Résumés
Résumé
Dans cet article, il s’agira d’explorer l’imaginaire médical au sein de la pièce de théâtre Phaedra’s Love (1996) de la dramaturge britannique contemporaine Sarah Kane. Alors qu’il y a parfois mention de la place des médecins dans sa dramaturgie – particulièrement dans Cleansed (1997) et 4.48 Psychosis (2000) –, cette réflexion n’a que trop rarement été envisagée dans le cadre de Phaedra’s Love, où le personnage principal, l’oiseux et misanthrope prince Hippolyte, apparaît dans l’ambivalence, faisant office à la fois de malade, de maladie… et de remède.
Mots-clés :
- dramaturgie,
- Sarah Kane,
- théâtre,
- médecine,
- Phèdre
Abstract
In this article, the medical motif at work in contemporary playwright Sarah Kane’s Phaedra’s Love (1996) will be explored. If the significance of the doctors in the rest of her work has been investigated before – especially in Cleansed (1997) and 4.48 Psychosis (2000) – it has never been linked to Phaedra’s Love, in which the protagonist, the idle and misanthropic prince Hippolytus, feels profoundly ambivalent, appearing as diseased, as a disease… and as a cure.
Corps de l’article
La masse critique qui s’est intéressée à l’autrice britannique Sarah Kane est considérable : rapidement disposée dans le firmament des « grandes suicidées » après seulement cinq pièces, la dernière publiée de manière posthume, on l’a associée aux figures de Sylvia Plath et de Virginia Woolf, à la fois pour des raisons biographiques (Lawrence, 2009) et stylistiques (Beaudry, 2015; Rafis, 2012)[1]. Depuis 1999, l’oeuvre protéiforme de Kane a été scrutée, admirée et associée à différents mouvements et esthétiques : à cet égard, soulignons entre autres le « In-Yer-Face Theatre » (« théâtre coup de poing ») d’Aleks Sierz (2001), qu’il décrit comme un théâtre au langage cru, vulgaire, mettant en scène des violences extrêmes et visant à choquer le public, ainsi que les dramaturgies du traumatisme, informées par le spectre de la Seconde Guerre mondiale et par les réflexions sur le trauma de Shoshana Felman (Angel-Perez, 2006).
Les textes de Kane marquent au fer rouge ceux·celles qui s’y frottent; mais cette marque n’est pas à envisager comme une tentative de « choquer pour choquer » dissimulant une absence de réflexion – reproche adressé à Kane à la création de ses trois premières pièces par les critiques journalistiques (Billington, 1996; Nathan, 1998) –, mais comme une action politique : « Si nous faisons l’expérience de quelque chose par l’art, nous pourrons peut-être ensuite transformer notre avenir, parce que nos expériences gravent leurs leçons sur nos coeurs par la souffrance, tandis que la spéculation nous laisse indemnes[2] » (Kane, citée dans Langridge et Stephenson, 1997 : 133). Du lieu de la souffrance surgiraient ainsi les futurs possibles. Suivant le tracé de l’écriture de Kane, il s’agira ici d’en explorer un sillon précis qui constitue l’un des noyaux de son oeuvre et la cible de ses plus féroces critiques. Dans la majorité de ses textes surgit en effet une figure qui, de pièce en pièce, enfle jusqu’à occuper tout l’espace dramaturgique. Chez Kane, on retrouve souvent un médecin, qu’il soit inutile dans Phaedra’s Love (1996), concentrationnaire dans Cleansed (1997) ou amoureux dans 4.48 Psychosis (2000). De manière générale, il occupe un rôle d’antagoniste, agissant dramaturgiquement comme « la voix contre laquelle se construisent les autres » (Campos, 2012 : 190). Plusieurs critiques ont envisagé l’histoire personnelle des problèmes de santé mentale de Kane comme étant la source de ce traitement du motif médical – les médecins en ennemis, la santé en champ de bataille –, voire comme l’explication de toute sa dramaturgie. Écraser l’autrice dans l’image de la dépression est une vaste entreprise critique – débutant à la création de Blasted en 1996 – qui tend à dépolitiser son oeuvre et à refermer sa dramaturgie sur la question d’un sujet (auctorial) en souffrance. La pièce ultime de Kane en constitue le meilleur exemple : « Lu trop souvent comme une lettre de suicide, 4.48 Psychosis est devenu la lentille à travers laquelle toute l’oeuvre de Kane a été interprétée comme relevant d’une dépression clinique plutôt que du talent artistique » (Delvaux, 2012). Bien sûr, la question de la douleur est centrale chez Kane, mais encore faut-il s’interroger sur les ramifications des souffrances, leurs causes et leurs effets; par exemple, s’il y a agression sexuelle dans la chambre d’hôtel de Leeds de Blasted, c’est que Kane sent la parenté entre le viol « individuel » et les viols collectifs qui avaient lieu à l’époque lors des conflits armés en Bosnie-Herzégovine (Saunders, 2004 : 73). La pathologisation de l’écriture – la lecture des textes comme autant de symptômes – m’apparaît comme une perspective étroite, invisibilisant par ailleurs les expérimentations formelles qui organisent la trajectoire de l’écrivaine. Ici, donc, je lirai Kane en ancrant mon regard dans le traitement réservé au médecin et à l’imaginaire médical, explorant l’hypothèse selon laquelle toute son oeuvre constituerait une critique des discours médicaux et une réflexion sur la nature du rapport entre la médecine, comme corps de savoirs, et les sujets qu’elle observe.
Le traitement du premier médecin surgissant dans ses textes – celui de Phaedra’s Love – annonce plusieurs enjeux centraux de l’ensemble de la dramaturgie kanienne. À ce jour, ce personnage a généralement été considéré comme accessoire, éphémère, voire insignifiant, par la critique. Bien que son influence semble largement moindre que celle de Tinker (Cleansed) ou du psychiatre anonyme de 4.48 Psychosis, deux personnages qui ont fait couler beaucoup d’encre, le Médecin de la famille royale prend la forme d’une ombre fugace qui révèle, en chuchotements, que les événements à venir sont une affaire de maladie – d’affliction, certainement, mais peut-être aussi de guérison. Phaedra’s Love ne fait intervenir un docteur que très brièvement, le temps d’une scène où Phèdre l’interroge afin de découvrir le problème qui affecte le prince Hippolyte. Les conclusions de l’expert, adressées à Phèdre à la fin de toute une scène diagnostique – « sortez-le de votre système[3] » (« get over him »; Kane, 2006 [1996] : 68) – n’affirment qu’une chose : le prince n’est pas une entité malade; au contraire, il est une maladie, celle de Phèdre, une violente infection existentielle dont elle doit se purger. Phaedra’s Love s’annonce comme un récit pharmaceutique pris dans son sens littéral : « Pharmacée (Pharmakeia) est aussi un nom commun qui signifie l’administration du pharmakon, de la drogue : du remède et / ou du poison. “Empoisonnement” n’était pas le sens moins courant de “pharmacée” » (Derrida, 1972 : 86-87). Cette dualité nous fait voir autrement le sacrifice final d’Hippolyte – qui nous renvoie à une éminente figure du théâtre antique, celle du pharmakos, le bouc émissaire, celui qui est sacrifié pour guérir la cité d’un mal, un être qui à la fois le contient et permet de le chasser –, sacrifice que René Girard décrit comme « l’institution primordiale de la culture humaine » (Girard, 2003). Hippolyte constitue ainsi une figure d’« ambivalence maladive », c’est-à-dire une figure dont le rapport à la maladie est ambivalent – puisque le personnage y est tout à la fois maladie, malade et remède, à la lumière de la description de Derrida – et dont la maladie se manifeste dans une multiplicité de sphères, brouillant sa propre nature (physique, symbolique, spirituelle, politique) et révélant les maux de toute une société. Cette ambivalence reflète les pouvoirs qui ont infiltré les discours médicaux, religieux et politiques. Il s’agira ainsi d’explorer l’imaginaire médical de Phaedra’s Love et d’observer comment l’identification d’Hippolyte à une maladie révèle les errances du pouvoir en place avant d’en provoquer l’anéantissement.
Phaedra’s Love et sa parenté antique
C’est dans la perspective d’une saison théâtrale du Gate Theatre intitulée « New Plays, Ancient Sources », consacrée à la réinvention et à la réactualisation d’oeuvres du répertoire classique européen, que Kane a été invitée à adapter un texte ancien pour en produire une version contemporaine :
J’ai choisi Sénèque parce que Caryl Churchill a produit une adaptation de l’une de ses pièces [Thyeste] que j’ai beaucoup aimée. […] Aussi, je n’ai lu Sénèque qu’une seule fois. Je ne voulais pas trop m’y investir – je ne voulais certainement pas écrire une pièce qu’on ne peut pas comprendre sans connaître l’originale. Je voulais qu’elle se tienne de manière complètement indépendante[4] (Kane, citée dans Saunders, 2009 : 67).
Les raisons exprimées par Kane quant à son choix sont claires : « J’ai lu Phèdre, et étonnamment ça m’a intéressée. Ça dépeint une famille royale sexuellement corrompue, alors c’est complètement actuel. […] L’autre aspect intéressant dans Phèdre est que j’ai trouvé Hippolyte très peu attrayant pour quelqu’un qui est censé être tellement pur et puritain[5] » (idem).
Il y a un lien évident entre le théâtre romain, « un théâtre des passions et du corps éloquent » où est présenté « le processus de métamorphose de par lequel le héros sort de l’humanité » (Lesage, 2005 : 42), et la dramaturgie de Kane. Les dramaturgies de Sénèque et de Kane partagent un net penchant pour la monstration – par opposition à la description – notamment en ce qui a trait à la violence. La mort de chacun des Hippolyte est extrêmement brutale : le premier, attaqué par une créature monstrueuse émergeant de l’océan, chute de son char et est traîné par des chevaux en panique sur un sol parsemé de rochers, de ronces et de troncs le déchirant en morceaux; le second est quant à lui déchiqueté par une foule furieuse. Bien que la mort chez Sénèque soit racontée par un messager, l’abondance de détails sanglants spectacularise la mort du prince et exacerbe le carnage. Impossible de ne pas sentir, en écho, le parti pris de Kane d’indiquer chaque étape de l’exécution en didascalies, n’euphémisant aucune violence et suggérant qu’elles se produiraient directement sur scène devant le public : « Il éventre Hippolyte de l’entrejambe jusqu’à la poitrine. / Les entrailles d’Hippolyte sont arrachées et lancées sur le barbecue[6] » (Kane, 2006 [1996] : 101).
Le 20 mai 1996, Phaedra’s Love est présenté pour la première fois au Gate Theatre : Kane en assure elle-même la mise en scène. Il s’agit d’un spectacle très attendu, car sa première pièce, Blasted, créée l’année précédente, avait secoué violemment l’ensemble du monde théâtral : « Blasted a provoqué le plus grand émoi théâtral depuis The Romans in Britain [en 1980][7] » (Bassett, 1996 : 651). Les commentaires des critiques de théâtre sont axés sur les actes violents qui sont mis en scène – « si voir des testicules cuits au barbecue vous intéresse le moindrement, cette pièce est faite pour vous[8] » (Sierz, 1996 : 651) – et sur l’apparente absence de réflexion derrière la pièce : « Sa pièce est dotée d’une puissance viscérale indéniable : intellectuellement, il est difficile d’en cerner le propos[9] » (Billington, 1996 : 652).
Surgissent également – ce qui était déjà présent dans les critiques de Blasted – les accusations de troubles de santé mentale : « à la fin de la pièce j’étais très inquiet de la santé mentale de Sarah Kane. […] L’impression d’un esprit sur le point de s’effondrer est écrasante. Nous n’avons pas besoin d’un·e critique de théâtre ici, mais d’un·e psychiatre[10] » (Spencer, 1996 : 653). Cela dit, cette présomption de folie – dont nous ne serons malheureusement jamais libéré·es – nous renvoie davantage à l’horizon d’attente des critiques de théâtre qu’à l’état mental de l’artiste. Si beaucoup de dramaturges avaient déjà créé des oeuvres d’une extrême violence – ce qui était plutôt commun dans l’Angleterre des années 1990, où proliférait l’esthétique « In-Yer-Face » – sans provoquer un si virulent scandale, c’est entre autres parce que d’un point de vue formel leurs pièces présentaient des récits vraisemblables, avec des personnages clairement définis par une psychologie « réaliste ». Beth Hoffmann, dans sa thèse traitant de l’aspect politique de la recherche formelle dans la création britannique contemporaine, présente ainsi la relation entre la première pièce de Kane et l’esthétique dominante : « [Blasted] s’inscrit au centre de et contre la prédominance du réalisme social britannique à la Brecht des nouvelles écritures théâtrales, c’est-à-dire le “kitchen sink drama[11]” » (Hoffmann, 2008 : 65). Or l’écriture de Kane est aux antipodes d’un mode de réception réaliste; ses personnages sont moins des êtres humains que des figures :
[Le terme] figure renvoie d’abord à l’idée d’une forme d’apparition : c’est par ses contours, son apparence, et non son intériorité, que le personnage se voit défini. […] Les figures, faites de pièces dramatiques détachées, de morceaux de personnages choisis, participent d’une poétique théâtrale de la schématisation, de l’abstraction, de la stylisation (Corvin, 2008 : 559).
Le concept de figure nous permet d’approcher plus clairement l’oeuvre de Kane : sa recherche incessante de nouvelles formes théâtrales nous montre que les êtres qui habitent son écriture ne renvoient pas qu’à des répliques d’êtres humains. J’avancerai, avec Marie-Christine Lesage, que la dramaturgie de Sarah Kane manifeste « une poétique de la métaphore et un traitement du personnage qui joue sur un entre-deux, sur l’ambiguïté maintenue entre une référence toujours allusive au réel et un mode de composition théâtralisé qui renvoie au sens qui se cache derrière les apparences » (Lesage, 2003 : 114). Les textes refusent ainsi un horizon de lecture strictement réaliste : se présentant parfois comme dans un cauchemar, les personnages sont défaits… quand ils ne sont pas littéralement mis en pièces[12]. Afin de lire Kane, donc, il nous faut sans cesse pourchasser ces métaphores qui n’en sont pas tout à fait et observer comment les images et le réel auquel elles réfèrent s’entrechoquent.
Rappelons brièvement le récit antique de Sénèque : Phèdre – épouse du roi Thésée, disparu depuis des années, et descendante du Soleil – est amoureuse de son gendre, Hippolyte, prince guerrier d’une pureté virginale qui rejette les femmes avec mépris. Incapable de résister à ce sentiment qui la brûle, la reine fait l’aveu de son amour à son beau-fils, qui la repousse violemment. Thésée revient alors et, afin de cacher son infamie, Phèdre accuse Hippolyte de l’avoir violée. Fou de rage, Thésée maudit son fils et demande au dieu Neptune de le faire mourir. Attaqué par une créature monstrueuse, Hippolyte est tué par ses propres chevaux et, pleine de remords, Phèdre révèle son mensonge avant de s’ôter la vie.
Chez Kane, dans un palais royal qui nous semble contemporain, Phèdre est profondément amoureuse d’Hippolyte, qui n’est plus ici un noble prince chaste, mais un être amorphe, obèse et misanthrope qui multiplie les rapports sexuels avec apathie. Pour l’anniversaire du prince, Phèdre lui fait une fellation, après laquelle il l’humilie. Elle se donne la mort, accusant Hippolyte de viol dans sa lettre de suicide. Il ne nie pas l’accusation; au contraire, il se livre lui-même aux forces de l’ordre. De retour d’exil, apprenant la mort de son épouse et le crime de son fils, le roi Thésée déclenche une émeute dans une foule rassemblée pour hurler des injures au prince sortant de prison. Hippolyte se jette dans la foule et est mis en pièces par la masse déchaînée avant d’être dévoré par des vautours.
Comme l’indique le titre, passant de Phaedra à Phaedra’s Love, le rôle de protagoniste ne revient plus à la reine d’Athènes – qui disparaît à la quatrième scène –, mais plutôt au vicieux prince, le véritable « amour de Phèdre ». D’une pureté virginale chez Sénèque, il arbore avec une fierté maladive tous les vices chez Kane : la scène initiale, entièrement didascalique, présente un Hippolyte oisif qui regarde la télévision, mange de la malbouffe et se masturbe dans une chaussette lorsque le film à l’écran devient « particulièrement violent » (« particularly violent »; Kane, 2006 [1996] : 65). Le sol autour de lui est jonché « de jouets électroniques haut de gamme, de paquets de bonbons et de chips vides, et de plusieurs bas et sous-vêtements souillés, éparpillés un peu partout[13] » (idem). Ici apparaît immédiatement la dimension politique de l’écriture de Kane : l’instance qui dirige le pays est souillée; son prince est déchéant et dans son palais se multiplient les déchets. Kane altère ainsi une scène initiale qui, chez Sénèque, prend la forme d’un discours guerrier émis par Hippolyte, dont le langage « est celui du chasseur qui vit en marge de la société plutôt que celui de l’homme civilisé » (Lesage, 2005 : 44). Dans les deux cas, la première scène présente immédiatement la distance entre Hippolyte et la société. Il se présente comme un être à part : alors que chez Sénèque il est non civilisé, chez Kane, il est une « hypertrophie de l’état de la société supposément civilisée qui est la sienne. S’il semble sauvage, c’est par une hypersophistication de la culture et de la société de consommation dans laquelle il baigne » (idem). Il devient marchandise : à l’instar de la malbouffe qu’il ingère, son corps sert d’instrument pour que les autres puissent assouvir leurs propres désirs. Kane déplace, par le fait même, l’origine des maux affectant l’ensemble des personnages : « Alors que les reprises antérieures de la situation, y compris chez Sénèque, soulignent que l’obsession de Phèdre pour Hippolyte est la source de la corruption qui infecte la famille de Thésée, [Phaedra’s Love] situe la source de la contamination chez Hippolyte lui-même » (Saunders, 2004 : 128). Ici, l’inceste n’est plus une malédiction divine dont Phèdre est la malheureuse héritière[14], mais plutôt la manifestation d’une corruption profonde qui ronge la royauté. À cet égard, le remplacement du personnage de la Nourrice par celui de Strophe est hautement révélateur : fille de la reine, elle agit comme confidente auprès de sa mère et d’Hippolyte… et est également coupable d’inceste, ayant eu des relations sexuelles avec le prince et le roi.
Une médecine sans guérison
Après la scène initiale masturbatoire d’Hippolyte, le Médecin de la famille royale discute du diagnostic du prince avec Phèdre. Il est un Doctor – pas un psychiatrist, ni un physician – et cette dénomination s’affiche déjà comme teintée de trahison : on emploie généralement ce terme pour désigner un médecin, certes, mais aussi, sous la forme verbale to doctor, pour signifier « contrefaire un document » ou « ajouter subrepticement une substance nocive ou dangereuse dans un repas ou une boisson[15] » (Cambridge Dictionary, s.d.a). Le Doctor est donc un faussaire, un empoisonneur : là où on aurait pu le croire érudit, il se révèle d’une grande vacuité :
Docteur. – Il est déprimé.
Phèdre. – Je sais.
Docteur. – Il devrait changer de régime. Il ne peut pas juste manger des hamburgers et du beurre d’arachides.
Phèdre. – Je sais.
Docteur. – Ça, et laver ses vêtements de temps en temps. Il pue.
Phèdre. – Je sais. C’est moi qui vous l’ai dit[16] (Kane, 2006 [1996] : 65).
La répétition du « Je sais » de Phèdre met l’accent sur l’incompétence du Docteur : censé être un expert, il ne sait visiblement rien sur l’état du Prince. Il agit presque en perroquet, répétant des informations qui lui ont été données, et ne parvient pas à diagnostiquer l’apparent problème d’Hippolyte. Son inutilité se redessine à la page suivante : « Docteur. – Il devrait ranger sa chambre et faire de l’exercice. / Phèdre. – Ma mère aurait pu me dire ça. Je pensais que vous pourriez aider pour vrai[17] » (ibid. : 66; je souligne). Cela le constitue d’emblée comme une figure de l’ignorance et de l’échec, tel qu’en témoigne sa toute première réplique : « Il est déprimé ». Comme l’indique Liliane Campos, tout langage scientifique se veut aux antipodes de l’ambivalence : « Le terme scientifique est monosémique : il ne peut avoir qu’un seul référent, et ne doit laisser aucune place au glissement de sens ou à l’hésitation » (Campos, 2012 : 46). Or le mot « depressed » peut être lu de différentes manières : d’un côté, Hippolyte pourrait être « déprimé », ce qui renvoie à un état hors du médical; de l’autre, « dépressif », ce qui désigne une réelle affection psychologique et biologique, une véritable maladie. C’est cette deuxième version qui a été retenue par la critique[18]. Il s’agit toutefois d’une avenue que le médecin contredit lui-même plus loin dans la scène : « Il n’y a rien de bizarre, cliniquement parlant » (Kane, 2006 [1996] : 66); « Il n’y a aucun problème avec lui médicalement parlant[19] » (ibid. : 68).
Ce flou qui entoure Hippolyte s’amplifie ensuite, le personnage apparaissant non seulement comme l’objet d’un diagnostic, mais aussi comme diagnostic lui-même; car dans cet échange, le Docteur semble analyser un autre patient, les inquiétudes pour la santé de son beau-fils déplaçant progressivement Phèdre au centre de son regard. D’abord posées en gardant Hippolyte au coeur de la réflexion, celui-ci occupant syntaxiquement le rôle de sujet dans la phrase « Est-ce qu’il couche avec vous?[20] » (ibid. : 66), les questions finissent par porter sur la reine, renvoyant Hippolyte au prédicat : « Êtes-vous en amour avec lui? »; « Et qu’est-ce que vous pensez de tout ça?[21] » (Idem.) Puis Hippolyte n’a plus sa place dans la discussion :
Docteur. – Qui s’occupe des affaires pendant l’absence de votre mari?
Phèdre. – Moi. Ma fille.
Docteur. – Et quand reviendra-t-il?
Phèdre. – J’ai aucune idée.
Docteur. – Êtes-vous toujours amoureuse de lui?
Phèdre. – Bien sûr. Je l’ai pas vu depuis notre mariage.
Docteur. – Vous devez vous sentir très seule[22] (ibid. : 66-67).
Le prince a disparu. Entre deux répliques, par un simple mouvement de l’oeil, la pensée du Docteur s’est tournée vers la reine :
Phèdre. – Je suis son amie, moi. Il me parle.
Docteur. – À propos de quoi?
Phèdre. – De tout.
Docteur (La regarde[23]) (ibid. : 66).
Dans cette scène, avant cet échange, aucune mention n’est faite quant à la position des corps des deux personnages, aucune action physique n’est décrite. L’accent mis sur le regard témoigne directement du basculement dans la conversation. Alors que précédemment, le Docteur était appelé à dire ce qu’il avait « vu » chez Hippolyte, il pose ici les yeux sur la reine; après tout, les expressions et les termes associés à la connaissance relèvent grandement d’un imaginaire de la vision[24]. Par ce mouvement de la rétine, le médecin n’est plus spectateur d’Hippolyte; d’ailleurs, la première scène de la pièce place le lectorat – et le public de la représentation – dans une position d’observateur à la fois proche et lointain. Cette dynamique, proprement théâtrale, est révélatrice des enjeux de pouvoir qui unissent les pratiques théâtrales et médicales, fondées sur l’observation de l’être humain comme objet, cette réification reflétant la condition d’Hippolyte comme objet de consommation.
Toutefois, le diagnostic de Phèdre, contrairement à celui d’Hippolyte, est un champ de bataille où la reine résiste à cette réification. En effet, quelques répliques plus bas, c’est à Phèdre de diriger son regard vers le Docteur : cette fois-ci, le mouvement rend explicite la lutte féroce qui forme le coeur de la scène. Après que le médecin a suggéré qu’Hippolyte « s’ennuie de sa vraie mère », Phèdre « le regarde[25] » (ibid. : 68). Les regards du Docteur et de Phèdre se croisent pour la première fois depuis le début de la scène, alors que le faux savant offre à la reine un cadeau empoisonné au même moment où il explique sa pensée : « Ce n’est pas une remise en question de vos qualités de remplaçante, mais il faut dire qu’après tout, il n’y a aucun lien de sang entre vous deux. Ce n’est qu’une hypothèse[26] » (idem). La réponse de Phèdre à la justification du médecin – « En effet » (« quite »; idem) – est elle-même ambiguë : acquiesce-t-elle au fait qu’il est en pleine spéculation ou à l’absence de relation filiale entre elle et son beau-fils? Dans ce dernier cas, ce moment précis dans le dialogue pourrait être interprété comme une permission donnée à Phèdre par le Docteur de se lier à Hippolyte, idée d’autant plus intéressante si l’on prend en compte le détachement que manifeste le médecin lorsqu’il l’interroge sur de potentielles relations sexuelles avec son beau-fils. En effet, si de telles relations relèvent, en principe, du tabou, elles ne constituent pas, d’un point de vue strictement biologique, un inceste, puisque les deux personnages ne partagent pas le même sang. C’est d’ailleurs l’excuse qu’avance Phèdre lorsqu’elle est confrontée par Strophe sur ce sujet : « C’est pas mon fils » (« He’s not my son »; ibid. : 71).
D’après l’anthropologue Dorothée Dussy, l’interdiction de l’inceste forme « la clause première du contrat social » en « établissant ainsi des liens d’échange entre familles et, au-delà, entre groupes sociaux » (Dussy, 2021 [2013]). L’imaginaire de l’inceste apparaît ainsi comme apocalyptique, repliant les groupes familiaux sur eux-mêmes, ce qui provoquerait le stade terminal de la civilisation. Le sombre augure de la consanguinité est ici désarmé par les propos du médecin, qui semblent excuser la relation et en réduire la gravité. Bien sûr, il se trompe : la catastrophe est imminente et le mal dispose de racines profondes. Chaque membre de la famille royale commet des actes incestueux, rappelant la perspective de Dussy, qui fait de l’inceste un « exercice érotisé de la domination [et] un élément clé de la reconduction des rapports de domination et d’exploitation » (idem). Le crime provoque la chute du système monarchique à la fin du récit, avec l’accusation de Phèdre et la révolte qu’elle provoque, la destruction de l’incestueux Hippolyte – qui symbolise le contrôle de la classe ouvrière par les pouvoirs monarchiques – accomplissant un renversement des rapports de domination entérinés par l’État et ses institutions.
Ce n’est qu’à la toute fin de cette scène qu’Hippolyte est représenté comme une maladie incurable, après un dernier échange qui suggère à nouveau l’inutilité du Docteur :
Phèdre. – Je vous ai pas demandé d’émettre des hypothèses. Je vous ai demandé un diagnostic. Un traitement.
Docteur. – C’est normal qu’il soit déprimé. C’est son anniversaire.
Phèdre. – Il est comme ça depuis des mois.
Docteur. – Il n’y a aucun problème avec lui médicalement parlant.
Phèdre. – Médicalement.
Docteur. – Il est simplement très désagréable. Et donc, intraitable. Je suis désolé.
Phèdre. – Je sais pas quoi faire.
Docteur. – Sortez-le de votre système[27] (Kane, 2006 [1996] : 68).
Le médecin conclut qu’il n’y a aucun problème chez Hippolyte. La question diagnostique est alors renversée, et la reine, identifiée comme la véritable malade. « Sortez-le de votre système[28] » (« Get over him »), lui dit-il. La première définition que nous offre le Cambridge Dictionary de l’expression « to get over something » est « aller mieux après une maladie » (« to get better after an illness »; Cambridge Dictionary, s.d.b). Hippolyte est ainsi associé à une maladie à travers ce conseil offert à la reine, dans lequel nous pouvons entendre à la fois la recommandation d’un médecin pour guérir Phèdre et celle que l’on prodigue à un individu soumis aux tourments d’une relation amoureuse toxique. « Get over him » (Kane, 2006 [1996] : 73) : une phrase répétée plus tard par Phèdre devant sa fille Strophe, mais qui, cette fois-ci, sonne différemment, car elle annonce que la reine s’apprête à céder au désir. Le « Get over him » fait également écho à la réplique « Je veux entrer en lui, le comprendre, le résoudre[29] » (ibid. : 71) : entrer à l’intérieur d’Hippolyte, passer par-dessus lui, autant d’images renvoyant au contact des chairs. L’espace suggéré par Phèdre en est un d’extrême proximité et d’intimité. Pour qu’elle puisse se guérir du prince, il semblerait donc qu’elle doive succomber d’abord; s’en approcher et... être brûlée.
Le corps venimeux
La transformation la plus radicale faite par Kane au personnage d’Hippolyte repose dans sa corporéité : dans Phaedra’s Love, il est un corps qui ingère et qui excrète sans cesse, mangeant, baisant, se mouchant, produisant un contraste frappant avec le prince-chasseur virginal de Sénèque. En fait, les incessantes relations sexuelles insatisfaisantes qui rythment l’existence d’Hippolyte prennent la forme de simples décharges. Son comportement demeure inchangé si l’on compare la séance de masturbation initiale à la fellation de Phèdre :
Le film devient particulièrement violent.
Hippolyte regarde, impassible.
Il ramasse un autre bas, l’examine puis le rejette.
Il en prend un autre, l’examine et décide qu’il est bon.
Il met son pénis dans le bas, et se masturbe jusqu’à ce qu’il vienne, sans une once de plaisir.
Il retire le bas, et le jette par terre.
Il entame un autre hamburger[30] (ibid. : 65).
Ils fixent tous les deux la télévision.
Éventuellement, Phèdre va vers Hippolyte.
Il ne la regarde pas.
Elle défait ses pantalons, et lui fait une fellation.
Il regarde l’écran pendant tout ce temps, et mange ses bonbons.
Au moment où il va jouir, il fait un son.
Phèdre commence à relever sa tête – il la retient et lui vient dans la bouche, sans jamais quitter la télévision des yeux.
Il relâche sa tête.
Phèdre s’assoit, et regarde la télévision.
Un long silence, brisé sporadiquement par le froissement des sacs de bonbons d’Hippolyte.
Phèdre pleure.
Hippolyte. – Voilà. Mystère résolu[31] (ibid. : 81).
La répétition est frappante : le film, l’absence de plaisir d’Hippolyte, la consommation de nourriture, le rejet de l’objet sexuel – d’un côté, une chaussette; de l’autre, la reine, littéralement rejetée comme une vieille chaussette – font de ces deux scènes des jumelles. Il ne faudrait toutefois pas croire que le traitement déshumanisant que subit Phèdre lui est exclusif. Tous·tes les partenaires du prince sont réduit·es à l’état d’objets : « Quelqu’un est venu ici. Assez grosse. Et elle sentait bizarre. Et j’ai couché avec un gars dans le jardin, aussi. […] Ça rassemblait à un gars, mais on peut jamais être sûr à 100%[32] » (ibid. : 76). Son corps est engourdi, sans sensation, à l’image de son esprit qui se désintéresse de ce qui l’entoure; carnavalesque, il réunit en sa chair le haut et le bas, le statut royal et les bassesses corporelles. Même à la toute fin, après avoir été étranglé, émasculé, tranché « de l’entrejambe jusqu’à la poitrine » (« from groin to chest »; ibid. : 101), il prend la parole avant de mourir. Cela rend bien compte de son caractère monstrueux, le monstre étant « un être venu d’un autre monde et infiltré parmi les hommes, un monstre à peau d’homme », dont « le signe principal de sa monstruosité est l’absence de sentiments » (Lesage, 2005 : 43). Ce corps abject, mort-vivant, est le siège de maladies et de bactéries, malgré le fait qu’il apparaît « sain » aux yeux du médecin :
Strophe. – Cache-toi.
Hippolyte. – Langue verte.
Strophe. – Cache-toi, imbécile.
Hippolyte se tourne vers elle et lui montre sa langue.
Hippolyte. – De la fucking mousse. Un pouce de pleurocoques sur ma langue. On dirait le coin d’un vieux mur.
Strophe. – Hippolyte.
Hippolyte. – Je l’ai montré à un gars pas loin des marais, il a quand même voulu me baiser[33] (Kane, 2006 [1996] : 85).
Son corps est malade et aux limites de l’humanité. La matière qui le compose est elle-même remise en question : les pleurocoques sont des algues vertes unicellulaires qui se développent généralement sur des arbres et des pierres. Hippolyte semble biologiquement, dans son propre discours, comme autre qu’humain. De la même manière, à la troisième scène, Strophe dit à sa mère, en parlant d’Hippolyte : « Ce gars-là, c’est une zone sexuellement sinistrée » (ibid. : 73) et « [c]’est une infection[34] » (ibid. : 71). Ses comportements destructeurs l’apparentent à une catastrophe naturelle, un virus, un cancer, reconduisant l’identification initiale d’Hippolyte à une maladie. Phèdre, quant à elle, est reconduite comme figure malade : « Strophe. – […] Va voir un docteur. / Phèdre. – Il – / Strophe. – Pour toi, pas pour lui[35] » (ibid. : 72).
Quels sont alors les symptômes de cette maladie? Hippolyte est associé à un imaginaire de la brûlure et du déchirement des organes se manifestant dans toute sa force dans un passage précis de la pièce où Phèdre se confie à sa fille : « Phèdre. – Une lance ancrée en moi, qui me consume. / Strophe. – Hippolyte. / Phèdre (Hurle)[36] » (ibid. : 69). Il est ici cette force qui transperce la reine, rendue impuissante, et dont la brûlure ne cesse de se manifester dans cette scène : « Il y a quelque chose entre nous, quelque chose de fucking génial, tu le sens pas? Ça brûle »; « Je me réveille avec ça ça me brûle. J’ai l’impression que je vais éclater j’ai tellement envie de lui »; « Je sais que si c’était avec quelqu’un qui t’aimait, qui t’aimait réellement, pour vrai – […] / Qui t’aimait jusqu’à ce que ça les brûle[37] » (ibid. : 71; je souligne).
Hippolyte se fait flamme chez ceux·celles qu’il infecte, comme la gonorrhée qu’il donne à Phèdre, une infection transmise sexuellement provoquant une sensation de brûlure. Après la mort de Phèdre, la brûlure se poursuit chez Strophe, avec qui il a déjà eu des relations sexuelles – « Hippolyte. – Ça fait longtemps qu’on s’est vu, comment tu vas? / Strophe. – Ça brûle[38] » (ibid. : 85; je souligne) –, puis se propage lors d’une scène de confession, où une figure jumelle du Doctor – un Priest – approche Hippolyte après qu’il s’est livré aux autorités. Le visitant dans sa cellule, le Prêtre lui propose de nier le viol dont Phèdre l’accuse dans sa lettre de suicide et de se confesser pour ce mensonge, mais l’accusé refuse : « j’ai aucune intention de me sauver le cul, moi. J’ai tué une femme, et je vais être puni pour ça par des hypocrites que je vais traîner dans la tombe avec moi. Qu’on brûle tous en Enfer[39] » (ibid. : 97; je souligne). Ce « on » renvoie non pas à une simple affection locale, individuelle, mais à une peste, une véritable plaie collective dont il est l’incarnation. À la fin de cette scène, le Prêtre reproduit la fellation faite par Phèdre, la main du prince se posant également sur la tête du personnage dans un mouvement désormais moins sexuel que religieux – une vraie imposition des mains – alors qu’il lui dit : « Allez. / Confesse. / Avant de brûler[40] » (idem). Cette brûlure, ici infernale, est indicative de la nature de cette maladie qu’est Hippolyte : il est punition, condamnation. Cet imaginaire du feu, associé à la destruction, participe du même mouvement que la maladie. Cela dit, Phaedra’s Love ne limite pas cette corruption au personnage d’Hippolyte : il apparaît comme la manifestation d’une violence déjà bien installée au sein de la famille royale, mais qui ne se révèle que plus tard dans le texte, au moment où le roi Thésée, son père, fait son retour au palais.
Du père au fils
Dans la septième scène de la pièce, Thésée, de retour d’exil, s’approche de la dépouille de son épouse :
Il s’agenouille devant le corps de Phèdre.
Il déchire ses vêtements, s’arrache la peau, les cheveux et plus encore, frénétiquement, jusqu’à ce qu’il soit épuisé.
Mais il ne pleure pas.
Il se lève, et allume le bûcher funéraire – Phèdre s’enflamme.
Thésée. – J’vais le tuer[41] (ibid. : 97-98).
Le roi semble, comme son fils, plus proche d’un état « sauvage » que d’un état civilisé. L’absence de larmes et toute la violence de son acte rappellent le prince Hippolyte, dans son détachement et sa cruauté. Là n’est pas leur seul point commun : ils sont également tous deux à l’origine d’un feu qui consume la reine – ici, ce feu est littéralisé, mais il renvoie également à la sexualité incandescente. Après la nuit de ses noces avec Phèdre – où il couche également avec Strophe –, le roi disparaît (ibid. : 88); juste avant leur relation sexuelle, Hippolyte dit à la reine : « Si on fourre on se parlera plus jamais[42] » (ibid. : 80). Par ce mouvement, le prince reproduit la trahison du père, provoquant la « dévastation émotionnelle » (« emotional decimation »; Langridge et Stephenson, 1997 : 132) de Phèdre. La destruction de celle-ci est intimement liée à l’idée d’un retour : retour au crime d’origine – l’abandon de Phèdre par Thésée –, retour de la violence d’une sexualité apocalyptique, après laquelle ne subsiste que le cimetière de leur relation.
Le peuple se rassemble alors afin de voir le prince déchu traîné vers le tribunal par la police. Le roi Thésée, incognito, alimente la rage, annonçant que justice ne sera pas faite, que la famille royale – dont il est pourtant le représentant – ne punira jamais le prince pour son crime contre « la seule qui avait un peu de bon sens[43] » (Kane, 2006 [1996] : 98) : « ils sacrifient la réputation d’un prince, puis ils l’exilent de la famille […] [et] disent ensuite qu’ils se sont débarrassés de l’élément corrompu. Mais la monarchie, elle, reste intacte[44] » (ibid. : 99). Et la foule anonyme de lui répondre : « Qu’est-ce qu’on devrait faire, alors? / Justice pour tous. / Il doit mourir. / Il faut qu’il meure. / Pour nous. / Et pour elle[45] » (idem; je souligne). Le texte acquiert des accents bibliques : Hippolyte doit mourir pour sauver la cité, en nouvel agneau sacrificiel. Ces répliques font directement de lui la figure antique et ambivalente du pharmakos : « On a comparé le personnage du pharmakos à un bouc émissaire. Le mal et le dehors, l’expulsion du mal, son exclusion hors du corps (et hors) de la cité, telles sont les deux significations majeures du personnage et de la pratique rituelle » (Derrida, 1972 : 162). La scène finale, décrite comme un passage grossier, violent et inutile par la critique au moment de la création, propose la réincarnation de cette figure dans un contexte contemporain, dans une atmosphère qui ne semble pas rituelle, a priori. Or, impossible d’ignorer les échos entre la description de la mise à mort chez Derrida et la scène de Kane :
En général, les pharmakoi étaient mis à mort. Mais telle n’était pas, semble-t-il, la fin essentielle de l’opération. La mort survenait le plus souvent comme l’effet secondaire d’une énergique fustigation. Qui visait d’abord les organes génitaux. Les pharmakoi une fois retranchés de l’espace de la cité, les coups devaient chasser ou attirer le mal hors de leur corps. Les brûlait-on aussi en manière de purification (katharmos)? (Ibid. : 63-65.)
Homme 1 baisse les pantalons d’Hippolyte.
Femme 2 coupe ses parties génitales.
Elles sont jetées sur le barbecue.
Les enfants applaudissent.
Un enfant les retire du barbecue et les lance sur un autre enfant, qui crie et s’enfuit en courant.
Plusieurs rires.
Quelqu’un les ramasse, et les donne à manger à un chien.
Thésée prend le couteau.
Il éventre Hippolyte de l’entrejambe jusqu’à la poitrine.
Les entrailles d’Hippolyte sont arrachées et lancées sur le barbecue.
On le lynche, le rue de coups de pied, et on lui crache dessus[46] (Kane, 2006 [1996] : 102).
Ici, le sacrifice prend les allures festives, résolument contemporaines, des fêtes de cour arrière : barbecue, enfants qui jouent, rires. Comme dans la description de Derrida, l’accent est mis sur le traitement des organes génitaux. Pour ce qui est du feu purificateur, il est suggéré bien sûr par ce barbecue sur lequel sont apprêtés les organes, mais aussi par le personnage même d’Hippolyte et cette maladie incendiaire qu’il incarne. C’est sous une forme explicitement carnavalesque qu’apparaît le sacrifice d’Hippolyte : les horreurs du traitement infligé au corps du prince se juxtaposent aux images de célébration populaire; on anéantit un « noble » prince dont le comportement semble structuré par l’ingestion et l’excrétion corporelles, un être étrangement parfaitement sain, mais profondément malade… Rappelons que Mikhaïl Bakhtine, dans L’oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, décrivait le carnaval comme « [l]e triomphe d’une sorte d’affranchissement provisoire de la vérité dominante et du régime existant, d’abolition provisoire de tous les rapports hiérarchiques, privilèges, règles et tabous. C’était l’authentique fête du temps, celle du devenir, des alternances et des renouveaux » (Bakhtine, 1978 [1965] : 18). Ici, le sacrifice d’Hippolyte provoque en effet un renouveau, par l’exécution finale de l’héritier de la royauté, consacrant cet « affranchissement » du régime par une célébration à la fois ludique et sérieuse, profane et sacrée.
Considérer le personnage à la fois comme poison et remède – le pharmakon – donne à la scène finale l’aspect d’un traitement. Agissant tel un vaccin, Hippolyte est littéralement dispersé dans la foule, qui le consomme lors des réjouissances. Hippolyte se répand dans le corps de la population, dorénavant libérée de la corruption qui l’habitait. Dans une scène rappelant l’Eucharistie, le peuple brûle le prince pour ensuite le manger; une dernière Cène sans transsubstantiation. Cette association entre le prince et Dieu surgit à maintes reprises dans la pièce : « Je suis un prince. Dieu sur Terre » (« A prince. God on earth »; Kane, 2006 [1996] : 96), dit Hippolyte au Prêtre qui tente de le pousser vers le mensonge; à la fin, Thésée prononce une prière à Dieu, qu’il répète ensuite en l’adressant au prince : « Dieu me pardonne, je savais pas. / […] (À Hippolyte.) / Tu m’entends, je savais pas[47] » (ibid. : 102). Par ailleurs, l’association du bouc émissaire au divin est structurante dans les pratiques sacrificielles telles que les envisage René Girard :
Pour que le sacrifice soit possible, il faut croire que la victime originelle est responsable du désordre mimétique d’abord et ensuite, par l’intermédiaire de la violence unanime, du retour à l’ordre. On a donc affaire à un dieu, croit-on, qui, après avoir malmené la communauté, l’a prise en pitié et lui a enseigné le sacrifice (Girard, 2003).
Hippolyte constitue dans cette scène finale un carrefour symbolique où s’unissent le médical – Hippolyte-maladie – et le religieux – Hippolyte-Christ. Ces deux dimensions sont amplifiées dans la scène du sacrifice, qui nous pousse à retourner à l’image antique du pharmakos. Avant de renvoyer au bouc émissaire – une fonction dont la culture grecque a surchargé le terme (Derrida, 1972 : 162) –, pharmakos était employé comme synonyme de pharmakeus : « Individu qu’aucune “logique” ne peut retenir dans une définition non-contradictoire [sic], individu de l’espèce démonique, ni dieu ni homme, ni immortel ni mortel, ni vif ni mort » (ibid : 146); un « sorcier, magicien, empoisonneur » (ibid : 145). Cette ambivalence – entre pharmakos, soit le corps incarnant le mal qui occupe une fonction « curative », et pharmakeus, celui qui administre le pharmakon – s’applique à Hippolyte, homme au corps ni mort ni vivant, prince déchu qui est aussi une figure christique, à la fois malade et maladie… Il est celui qui apporte le pharmakon, remède et poison, qui prend ici la forme d’une maladie vénérienne se transmettant à partir d’un corps royal, libérant le peuple de sa classe dirigeante.
Les savants et leurs pouvoirs
Qu’en est-il du personnage du médecin au sein de ce réseau d’images? Quand on réfléchit à la perspective de Kane sur les médecins qui interviennent ensuite dans sa dramaturgie – un faux médecin tiré tout droit d’un imaginaire concentrationnaire dans Cleansed, un psychiatre rejetant sa patiente et participant indirectement à son suicide dans 4.48 Psychosis –, on pourrait croire que dans Phaedra’s Love la pensée n’est pas encore tout à fait formée, considérant qu’il s’agit – je le répète – d’un personnage mineur. De la même manière, parmi les pièces de Kane, Phaedra’s Love est souvent considérée de manière isolée, comme un moment singulier de son parcours, né d’une commande et seule adaptation de son répertoire. La grande cohérence de son oeuvre, au-delà de la question de l’écriture de la violence, se trouve dans sa dimension critique, montrant les médecins comme des êtres que le pouvoir rend dangereux. À première vue, le pouvoir du Docteur semble pourtant mince… C’est qu’il n’est qu’un simple tiers d’un ensemble beaucoup plus inquiétant qui rassemble trois figures en une seule : lors de la création de Phaedra’s Love, mise en scène par Kane, Thésée, le Prêtre et le Docteur sont en effet incarnés par un seul corps, celui de l’acteur Andrew Maud[48] (Kane, 2006 [1996] : 64). Cette superposition des rôles est non seulement signifiante, mais primordiale, car elle se fait le reflet des trois dimensions dont est porteur Hippolyte, comme pharmakos : religieuse, médicale et royale[49]. Or, là où la triade Prêtre-Médecin-Thésée se fait porte-parole des institutions religieuse, médicale et royale, incarnant, du même coup, la société disciplinaire qui exerce son pouvoir sur les âmes et les corps, Hippolyte agit, au contraire, contre elle, en tant que figure politique subversive, voire révolutionnaire.
Si le Docteur et le Prêtre se fondent en une seule figure, c’est aussi parce qu’ils sont traités de manière semblable dans la pièce : ils sont les deux personnages « extérieurs » à la famille royale. Désindividualisés, ils apparaissent comme des porteurs de discours – ceux de la médecine et de la religion. Dans les deux cas, ils constituent des figures d’échec : d’abord, le médecin, engagé dans une quête diagnostique thérapeutique, doit annoncer à la reine quel est le problème de son beau-fils et proposer le traitement adéquat. Incapable d’émettre une quelconque opinion informée sur le problème du prince, il ne voit rien chez celui-ci. Il est à la recherche de symptômes, de ces faits qui donnent à voir un problème de nature biologique : le problème d’Hippolyte dépasse complètement son expertise. C’est pourquoi il donne finalement ce conseil à Phèdre : « Get over him ». De fait, la recommandation du médecin renvoie à une mise à distance : Phèdre doit se rapprocher de la position du médecin, avoir un regard distant, froid, et ainsi résister à ses élans. Ce conseil reflète une vision du monde organisée par les valeurs absolues que constituent la neutralité et l’objectivité, valeurs qui sont au coeur du positivisme scientifique et de l’idéologie scientiste, comme le décrit l’épistémologue Jean-Paul Charrier : « [L]es sciences modernes, mises en oeuvre, depuis quatre siècles, par la culture occidentale des sociétés “avancées”, sont conçues comme des savoirs inspirés par des valeurs universelles de neutralité et d’objectivité qui mettraient leurs représentations de la réalité à l’abri de leurs dimensions subjectives » (Charrier, 2011 [2005] : 12-13). Le Médecin incarne le stéréotype du scientifique véhiculé par un grand pan de la culture populaire où les savant·es sont des êtres froids – froideur à laquelle j’opposerais la chaleur infectieuse d’Hippolyte – détachés du monde ordinaire, enfermés dans leurs laboratoires, dénués d’empathie… quand ils ne sont pas simplement des monstres, la figure du savant fou frankensteinien rôdant toujours dans l’ombre des oeuvres (Haynes, 2017). Mais dans son conseil réside l’instrument de sa propre défaite, le « Get over him » perçant le langage savant, clair et dur, univoque, la formule suggérant avec ambivalence à la fois ce détachement et le futur corps-à-corps de Phèdre et d’Hippolyte grâce à cette métaphore spatiale.
Du côté de la figure du Prêtre, la mise en échec est explicite. La scène entre Hippolyte et lui prend la forme d’une lutte rhétorique : d’un côté, le Prêtre souhaite convaincre le prince de nier son crime et de se repentir afin de sauver la nation; de l’autre, Hippolyte revendique l’honnêteté dans le péché et critique l’hypocrisie de l’Église, énoncée ainsi par l’ecclésiaste : « Vos inconduites sexuelles n’intéressent personne. Mais la stabilité morale de la nation, ça oui. Vous êtes le gardien de cette morale. Vous allez devoir répondre devant Dieu de l’effondrement de la nation qui vous a été confiée. […] Priez avec moi. Sauvez-vous. Et votre nation[50] » (Kane, 2006 [1996] : 94-95). Les efforts du Prêtre visent à lier Hippolyte à sa responsabilité princière : il doit se détacher de sa propre souffrance et de sa propre déchéance et embrasser la collectivité. Or Hippolyte se désengage de toute responsabilité morale. Se vautrer dans la déchéance constitue une résistance à toute forme de pouvoir exercé par les autres; cela explique également sa volonté blasphématrice : « Je peux pas pécher contre un Dieu auquel je crois pas[51] » (ibid. : 95). Le texte donne raison à Hippolyte : l’homme d’Église se soumet sexuellement, à genoux : du fait de leur contact sexuel, il est lui aussi exposé au feu, à ce « mal » dont il est l’incarnation. En outre, le fait que Kane fasse du Prêtre un personnage infecté par cette corruption morale peut certainement être mis en relation avec le contexte des accusations d’abus sexuels commis par des prêtres et des tentatives de dissimulation du Vatican.
Le discours religieux et le discours scientifique positiviste, qui affirme qu’une connaissance « objective » du monde est possible, offrent la vision d’un monde unifié – d’un côté par l’existence d’un unique créateur omniscient, de l’autre par un regard critique qui peut percer tous les mystères – et, de la même manière, constituent une éthique de l’existence, proposent des « manières d’être ». Si le religieux est directement lié à la monarchie et au pouvoir – n’oublions pas que, dans l’anglicanisme, celui·celle qui porte la couronne anglaise porte officiellement le titre de « gouverneur suprême de l’Église d’Angleterre » –, les sciences le sont par l’importance qu’elles ont prise comme machines à produire des savoirs :
La science est le plus influent système de connaissances de nos sociétés, celui auquel les autorités sociales et politiques font appel. Les scientifiques sont ainsi transformés en experts, experts que l’État sollicite dans le but de définir les normes de santé et de sécurité. […] Convaincus de leurs croyances, ils ne sont plus des éducateurs; ils façonnent plutôt les lois, en véritables conseillers du prince[52] (Krige et Pestre, 2003 : xxiii; je souligne).
Cette croyance en le pouvoir des sciences à cerner le réel mieux que tout autre processus – autrement dit, à unir sciences et vérité[53] – fait partie de l’écologie des discours sociaux contemporains et fonde ce que l’ingénieure et philosophe Léna Soler nomme l’« idéologie liée à la science » (Soler, 2003 : 31). Cette idéologie « s’impos[e] insidieusement à toute pensée, à toute activité et à toute vie humaine […] [et] tend à étendre son emprise sur les autres sphères, jusqu’à constituer le modèle et l’impératif catégorique de toute vie, jusqu’à définir la formule même du rapport de l’homme au monde » (ibid. : 32). Le fait de réserver aux élu·es scientifiques, armé·es d’un jargon étrange(r), le privilège d’intervenir au sein de tous les processus de décision crée certains parallèles entre sciences et religion :
En leur réservant le monopole du discours « vrai », celui qui prépare la résolution de tous nos problèmes et l’exclusivité de l’expertise sur le bien-fondé de nos manières de vivre, de penser et d’agir, il leur octroie le rôle d’une instance symbolique qui est celle du mythe, alors que la vocation de l’esprit scientifique est de nous mettre à distance de la soumission à l’esprit religieux. […] Pourtant […] d’obscurs désirs et d’obscurs projets se laissent entrevoir au plus profond des pratiques scientifiques et il arrive que « la science » elle-même fonctionne socialement comme une religion, comme un véritable « opium du peuple » (Charrier, 2011 [2005] : 13).
Ceci explique peut-être la similarité entre les figures du Prêtre et du Docteur dans la pièce de Kane. Dans les deux cas, Hippolyte et Phèdre révèlent les errances de ces formes de discours dogmatiques que constituent la confession et le diagnostic. Là où le Docteur se voue à un diagnostic inutile – jamais il n’est figure de guérison et ses propos, détachés de son propre rôle comme porte-parole des sciences, tombent à plat –, le Prêtre est une figure réactionnaire corrompue, mue par un désir d’immuabilité politique, refusant le changement radical proposé par cette meute déchaînée qui souhaite assassiner la famille royale. Dans un cas comme dans l’autre, leur apparition se fait sur le registre de l’ironie : le savant ignore et le religieux commet le péché de la chair. Quant à Thésée, devant une foule qui l’encourage, il viole Strophe et l’égorge, ne la reconnaissant pas comme sa belle-fille, et ce, tout juste après l’avoir accusée de défendre un violeur, répétant ainsi le crime d’inceste pour lequel on sacrifie le prince (Kane, 2006 [1996] : 101). Entendant ensuite le nom de Strophe, prononcé par un Hippolyte mourant, le roi réalise la gravité de son crime. La prière qu’il adresse alors à Dieu (et à son fils) soulève d’ailleurs (et met fortement l’accent sur) la question de la connaissance : « Je suis désolé. / Je savais pas que c’était toi. / Dieu me pardonne, je savais pas. / Si j’avais su que c’était toi, j’aurais jamais – / (À Hippolyte.) / Tu m’entends, je savais pas[54] » (ibid. : 102). Ici, c’est le prince qui permet au roi de reconnaître, c’est le prince qui soumet le Prêtre à sa volonté et c’est le prince qui échappe au diagnostic du Docteur.
Seul Hippolyte semble alors occuper un rôle de savant, car il est le seul qui détecte concrètement sa propre décomposition alors qu’il décrit les pleurocoques qui se développent dans sa bouche. La quête d’Hippolyte s’apparente à celle du·de la savant·e : elle miroite, en germe, dans sa haine de l’hypocrisie – hypocrisie qu’il incarne – une lumière, une pureté reconnue par le Prêtre. Le seul moment où Hippolyte ne semble pas agir dans la « vérité » se trouve dans l’accusation de viol, car il n’a pas violé Phèdre. Or il ne s’agit pas totalement d’un mensonge, mais d’une faillite du langage : « “Viol” est le terme le plus juste que Phèdre peut trouver, c’est le plus violent et fort, alors c’est le mot qu’elle emploie[55] » (Kane, citée dans Langridge et Stephenson, 1997 : 132). Dans cette pièce, la dramaturge refuse à Phèdre la supercherie. Elle n’y commet aucune tromperie, au contraire. Son accusation révèle une vérité profonde. Elle dénonce l’extrême violence d’une parfaite objectivation qui, par ailleurs, est le propre de l’existence d’Hippolyte, lequel, à l’entrée de la pièce, n’est rien de plus qu’un corps malade suscitant le désir; une coquille vide que l’amour (ou peut-être le regard) de Phèdre vient remplir. Envisageons Hippolyte comme un savant piégé dans une recherche obsessive de vérité qui l’oblige à annihiler tous·tes les hypocrites (y compris lui-même). N’est-ce pas Foucault qui disait du regard du médecin qu’il « devient l’équivalent fonctionnel du feu des combustions chimiques »; que « c’est par lui que la pureté essentielle des phénomènes peut se dégager »; qu’il « est l’agent séparateur des vérités »; que ce regard est « un regard qui brûle les choses jusqu’à leur extrême vérité » (Foucault, 2015 [1963] : 170-171)?
Au-delà de certaines répliques lapidaires – « Fuck Dieu. Fuck la monarchie » (« Fuck God. Fuck the monarchy »; Kane, 2006 [1996] : 95) –, c’est la posture d’Hippolyte par rapport à l’honnêteté qui est politiquement subversive : « Au lieu de valoriser ce qui est traditionnellement considéré comme pur, mon Hippolyte est en quête d’honnêteté – même quand cela signifie sa propre destruction, en plus de celle de tous les autres[56] » (Kane, citée dans Langridge et Stephenson, 1997 : 132). Sa proposition d’une cité idéale? « Un royaume d’hommes honnêtes, péchant honnêtement. Et on réserve la mort pour les lâches qui tentent de se sauver le cul[57] » (Kane, 2006 [1996] : 96). Hippolyte agit comme le révélateur des atrocités commises par les classes dominantes : royauté, clergé, élite savante. L’accusation et le suicide de Phèdre apparaissent comme un cadeau : il y voit le catalyseur de sa propre fin. Hippolyte s’autodétruit comme corps – littéral et symbolique – du politique; il s’anéantit comme figure du pouvoir. Incarnant la corruption des classes dirigeantes, il provoque leur destruction. Le sacrifice d’Hippolyte entraîne la fin de la monarchie et permet le renouveau du politique : il est, à la toute fin, le dernier survivant de la royauté. Le « Si seulement il avait pu y avoir plus de moments comme ça[58] » (ibid. : 103) final est une réjouissance cynique devant la fin de la corruption... Et peut-être est-il vrai que le moment où un nouveau monde devient possible constitue le seul instant qui ait une quelconque valeur.
***
Ainsi, Phaedra’s Love propose un récit d’affliction dont l’enjeu central – le destin d’Hippolyte – s’élabore à partir d’une certaine structure du pouvoir qui s’appuie sur une convergence du biologique, du spirituel et du politique : le prêtre, le médecin et le roi agissent comme un seul être, voués à la sauvegarde de la nation – au statu quo – davantage qu’à l’exercice de leur propre fonction. L’état d’Hippolyte comme malade et maladie, culminant dans son sacrifice, fait office de contre-pouvoir : se complaisant dans une déchéance morale et spirituelle, humiliant ceux·celles qui l’utilisent pour assouvir leurs désirs sexuels, propageant son propre évidement comme sujet sur ceux·celles qu’il côtoie, Hippolyte mène une quête d’honnêteté et de transparence qui révèle les maux d’une société piégée dans une immobilité forcée par les structures du pouvoir. Il résiste à ceux qui voudraient le soumettre à leur volonté – à l’instar de Phèdre qui résiste directement aux yeux scrutateurs du Docteur à l’aide de son propre regard. La maladie, apparaissant comme le résultat d’une biopolitique qui efface le sujet, amplifie les tensions d’un statu quo destructeur, jusqu’à provoquer son renversement final. Kane aura donc fait du malade une figure de changement et de la maladie une révolution, réunissant dans l’actualisation du mythe grec à la fois le contexte contemporain capitaliste et la fonction antique du pharmakos.
Il est toutefois impossible de considérer Hippolyte comme un héros : il est un bourreau, celui de Phèdre, de sa soeur, de son père. Il révèle cependant la posture centrale de Kane face aux sciences médicales, c’est-à-dire que les discours de celles-ci constituent simultanément des lieux de « réduction de l’humain au même et au système » (Campos, 2012 : 44) et des espaces dont l’imaginaire peut servir de terrain de réflexion pour proposer une remise en question des structures qui les composent. Le motif de la maladie fait écho à un sacrifice salvateur dont la source se trouve dans la corruption. Cette perspective se répercute jusque dans 4.48 Psychosis, où un essai sur le suicide – The Suicidal Mind (1996), du suicidologue Edwin S. Shneidman – fait office d’intertexte principal, plagié et transformé par Kane, jusqu’à offrir un récit qui met à mal le traitement déshumanisant de la psychiatrie à l’égard des patient·es (Gaumond, 2020). Ainsi, davantage qu’un moment singulier dans le parcours dramatique de Kane, Phaedra’s Love inaugure le motif médical comme un espace central où convergent ses réflexions politiques et esthétiques.
Parties annexes
Note biographique
Pierre-Olivier Gaumond est étudiant au doctorat en études littéraires à l’Université du Québec à Montréal; il s’intéresse à l’intégration des sciences dans les dramaturgies québécoises contemporaines. Il collabore, à titre de conseiller dramaturgique, à divers projets de création en arts vivants et est également coresponsable de l’axe Théorie et critique de la Société québécoise d’études théâtrales, ainsi que codirecteur de l’organisme de soutien à la recherche artistique Écotone – Espace d’expérimentation.
Notes
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[1]
Cet article résume une partie des réflexions dépliées dans mon mémoire de maîtrise, qui portait sur les dimensions critiques et poétiques de la représentation des médecins et des discours médicaux dans la dramaturgie de Sarah Kane (Gaumond, 2020).
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[2]
« If we experience something through art, then we might be able to change our future, because experience engraves lessons on our heart through suffering, whereas speculation leaves us untouched ». Sauf avis contraire, les citations en anglais de cet article ont été traduites par mes soins.
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[3]
Toutes les versions françaises des répliques de Phaedra’s Love sont issues d’un projet de traduction inédit que je mène avec le metteur en scène Thomas Lussier.
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[4]
« I chose Seneca because Caryl Churchill had done a version of one of his plays [Thyestes] which I liked very much. […] Also, I only read Seneca once. I didn’t want to get too much into it – I certainly didn’t want to write a play that you couldn’t understand unless you knew about the original. I wanted it to stand completely on its own ».
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[5]
« I read Phaedra, and surprisingly enough it interested me. It depicts a sexually corrupt royal family so it’s completely contemporary. […] The other interesting thing about Phaedra was that I thought Hippolytus was so unattractive for someone supposed to be so pure and puritanical ».
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[6]
« He cuts Hippolytus from groin to chest. / Hippolytus’ bowels are torn out and thrown onto the barbecue ». À la création, mise en scène par l’autrice, les violences étaient représentées de manière aussi réaliste que techniquement possible (Saunders, 2004 : 136).
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[7]
« Blasted generated the biggest theatrical stir since The Romans in Britain [in 1980] ». Si, au moment de la parution de l’article, Bassett fait référence à la tempête médiatique qui entoure la pièce, nous sommes en mesure aujourd’hui de constater l’impact gigantesque de Kane sur les pratiques théâtrales contemporaines. Toutes les critiques journalistiques citées dans cet article sont assemblées dans la revue Theatre Record.
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[8]
« […] if seeing testicles being barbecued has any appeal, this is the play for you ».
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[9]
« Viscerally, her play has undeniable power: intellectually, it’s hard to see the point it is making ».
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[10]
« […] by the close of the play I was seriously concerned about Sarah Kane’s mental health. […] The impression of a mind on the brink of breakdown is overpowering. It’s not a theatre critic that’s required here, it’s a psychiatrist ».
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[11]
« […] [Blasted] is articulated within and against the overwhelming prevalence of Brecht-inflected British social realism in new writing for the theatre, i.e. the “kitchen sink drama” ».
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[12]
À cet égard, il suffit d’envisager le lent démembrement du personnage de Carl dans Cleansed.
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[13]
« […] expensive electric toys, empty crisp and sweet packets, and a scattering of used socks and underwear ».
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[14]
Dans la mythologie grecque, Phèdre est la descendante de Pasiphaé, épouse de Minos, maudite par les dieux. Elle a mis au monde le Minotaure après avoir été empoisonnée d’une passion amoureuse envers un taureau blanc. La passion interdite de Phèdre serait issue de cette malédiction familiale.
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[15]
« […] to change a document in order to deceive people »; « […] to secretly put a harmful or poisonous substance into food or drinks ».
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[16]
« Doctor. – He’s depressed. / Phaedra. – I know. / Doctor. – He should change his diet. He can’t live on hamburgers and peanut butter. / Phaedra. – I know. / Doctor. – And wash his clothes occasionally. He smells. / Phaedra. – I know. I told you this ».
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[17]
« Doctor. – He should tidy his room and get some exercise »; « Phaedra. – My mother could tell me this. I thought you might help ».
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[18]
Cette idée figure également dans le discours de Kane : « Pour moi, cela dit, [Phaedra’s Love] parle de dépression, parce qu’il y a un lien très évident entre monarchie et dépression. C’est une oeuvre qui parle d’un homme qui se sent inutile et qui, effectivement, l’est – et qui est aussi un prince » (« For me, though, [Phaedra’s Love] speaks of depression, like there is a very evident relationship between the monarchy and depression. It’s a work about a man who feels useless, and who in fact is – and is a prince »; Kane, citée dans Saunders, 2009 : 73).
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[19]
« There’s nothing clinically wrong »; « There’s nothing wrong with him medically ».
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[20]
« Does he have sex with you? »
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[21]
« Are you in love with him? »; « What do you think? »
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[22]
« Doctor. – Who looks after things while your husband is away? / Phaedra. – Me. My daughter. / Doctor. – When is he coming back? / Phaedra. – I’ve no idea. / Doctor. – Are you still in love with him? / Phaedra. – Of course. I haven’t seen him since we married. / Doctor. – You must be very lonely ».
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[23]
« Phaedra. – I’m his friend. He talks to me. / Doctor. – What about? / Phaedra. – Everything. / Doctor (looks at her) ».
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[24]
Pensons à Oedipe, et à ce mythe scientifique d’un « Oeil qui parlerait » (Foucault, 2015 [1963] : 163).
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[25]
« […] [is] missing his real mother »; « […] looks at him ».
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[26]
« That’s not a reflection on your abilities as a substitute, but there is, after all, no blood between you. I’m merely speculating ».
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[27]
« Phaedra. – I didn’t ask you to speculate. I asked for a diagnosis. And treatment. / Doctor. – He’s bound to be feeling low, it’s his birthday. / Phaedra. – He’s been like this for months. / Doctor. – There’s nothing wrong with him medically. / Phaedra. – Medically? / Doctor. – He’s just very unpleasant. And therefore incurable. I’m sorry. / Phaedra. – I don’t know what to do. / Doctor. – Get over him ».
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[28]
L’expression choisie dans notre traduction est « Sortez-le de votre système », évoquant l’image d’un Hippolyte au sein de la chair de Phèdre, le mot « système » disposant à la fois d’un sens anatomique (le système nerveux, par exemple) et politique. Par souci de clarté, je continuerai à faire référence à l’expression « get over him » au sein de cet article.
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[29]
« Want to climb inside him work him out ».
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[30]
« The film becomes particularly violent. / Hippolytus watches impassively. / He picks up another sock, examines it and discards it. / He picks up another, examines it and decides its fine. / He puts his penis into the sock until he comes without a flicker of pleasure. / He takes off the sock and throws it on the floor. / He begins another hamburger ».
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[31]
« They both stare at the television. / Eventually, Phaedra moves over to Hippolytus. / He doesn’t look at her. / She undoes his trousers and performs oral sex on him. / He watches the screen throughout and eats his sweets. / As he is about to come he makes a sound. / Phaedra begins to move her head away – he holds it down and comes in her mouth without taking his eyes off the television. / He releases her head. / Phaedra sits up and looks at the television. / A long silence, broken only by the rustling of Hippolytus’ sweet bag. / Phaedra cries. / Hippolytus. – There. Mystery over ».
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[32]
« Someone came round. Fat bird. Smelt funny. And I fucked a man in the garden. […] Looked like one but you can never be sure ».
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[33]
« Hippolytus. – Green tongue. / Strophe. – Hide, idiot. / Hippolytus turns to her and shows her his tongue. / Hippolytus. – Fucking moss. Inch of pleurococcus on my tongue. Looks like the top of a wall. / Strophe. – Hippolytus. / Hippolytus. – Showed it to a bloke in the bogs, still wanted to shag me ».
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[34]
« He’s a sexual disaster area »; « He’s poison ».
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[35]
« Strophe. – […] See a doctor. / Phaedra. – He – / Strophe. – For yourself, not him ».
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[36]
« Phaedra. – A spear in my side, burning. / Strophe. – Hippolytus. / Phaedra. – (Screams) ». Soulignons ici combien le simple nom d’Hippolyte semble suffisant pour provoquer la plus profonde souffrance, comme si le nom était lui-même la maladie.
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[37]
« There’s a thing between us, an awesome fucking thing, can you feel it? It burns »; « Wake up with it, burning me. Think I’ll crack open I want him so much »; « Know if it was someone who loved you, really loved you – […] Loved you till it burnt them ».
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[38]
« Hippolytus. – Haven’t seen you for ages, how are you? / Strophe. – Burning ».
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[39]
« I have no intention of covering my arse. I killed a woman and I will be punished for it by hypocrites who I shall take down with me. May we burn in hell ».
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[40]
« Go. / Confess. / Before you burn ».
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[41]
« He kneels by Phaedra’s body. He tears at his clothes, then skin, then hair, more and more frantically until he is exhausted. But he does not cry. He stands and lights the funeral pyre – Phaedra goes up in flames. Theseus. – I’ll kill him ».
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[42]
« If we fuck we’ll never talk again ».
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[43]
« […] the only one [who] had anything going for her ».
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[44]
« [The royal family will] sacrifice the reputation of a minor prince […] [and] say they’ve rid themselves of the corrupting element. But the monarchy remains intact ».
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[45]
« What shall we do? / Justice for all. / He must die. / Has to die. / For our sake. / And hers ».
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[46]
« Man 1 pulls down Hippolytus’ trousers. Woman 2 cuts off his genitals. They are thrown onto the barbecue. The children cheer. A child takes them off the barbecue and throws them at another child, who screams and runs away. Much laughter. Someone retrieves them and they are thrown to a dog. Theseus takes the knife. He cuts Hippolytus from groin to chest. Hippolytus’ bowels are torn out and thrown onto the barbecue. He is kicked and stoned and spat on ».
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[47]
« God forgive me I didn’t know. / […] (To Hippolytus) / You hear me, I didn’t know ».
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[48]
C’est pourquoi, dans la traduction de Séverine Magois publiée par L’Arche, la note « LE MÉDECIN, LE PRÊTRE et THÉSÉE peuvent être joués par un seul et même comédien » (Kane, 2002 [1996] : 11) figure à la page 11. Cette note ne se retrouve pas dans le texte anglais.
-
[49]
D’ailleurs, à la fin de la pièce, après la mort de Thésée, Hippolyte devient, l’espace de quelques instants, le roi, amplifiant l’image de cette répétition. Sa mort serait-elle un couronnement?
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[50]
« Your sexual indiscretions are of no interest to anyone. But the stability of the nation’s morals is. You are a guardian of those morals. You will answer to God for the collapse of the country you and your family lead. […] Pray with me. Save yourself. And your country ».
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[51]
« I can’t sin against a God I don’t believe in ».
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[52]
« The sciences are also the most influential knowledge-system in our societies, the system to which social and political authorities can appeal. Scientists are thus transformed into experts, experts from whom the state demands definition of health or safety standards. […] Certain in their beliefs, they are no longer educators but lawmakers, indeed the prince’s councillors ».
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[53]
Cette association entre la recherche scientifique et la vérité a par ailleurs été mise à mal par plusieurs chercheur·euses en épistémologie des sciences, qui situent hors de la question de la vérité les spécificités des connaissances scientifiques. Pensons au critère de réfutabilité de l’épistémologie de Karl Popper (2017 [1934]) et à la notion de paradigme mise de l’avant par Thomas S. Kuhn (2018 [1962]), qui témoignent d’autres enjeux qui complexifient la vision de la quête simplifiée du·de la scientifique à la recherche de la vérité.
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[54]
« God forgive me I didn’t know. / If I’d known it was you, I’d never have – / (To Hippolytus) / You hear me, I didn’t know ».
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[55]
« “Rape” is the best word Phaedra can find for it, the most violent and potent, so that’s the word she uses ».
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[56]
« Instead of pursuing what is traditionally seen as pure, my Hippolytus pursues honesty – even when that means he has to destroy himself and everyone else ».
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[57]
« A kingdom of honest men, honestly sinning. And death for those who try to cover their arse ».
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[58]
« If there could have been more moments like this ».
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