Corps de l’article

De gauche à droite, rangée du haut : Steph Raposo, Cole Alvis et Yolanda Bonnell; rangée du milieu : Rebecca Vandevelde, Deb Lim et Autumn Coppaway; rangée du bas : Natércia Napoleão.

Photographie de manidoons collective.

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Grand-père Soleil,

Il brille sur nous.

Sur notre montagne

Sur nous toustes, tandis que nous dansons

La brise chatouille nos tresses

Attrape nos châles –

les ourlets de nos jupes

(Extrait ici et dans le texte de « Pow Wow » de Yolanda Bonnell)

Le manidoons collective est un cercle d’artistes qui évolue avec chaque projet tout en créant des performances théâtrales autochtones. La direction artistique est assurée par Yolanda Bonnell (Ojibwé-Asie du Sud) et Cole Alvis (Métisse de Turtle Mountain), toustes deux basé·es à Tkarón:to. Notre première production, bug, créée et interprétée par Yolanda Bonnell, a été sélectionnée pour quatre Dora Mavor Moore Awards et a fait l’objet d’une tournée sur l’Île de la Tortue; la pièce est publiée par Scirocco Drama (2020) et a été nominée pour un Prix littéraire du Gouverneur général en 2020 dans la catégorie des pièces de théâtre en anglais. Notre production à guichets fermés de White Girls in Moccasins (2022) a reçu des critiques élogieuses lors de notre coproduction avec Buddies in Bad Times Theatre, et les projections numériques se poursuivent à la demande de diverses communautés. Le manidoons collective reconnaît l’importance de collaborer avec les membres des communautés autochtones, en particulier les femmes autochtones ainsi que les conteureuses 2-Spirit, transgenres et non binaires.

            Battement de coeur.

Si fort.

En écho sur notre terre –

Au-dessus de nos maisons.

Au-dessus des oiseaux qui volent au-dessus de nos têtes.

Nos pieds perlés et mocassés s’entrelacent comme de l’herbe.

Les cloches de la robe à clochettes –

Nous nous secouons, nous rions, nous dansons les un·es avec les autres.

De douces mélodies de sirènes se répandent au moyen de notre corps

Imprégnées du son des pas de notre mouvement vers le –

Depuis sa fondation officielle en 2016, manidoons a cherché des moyens de maintenir des principes de soins bienveillants (care) dans la création de récits. Cette pratique signifie beaucoup de choses. Elle signifie une variété de courbes d’apprentissage. Elle veut dire échouer. Elle signifie trouver ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas dans différents espaces. Elle signifie travailler à partir d’un système de valeurs qui donne la priorité à la bienveillance plutôt qu’au profit.

Les décisions que prend manidoons proviennent du coeur des personnes présentes dans la salle…

                              Battement de coeur.

Notre peuple.

Les plumes, les bouches, les parfums, les couleurs – si vifs.

Des jaunes et des rouges aveuglants.

Jaunes et rouges.

Rouge.

Comme notre peau touchée par le soleil.

Les bras tendus avec des châles

Comme des ailes.

Appelant.

Chantant.

Avec des franges à nos extrémités et des motifs délicats de créatures terrestres

Et des symboles de connexion et d’unité.

Tournant et tournant, attrapant l’air

Virevoltant avec le rythme

C’est

Le moment de voler.

                              Battement de coeur.

... un désir commun de s’assurer que les membres de l’équipe créative puissent demander ce dont iels ont besoin pour être (plus) en sécurité dans l’espace. Et une interrogation permanente sur la manière dont nous pouvons apprendre de nos erreurs, les un·es des autres, et traduire cela par la croissance de nos manières de raconter des histoires tout en soutenant les conteureuses et les publics.

Nous nous appuyons sur les épaules des membres des communautés autochtones qui ont ouvert la voie. Le manidoons collective reconnaît le travail inlassable que les artistes 2-Spirit, autochtoqueers, trans et non binaires continuent de faire dans ce domaine. Chaque fois que nous entrons dans une salle de spectacle ou lors d’un accord, nous avons la responsabilité de nous défendre afin que notre souveraineté soit respectée par les institutions coloniales. Et même si tout le monde n’est pas en mesure de le faire, ce n’est pas grave. L’espoir est qu’un jour, aucun·e d’entre nous n’aura à livrer ce combat simplement pour s’engager dans son art. Nous pourrons exister dans la joie et raconter des histoires en toute sécurité.

Des enfants qui courent.

Qui rigolent.

Mains collantes de confiture.

Des bouches pleines de bannock, heureuses.

Le vent, doux et omniprésent, se faufile comme un ruban alors que –

Les voix

Les voix s’élèvent.

Remplissant les espaces vides,

Séparant les nuages,

Pénétrant nos coeurs

Notre esprit

Pour laisser entrer nos ancêtres

Appeler

Prier

Offrir

Chanter

Les yeux fermés, les bouches grandes ouvertes.

 

Respire.

 

Respire.

 

Respire.

 

Et crie.

Ce qui suit est un ensemble de pratiques adoptées par le manidoons collective. Nous le proposons pour toutes nos ententes et l’utilisons comme outil dans nos espaces.

Pratiques d’autochtonisation

  1. Les journées de travail sont plus courtes, tendant vers cinq heures de travail (ou trois, quatre heures si le travail se fait en ligne).

  2. Les semaines de travail sont de cinq jours (au lieu de six). Dans la mesure du possible, il n’y aura pas plus d’un spectacle par jour dans la production.

  3. Chaque jour dans l’espace commence par un cercle de parole, une occasion pour les gens de parler de leur état physique, mental, spirituel, etc. Cela nous permet de savoir comment être dans l’espace les un·es avec les autres en respectant les limites et les états d’être. Cela permet de ne pas demander de « laisser ses bagages à la porte », d’oublier ses soucis, car nous choisissons d’ajuster le plan de travail en fonction des besoins.

  4. Transparence en tout et pour tout. Personne n’est tenu à l’écart du savoir. Toustes sont invité·es aux réunions concernant la production.

  5. Nous travaillons, jouons, créons et existons dans l’espace en respectant les sept enseignements de nos ancêtres anishinaabe : la Vérité, l’Honnêteté, la Bravoure, le Courage, l’Amour, la Sagesse et l’Humilité. Nous ajoutons la Patience à cette liste, car elle sert notre travail.

  6. Chacun·e dispose de son autonomie. Si une personne a soudainement besoin de partir ou de prendre soin d’elle-même et de son corps, elle dispose de l’espace nécessaire pour le faire. C’est au manidoons collective, en tant que porteur du processus, de s’adapter.

  7. Nous commençons chaque projet ou processus par un festin contemporain afin d’entamer ce processus de manière positive. Les festins traditionnels dans diverses communautés reposent sur des protocoles auxquels nous adhérons tant qu’ils s’alignent sur nos valeurs bispirituelles et antipatriarcales.

  8. Nous visons à fournir des éléments nécessaires au bien-être au moyen d’une « table de bien-être », qui peut comprendre des articles d’autoapaisement, des collations, des livres, etc.

  9. Nous écouterons à coeur ouvert tout grief ou objection qu’une personne pourrait avoir à l’égard du travail ou de nous, et nous lui offrirons la possibilité de s’adresser à une personne extérieure (agent·e de liaison, régisseureuse ou travailleureuse culturel·le) si le besoin s’en fait sentir.

  10. Si un préjudice survient dans notre espace, nous organiserons un cercle de discussion pour le nommer et discuter collectivement de notre prochaine action et de notre responsabilité.

  11. Personne ne sera invité à révéler un traumatisme personnel pour les « besoins » de l’histoire.

  12. Si l’histoire réactive un traumatisme chez l’une des personnes présentes, nous nous arrêterons pour revoir ou réorienter le plan de travail, au besoin. Le soin collectif est de la plus haute importance.

  13. Des remèdes traditionnels (sauge, foin d’odeur, cèdre, tabac et éventuellement d’autres) seront présents dans la salle et mis à la disposition de toustes.

Le manidoons collective intègre la bienveillance dans son travail en s’appuyant sur ces pratiques fondatrices. En tant que moyens d’action, elles influencent la manière de nous réunir, de répéter et de présenter notre travail. Alors que nous continuons à autochtoniser notre processus créatif, nous avons remarqué que notre capacité à pratiquer cette bienveillance dans la salle de répétition devenait difficile à maintenir une fois dans le théâtre. C’est à ce moment-là que le travail de l’équipe se concentre sur l’intégration de ce qui est répété avec la scénographie et d’autres éléments techniques sur la scène. La semaine de filage technique exige du temps, de la patience et de la grâce de la part de toutes les personnes présentes dans la salle, car elles sont toutes appelées à participer.

            Battement de coeur.

Guerrierères.

Leurs cris

Iels dansaient et faisaient des pas

Élément connecté

Prêt·es pour la bataille

Prêt·es pour le combat

Prêt·es pour –

Malheureusement, les longues heures de travail combinées à la pression de la rencontre avec un premier public peuvent donner lieu à un processus créatif tendu. Lors des répétitions précédant la première, l’équipe créative met la dernière main à la mise en récit. Comme il y a beaucoup à faire et que l’accès à la salle est limité, ces répétitions peuvent être programmées comme des journées de douze heures, avec deux pauses repas d’une heure, communément appelées des « 10 sur 12 ». La Canadian Actors’ Equity Association autorise ses membres à travailler des semaines de six jours à raison de huit heures par jour et, la dernière semaine, des quarts de travail de douze heures sont autorisés (avec des pauses adéquates), compte tenu de la complexité de la création d’un spectacle vivant. Comme beaucoup de praticien·nes du spectacle, nous nous demandons comment aborder ce processus technique de manière à aménager un espace plus bienveillant où toustes peuvent reprendre leur souffle.

Le manidoons collective et le Buddies in Bad Times Theatre se sont associés pour développer et coproduire la première mondiale de White Girls in Moccasins de Yolanda Bonnell. Dans le cadre de cette collaboration, manidoons a organisé deux tables rondes : une discussion interne sur les relations significatives avec le personnel de Buddies et une table ronde intitulée Rethinking Tech Week, que l’on peut regarder en ligne. Les technicien·nes, les directeurices de production et les scénographes font partie des membres de l’équipe créative qui travaillent de longues heures et qui risquent l’épuisement. Cette discussion a porté sur comment nous pourrions aborder la semaine de filage technique en centrant à la fois les pratiques bienveillantes et l’obligation d’être efficaces. Une partie de notre pratique consiste à inciter les membres de notre communauté à rêver avec nous à d’autres façons de travailler, en tenant compte de ce que nous avons aujourd’hui et de ce qui pourrait être possible à l’avenir. Nous avons demandé à Rebecca Vandevelde d’animer l’échange. Elle est membre permanente de Means of Production, qui se décrit comme « un collectif de directeurices de production et de directeurices techniques qui travaillent ensemble pour réexaminer la façon de concevoir des spectacles[1] » (Means of Production, s.d.). Parmi les personnes qui sont intervenues figuraient Steph Raposo, responsable de la location et des événements au Buddies in Bad Times Theatre, Autumn Coppaway (Anishinaabe), directrice technique au Vancouver Opera, Deb Lim, directrice générale de la fu-GEN Asian Canadian Theatre Company, et Natércia Napoleão, productrice associée de manidoons.

Voici des extraits de la transcription de la conversation que nous avons eue sur Zoom le 6 octobre 2021.

Cole : Meegwetch à vous. Bienvenue à cet événement en ligne. Je m’appelle Cole Alvis, je suis une artiste michif 2-Spirit basée ici à Tkarón:to, où les gardien·nes sont originellement les Mississauga-Anishinaabe, les Haudenosaunee et les Wendats. Puisque nous nous réunissons virtuellement, je voulais vous faire part d’un témoignage de reconnaissance que Jill Carter, une universitaire anishinaabe-kwe, a inscrit dans la signature de ses courriels. Jill dit :

Zoom a installé son siège social à San José en Californie, territoire traditionnel de la nation autochtone Muwekma Ohlone. Les membres actuel·les de cette nation sont les descendant·es direct·es des nombreux groupes tribaux forcés à faire partie des Missions dans la région. Nous, qui sommes capables de nous connecter les un·es aux autres via Zoom, sommes profondément redevables au peuple Muwekma Ohlone, car les terres et les eaux qu’il continue de gérer soutiennent aujourd’hui les personnes, les pipelines et les technologies qui transportent nos souffles, nos images et nos mots à travers de vastes distances, vers d’autres personnes.

Alors que nous nous engageons dans une discussion comme celle-ci, je reconnais personnellement la dette que j’ai contractée et qui s’accumule chaque fois que j’ouvre mon ordinateur portable. Nous sommes toustes redevables aux peuples et aux communautés dont les eaux et les terres ont été empoisonnées par l’extraction des métaux et éléments rares qui sont nécessaires à la fabrication des machines nous permettant de nous parler, de nous entendre et de nous voir. Nous sommes redevables à ces peuples dont les vies professionnelles, la jeunesse et la vitalité ont été passées dans des espaces dangereux et des conditions intolérables afin que tant de citoyen·nes du monde dit « développé » puissent avoir un accès facile à ces appareils et à d’autres dispositifs similaires. Alors que nous nous rencontrons au moyen de nos comptes courriel, de nos applications de messagerie, de nos salles de réunion virtuelles et de nos salons de discussion, efforçons-nous de garder à l’esprit la dette incalculable que nous avons envers eux[2].

Alors, gitchi meegwetch, grand merci à Jill Carter d’avoir rédigé cette reconnaissance et de nous avoir donné l’occasion de réfléchir à notre impact alors que cette technologie nous facilite la vie. La parole est à Yolanda.

Yolanda : Meegwetch Cole. Aanii Yolanda nindizhinikaaz. Giizhibaa Ma’iingan nindigo. Makwa nindoodem Fort William First Nation nindoonjibaa. Tkarón:to nindaa. Bonjour, je m’appelle Yolanda Bonnell, je suis Anishinaabe et Sud-Asiatique de la Première Nation de Fort William à Thunder Bay, en Ontario, et je suis l’autre moitié du manidoons collective. Nous sommes très heureuses que vous soyez toustes ici avec nous aujourd’hui. Je suis très enthousiaste à l’idée d’avoir cette conversation, de réimaginer ce à quoi la semaine de filage technique pourrait ressembler.

Autumn : Je pense qu’il est très important d’expliquer ce que fait réellement l’équipe de production. Elle travaille en fait de trois semaines à sept mois, voire un an, avant toute production. Vous ne vous en rendez pas compte, mais des gens comme moi, comme Deb, travaillons à la fois sur des trucs [pour] l’année prochaine et sur nos projets actuels. La production travaille donc en coulisses à tout moment et lorsque vous vous dites : « Oh, nous essayons de faire telle ou telle chose pour faciliter les choses », vous devez aussi vous rappeler que tout ce travail en coulisses doit être fait avant qu’un·e artiste ne mette les pieds dans un espace. Et donc tout ce travail, le problème avec tout ce travail, est qu’il est souvent oublié. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut voir ou quantifier de manière tangible, et si la performance, si l’oeuvre d’art n’est pas prête pour la production, cela augmente considérablement [notre charge de travail]. Lorsque vous créez une oeuvre, il est très important d’explorer. Mais décrire cette exploration, la communiquer aux personnes chargées de la production bien à l’avance, permettra de gagner du temps [lors de ce travail invisible] et d’améliorer votre pratique artistique, parce que vous pourrez réellement bénéficier de ce soutien.

Je le dis d’emblée parce que lorsque nous parlons de « 10 sur 12 », c’est [pour] l’artiste. Je suis directrice technique. Je travaille dans de grandes salles, notamment au Four Seasons Centre for the Performing Arts et au Queen Elizabeth Theatre. Ce sont des journées de seize ou dix-huit heures pour moi. C’est sans compter les notes que je dois recopier à la fin de la soirée. Cela n’inclut pas les messages textes que je dois gérer avant de revenir au travail à 7 h du matin... Ce sont donc ces situations que nous examinons et je pense que beaucoup de gens ne réalisent pas que la production travaille toutes ces heures supplémentaires. Nous sommes dans les coulisses. Nous sommes des centaines à courir dans tous les sens pour que ces choses se produisent.

Rebecca : Nous nous faisons des illusions si nous pensons que « 10 sur 12 » signifie que vous n’avez pas à répondre aux urgences de quelqu’un d’autre pour la production suivante. En tant que travailleureuses indépendant·es, vous devez concilier plusieurs contrats... et c’est la même conversation que nous avons eue sur le fait que certain·es membres de l’équipe avaient besoin d’heures supplémentaires. La vie est chère, le loyer augmente et nous devons toustes faire face à beaucoup de choses. La question ne devrait donc pas être de savoir si nous avons besoin d’un « 10 sur 12 », mais si nous pouvons nous permettre un « 10 sur 12 », sachant que c’est un euphémisme pour un style de vie où nous mettons tout en attente pour régler le problème d’aujourd’hui, et où tout ce qui se passe aujourd’hui est un problème pour plus tard. J’imagine donc que je devrais reformuler cette question en disant : « Pouvons-nous nous permettre de continuer à travailler de cette manière, et si ce n’est pas le cas, quelles sont les solutions de rechange? » Nous avons parlé de plus de temps, mais j’aimerais aussi parler, en plus des heures supplémentaires (en supposant que nous en ayons besoin), de ce que nous pouvons faire pendant ce temps pour nous permettre d’être des personnes à part entière, de gérer notre prochain spectacle et de continuer à créer magnifiquement ensemble de la manière dont nous avons besoin de le faire.

Deb : Je pense que cette flexibilité, cette reconnaissance de la situation des gens, pour que nous puissions utiliser le temps de manière productive et significative, est une considération qui devrait être prise en compte à l’avance dans la semaine de filage technique, comme Autumn l’a mentionné, mais aussi pour mettre à l’épreuve ces vérifications pendant la semaine de filage technique.

Yolanda : Autumn, à propos de quelque chose que tu as dit tantôt… je pense que les artistes, les auteurices, les metteur·es en scène, même les interprètes, je pense que nous devons toustes être moins précieux·ses au sujet du travail, et ignorer cette idée que « the show must go on » (« le spectacle doit continuer »). Si quelque chose se produit et que nous devons annuler un spectacle ou une journée de répétition, ce n’est pas grave. Nous devons accepter cette réalité. Nous devons prévoir cette situation parce que nous avons trop longtemps vécu dans cet espace théâtral où nous devons continuer le spectacle à cause de l’argent, ou à cause d’un·e artiste, ou à cause de n’importe quoi d’autre, et si nous mettons le profit en premier, nous nous préparons déjà à causer du tort, n’est-ce pas? Donc, je pense que c’est aussi un appel aux artistes, pour qu’iels pensent à être moins précieux·ses dans leur travail, de sorte que si nous devons dire non à certaines choses, à certains éléments du spectacle, ou si nous devons dire non à la prolongation de quelque chose, ou si vous devez annuler un spectacle pour le bien de quelqu’un de l’équipe, pour le bien de sa santé, comme ça, ce n’est pas grave. Nous devons être capables de l’accepter. En fin de compte, nous sommes, encore une fois, des êtres humains. Vous êtes humain·es, vous savez?

Rebecca : Il semble que nous décrivions toustes le même changement : faire de la personne qui crée le spectacle et de ses besoins la priorité par rapport à ce que nous devons faire pour atteindre un stade complet, pour atteindre un stade qui nous semble satisfaisant – l’excellence artistique, une soirée de première, peu importe ce que c’est. Nous parlons également d’un changement communicationnel : cette flexibilité consiste à changer notre méthode de communication pour savoir ce dont vous avez besoin pour vous dépasser et non ce que vous pouvez faire avec ce que je peux vous donner. J’aimerais bien m’attarder sur les outils dont nous avons besoin pour une meilleure communication, pour donner la priorité à la personne qui effectue le travail, et je vais utiliser le mot « artiste », mais je veux qu’il englobe toutes les personnes qui collaborent, sans adhérer au clivage artificiel entre créateurices et non-créateurices. J’ai l’impression qu’il s’agit d’une dichotomie que nous avons créée pour décider qui, dans la salle, a des besoins importants, mais j’aimerais beaucoup parler de ce dont toustes les membres d’une équipe, toustes les artistes, ont besoin pour faire le meilleur travail possible, et discuter de la manière d’incorporer cela dans vos canaux de communication.

Deb : Oui, absolument, j’adore cette question! Je pense que nous avons déjà beaucoup parlé de ce besoin de communication, mais comment cette communication se fait-elle? Pour pouvoir communiquer, une personne doit être en sécurité, se sentir en sécurité, et disposer de l’espace et de la plateforme nécessaires pour faire part de ses besoins. Je pense que c’est particulièrement vrai pour les artistes émergent·es, ou même pour les personnes qui se sentent marginalisées ou qui, pour une raison ou une autre, n’ont pas toujours l’impression de disposer d’une plateforme pour exprimer leurs besoins. Il est donc important de mettre en place ces mécanismes, qu’il s’agisse par exemple d’une personne à qui l’on peut s’adresser pour résoudre un conflit. Ces personnes sont identifiées comme des représentantes, par exemple, des principes d’équité, de diversité et d’inclusion. Afin de pouvoir communiquer, je pense qu’il est nécessaire de mettre en place ces mécanismes dès le départ et de déterminer rapidement qui sont ces personnes.

Autumn : Je pense qu’il s’agit en grande partie, toujours dans le monde de la préproduction, de communiquer et de participer à la conversation initiale lorsque vous budgétez quelque chose. N’hésitez pas à nous le faire savoir [à l’avance]. Nous vous aiderons tout au long du processus. Nous vous aiderons à repérer les moments que vous devrez probablement prendre en compte. Cole, je sais que tu as participé à ce projet, mais à la Canadian Opera Company, il a fallu se battre pour faire une cérémonie de smudging, de purification en brûlant de la sauge sur scène [pour l’opéra Louis Riel]. Il n’y avait pas de volonté de sacrifier du temps de création, mais en plus, nous ne pouvions pas être sur scène sans un·e membre de l’équipe et cela, bien sûr, a eu un impact sur le budget en augmentant les heures de travail de l’équipe... En fin de compte, la compagnie est allée de l’avant et nous avons trouvé un moyen. Cependant, c’était sur une base volontaire et je n’ai pas l’impression que cela a été planifié. On n’a pas compris qu’il fallait prendre ce temps.

Deb : J’étais directrice de production indépendante avant de rejoindre fu-GEN, et cette expérience m’a vraiment ouvert les yeux, car j’ai pu examiner les budgets complets et voir comment les entreprises budgètent réellement les choses. Et [cela m’a permis de] réaliser que beaucoup de budgets de production sont simplement basés sur des budgets antérieurs, qu’il n’y a pas de processus de consultation, qu’il n’y a pas de prise en compte de la fluctuation des prix ni de ce dont chaque production a réellement besoin. Je pense donc que ce processus de consultation, cette communication mise en place dès le début, même au moment de la demande de subventions et de la planification d’une saison, est le moment où les responsables de la production devraient être impliqué·es dans la conversation.

Autumn : Tout le monde sait que l’acronyme COLA signifie « Cost for Living Adjustment » (« ajustement du coût de la vie »). Si vous avez fait un spectacle il y a dix ans, l’augmentation [des coûts aujourd’hui] est de trente pour cent.

Steph : Oui, le budget de production inclut les coûts de main-d’oeuvre et ceux-ci doivent refléter le coût de la vie, qui est spécifique à l’endroit où vous vivez. Personne n’y pense jamais. Il n’y a pas d’ajustement général du coût de la vie.

Rebecca : Je pense que ce que nous disons toustes, c’est qu’il n’y a pas d’astuce ni de raccourci pour construire une relation de confiance et de sécurité. Cela demande beaucoup de travail et de temps, et le seul moyen sûr de commencer est de partir d’un lieu de communication ouvert, flexible, et de donner aux gens plus de temps et plus d’argent pour travailler. Il est plus facile de faire de la place pour un projet quand on est payé. Cela fait certainement partie de la liste.

Autumn : Je pense que c’est une très bonne conversation à entamer. Comme nous l’avons dit au début, avant l’enregistrement de cette réunion, ce que nous recherchons en ce moment, c’est surtout la vérité et la réconciliation, et la compréhension qu’une partie de tout cela n’est pas, en vérité, accomplie de la meilleure façon. Cette conversation nous aide donc vraiment [à identifier cela]. Je pense que ce genre de dialogue ouvert sur ce qui peut être fait, et pas nécessairement sur ce qu’il faut faire, mais sur les aspects qu’on peut envisager, sur les nouvelles approches par lesquelles on peut, à tous les niveaux de la création théâtrale, vraiment contribuer à rendre ces espaces plus sûrs, plus équitables, plus inclusifs. Alors, miigwetch.

Cole : Un grand miigwetch à Deb Lim, Autumn Coppaway et Rebecca Vandevelde d’être venues partager votre savoir avec Steph Raposo, Natércia Napoleão, Yolanda Bonnell et moi-même alors que nous travaillons sur White Girls in Moccasins, qui vous sera présentée au printemps 2022. Le théâtre en personne est de retour!

Yolanda : Miigwetch, tout le monde, pour votre présence, pour le partage de votre savoir et pour cette conversation fructueuse! C’était vraiment très agréable d’être dans un espace virtuel avec vous toustes et de discuter d’un sujet aussi important. Alors, miigwetch. Baamaapii.

Cole : Baamaapii, à plus! Prenez soin de vous!

Deb : Merci!

Réflexions postproduction du manidoons collective

Rendre chaque représentation accessible était l’une des approches que nous avons adoptées pour la première mondiale de White Girls in Moccasins. Cela impliquait de garder une faible lumière dans la salle pendant la performance. L’équipe de Buddies a installé un « espace de détente » pour quiconque avait besoin d’une pause au cours du spectacle. Dans les discours d’ouverture, nous avons encouragé les spectateurices à aller et venir selon leurs besoins, à garder leur téléphone allumé si nécessaire, par exemple dans le cas de personnes soignantes ou d’autres personnes qui auraient besoin de recevoir des appels pendant le spectacle, et nous avons offert le sous-titrage aux personnes sourdes et malentendantes pour qu’elles puissent assister à n’importe quelle représentation de la tournée (au lieu de ne pouvoir choisir qu’entre les quelques représentations interprétées en langage des signes). Nous avons enregistré une représentation avec un public en chair et en os afin que les personnes qui n’étaient pas encore prêtes à revenir au théâtre (ou qui n’avaient pas pu obtenir de billet pour nos représentations à guichets fermés) puissent assister à la représentation dans le confort de leur propre espace. Les interprètes sourdes Amy Ireland (Oneida) et Courage Bacchus se sont enregistrées en train d’interpréter le spectacle depuis leur domicile, et leur performance a été incluse dans la version numérique.

Le soutien apporté à cette pièce a été immense. Le manidoons collective a réussi à obtenir un financement des trois paliers du gouvernement; notre coproducteur Buddies in Bad Times Theatre a fourni du financement et d’autres ressources lors de la collaboration, en créant notamment un calendrier de production alternatif qui nous a permis de travailler pendant cinq semaines au lieu de trois. Grâce à notre engagement en faveur de journées de répétition plus courtes, nous avons pu répartir le même nombre d’heures de préparation sur une période plus longue, ce qui a permis de réduire le risque d’épuisement de notre équipe créative. Le théâtre coûte cher, et avec les revenus que nous avons pu en tirer, cette expérience a été largement couronnée de succès. Au cours de la dernière semaine précédant notre première avec public, nous avons prolongé notre journée de travail pendant deux des journées consacrées au montage technique. Les artistes ont ainsi été appelé·es pour huit heures au lieu de six, et afin de limiter la journée à huit heures ou moins pour toutes les personnes impliquées, les technicien·nes ont travaillé en relais, divisant la journée de dix heures en deux pour l’équipe. Le soutien de Buddies a permis de respecter nos valeurs tout en répondant aux besoins émergents du spectacle dans les instants qui ont précédé la première. Nous avons pris cette décision collectivement et, lors des cercles de paroles quotidiens, nous nous sommes engagé·es avec les acteurices, les concepteurices et les technicien·nes afin de nous assurer que tout le monde était d’accord pour modifier le programme initial. L’un des enseignements essentiels que nous tirons de cette expérience est qu’il faut se préparer à des retards, en particulier lorsqu’une pandémie fait rage. Étant donné que nous avons travaillé ensemble pendant sept semaines (y compris les deux semaines de représentations), il était vital de faire tout ce qui était en notre pouvoir pour assurer la sécurité des un·es et des autres. Cela signifiait des réunions hebdomadaires pour discuter de ce à quoi nous pouvions nous attendre la semaine suivante, au fur et à mesure que de nouvelles personnes nous rejoignaient. Nous avons limité le nombre de participant·es dès le début : pendant la première semaine et demie de répétitions, seul·es les artistes et la personne responsable de la régie étaient présent·es dans la salle de répétition, les codirecteurices et les concepteurices participant en ligne. Le nombre d’hospitalisations dues à la COVID-19 diminuait au fur et à mesure que nous travaillions, mais quelques semaines auparavant, une personne d’une autre compagnie qui répétait au même endroit que nous avait été testée positive à la COVID-19. Les répétitions ont eu lieu juste avant que le gouvernement ne mette à disposition des tests rapides, et nous avons été soutenu·es par des membres de la communauté qui ont fait don de leurs trousses afin que nous puissions proposer des tests à toute personne se trouvant dans la même pièce que les artistes non masqué·es, tous les deux jours, pendant toute la durée de l’engagement. Bien que personne sous contrat avec nous n’ait été testé positif, certain·es de nos collaborateurices se sont isolé·es en raison d’un voyage ou d’une exposition possible, et iels se sont joint·es à nous en ligne dans la mesure du possible. Si ces précautions de routine nous ont permis de rester en sécurité, elles ont eu pour conséquence de modifier notre calendrier de production soigneusement élaboré. La combinaison de la pandémie et d’une nouvelle méthode de travail a créé des moments de stress au cours du processus, comme on peut s’y attendre lorsqu’on fait les choses différemment. En fin de compte, c’est une expérience courante que d’arriver à la première et de souhaiter une semaine de répétition de plus. Et comme nous avons conçu le processus autour de nos valeurs, que nous avons repoussé les modes de pensée coloniaux et que nous avons établi un calendrier pour que le spectacle ait lieu selon nos conditions et avec moins d’inconvénients pour toutes les personnes impliquées, nous avons le sentiment d’avoir réussi.

Trop longtemps, nous avons été qualifié·es de sauvages

Sauvages

Impur·es

Ayant besoin d’un bon lavage à l’eau bénite

Nous avons trop longtemps été mis·es en pièces

Comme on arrache l’écorce d’un bouleau

Pieds liés

Voix tendues

Bras faibles

Cheveux coupés

Mais quand je m’assois dans le calme, je peux encore entendre le –

Reviens

Reviens

Souviens-toi

Souviens-toi de l’endroit où le cercle a commencé

Souviens-toi de notre Grand-père Soleil

Reviens

Et chante et danse encore

Reviens

Pour que nous puissions une fois de plus

Laisser entrer

Le battement de coeur

De la terre