au Québec, les enseignants sont recrutés dans les divers milieux de pratique en raison de leur expertise de métier, sans aucune préparation formelle à l’enseignement. Une fois en poste, ils ont l’obligation de s’inscrire à un programme universitaire de formation des maîtres. C’est alors qu’ils se retrouvent nécessairement en alternance éducative en raison de la concomitance entre la formation universitaire et l’enseignement au quotidien. Cette situation tranche avec celle des nouveaux enseignants de la formation générale, au primaire ou au secondaire, qui ont préalablement complété leur programme de formation à l’enseignement avant de s’insérer dans la profession enseignante.

Avec l’objectif de présenter et d’analyser des taux d’abandon dans les programmes de FEP offerts depuis 2003 au Québec afin de mieux cerner les contours de ce phénomène aussi complexe que peu étudié, la première section de l’article détaille d’abord le contexte agité du secteur professionnel au cours des dernières années. Nous y décrivons la conjoncture de ce secteur de formation qui influence, entre autres en fonction des besoins de main-d’oeuvre du marché du travail, le nombre d’enseignants nécessaire. Nous exposons ensuite les exigences de formation universitaire auxquelles sont soumis les nouveaux enseignants de la FP depuis 2003. Nous terminons cette mise en contexte en présentant les conditions d’études particulières vécues dans les programmes de FEP. Cette mise en contexte permettra, en discussion, de traiter des raisons de l’abandon dans ces programmes.

Par la suite, après avoir analysé la littérature relative à l’abandon des études universitaires, dont celles en FEP, nous exposons la méthodologie servant à la présentation des données recueillies. Il est important, dès à présent, de préciser que les résultats présentés proviennent de l’analyse secondaire de données issues de deux processus de cueillette de données qui sont hors de la maîtrise des auteurs. Dans la partie de l’analyse des données, la discussion va d’abord porter sur les limites méthodologiques entourant les résultats obtenus. Enfin, puisque l’influence de ces limites sur les taux calculés est difficile à objectiver, l’interprétation des taux d’abandon permettra un premier examen des causes de l’abandon des études universitaires en formation à l’enseignement professionnel au Québec.

1. Mise en contexte de la formation à l’enseignement professionnel au Québec

1.1 Effervescence autour de la formation professionnelle

De façon généralisée sur le continent nord-américain au cours des années 70 et 80, le secteur de la FP au secondaire a connu des périodes difficiles, étant souvent associé dans l’esprit des élèves, des parents et de la population en général comme une voie d’évitement ou de dernier recours pour les élèves qui vivent des difficultés scolaires (Tardif, 2001 ; Vo, 1997 ; Wonacott, 2000). Toutefois, au Québec, plusieurs années de restructuration de ce secteur et de nombreux efforts de valorisation semblent avoir porté fruit. En effet, comme le montrent les données publiées par le Gouvernement du Québec (2007, 2013), le nombre d’élèves inscrit en FP est à la hausse depuis plusieurs années, s’établissant à 107 272 en 2009-2010, une augmentation de plus de 38 % sur une période de moins de 10 ans ; ils étaient 77 765 en 2001-2002. Cette tendance est accompagnée par un taux de réussite aussi à la hausse : « La proportion des élèves ayant terminé leurs études en 2008-2009 avec un diplôme était de 86,2 %, alors qu’elle était de 56,3 % pour les élèves ayant terminé leurs études en 1980-1981 » (MELS, 2011, p. 74).

Conséquemment, cette augmentation du nombre d’inscriptions dans les quelque 165 programmes de Diplôme d’études professionnelles (DEP) ou d’attestation de spécialisation professionnelle (ASP) a influencé à la hausse les besoins de personnels enseignants. Les données disponibles montrent une augmentation considérable du nombre d’enseignants en FP. Celui-ci est passé de 8 124 en 2000-2001 à 10 020 enseignants en 2009-2010 (gouvernement du Québec, 2007, 2013), ce qui représente une hausse de 18,9 % sur une période de 10 ans. En ce qui concerne leur statut d’emploi, on observe, au cours des dernières années, une augmentation de leur proportion dans la catégorie des enseignants à forfait et la diminution de la proportion des enseignants réguliers, aussi appelés permanents. Ces derniers sont passés de 2 487 (30,6 %) en 2000-2001 à 2 391 (23,9 %) en 2009-2010 tandis que les enseignants à forfait sont passés de 1 849 (22,8 %) en 2000-2001 à 3 067 (30,6 %) en 2009-2010. À noter l’augmentation du nombre des enseignants à taux horaire qui est passé de 3 788 en 2000-2001 à 4 562 en 2009-2010, mais dont les proportions sont demeurées sensiblement les mêmes, 46,6 % en 2000-2001 et 45,5 % en 2009-2010. Enfin, concernant ces enseignants de la FP, leur âge moyen est plus élevé que celui des enseignants du préscolaire, primaire ou secondaire. Pour ces derniers, l’âge moyen est demeuré stable à 39,1 ans depuis 2000-2001 tandis qu’en FP, l’âge moyen est en hausse, passant de 43,1 ans en 2000-2001 à 45,2 ans en 2009-2010.

1.2 Nouvelles exigences de formation du personnel enseignant en FP

Cette augmentation récente du nombre d’enseignants dans les centres de formation professionnelle s’est produite au moment même où est survenue une modification législative concernant les autorisations d’enseigner au secteur professionnel dont l’un des aspects touche la formation de son personnel enseignant. Ayant des visées pédagogiques, ces nouvelles exigences ministérielles de formation changent les conditions d’obtention et de renouvellement des autorisations légales d’enseigner en enseignement professionnel, délivrées par le MELS, qu’elles soient temporaires ou permanentes. L’exigence de formation universitaire pour obtenir le brevet d’enseigner, soit l’autorisation permanente d’enseigner, est passée d’un certificat de 30 crédits à un baccalauréat de 120 crédits. C’est à l’automne 2003 que les baccalauréats de 120 crédits, visant l’atteinte des 12 compétences du référentiel de formation à l’enseignement (MEQ, 2001), ont été instaurés dans les universités offrant ce parcours de formation à l’enseignement professionnel (FEP).

Par ailleurs, puisque la majorité des étudiants des programmes de FEP enseignent déjà, les changements apportés au règlement sur les autorisations d’enseigner permettent à un étudiant de renouveler celles considérées provisoires, sur une période allant jusqu’à 10 ans, lui accordant ainsi la possibilité de décrocher des contrats d’enseignement. Enfin, une licence d’enseigner valide pour une durée de cinq années peut être après obtenue après la réussite de 90 des 120 crédits d’un programme de FEP. Tout en respectant certaines conditions, cette licence peut permettre à son détenteur d’obtenir des contrats d’enseignement, et même un poste dit régulier, sans devoir compléter le baccalauréat.

1.3 Conditions d’études en FEP

Une analyse des programmes de FEP au Québec montre qu’ils sont tous offerts à temps partiel. Cette spécificité s’explique par le fait que les étudiants qui s’y inscrivent sont, pour la grande majorité, des enseignants en exercice en FP. En ce sens, le rapport du Groupe de réflexion sur la formation à l’enseignement professionnel (Deschenaux, Monette & Tardif, 2012) précise que cette caractéristique des programmes de FEP rapproche ceux-ci davantage des programmes de formation continue. Or, aucune étude en lien avec notre préoccupation de recherche n’a été recensée concernant des programmes de baccalauréat offerts à temps partiel. Les seules indications recueillies concernent les étudiants à temps partiel, dans différents programmes de certificats ou aux cycles supérieurs, dont plusieurs études indiquent qu’ils présentent un risque plus élevé d’abandon de leurs études postsecondaires (Gilardi & Guglielmetti, 2011), surtout s’ils sont considérés comme des adultes (25 ans et plus) et qu’ils travaillent.

Une autre caractéristique des programmes de FEP au Québec est l’offre de cours à distance. Que cette offre soit partielle ou complète, dans le cas d’une des six universités qui offrent ce programme au Québec, les taux d’abandon des programmes ou des cours offerts à distance semblent être différents de ceux offerts en présence des étudiants. Selon les études recensées aux États-Unis, le phénomène de la formation à distance, selon ses particularités actuelles (modes synchrones et asynchrones, formules hybrides, etc.), est relativement nouveau. Les résultats des recherches ne convergent pas tous, certaines études montrant un taux d’abandon plus élevé en formation à distance qu’en présence des étudiants (Nash, 2005; Patterson & McFadden, 2009) alors que d’autres, comme celle de Moore et Fetzner (2009), indiquent le contraire. En lien avec la problématique de la présente étude, une certaine prudence est nécessaire quant aux observations rapportées dans ces études qui sont à l’occasion faites uniquement sur un ou des cours d’un programme et non sur l’ensemble d’un programme offert à distance.

Par ailleurs, le processus menant à l’abandon des études en FEP est vécu dans un contexte d’études singulier. Rappelons que l’entrée dans un tel programme universitaire de formation à l’enseignement se fait plus ou moins en même temps que les débuts en enseignement. C’est donc en vivant leur insertion professionnelle en enseignement que les enseignants du secteur professionnel, pour la vaste majorité, vivent leurs premières expériences de formation universitaire qui doit les préparer à exercer leur nouvelle profession d’enseignant. Ainsi, puisqu’elle est entre autres marquée par l’abandon de la profession enseignante lors des premières années de travail et aussi considérant sa simultanéité avec la formation à l’enseignement professionnel, la problématique de l’insertion professionnelle est incontournable en FEP.

Dans les années 1990, Gold (1996) expose les taux élevés d’abandon de la carrière enseignante lors des premières années d’enseignement aux États-Unis. Ce taux pourrait s’élever à 25 % au cours des deux premières années et jusqu’à 40 % dans les cinq premières années d’enseignement. Quelques années plus tard, une publication australienne présente l’importance de ce phénomène de l’abandon de la carrière enseignante, particulièrement lors des premières années d’embauche, à travers le monde (Macdonald, 1999). En plus de certains taux d’abandon de la carrière enseignante, Macdonald (1999) pose rapidement les défis de la définition du phénomène et des méthodologies utilisées pour l’étudier comme des éléments majeurs à considérer dans son analyse. Au Québec, c’est aussi en 1999 que Gervais révèle la même situation problématique de l’insertion professionnelle difficile vécue par les nouveaux enseignants.

Au fil des années, plusieurs recherches ont été menées sur l’insertion professionnelle des nouveaux enseignants, selon différentes perspectives, dont un grand nombre concernant spécifiquement l’ampleur du phénomène du taux d’abandon de la carrière enseignante. De nombreuses recherches rapportent les données d’ingersoll et Smith qui, en 2003, affirment qu’entre 40 et 50 % des enseignants aux États-Unis quittent la profession lors des cinq premières années d’enseignement. L’alliance for Excellent Education (2004) rapporte des taux d’abandon aux États-Unis de 14 % à la fin de la première année, de 33 % au cours des trois premières années et de 50 % dans les cinq premières années. Pour leur part, Høigaard, Giske et Sundsli (2012) affirment que le taux d’abandon des nouveaux enseignants semble avoir augmenté même si la comparaison de ce taux entre différents pays montre des grands écarts. Au Québec, Fontaine, Kane, Duquette et Savoie-Zajc (2012) rapportent les données de la Fédération autonome de l’enseignement (2010) et de la Centrale des syndicats du Québec (2008) qui indiquent que 20 % des nouveaux enseignants quittent la carrière durant les cinq premières années. Ils se basent aussi sur les travaux de Houlfort et Sauvé (2010) pour soutenir que 23 % des enseignants interrogés lors d’une étude indiquent leur intention de quitter la profession enseignante au cours des cinq années qui suivent. Les données rapportées par Karsenti et Collin (2009), qui nomment cet abandon de la profession enseignante le décrochage enseignant, rejoignent celles présentées jusqu’ici.

2. Objectif de l’étude

C’est dans ce contexte d’évolution rapide, de nouvelles exigences et de questionnements divers qu’une instance qui se préoccupe des formations universitaires à l’enseignement au Québec, la Table MELS-Universités, a mandaté, en 2009, un groupe de réflexion afin de faire le bilan de la FEP depuis la mise en place du baccalauréat en 2003. À la suite d’une enquête, ce groupe de réflexion[1] a produit un rapport déposé en janvier 2012 à la Table MELS-Universités (Deschenaux, Monette & Tardif, 2012) contenant les résultats globaux de l’enquête et, comme son mandat le précisait, diverses recommandations. L’une d’entre elles spécifie qu’il est nécessaire de poursuivre les recherches, notamment en utilisant les données recueillies lors de cette étude, afin d’approfondir la problématique de l’abandon des étudiants de leur programme de baccalauréat de 120 crédits en enseignement professionnel, particulièrement pour déterminer le taux d’abandon. En effet, l’observation de données préliminaires du Groupe de réflexion portait à croire à un taux d’abandon très élevé dans les programmes de FEP.

Ainsi, depuis le début des années 2000, un nombre grandissant de recherches a été réalisé au Québec sur des sujets qui s’intéressent, de près ou de loin, au domaine de l’enseignement professionnel. Quoiqu’encore marginale, cette plus grande attention portée à ce domaine s’est traduite par une diversité des préoccupations de recherche dont certaines touchent les élèves en FP et d’autres l’organisation scolaire et les politiques éducatives. D’autres encore, de plus en plus nombreuses, se préoccupent des enseignants, notamment les nouveaux qui vivent une transition professionnelle particulière, dont les premières années dans leur nouvelle profession sont très différentes de celles vécues par leurs collègues du secteur général. Rappelons qu’en enseignement professionnel, c’est en majorité que les enseignants débutent leur formation à l’enseignement après leur début comme enseignant. En 2001, Tardif s’était intéressé à la question de l’abandon de la profession enseignante, lors des premières années d’emploi des enseignants de la FP. Ses conclusions montraient un taux relativement élevé d’abandon de la carrière enseignante, surtout lors des cinq premières années d’enseignement.

Toutefois, la nouvelle réalité de formation universitaire, depuis l’instauration du baccalauréat en 2003, ne semble pas avoir fait l’objet de recherches diffusées dans les réseaux scientifiques. Le présent article se penche donc sur la problématique de l’abandon des étudiants en FEP au Québec. Plus précisément, il vise à déterminer et à analyser le taux d’abandon des étudiants en FEP au Québec depuis 2003 à partir des données recueillies par le Groupe de réflexion sur la formation à l’enseignement professionnel et de celles recueillies annuellement par les ministères concernés au Québec.

3. Abandon des études universitaires : un phénomène difficile à cerner

Selon Sauvé, Debeurme, Martel, Wright, Hanca, Fournier et Castonguay (2007), la problématique de l’abandon et de la persévérance aux études postsecondaires a été l’objet de nombreuses recherches, mais surtout aux États-Unis, en Angleterre, en France et en Australie alors qu’au Canada peu d’études ont été réalisées sur le sujet. Si les taux d’abandon des études universitaires sont peu documentés, des données sur le taux d’obtention d’un diplôme de baccalauréat sont plus accessibles. Ainsi, le MELS (2007) précise que le nombre de diplômés au baccalauréat au Québec a augmenté d’environ 7 % entre 2001 et 2003, passant de 26 962 à 28 959, et que le domaine des Sciences de l’éducation représentait 12,6 % de ces diplômes. En 2011, le MELS indique que sur une période de 20 ans, la réussite dans les programmes d’études universitaires menant au baccalauréat a augmenté de façon importante passant de 55,9 % en 1987-1988 à 67,6 % en 2008-2009. Il précise aussi dans ces indicateurs que les étudiantes affichent un taux de réussite plus élevé que celui des étudiants, la différence étant de 5,4 points de pourcentage en 2008-2009 alors qu’elle était à peine de 0,7 point en 1987-1988. Dans le domaine spécifique des Sciences de l’éducation, le MEQ (2002) souligne un écart important entre les étudiantes et les étudiants concernant leur taux de réussite, celui des femmes étant plus élevé de 13 à 15 points de pourcentage.

Or, pour ce qui est de l’abandon des études universitaires et plus spécifiquement du taux d’abandon, une difficulté relevée dans la littérature touche la définition de ce taux d’abandon et, par conséquent, la méthode utilisée pour le calculer. Par exemple, en 2002, le ministère de l’éducation du Québec (MEQ) précise que le taux d’abandon qu’il affiche ne représente pas celui des études universitaires, mais le taux moyen d’abandon observé dans les établissements universitaires. En effet, dans cette publication du MEQ (2002), le taux d’abandon est calculé à partir de ceux qui ne se sont pas inscrits dans le même établissement et qui demeurent non inscrits pour les quatre trimestres qui suivent jusqu’à la fin de la période de suivi. C’est d’ailleurs ce qui fait dire à Diallo, Trottier et Doray (2009) : « La mesure des taux d’abandon et de persévérance varie cependant selon la manière dont les chercheurs prennent en considération la mobilité des étudiants […], en tenant compte ou non des changements de programme et des retours ultérieurs aux études, et selon la durée de la période d’observation des parcours étudiants » (p. 2).

Même si les taux d’abandon dans les universités canadiennes sont relativement peu documentés, au Québec, c’est le MEQ (2002) qui présente les premières données dans son Bulletin statistique de l’éducation portant sur les indicateurs de cheminement des étudiants inscrits au baccalauréat dans les universités québécoises. Pour tous les domaines d’études, de 1992 à 2000, ce ministère indique que les indicateurs sont très stables, année après année, affichant une perte d’environ 20 % des effectifs après un an d’études pour l’ensemble des domaines. Les taux d’abandon présentés dans le domaine des Sciences de l’éducation, 3 ans après l’inscription initiale dans le programme, varient en moyenne de 13,9 % à 17,6 % entre 1992 et 1997, ces taux étant beaucoup plus élevés chez les hommes (de 19,9 % à 26,7 %) que chez les femmes (11,9 % à 15,4 %), ces dernières étant, par ailleurs, beaucoup plus nombreuses que les hommes dans les programmes d’études de ce domaine. Toujours pour ce domaine, les taux d’abandon présentés par le MEQ (2002) pour les années 1998 et 1999, après deux et une années d’études respectivement, sont comparables à ceux observés en moyenne pour les cohortes précédentes.

De leur côté, Diallo et al. (2009) indiquent que l’abandon des études postsecondaires, au Québec et au Canada, est un problème de taille surtout qu’il tend à augmenter. Ils précisent qu’entre 20 et 25 % des étudiants quittent les études postsecondaires au cours de leur première année d’études. Ce départ hâtif des études est aussi relevé par le MELS (2011) qui précise qu’au Québec, en 2008-2009, ceux qui sortent sans diplôme de leur programme de baccalauréat (dans ce cas calculé sur la base d’une non-réinscription durant au moins les deux années scolaires suivant l’année de la dernière inscription) ont étudié en moyenne 2,4 sessions à temps plein, soit un peu plus d’une année normale d’études.

Quant à Doray et al. (2009), ils analysent les parcours scolaires de jeunes Canadiens à partir de deux cohortes différentes et indiquent qu’entre 20 % et 30 % des répondants qui ont suivi des études postsecondaires les ont quittées. Plus près de nous, Sauvé et al. (2007) présentent les résultats d’une recherche portant sur les facteurs d’abandon et de persévérance chez les étudiants de trois universités québécoises. Ils y rapportent des taux d’abandon durant la première année d’études dans les universités américaines et canadiennes variant de 20 % à 25 %. Le Conseil canadien sur l’apprentissage (2006) indique qu’après cette première année, un autre 20 % à 30 % abandonnent leurs études au cours des années suivantes. Sauvé et al. (2007) rapportent aussi une étude réalisée en 2003 par Barr-Telford, Cartwright, Prasil et Shimmons indiquant qu’au Canada, 24 % des jeunes de 18 à 24 ans avaient abandonné leurs études postsecondaires à l’intérieur des 18 premiers mois de formation. Enfin, à partir des données du MELS, Sauvé et al. (2007) indiquent que 20,2 % des étudiants à temps plein au Québec ont abandonné leurs études universitaires en 2005.

Ainsi, malgré le fait que l’abandon des études universitaires constitue une problématique importante, la mesure du phénomène apparaît difficile surtout parce que les données sur les taux d’abandon dans les universités sont peu publiées par ces dernières et les recherches, quoique de plus en plus nombreuses, affichent des variations méthodologiques qui rendent les résultats difficiles à comparer.

Enfin, spécifiquement en lien avec la problématique présentée, nous n’avons recensé aucune publication sur l’abandon des études dans les programmes de FEP. Or l’identification des particularités des programmes de FEP que sont leur offre à temps partiel, à distance et en concomitance avec l’exercice de la profession, laisse à penser que les taux d’abandon dans ces programmes peuvent être différents de ceux observés pour les programmes universitaires plus conventionnels. Conséquemment, en respect de la recommandation du Groupe de réflexion sur la formation à l’enseignement professionnel et considérant le peu d’avancement des recherches dans ce domaine précis, nous proposons de calculer le taux d’abandon en FEP en fonction des données disponibles. Deux sources de données existent et, à notre connaissance, n’ont pas été exploitées en ce sens. Nous décrivons donc la méthodologie permettant le calcul du taux d’abandon en FEP selon chaque source pour ensuite discuter des enjeux théoriques et méthodologiques.

4. Méthodologie

La première source permettant le calcul du taux d’abandon en FEP provient des données recueillies par le Groupe de réflexion sur la formation à l’enseignement professionnel. En 2010 et 2011, à la suite du mandat qui lui a été confié par la Table MELS-Université, ce groupe de travail a mené une vaste enquête auprès de cinq groupes de répondants liés à la FEP : les étudiants (actifs, diplômés, ayant abandonné), les directions d’établissement d’enseignement et les intervenants (professeurs, chargés de cours, superviseurs de stage, enseignants associés, mentors, et personnels professionnels dans les universités).

Les représentants de chaque université concernée faisant partie de ce groupe de réflexion, c’est-à-dire des six universités qui offrent un BEP agréé par le Comité d’agrément des programmes de formation à l’enseignement (CAPFE) au Québec, ont été invités à fournir la liste des étudiants concernés à un moment bien précis, soit lors de la session d’automne 2010. Au total, ce sont 5613 étudiants, c’est-à-dire 3 167 actifs, 166 diplômés et 2 280 ayant abandonné leur programme d’études, qui ont été déclarés par les universités participantes.

Aux fins de cet article, nous avons utilisé les informations relatives aux étudiants actifs et aux étudiants ayant abandonné leur programme de FEP. Cette dernière appellation représente les étudiants qui ont été admis, depuis 2003, dans un programme de FEP et qui, à l’automne 2010, avaient un statut d’inactif (l’étudiant ne s’était pas inscrit à une activité pédagogique depuis un certain nombre de mois consécutifs qui varie de 12 à 24 mois selon les universités), d’abandon (l’étudiant avait signifié à l’université sa décision d’abandonner le programme) ou d’exclu (l’étudiant avait été exclu du programme). Chaque université a fourni la liste de ses étudiants inactifs, qui ont abandonné et qui ont été exclus du programme permettant la création d’une seule liste des étudiants ayant abandonné leur programme de FEP. Au moment de l’entrevue téléphonique, une vérification a été faite pour s’assurer que la personne rejointe correspondait à l’une ou l’autre des définitions présentées. Aussi, chaque université a fourni la liste de ses étudiants actifs, en fonction de sa définition réglementant ce type d’étudiants, permettant la création d’une seule liste des étudiants actifs dans leur programme de FEP.

En tout, ce sont 200 étudiants ayant abandonné leur programme d’études qui ont répondu aux questions posées lors de l’entrevue téléphonique. Leur âge moyen est de 41,4 ans avec 3,5 années d’expérience en enseignement. Cet échantillon est composé à 53,5 % de femmes et 46,3 % d’hommes. Chez les étudiants actifs, ce sont 709 des 3 167 personnes inscrites sur la liste qui ont rempli le questionnaire, 54,6 % de femmes et 45,4 % d’hommes. Ils ont, en moyenne, 39,9 ans et ils enseignent depuis 3,4 ans, en moyenne, au moment de répondre au questionnaire.

Aussi, à la suite des recommandations énoncées dans le rapport du Groupe de réflexion sur la formation à l’enseignement professionnel, des demandes ont été faites auprès des ministères concernés. Ainsi, comme seconde source, des données relatives au cheminement des étudiants québécois dans leur programme de formation à l’enseignement ont été obtenues de la part du ministère de l’enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie (MESRST) du Québec, Direction générale des affaires universitaires et interordres, plus spécifiquement de la Direction de la formation universitaire. Ces données, obtenues en début d’année 2013, proviennent de la base de gestion des données sur l’effectif universitaire (GDEU) et concernent tous les étudiants admis dans un programme de formation à l’enseignement, lié au domaine des Sciences de l’éducation, au Québec. Tous les programmes sont regroupés sous sept disciplines dont celle qui nous intéresse qui se nomme « Formation en enseignement professionnel secondaire et collégial » que nous nommons dans la suite de cet article Formation en enseignement professionnel.

Les données obtenues concernent uniquement les étudiants admis depuis la session d’automne 2003, soit depuis les débuts des programmes universitaires de formation à l’enseignement renouvelés selon l’approche par compétences. Ces données sont spécifiques aux étudiants inscrits dans les programmes de baccalauréat en enseignement professionnel de 120 crédits, offerts par les six universités au Québec, agréés par le CAPFE. Les dernières données disponibles sont celles de l’automne 2011. Les données indiquent, pour chaque cohorte cinq ans après le début du programme, le nombre d’étudiants, selon les rubriques suivantes : « Diplôme obtenu dans le même programme » ; « Inscrit dans le même programme » ; « Inscrit ou diplômé dans un programme différent » ; « Interruption » ; « Abandon » ; « Total ». Même si les appellations des rubriques fournies par le MESRST indiquent que les données sont compilées par programme, après vérification auprès de la Direction concernée, le terme « programme » devrait être remplacé par celui de « discipline ».

Puisque les programmes de FEP accueillent des étudiants sur une base annuelle, ce sont les données des cohortes des trois sessions universitaires (automne, hiver et été) comprises entre 2003 et 2006 qui sont utilisées, regroupées sur une base annuelle. Aussi, les données des sessions qui suivent celle de l’automne 2006, jusqu’à l’automne 2009, ont été obtenues.

Les données du MESRST utilisées pour le calcul du taux d’abandon sont celles des rubriques « Inscrit ou diplômé dans un programme différent », « Abandon » et « Total ». Le MESRST considère que l’étudiant a abandonné (Abandon) son programme d’études lorsqu’à la période étudiée (après cinq ans) il n’était pas inscrit et que cela faisait au moins cinq trimestres consécutifs qu’il ne l’avait pas fait. Le MESRST considère que l’étudiant a interrompu (Interruption) son programme d’études lorsqu’à la période étudiée (après cinq ans) il n’était pas inscrit et que cela faisait moins de cinq trimestres consécutifs qu’il l’avait fait. Cette situation d’interruption, selon la définition du MESRST, est fréquente en FEP, ces programmes étant offerts à temps partiel.

5. Présentation des données

En lien avec l’objectif de l’article, les taux d’abandon en FEP que nous présentons sont calculés à partir des deux sources décrites précédemment : d’abord les données du rapport du Groupe de réflexion sur la FEP et ensuite celles du MESRST.

Selon l’annexe 5 du rapport du Groupe de réflexion sur la FEP (Deschenaux, Monette & Tardif, 2012), ce sont 5613 étudiants qui ont été déclarés par les universités participantes. Toujours selon cette même annexe, la liste des étudiants qui ont débuté un programme de FEP et qui l’ont abandonné est composée de 2 280 personnes. À partir de ces données, comme il se doit, le taux d’abandon des étudiants de leur programme de FEP est obtenu en divisant la population de ceux qui ont abandonné par le nombre total d’étudiants inscrits dans un programme de FEP. Ce faisant, le taux d’abandon est estimé à 40,6 % (2 280 /5 613). Il s’agit d’une estimation, car en procédant ainsi, on ne prend pas en compte les mises en garde relevées dans les diverses études consultées concernant les procédures méthodologiques menant au calcul des taux d’abandon. Dans cette étude du Groupe de réflexion sur la FEP, nous relevons quatre limites méthodologiques plus importantes qui peuvent affecter, à la hausse ou à la baisse, le taux d’abandon calculé. Ces limites sont présentées et détaillées dans la partie suivante dédiée à l’analyse des données.

Pour ce qui est des données en provenance du MESRST, le calcul du taux d’abandon est fait en additionnant les nombres des rubriques « Abandon » et « Inscrit ou diplômé dans un programme différent » et en divisant cette somme par ceux de la rubrique « Total ». Ce faisant, nous établissons que le taux moyen d’abandon en FEP, cinq années après l’admission au programme, est de 49,7 % pour les étudiants admis entre la session d’automne 2003 et celle d’automne 2006 inclusivement. Comme déjà indiqué, pour chaque année scolaire, ce sont les données des trois sessions universitaires (automne, hiver et été) qui sont compilées. Le taux, pour chaque année, est présenté dans le tableau 1 ci-dessous.

Tableau 1

Taux d’abandon en FEP selon l’année d’admission

Taux d’abandon en FEP selon l’année d’admission

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Une autre façon d’utiliser les données fournies par le MESRST pour les programmes de FEP serait d’utiliser la période d’observation maximale pour chaque cohorte en fonction du paramètre des cinq sessions définissant l’abandon et l’interruption des études. Ainsi, on pourrait observer le taux d’abandon des cohortes de 2003-2004 (automne 2003, hiver 2004 et été 2004) huit ans après leurs débuts au BEP jusqu’à celle de l’automne 2009, deux ans après leurs débuts. Évidemment, cette façon de procéder élimine la comparaison entre les cohortes, mais surtout elle permet d’observer la rapidité avec laquelle se produit le phénomène de l’abandon des programmes de FEP, de même que son ampleur. Selon la même procédure du calcul du taux d’abandon, la figure 1 présente ces taux d’abandon.

Figure 1

Taux d’abandon moyen, selon l’année d’admission, en FEP

Taux d’abandon moyen, selon l’année d’admission, en FEP

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Ces données du taux d’abandon dans les programmes de FEP, malgré les limites méthodologiques que nous exposons ci-après dans la partie de l’analyse des données, révèlent donc une réalité qui est objectivée pour la première fois depuis la mise en place des programmes de FEP en 2003.

6. Analyse des données

Conscients des mises en garde relevées dans la littérature quant à la mesure et au calcul du taux d’abandon, nous effectuons l’analyse des données en deux sections. La première précise les limites méthodologiques associées à chaque méthode du calcul du taux d’abandon. Ces limites sont au nombre de quatre pour les données du Groupe de réflexion et d’une seule pour celles en provenance du MESRST. La seconde section jette un regard sur la signification de ces données dans le contexte de l’enseignement professionnel.

6.1 Limites méthodologiques

La première limite relative aux données du Groupe de réflexion sur la formation à l’enseignement professionnel est la composition de la liste des étudiants de chacun des groupes, les actifs et ceux ayant abandonné. La liste utilisée par le Groupe de réflexion est la compilation, sans discernement, des listes fournies par chacune des universités offrant un programme de FEP. Or, un même étudiant peut se retrouver sur deux listes s’il a changé d’institution de formation, situation qui est davantage probable pour le groupe des étudiants actifs et que nous savons réelle. La vérification des doublons n’a pas été faite, faute de comparatifs d’égalité dans les listes fournies par les universités, et affecte le nombre de chacun des groupes en présence. Les deux listes finales utilisées par le Groupe de réflexion présenteraient donc un trop grand nombre d’étudiants.

Une autre limite méthodologique concerne la définition d’un étudiant actif. Chaque université possède son règlement interne relatif au nombre de sessions consécutives sans inscription définissant le statut d’actif ou d’inactif d’un étudiant, ce nombre variant de 3 à 6 sessions, soit de 12 à 24 mois. Ces définitions, qui varient d’une institution universitaire à l’autre, affectent donc la composition des listes transmises au Groupe de réflexion. Cette limite fait en sorte qu’un étudiant puisse être considéré selon un statut donné dans une université alors que s’il avait été dans une autre, il aurait pu être déclaré selon un statut différent.

La troisième limite touche le statut des étudiants ayant abandonné leur programme de FEP. C’est un total de 424 étudiants ayant abandonné, provenant de la liste compilée par le Groupe de réflexion sur la FEP, qui a été nécessaire afin de constituer l’échantillon de 200 répondants. Au début de l’entrevue téléphonique, l’admissibilité de chaque étudiant a été rapidement vérifiée et parmi les 424 étudiants rejoints, 109 ont été considérés non-admissibles, les 115 autres ayant refusé de participer à l’étude. L’accès aux questionnaires de l’étude montre que c’est en raison d’une inscription dans leur programme de FEP à la session suivante (hiver 2011) ou de leur inscription dans un programme de FEP offert par une autre université que ces 109 étudiants ont été jugés non-admissibles. Il devient alors évident que la liste des étudiants ayant abandonné compilée par le Groupe de réflexion ne contient pas uniquement ce type d’étudiants.

Enfin, la quatrième limite relevée est fonction de la période d’observation du phénomène. Certains des répondants étaient à peine entrés dans le BEP au moment où ils ont été questionnés alors que d’autres y étaient depuis plusieurs années. En ce sens, certains étudiants avaient été admis depuis trop peu de temps pour satisfaire minimalement les critères pouvant les définir comme ayant abandonné.

Dans le cas des données en provenance du MESRST, une seule limite méthodologique est relevée et concerne les paramètres utilisés pour désigner le statut des étudiants. En plus de la période de cinq sessions, consécutives ou non, à la suite de sa dernière inscription qui détermine le statut d’abandon ou d’interruption d’un étudiant, c’est le paramètre de neuf sessions consécutives (trois ans) à la suite de la dernière inscription avant l’admission dans un programme de la même discipline qui entre en jeu. Un étudiant admis dans un programme de FEP, qui le laisse pour une période supérieure à 3 années et qui y revient sera considéré comme un nouvel admis dans cette discipline. Dans les bases de données, il sera comptabilisé selon deux cohortes différentes, d’abord comme ayant abandonné son programme dans la première cohorte et ensuite comme un étudiant actif selon la seconde cohorte. En revanche, s’il revient dans son programme à l’intérieur de cette période de trois ans après sa dernière inscription, il sera considéré comme inscrit dans le même programme en fonction de sa cohorte d’origine.

En enseignement professionnel, cette situation constitue une limite certaine puisqu’elle s’applique à des étudiants déjà inscrits dans un autre programme que le BEP de 120 crédits dans cette même discipline. Il s’agit des étudiants déjà inscrits dans un certificat de 1er cycle ou d’un baccalauréat de 90 crédits, deux programmes considérés dans la même discipline que le BEP de 120 crédits. Jusqu’à la session d’automne 2003, date d’entrée en vigueur des nouvelles exigences de formation universitaire pour l’obtention du brevet en enseignement professionnel, la réussite d’un certificat de 30 crédits ou, dans certaines universités, d’un baccalauréat de 90 crédits était l’exigence de formation. Pour le certificat, une période maximale de cinq ans était accordée pour compléter ce programme.

Puisque les données du MESRST sont organisées par discipline, un changement de programme à l’intérieur de la même discipline n’entraîne aucune modification dans les données concernant cet étudiant. De même, si un étudiant change d’université, mais poursuit dans le même programme de formation, il demeurera dans les données du MESRST comme inscrit dans le même programme puisqu’il sera considéré dans la même discipline. Or, nous savons que des étudiants qui ont débuté le certificat ne l’ont pas complété et sont revenus ensuite à l’université dans le cadre du BEP de 120 crédits. Aussi, nous savons que des étudiants ont complété le certificat et se sont ensuite inscrits au BEP de 120 crédits afin d’avoir accès à des emplois nécessitant un diplôme de premier cycle, par exemple en direction d’établissement scolaire. Étant considérés dans la discipline de Formation en enseignement professionnel, si ces étudiants ont fait ce passage du certificat au BEP de 120 crédits à l’intérieur des trois années suivant leur dernière inscription, ils ne sont pas comptabilisés dans les données du MESRST présentées précédemment, affectant ainsi le taux d’abandon réel pour ce programme.

6.2 Signification des taux d’abandon

Les taux calculés indiquent que le phénomène de l’abandon des programmes de FEP correspond à ce que la littérature enseigne, de façon générale pour l’abandon des études postsecondaires, en ce qui concerne sa rapidité d’apparition. En effet, même si l’observation du phénomène n’est possible qu’après une période minimale de deux ans selon les paramètres en vigueur au MESRST, on observe pour la cohorte de l’automne 2009 un taux d’abandon supérieur à 30 % sur cette courte période. Cette décision de quitter rapidement son programme de FEP est aussi observée à partir des données recueillies par le Groupe de réflexion sur la formation à l’enseignement professionnel. Selon les informations fournies par les étudiants ayant abandonné leur programme de FEP, nous pouvons déterminer la durée de leur présence au BEP en utilisant l’année d’admission et celle de départ de leur programme d’études. Ainsi, le tableau 2 montre que près du quart des étudiants ayant abandonné le BEP l’a laissé au cours de la même année qu’il a été admis (durée 0 signifie un départ la même année que celle d’admission) et qu’au total plus de la moitié l’a laissé au plus tard au cours de l’année suivant son admission.

Tableau 2

Durée des études au BEP

Durée des études au BEP

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Outre la rapidité d’apparition observée, c’est l’ampleur du phénomène qui attire l’attention, pour laquelle la littérature était muette, mais dont certains indices pouvaient laisser entrevoir un taux relativement élevé. Quoi qu’il en soit, et tout en étant prudent en raison des limites méthodologiques identifiées, les taux d’abandon calculés en FEP, selon les deux sources en présence (40,6 % et 49,7 %), supposent une situation bien particulière qu’il faut approfondir. Afin de bien comprendre cette dernière, nous procédons, dans les lignes qui suivent, à l’analyse de ces données en les recadrant dans le contexte de formation des étudiants et, plus spécifiquement, en les situant dans le contexte de la nouveauté du BEP.

Les taux d’abandon, présentés selon les deux sources des données, doivent d’abord être compris au regard d’une caractéristique identifiée dans la problématique, soit la fréquentation à temps partiel pour la presque totalité des étudiants en FEP. La littérature suggère que les taux d’abandon des étudiants inscrits à temps partiel sont plus élevés que pour les autres inscrits à temps complet. Sans connaître l’écart entre ces taux, le régime d’inscription à temps partiel est certainement un premier élément à prendre en considération.

Ensuite, pour de nombreux enseignants de la FP, la simultanéité de leur insertion dans la carrière enseignante et de leurs études universitaires ne doit pas être négligée. En ce sens, au Québec, Mukamurera, Bourque et Ntebutse (2010) confirment les difficultés présentées précédemment dans les autres pays concernant la difficile insertion professionnelle des enseignants et indiquent que le désir de quitter l’enseignement, au secteur général, touche davantage les enseignants du secondaire (60 %) que du primaire (50 %). Ils précisent aussi que « même si le phénomène d’abandon ou de désir de quitter peut survenir à n’importe quelle phase de la carrière, il apparaît clairement que c’est davantage durant les cinq premières années de pratique que les enseignants sont plus susceptibles de vouloir quitter » (p. 39).

En considérant que plusieurs enseignants de la FP continuent d’exercer, tout en enseignant, le métier pour lequel ils ont été initialement formés, il faut nécessairement traiter le taux d’abandon dans une autre perspective. En FEP, l’abandon des études signifie bien souvent un retour à l’exercice exclusif de leur métier ou profession d’origine, alors que pour les enseignants du secteur général, l’abandon des études ou de la carrière enseignante signifie pour eux une nécessaire réorientation de carrière.

Il faut aussi rappeler que l’abandon de la FEP ne veut pas dire l’abandon automatique de la profession enseignante. En effet, en enseignement professionnel, il y a au moins trois scénarios impliquant l’arrêt d’un programme de FEP, mais la poursuite, à plus ou moins long terme, en enseignement.

Le premier scénario est l’arrêt de la FEP et la poursuite en enseignement, à temps partiel, par un engagement à un statut de taux horaire. Rappelons qu’ils étaient plus de 4 500 enseignants dans cette situation en 2009-2010, soit 45,5 % de tous les enseignants en FP. Réglementée selon le nombre d’heures d’enseignement sur une base annuelle, cette catégorie d’enseignant à taux horaire ne demande pas de qualification légale d’enseigner. L’organisation pédagogique des programmes de FP au Québec requiert, dans certains cas, la contribution de spécialistes afin d’enseigner une partie d’un programme, une compétence spécifique. Mais aussi, certains font simplement le choix d’enseigner à taux horaire.

Un deuxième scénario permet à celui qui quitte la FEP d’enseigner selon un statut à forfait, durant une période plus ou moins longue, en fonction du nombre de crédits déjà obtenus dans son programme d’études et du nombre d’années d’éligibilité relatives à ses renouvellements d’autorisation provisoire d’enseigner. À partir du moment où il décide de ne plus s’inscrire dans son programme d’études, un étudiant pourrait avoir cumulé un nombre suffisant de crédits pour obtenir un ou même deux renouvellements de son autorisation provisoire d’enseigner, et ce même s’il a abandonné le BEP. Cette durée d’enseignement à la suite de l’abandon du BEP est variable en fonction de plusieurs facteurs.

Un troisième scénario permet à un étudiant de détenir la licence d’enseigner, après l’obtention de 90 crédits dans un BEP et à certaines conditions. Cette licence offre l’occasion à son détenteur de ne pas terminer le BEP et de poursuivre sa carrière en enseignement professionnel selon un statut à forfait ou même régulier. Selon la réglementation en vigueur, cette autorisation légale d’enseigner, toujours provisoire, peut être renouvelée sans une réinscription dans un programme de FEP.

Enfin, dans l’analyse des données, au-delà des particularités de l’offre des programmes de FEP au Québec (à temps partiel, à distance) et du contexte singulier d’arrivée des enseignants dans la carrière enseignante (double insertion), il ne faudrait pas sous-estimer l’impact du changement imposé aux personnes désirant choisir la profession d’enseignant au secteur professionnel, par l’obligation du BEP de 120 crédits, surtout lors des premières années de son implantation. Une indication très nette de cet impact s’observe par le nombre très faible des admissions au BEP lors de la première année d’implantation (automne 2003, hiver et été 2004) comme le montre la figure 2 ci-après.

Figure 2

Nombre d’étudiants admis en FEP par année

Nombre d’étudiants admis en FEP par année

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Or, nous pourrions nous limiter à considérer les nouvelles exigences de formation, telle la durée des études, comme facteur sous-jacent au taux d’abandon en FEP. Toutefois, nous croyons qu’en dehors des exigences formelles de ce nouveau programme, ce sont les très nombreux changements demandés à toutes les personnes impliquées dans le secteur professionnel, notamment les étudiants, les enseignants et les directions de centre, qui ont bouleversé une culture jusque là bien établie. En ce sens, il importe de préciser que ce changement n’a pas été facile ni pour les uns ni pour les autres. Pour un temps, la coupure était très nette entre les étudiants identifiés au certificat et les autres qui devaient faire le BEP. Ainsi, on ne peut pas ignorer que la nouveauté du BEP de 120 crédits puisse avoir eu un impact sur le choix de certaines personnes de quitter cette formation, de quitter l’enseignement ou les deux. La mise en place d’une nouvelle culture de formation impliquant ces nouvelles exigences de formation, telle qu’identifiée par le MEQ (2001) dans son document d’orientation, ne peut se faire qu’avec du temps et des efforts. Ce défi d’une nouvelle culture et de la qualité d’une nouvelle formation de 120 crédits jusque là inexistante en FEP sont au coeur du travail réalisé par les universités et les centres de formation professionnelle depuis la mise en place des BEP en 2003.

Conclusion

C’est une recommandation émanant du rapport déposé par le Groupe de réflexion sur la formation à l’enseignement professionnel (FEP) en 2012 qui est à l’origine de l’étude actuelle. Cette ambitieuse recommandation d’approfondir la problématique de l’abandon des étudiants en FEP méritait une attention particulière, car elle réfère à une situation complexe et peu commune. C’est donc une première étape, importante en soi, que nous présentons dans cet article en proposant le calcul et l’analyse du taux d’abandon des étudiants inscrits en FEP selon deux sources de données différentes.

L’augmentation spectaculaire du nombre d’enseignants en formation professionnelle au courant de la première décennie de ce nouveau millénaire (18,9 %), le changement majeur d’exigences de qualification universitaire par la mise en place, en 2003, des baccalauréats en enseignement professionnel (BEP) de 120 crédits, les conditions d’études des étudiants inscrits dans ces BEP et leur double insertion, scolaire et professionnelle, sont les principaux éléments contextuels de la présente étude. Les résultats montrent, en concordance avec les études recensées, un abandon rapide des étudiants en FEP. Ce qui étonne, à première vue, est l’ampleur du phénomène, la moyenne du taux d’abandon des étudiants en FEP, cinq ans après leur admission, et ce depuis les débuts des BEP en 2003, se situant juste sous la barre de 50 %. L’objectif de cette étude étant aussi l’analyse de ces taux, l’explication de limites méthodologiques associées aux calculs réalisés éclaire ce phénomène. Par ailleurs, dans cette analyse, la présentation de divers scénarios entourant les situations d’études et d’enseignement des personnes concernées contribue à comprendre partiellement le sens des taux calculés.

Enfin, bien que différents éléments contextuels puissent expliquer, aussi partiellement, les taux calculés, une première suite à cette étude s’oriente vers l’identification et l’analyse des facteurs d’abandon des programmes de FEP. Déjà des indications de ces facteurs sont présentées dans le rapport du groupe de réflexion et celles-ci pourront être utilisées à ces fins. Une autre suite à cette étude consiste, à partir des données du MESRST, à suivre l’évolution du taux d’abandon en FEP. Le développement de la culture de formation évoquée par le MEQ en 2001 concernant cette récente exigence du BEP de 120 crédits et les améliorations apportées à ce système de formation relativement nouveau, par les universités et les centres de formation professionnelle, justifient, entre autres, ce suivi.