Corps de l’article

1. Introduction et problématique

Plus de trente années de recherches tendent à mettre en évidence le lien positif et significatif associant l’implication parentale et différents indicateurs de la réussite scolaire comme les performances (Castro et al., 2015), l’engagement social (Jeynes, 2005), la motivation et le sentiment d’efficacité des enfants (Cheung et Pomerantz, 2011), la réduction de l’anxiété par rapport aux apprentissages (Vukovic et al., 2013), le renforcement de l’engagement dans les tâches (Yang et al., 2023) ou encore, la réduction des comportements perturbateurs (Aunola et al., 2003). En regard du développement des premières compétences numériques (PCN)[1], l’environnement familial peut constituer une référence intéressante pour apporter des éléments de compréhension de la variabilité des compétences mathématiques des enfants avant et au début de l’éducation préscolaire (Purpura et al., 2020; OECD, 2006). L’environnement familial est alors envisagé comme un construit multidimensionnel incluant d’une part, les valeurs, les attitudes, les croyances des parents à l’égard des mathématiques et d’autre part, les activités mathématiques que parents et enfant partagent à la maison, les connaissances des parents en la matière mais aussi les ressources dont ils peuvent bénéficier (LeFevre et al., 2009). Il est aujourd’hui reconnu que les PCN sont non seulement importantes pour la réussite scolaire du jeune mais également pour sa vie professionnelle future (Niklas et Schneider, 2014).

Cet article s’inscrit dans le projet de recherche MathPlay qui visait à développer les PCN d’enfants fréquentant l’éducation préscolaire tant en contexte scolaire qu’en contexte familial à travers une approche basée sur le jeu mathématique. À ce propos, Duru-Bellat et al. (2022) précisent que les rapports entre l’école et les familles semblent changer ces dernières années: «Les parents sont davantage sollicités pour assurer une socialisation familiale et un suivi de la scolarité en phase avec les exigences de l’institution et se mobilisent eux-mêmes fortement en ce sens» (p. 229). Au Grand-Duché du Luxembourg, le partenariat entre l’école et la famille, visé par la loi scolaire de 2009, est réellement perçu comme un facteur clé dans la réussite du parcours de l’enfant, qui va bien au-delà de sa réussite scolaire. Il ne s’agit évidemment pas, comme le rappellent les travaux de Darmon (2001), de stigmatiser les familles ou de les considérer comme déficientes. Au contraire, nous soutenons l’idée que les parents peuvent être efficaces lorsqu’ils initient leur enfant de manière informelle à la maison à des compétences différentes mais complémentaires de celles qu’ils acquièrent à l’école.

Ce document examine les représentations des parents à l’égard de leur rôle éducatif parental, de leur sentiment d’efficacité ainsi que des relations avec l’enseignante ou l’enseignant tissées dans le cadre de l’intervention mise en place pour les soutenir dans le développement des PCN de leur enfant à domicile. Ces aspects seront théoriquement présentés dans la section relative au cadre conceptuel. Les résultats sont analysés à la lumière des opportunités d’alliances éducatives que l’école et les familles pourraient tisser pour enrichir l’environnement numérique à domicile et favoriser l’engagement des parents dans le développement des PCN.

2. Cadre conceptuel

2.1 Les croyances des parents en matière d’engagement dans la scolarité de leur enfant

Les croyances des parents jouent un rôle crucial dans le processus de décision à s’engager dans l’éducation scolaire de leur enfant en influençant par exemple leur perception de ce que devrait être l’éducation, leur rôle éducatif, leur perception des attentes de l’école concernant leur soutien ou leur aisance avec l’école (Garcia et Ancheta, 2022).

2.1.1 Le rôle parental

Selon Hoover-Dempsey et Sandler (2005), il s’agit des croyances que les parents développent en regard de ce qu’ils pourraient faire et mettre en place au niveau de l’éducation scolaire de leur enfant. La perception de ce que devrait être leur rôle éducatif est influencée d’une part, par leurs croyances relatives au développement et à l’éducation de l’enfant et d’autre part, par leurs croyances relatives au soutien et à l’implication qui leur semblent appropriées de fournir dans le cadre de l’environnement familial ou à l’école. Ces croyances sont influencées par les groupes d’appartenance (famille, école, lieu de travail) (Garcia et Ancheta, 2022). En ce qui concerne l’engagement parental, il semble que les parents seront plus enclins à s’engager dans l’éducation scolaire de leur enfant s’ils considèrent cette implication comme faisant partie intégrante de leur rôle éducatif (Garcia et Ancheta, 2022). Cette représentation du rôle éducatif aura par conséquent des répercussions sur les activités d’apprentissage qu’ils estimeront importantes à proposer à leur enfant. Si les parents ont une vision active plutôt que passive de ce que devrait être leur rôle éducatif, ils auraient tendance à s’engager de manière plus importante dans l’éducation scolaire de leur enfant. C’est ce qu’observent Garcia et Ancheta (2022) auprès de parents d’enfants de 9-10 ans qui vont choisir des activités spécifiques en fonction de leurs convictions sur ce qu’ils sont censés faire pour améliorer la lecture de leur enfant. Anderson et Minke (2007) relèvent quant à eux un effet indirect du rôle éducatif sur leur engagement après avoir contrôlé les variables relatives au sentiment d’efficacité parentale, à la perception en temps et en énergie et aux invitations à participer en provenance de l’enseignante ou de l’enseignant. Les invitations du professionnel à participer joueraient un rôle médiateur dans la construction du rôle éducatif parental.

2.1.2 Le sentiment d’auto-efficacité

L’auto-efficacité parentale réfère au sentiment de capacité du parent à jouer un rôle significatif dans la réussite scolaire de son enfant (Williams-Johnson et Gonzalez-DeHass, 2022). Selon la théorie sociocognitive de Bandura (1997), si une personne se sent capable de réussir une tâche donnée, les chances pour qu’elle s’y engage sont augmentées. Le sentiment d’efficacité parentale apparaît comme un élément central associé significativement au processus d’engagement parental (Reiniger et Lopez, 2017) et plus particulièrement à la dimension «engagement à domicile» (Poncelet et al., 2019). Une hypothèse peut être avancée pour expliquer ce constat: l’engagement parental à domicile relève uniquement de prises de décision propres aux parents alors que l’engagement parental à l’école repose également sur les initiatives des équipes enseignantes ou de l’école en général. Notons encore que les parents qui seraient caractérisés par un sentiment d’auto-efficacité plus faible seraient ceux qui s’impliqueraient davantage dans l’école que dans le contexte familial (Reiniger et Lopez, 2017). L’hypothèse explicative des auteurs est que les parents qui se sentent moins efficaces cherchent à pallier leur manque d’efficacité dans le soutien scolaire de leur enfant à domicile par un soutien et des conseils accrus auprès de l’école et des enseignants. Tazouti et Jarlegan (2010) testent la relation qui existe entre le sentiment de compétence des parents et les performances scolaires de leur enfant (2e année du primaire en France). Premièrement, ils démontrent que le sentiment de compétence parentale ainsi que le suivi parental de la scolarité de l’enfant constituent des variables intermédiaires entre le niveau social de la famille et les performances scolaires de l’enfant. Plus le niveau social des familles est élevé et plus leur sentiment de compétence est également élevé. Deuxièmement, ils relèvent une association positive entre les variables observées suivantes: le sentiment de compétence parentale, le suivi parental de la scolarité de l’enfant et la participation parentale à la vie scolaire. Troisièmement, ils constatent que le rapport entre ces trois mêmes variables est complexe puisque des relations bidirectionnelles se tissent entre elles.

3. Méthodologie

3.1 Le contexte

3.1.1 La recherche MathPlay

La présente étude s’inscrit dans le contexte d’une recherche quasi expérimentale (la recherche MathPlay), menée au Grand-Duché de Luxembourg (GDL), en France, en Belgique et en Suisse. Cette recherche visait à mesurer l’effet d’une intervention basée sur des jeux mathématiques interculturels sur les premières compétences en nombres et opérations (comptage, conservation et comparaison des quantités, [dé]composition des nombres) des élèves de quatre à cinq ans, à l’école et en famille.

Le design de la recherche incluait un groupe expérimental à deux modalités de traitement (GE1 - jeux à l’école et GE2 - jeux à l’école et à la maison) ainsi qu’un groupe contrôle (GC)[2]. L’intervention de huit semaines a été mise en oeuvre au cours de l’année scolaire 2017-2018. Au GDL, quatre classes (N = 49 élèves) ont constitué le GC et onze classes (N = 159 élèves) ont intégré le GE. Dans le GE1, composé de quatre classes (N = 72 élèves), les huit jeux mathématiques étaient proposés uniquement à l’école. Dans le GE2, les sept classes (N = 87 élèves) ont été soumises au même dispositif à l’école mais ont également bénéficié d’une exposition à ces jeux à la maison. Après avoir bénéficié d’un programme de développement professionnel de 20 heures sur la double thématique du développement des PCN avec une approche basée sur les jeux ainsi que sur les relations école-famille et l’engagement parental, les enseignantes et les enseignants ont eux-mêmes géré l’implémentation de l’intervention dans leur classe et, le cas échéant, les échanges avec les parents. Dans le GC, les enseignants ne modifiaient en rien leurs pratiques de classe habituelle. Comme longuement décrit par de Chambrier et al. (2021) et Vlassis et al. (2022) dans leur article respectif, l’approche basée sur les jeux mathématiques consistait à proposer des jeux de cartes ou des jeux de société bien connus des familles mais adaptés pour favoriser le développement des PCN visées dans la recherche auprès d’enfants âgés de 4 à 5 ans. Ces jeux mathématiques ont été proposés aux élèves du GE1 et du GE2 de manière répétée à raison de trois périodes de 20 minutes chaque semaine et ce pendant la période d’intervention de huit semaines. Dans le GE2, en plus des ateliers offerts à l’école et en parallèle de ceux-ci, chaque élève disposait d’une version du jeu joué à l’école qu’il ramenait à domicile. Il était demandé aux familles de jouer un maximum de fois avec ces jeux sans imposer un nombre précis de séquences de jeu. Les huit jeux mathématiques sont décrits brièvement ci-dessous.

Tableau 1

Description des huit jeux mathématiques utilisés dans l’intervention

Description des huit jeux mathématiques utilisés dans l’intervention

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Durant l’intervention, des carnets de liaison école-famille ont également été proposés aux parents du GE2. Il s’agissait de favoriser une communication bidirectionnelle entre les parents et la personne enseignante durant la période de l’intervention mais aussi de collecter des données sur la façon dont les moments de jeux se sont déroulés à la maison. Chaque semaine, les parents recevaient un carnet de liaison différent qu’ils étaient invités à remplir quotidiennement (fréquence des jeux, intérêt de l’enfant, difficultés rencontrées…). À la fin de chaque page, un espace consacré à la communication avec l’enseignante ou l’enseignant est mis à la disposition des parents. Pour faciliter la compréhension de ce document, nous avons eu recours aux pictogrammes. Les enseignants avaient également la possibilité d’envoyer de courts messages aux parents sur la façon dont les parties de jeu s’étaient déroulées dans la classe (difficultés rencontrées par l’enfant ou son humeur pendant les parties). Des textes prédéfinis ont également été proposés aux enseignants pour que cette étape soit moins chronophage et énergivore.

Enfin, des interviews finales ont été menées avec les parents volontaires du GE2. Les données utilisées dans le présent article portent précisément sur les données collectées à partir d’un entretien téléphonique au GDL à la fin de l’intervention, soit au printemps 2018.

Nous pouvons résumer les principaux résultats de la recherche MathPlay comme suit. Des équations de régression multiniveaux ont été utilisées pour mesurer l’évolution des performances des élèves issus des trois situations de recherche (pour plus de détails, se référer à de Chambrier et al., 2021). Les constats principaux sont les suivants:

  1. il existe une forte relation entre les capacités initiales des enfants mesurées au pré-test et les scores au post-test;

  2. les élèves du GE1 caractérisés par des capacités moyennes à élevées au pré-test sont les élèves dont les progrès moyens sont les plus élevés (tous groupes confondus);

  3. les élèves les plus faibles du GE1 au pré-test (scores inférieurs à la moyenne) sont caractérisés par les progrès moyens les plus faibles;

  4. les résultats inverses sont observés dans le GE2 pour ce dernier profil d’élèves: les progrès des élèves avec de faibles compétences initiales, ayant joué tant à l’école qu’à la maison, ont été plus élevés que dans les deux autres groupes et;

  5. les parents ayant rapporté une fréquence élevée de jeux à domicile à travers les carnets de communication étaient caractérisés par un milieu socio-économique relativement défavorisé et étaient nombreux à parler à la maison une autre langue que la langue d’enseignement.

3.1.2 Les données luxembourgeoises: l’interview téléphonique finale de 38 parents volontaires

Ce sont 38 parents sur les 87 (33 familles ou 23 mères, 5 pères et 5 couples) qui représentent 18 garçons et 15 filles, soit presque 44 % du GE2, qui ont accepté de participer à l’interview téléphonique finale orientée vers trois thématiques: les jeux mathématiques; les relations école-famille (communication, rôle éducatif, sentiment d’efficacité en matière de suivi scolaire parental) ainsi que les conclusions et perspectives en ce qui concerne la recherche. Pour cet article, l’accent sera mis sur les relations école-famille. En ce qui concerne la nationalité, nous avons 26 familles luxembourgeoises, 9 issues de l’Union européenne (UE), une qui ne provient pas de l’UE et 2 familles qui n’ont pas communiqué leur nationalité. Pour ce qui est de la langue parlée, 16 familles parlent le luxembourgeois à la maison, 3 le français, 6 le portugais et 8 familles ne nous ont pas communiqué la langue principale parlée à domicile. Pour terminer, les interviews ont été menées en luxembourgeois auprès de 20 familles, en français auprès de 15 et, enfin, 3 familles ont choisi le portugais. Le tableau ci-dessous présente le niveau d’études des parents.

Tableau 2

Caractéristiques des parents interviewés

Caractéristiques des parents interviewés

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3.1.3 Les questions de recherche

Cette interview finale visait le recueil des représentations des parents au terme de l’intervention à laquelle ils avaient pris part en tant que partenaires. Plus précisément, nous pouvons formuler les questions de recherche suivantes:

  • Les parents estiment-ils que le dispositif de la recherche MathPlay a eu un effet positif sur:

    • les relations avec l’école et l’enseignant de leur enfant? (voir 4.1)

    • leur sentiment d’efficacité à assurer le suivi scolaire de leur enfant? (voir 4.2)

  • Comment les parents estiment-ils les rôles éducatifs de l’école et de la famille? (voir 4.3)

  • Comment les parents perçoivent-ils les attentes des enseignants en matière de suivi scolaire parental? (voir 4.4)

3.1.4 La procédure

Les procédures de recherche ont été revues et approuvées par le comité d’examen éthique de l’Université du Luxembourg avant le début de la recherche. En début de processus, les parents ont reçu une fiche d’information sur la recherche visant à leur demander leur consentement à la fois pour la participation de leur enfant mais aussi pour la leur. Cette fiche avait pour but d’expliciter les finalités de la recherche, la procédure de protection des données et leur droit de se retirer de l’étude à tout moment. En cas d’acceptation, le formulaire a été remis à l’équipe de recherche par le biais des enseignantes et enseignants. Les entretiens se sont faits par téléphone dans la langue maternelle du parent par l’équipe de recherche rompue à la technique des entretiens semi-structurés et formés spécifiquement au guide d’interview de la recherche. Il s’agissait de rencontres individuelles, programmées à la meilleure convenance des parents. Les entretiens téléphoniques ont été enregistrés puis retranscrits mot à mot. Pour les échanges qui ne se sont pas déroulés en français, une traduction a été réalisée par l’équipe de recherche responsable des entretiens afin de coller au plus près des propos initiaux formulés par les parents. La durée moyenne d’une interview était de 20 minutes. Les entretiens étaient semi-structurés. Les questions constituant le guide d’interview ciblent des aspects spécifiques relatifs aux croyances et stratégies éducatives familiales susceptibles de renforcer l’engagement parental ou l’intérêt des parents pour certaines activités ou matériel visant le développement des PCN. Plus précisément, la section orientée sur les relations école-famille et l’engagement parental a permis de faire un focus sur l’intensité des échanges avec les enseignants et les relations établies avec l’école, sur la façon dont les parents envisagent leur rôle éducatif mais également sur la façon dont ils considèrent leur sentiment d’efficacité dans le suivi scolaire de l’enfant.

3.1.5 Analyse des données

Nous avons opté pour l’analyse de contenu pour procéder à l’examen systématique et méthodique des verbatim des interviews parentales. Cette méthodologie qualitative à visée compréhensive permet de minimiser les biais cognitifs et culturels en vue d’assurer l’objectivité de l’interprétation des données de recherche (Andreani et Conchon, 2005). Pour le codage, nous avons créé une grille d’analyse au départ de catégories émergentes pour décrire, classer et transformer les données qualitatives brutes dont nous disposions. Par lectures successives des verbatim, l’analyse de contenu va peu à peu mettre à jour le sens des idées émises par les parents. Plus précisément, il s’agit d’une analyse de contenu catégorielle de type thématique basée sur l’aspect sémantique des données. Elle consiste à calculer et à comparer les fréquences de certains éléments qui ont été regroupés en catégories significatives. Selon cette démarche quantitative, la fréquence d’une idée serait proportionnelle à son importance (Dany, 2016). Puisque nous avons déterminé les catégories sur la base des informations collectées, il s’agit d’une approche ouverte et inductive de généralisation et d’abstraction des données (Andreani et Conchon, 2005). Chaque catégorie sémantique correspond à une notion générale représentant un ensemble ou une classe de signifiés. Dans notre cas, ces catégories ont été mises à jour de façon progressive et par analogie (procédure par «tas») sur la base de nos objectifs de recherche initiaux. Pour mener à bien ce travail de codage et d’analyse, nous avons opté pour le logiciel ATLAS.ti.

4. Résultats

Les résultats de nos analyses sont organisés autour des questions de recherche. Les réponses des parents sont mises en perspective selon la langue principale parlée à la maison (le luxembourgeois, l’allemand, le français, le portugais ou une autre langue), selon la nationalité des familles (luxembourgeoise, un autre pays de l’UE ou un pays hors UE) ou encore selon le niveau d’études des parents.

4.1 Effet du dispositif de recherche sur les relations avec l’école ou la personne enseignante

Deux questions distinctes interrogeaient cette thématique. La première demandait aux parents si le fait d’avoir participé à la recherche les avait incités à communiquer davantage avec l’enseignant de leur enfant. Il s’agissait également de questionner les parents sur l’utilisation du carnet de communication et son rôle dans la communication avec la personne enseignante. Si la plupart des parents ont répondu aux deux questions que le fait de participer à la recherche n’avait pas eu d’impact sur la relation avec l’école et avec l’enseignante ou l’enseignant de l’enfant en raison d’échanges déjà basés sur des rapports positifs (N = 53) ou négatifs (N = 3), d’autres parents ont toutefois émis des réponses complémentaires. Certains relèvent une amélioration des échanges avec l’enseignante (N = 1), pensent que le carnet de communication a eu un effet bénéfique sur les rapports avec l’enseignante (N = 1) et ont même rapporté que les interactions entre l’enfant et l’enseignant s’étaient vues améliorées à la suite de la participation à la recherche (N = 5). Dans le même sens, un parent souligne l’importance des relations école-famille pour la scolarité de l’enfant. Un autre parent dit même avoir beaucoup apprécié être considéré comme un partenaire de l’école dans le cadre de cette recherche. Pour d’autres, il semble que le carnet de communication, mis en place pour favoriser une communication bidirectionnelle entre les familles, n’ait pas été utilisé soit par les familles, soit par l’enseignante (N = 7) ou n’ait pas eu d’effet ressenti (N = 4) sur la communication. La moyenne de l’indicateur «nombre de fois où les jeux ont été joué» est de 29 fois sur 8 semaines, mais étant donné l’hétérogénéité observée dans la remise des carnets à l’enseignant de leur enfant, cet indice sous-estime peut-être la fréquence des jeux à domicile pendant l’intervention. En outre, les analyses de corrélation réalisées entre le nombre de carnets retournés et l’indice de position sociale (profession des parents) est non significative (.160, NS) ainsi qu’entre le nombre de carnets retournés et l’indice composite SES (profession des parents, niveau éducation, surface du logement) est elle aussi non significative (.020, NS). Les autres réponses données sont plus marginales et n’apportent pas vraiment d’information quant à la relation école-famille. Le schéma (pattern) de réponses est identique quelle que soit la langue principale parlée à la maison, la nationalité des familles ou le niveau d’études des familles.

4.2 Effet du dispositif de recherche sur le sentiment d’efficacité à assurer le suivi scolaire de leur enfant

Quarante-cinq réponses différentes ont été codées par rapport à cette thématique qui recouvrait plusieurs questions. Le tableau ci-dessous reprend les catégories de réponses observées ainsi que leurs occurrences respectives.

Tableau 3

Justifications en relation avec l’effet de la recherche sur le suivi scolaire

Justifications en relation avec l’effet de la recherche sur le suivi scolaire

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Quinze personnes affirment que le fait d’avoir participé à la recherche les a aidées à accompagner leur enfant dans leur scolarité au cycle 1 et sans doute plus précisément en regard des apprentissages mathématiques. Malgré l’âge des enfants, les mères et les pères ont pris conscience de l’importance de commencer certains apprentissages mathématiques à la maison. La recherche leur a donné des pistes d’activités ludiques à mettre en place au sein de l’environnement familial. Il semble que les explications données et le cadrage de la recherche aient permis à certains parents de se sentir plus à l’aise, de savoir quoi faire et quoi répondre dans le cadre des situations de jeux mathématiques. Même si ces résultats sont à relativiser au vu du nombre quasi identique de parents qui disent que cela ne semble pas avoir d’effet (N = 11), cela reste encourageant. Dans ce sens, deux personnes répondantes précisent que, désormais, elles ont une meilleure compréhension des attendus scolaires. En outre, il semble que le fait d’être «préparé», de savoir quel sera le jeu et ce qui y est attendu, peut rassurer réellement certains parents dans leurs interactions d’apprentissage avec leur enfant. D’ailleurs, une personne précise explicitement que le matériel mis à disposition a réellement facilité le soutien scolaire de l’enfant. Une personne dit que son sentiment de confiance a été renforcé. Une autre attire l’attention sur le fait que le soutien à la maison est primordial pour la réussite scolaire de l’enfant. Enfin, notons que deux parents disent avoir dégagé du temps pour pouvoir jouer avec leur enfant à la maison, pour être disponibles pour des moments communs autour d’une tâche d’apprentissage et un autre regrette de ne pas pouvoir le faire à cause de son emploi du temps professionnel. Et pour un dernier individu, la recherche a été comme une prise de conscience de la nécessité de vivre ensemble des activités d’apprentissage à la maison. Les deux autres catégories les plus fréquentes constituent la contrepartie de la première, à savoir que les parents n’ont pas observé d’amélioration du suivi scolaire (N = 11) ou d’influence de la recherche sur cet aspect en particulier (N = 3) ou encore pas d’incidence de leur participation sur le suivi car il s’agit d’une habitude familiale déjà bien mise en place (N = 2). Si les parents ne donnent pas d’explication à leur réponse, un parent dit toutefois: «Je me sentais déjà à l’aise avant. C’est ma troisième. Je suis déjà un peu rodé là. Les autres sont beaucoup plus grands donc j’y arrive (rire).» Le fait d’avoir des enfants plus âgés les fait se sentir plus à l’aise dans l’accompagnement scolaire de leur enfant. Les expériences vécues avec leurs enfants plus âgés les «forment» aux attitudes et aux comportements à adopter pour soutenir leur enfant dans sa scolarité. Deux parents soulignent le fait qu’il leur est difficile de s’investir comme ils le voudraient dans l’accompagnement scolaire de leur enfant à cause de la langue d’enseignement qu’ils ne maîtrisent pas alors qu’un parent rapporte l’idée que ces jeux mathématiques constituent précisément un moyen de dépasser ces problèmes langagiers. Notons encore que les réunions proposées par l’enseignante ont aidé un parent à se sentir plus à l’aise dans le suivi scolaire de son enfant. Comme pour le point précédent, les réponses ne divergent pas selon la langue parlée principalement à la maison, la nationalité des parents ou le niveau des études des parents.

4.3 Perception des rôles éducatifs par les parents

«Comment envisagez-vous les rôles éducatifs respectifs de l’école et des parents?» était la question posée aux parents dans le cadre de l’interview. Les douze codes distincts utilisés pour le codage de cette question se trouvent dans le tableau 4.

Tableau 4

Justifications en relation avec les rôles éducatifs respectifs de l’école et des parents

Justifications en relation avec les rôles éducatifs respectifs de l’école et des parents

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Les deux premières catégories sont les plus représentées: les 22 parents y mettent en évidence l’importance d’établir une complémentarité des rôles éducatifs entre l’école et la famille et que, pour ce faire, 11 parents précisent encore qu’il est nécessaire d’avoir une discussion avec l’enseignante ou l’enseignant et l’école sur ce à quoi devrait ressembler ce partage des rôles entre l’école et la famille. Pour six parents, la maison est l’endroit propice à la mise en place des bases nécessaires aux apprentissages scolaires. Pour un parent, le succès scolaire dépendrait d’ailleurs de ce que la famille met en place pour soutenir l’enfant dans sa scolarité à la maison. Et étant donné son jeune âge, la maison serait par conséquent le lieu premier des apprentissages (N = 1). Ajoutons que cinq parents estiment que les rôles doivent être bien distincts entre l’école et la maison. Si l’éducation revient aux parents, les apprentissages scolaires échoient à l’école. Toutefois, les personnes répondantes doivent soutenir, prolonger ce qui se fait à l’école dans des activités à la maison ou par des actions complémentaires (achat de livres, visites culturelles…). En ce sens, un parent estime qu’il serait vraiment nécessaire d’obtenir un soutien de l’école en ce qui concerne la façon la plus efficace d’accompagner son enfant au point de vue scolaire ou, pour deux parents, d’obtenir davantage d’informations de la part de l’enseignante ou l’enseignant sur comment cela se passe en classe pour l’enfant ou encore, pour un parent, d’être plus intégré par les enseignants, d’être davantage considéré comme des partenaires éducatifs. Pour quatre parents, ce qui est fait à l’école prime clairement sur ce qui est mis en place à la maison: «À l’école. C’est plutôt à l’école. Je parle pour moi, parce mon fils, il est un peu… Il n’aime pas trop faire des choses à la maison pour l’école. Je pense que c’est plutôt à l’école…» Le problème de compréhension des langues d’enseignement réapparaît à nouveau pour les parents. Il semble que pour un parent cette difficulté nuise réellement à la compréhension des attentes formulées par l’école et les enseignants. À nouveau, nous n’observons pas d’influence particulière de la langue principalement parlée à la maison, de la nationalité ou du niveau d’études des parents sur la façon de répondre des parents.

4.4 Perception des attentes de la personne enseignante en matière de suivi scolaire par les parents

À la question: «Est-ce que l’école en général ou l’enseignant de votre enfant a déjà eu l’occasion de préciser ses propres attentes en termes de votre implication dans le suivi scolaire de votre enfant?», 34 parents ont apporté une réponse recouvrant sept codes distincts (voir tableau 5).

Tableau 5

Justifications en relation avec les attentes de la personne enseignante en matière de suivi scolaire

Justifications en relation avec les attentes de la personne enseignante en matière de suivi scolaire

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Dix-sept parents sur 34 affirment que l’enseignante ou l’enseignant n’a jamais précisé ses attentes en ce qui a trait au suivi scolaire attendu de la part des parents contre 9 qui affirment avoir bien reçu de la part de la personne enseignante de leur enfant des directives ou des conseils en la matière. Il semble que les habitudes de relations école-famille ne soient pas encore bien installées dans les écoles luxembourgeoises malgré la loi relative à l’organisation de l’enseignement fondamental de 2009 qui détermine la place des parents en tant que premiers responsables de l’éducation de leur enfant et, partant, reconnaît les parents comme partenaires de l’école. Ce texte légal précise en outre que les professionnels doivent être disponibles 40 heures sur l’année pour les contacts avec les familles de leur enfant. Quatre parents disent ne pas avoir attendu les démarches ou les invitations de l’enseignante à leur égard mais ont plutôt adopté une attitude proactive pour recevoir des conseils en matière d’accompagnement scolaire. Un seul parent a été encouragé explicitement par l’enseignante en vue d’apporter du soutien à son enfant à domicile alors qu’un autre aimerait obtenir ce genre de conseils de la part de la pédagogue de son enfant. Une personne répondante explique que l’enseignante a plutôt présenté son projet global sans formuler explicitement une demande de suivi scolaire à domicile aux parents. Enfin, aux yeux de la dernière personne interviewée, il n’est pas nécessaire que l’institutrice précise ses attentes car la communication école-famille est suffisamment bonne pour s’en passer: chacun peut en effet poser une question à la maîtresse à n’importe quel moment. Pour cette dernière question, nous ne relevons à nouveau pas de différences dans les schéma (patterns) de réponse parentaux selon la langue principale parlée à la maison, la nationalité ou le niveau d’études.

5. Discussion

5.1 L’objectif poursuivi, l’échantillon et la collecte de données

L’objectif de la recherche MathPlay visait à faire des parents des partenaires à part entière du monde scolaire dans le cadre du développement des PCN à travers une approche basée sur les jeux. Il s’agissait pour nous de prolonger les apprentissages scolaires en contexte familial, en situation informelle, en valorisant les compétences de tous les parents et surtout ceux les plus éloignés de l’école. Comme le dit Brougère (2016), «il ne s’agit pas de structurer des apprentissages mais de proposer aux enfants un espace de jeu qui doit être investi comme tel (et non comme exercice), ce qui conduit à ce que le jeu relève d’une logique éducative sans relever d’une éducation formelle de type scolaire» (p. 61). Sur une base volontaire, parents et enfants étaient dès lors invités à jouer à des jeux mathématiques à la maison pendant les huit semaines de l’intervention.

Les analyses des interviews des 38 parents du GE2 ont permis de recueillir des données sur la façon dont ces derniers perçoivent la nature et l’intensité du soutien possible en provenance de l’enseignante ou de l’enseignant. Ceci peut apporter des pistes de réflexion intéressantes sur la mise en oeuvre future de collaborations efficaces école-famille en matière de numératie auprès d’enfants de 4 à 5 ans. Il faut d’abord souligner que près de 44 % des parents concernés ont accepté de participer à cette interview finale. Sur la base des diplômes obtenus par les parents, nous constatons que tous les niveaux sociaux de la société luxembourgeoise sont présents dans notre échantillon. Ce retour positif des familles, quel que soit le contexte de départ, atteste de leur satisfaction à avoir été considérées comme des partenaires éducatifs potentiels par l’école et les enseignants de leur enfant. Or, quand on connaît les nombreuses barrières existantes et les problèmes de communication à régler avant de pouvoir établir de véritables partenariats avec les familles (Lingwood et al., 2020), ce pourcentage de participation plus qu’honorable constitue un véritable encouragement à poursuivre de telles initiatives de rapprochement école-famille dans le futur.

5.2 Question de recherche 1: Les relations avec l’école et la personne enseignante de leur enfant

Il semble que les relations établies entre les parents et les professionnels de l’éducation de leur enfant, antérieures à l’implémentation de la recherche, étaient propices aux échanges. Le projet a donc bénéficié de ce contexte de confiance préétablie entre les deux éducateurs et, par conséquent, a eu peu d’impact sur cet aspect mais a tout de même eu un effet positif lorsque cette relation n’existait pas au préalable. Très peu de parents soulignent en effet que les échanges avec l’enseignante ou l’enseignant de leur enfant sont plutôt mauvais. Dans certains cas, le carnet de communication a été vu comme un levier aux échanges même si, dans un nombre de cas équivalents, ce carnet n’a pas été utilisé par les deux protagonistes. Il est important de se rappeler à quel point le partenariat entre l’école et la famille peut maximiser les possibilités d’apprentissage des enfants et dès lors, peut avoir des retombées positives sur la scolarité de l’élève (Bottoms et al., 2017; Demoulin et al., 2014).

5.3 Question de recherche 2: Le sentiment d’efficacité à assurer le suivi scolaire de leur enfant

S’agissant du sentiment d’efficacité à assurer le suivi à l’éducation préscolaire de l’enfant, nous constatons qu’à 15 reprises les parents affirment que leur participation à la recherche a favorisé ce sentiment d’efficacité alors que 11 parents rapportent un statu quo. Certains éléments de réponse sont particulièrement intéressants à relever pour la collaboration école-famille autour de la numératie. C’est ainsi que l’on relève que certains parents ont pris conscience de l’intérêt de proposer des activités mathématiques à la maison pour soutenir le développement des PCN de leur enfant. Notons encore que certains parents précisent que la recherche leur a fourni des pistes utiles pour y arriver en leur offrant un cadrage rassurant et des conseils utiles qui leur ont permis de mettre en place les activités mathématiques basées sur le jeu avec leur enfant. À ce propos, Tazouti et al. (2020) mettent en évidence, dans leur méta-analyse récente relative à l’efficacité des programmes d’intervention pour les compétences en littératie et en numératie au préscolaire, qu’un programme efficace est caractérisé par quatre éléments majeurs: 1) donner une formation aux parents afin de mettre en évidence les objectifs de l’intervention et de présenter le matériel et la façon de l’utiliser; 2) prévoir un accompagnement des parents pendant la période de l’intervention; 3) cibler précisément les compétences qui seront développées à travers l’intervention et 4) utiliser des supports ludiques qui favorisent le plaisir et le partage entre les parents et leur enfant. Il est également utile de souligner que la langue peut constituer un frein à l’engagement des parents et qu’il est donc important de prendre en compte cette variable dans la mise en oeuvre de telles activités de partenariat avec les parents (Bottoms et al., 2017).

Concernant l’implication des parents dans les jeux numériques, la revue de la littérature met en évidence quatre obstacles à l’implication des familles dans les mathématiques. Premièrement, il semble que les parents doivent faire face à un manque de connaissances de la matière (Muir, 2012). Deuxièmement, plus souvent que pour la littératie, les parents développent des sentiments négatifs et de l’anxiété à propos de ce contenu (Vukovic et al., 2013). Troisièmement, les parents font le choix de préférer les activités de littératie aux activités de mathématiques (Skwarchuk, 2009). Quatrièmement, peu de parents d’enfants de l’éducation préscolaire s’engagent dans les activités numériques car ils pensent que leur enfant est trop jeune pour aborder les concepts mathématiques ou parce qu’ils ne se sentent pas du tout à l’aise avec ce genre d’activités (Skwarchuk, 2009). Aux yeux des parents, cette tâche relèverait principalement de la responsabilité de l’école. Cependant, de nombreuses études rappellent combien il est positif pour les enfants que leurs parents soient également impliqués dans cette matière au regard des bénéfices qu’ils peuvent en retirer en ce qui concerne l’engagement, la réussite et l’attitude (Missall et al., 2015). Les résultats issus de nos interviews sont optimistes et tendent à montrer l’ouverture des parents face à ce genre d’initiatives de partenariat et d’activités d’apprentissage partagées. En outre, en accord avec les constats de Cannon et Ginsburg (2008), le fait d’avoir proposé des activités aide les parents, même ceux qui sont anxieux à l’égard du contenu disciplinaire, à se faire une idée précise de ce qu’ils peuvent faire et mettre en place à domicile en ce qui a trait aux activités non formelles en mathématiques.

5.4 Question de recherche 3: Les rôles éducatifs de l’école et de la famille

Pour ce qui est de la perception par les parents des rôles éducatifs, la majorité des réponses vont dans le sens d’une complémentarité de l’école et de la famille. En outre, il semble qu’une majorité de parents souhaiteraient une discussion conjointe avec l’établissement scolaire et l’enseignant de l’enfant sur ce point. Certains des parents interrogés sont bien conscients de l’influence positive que la famille peut avoir sur la scolarité de l’enfant. Ils seraient intéressés à recevoir davantage de soutien de l’institution scolaire (pour obtenir des conseils en matière d’accompagnement scolaire efficace ou des informations sur les progrès et difficultés de leur enfant en classe ou encore pour être considérés comme des partenaires éducatifs à part entière). Soulignons que les résultats ont mis en évidence que les problèmes de compréhension de la langue peuvent constituer un frein à la collaboration école-famille car les attentes de l’institution scolaire ne sont pas comprises par tous les parents (Bottoms et al., 2017).

5.5 Question de recherche 4: Les attentes de l’enseignante ou l’enseignant en ce qui a trait au suivi scolaire parental

Au niveau des attentes de l’école, il semble que peu d’informations explicites émanent de l’institution scolaire; un peu moins d’un quart des parents interrogés renseignent avoir reçu des directives claires ou des consignes relatives à l’accompagnement scolaire attendu. Par conséquent, certains parents adoptent une attitude proactive pour obtenir des conseils de la part de l’enseignant de leur enfant. Or, comme le rappellent Demoulin et al. (2014), une collaboration efficace entre l’école et la famille nécessite d’une part, que les acteurs du monde scolaire envisagent les parents comme des partenaires et d’autre part, que les enseignants proposent diverses actions de collaboration aux familles. Selon les auteurs, ces dernières permettront aux parents de prendre conscience de l’importance de s’investir au niveau de l’éducation scolaire de leur enfant et, plus particulièrement, d’obtenir les bases nécessaires à la construction et au renforcement de leur rôle parental comme de leur sentiment de compétence. Dans l’étude de Wilder (2017) comme dans la nôtre, les parents se montrent prêts à s’engager dans le développement des PCN comme dans un partenariat avec l’école et les enseignants. Il est toutefois probable que des différences au niveau des représentations des acteurs en ce qui concerne la définition de leurs rôles éducatifs respectifs peut également expliquer pourquoi les enseignants explicitent peu ou pas leurs attentes à l’égard des parents. Les parents et les enseignants ont en effet des tâches différentes à assumer selon qu’ils sont des éducateurs et éducatrices professionnels ou non. Pour les parents, cette construction de rôle est déterminante pour l’implication parentale car ces croyances jouent une fonction de motivation et aident les parents à imaginer et à anticiper quel type d’activités pourraient être, à la maison, pertinentes pour la réussite éducative de l’enfant (Wilder, 2017). Il semble en outre que le partenariat avec les parents peut créer différents types de compréhension des rôles éducatifs et favoriser à la fois une connaissance réciproque mais aussi une meilleure appréciation de chacun (Demoulin et al., 2014). Les parents qui ont un sens aigu de leurs responsabilités à l’égard de la réussite scolaire de leur enfant et qui ont l’intime conviction qu’établir un partenariat avec l’école est important pour sa scolarité sont les plus susceptibles de s’engager activement (Garcia et Ancheta, 2022). Cette implication des parents peut également être renforcée par une communication ouverte avec les acteurs de l’école, lorsque les parents ont le sentiment que le personnel de l’école les accueille volontiers et les accepte, ou lorsque les parents acceptent les invitations à participer venant du personnel de l’école ou de leurs enfants (Hoover-Dempsey et Sandler, 2005). En d’autres termes, le degré auquel les parents et les enseignants perçoivent qu’ils travaillent ensemble, la confiance que chacun développe à l’égard de l’autre, peuvent également influencer positivement l’implication des parents (Bower et al., 2011). Dans notre cas, il semble que peu de messages explicites soient formulés par l’institution scolaire à l’égard des familles. Ces dernières sont donc peu informées de ce que l’école et l’enseignante ou l’enseignant attendent d’elles en ce qui a trait à l’accompagnement scolaire à domicile. Or, lorsqu’on constate l’intérêt et l’engagement suscité par l’intervention basée sur les jeux à domicile, il semble que l’école et les enseignants auraient tout à gagner à communiquer davantage et à considérer les parents comme des partenaires à part entière.

6. Limites

Il faut rappeler que notre échantillon de parents a été établi sur une base volontaire et ne repose par conséquent pas sur une sélection non aléatoire des personnes participantes. On peut sans doute présumer que les parents qui ont répondu favorablement sont ceux qui montrent un engagement parental plus fort à l’égard de la scolarité de leur enfant. Par conséquent, la prudence s’impose lors de l’interprétation de ces résultats; aucune généralisation ne peut être envisagée. Les constats émis doivent être considérés comme exploratoires et confirmés par d’autres études sur la thématique. Toutefois, il est important de souligner que tous les principes de rigueur et de précaution ont été considérés dans le cadre de nos analyses qualitatives.

7. Conclusion et perspectives

Cet article a présenté une partie des résultats d’une recherche quasi expérimentale dont l’objectif était de favoriser le développement des PCN auprès d’enfants de 4 à 5 ans à la fois à l’école et à domicile. Notre texte se penche exclusivement sur l’effet de l’intervention sur les relations école-famille et l’engagement parental sans aborder directement les compétences numériques. Le lecteur intéressé par les résultats globaux pourra se référer aux publications se rapportant à la recherche (de Chambrier et al., 2021; Poncelet et al., 2020; ou encore Vlassis et al., 2022). Au terme de l’intervention, il a paru important de documenter l’opinion des familles sur l’intervention au départ d’interviews téléphoniques menées auprès des parents volontaires du GE2. Si les interviews menées débouchent sur des résultats encourageants en regard d’une meilleure articulation entre l’école et la famille autour d’un projet d’apprentissage commun, il n’en demeure pas moins que des améliorations doivent être apportées au dispositif proposé. C’est la raison pour laquelle notre équipe a décidé de développer un nouveau projet de recherche sur cette thématique en renforçant la facette famille. Tout d’abord, des observations à domicile pourraient être menées afin de mieux soutenir les parents dans leur engagement auprès de leur enfant. Il faudrait sans doute revoir également le carnet de communication pour qu’il soit plus facile d’utilisation: une version numérique de l’instrument est envisagée. Ensuite, si des quatre caractéristiques mises en évidence par Tazouti et al. (2020) dans leur méta-analyse notre recherche a bien couvert les aspects relatifs à l’importance de bien cibler les compétences à développer et de recourir à du matériel d’apprentissage ludique, un effort doit toutefois être fait au niveau de la formation des parents en début de projet comme au niveau de leur accompagnement durant l’intervention. C’est pourquoi le futur projet cherchera à développer le dispositif des Family Math Night (FMN). Il semble en effet que les FMN constituent une stratégie intéressante et efficace à la fois pour améliorer les attitudes et les valeurs des parents comme des enfants à l’égard des apprentissages mathématiques mais aussi pour renforcer les perspectives de partenariat entre l’école et les familles (Hodge et Lawson, 2018). Les FMN constituent des espaces rassurants et de soutien où les parents ont la possibilité de clarifier et de vivre les mathématiques d’une «autre manière» (Nantais et Skyhar, 2020) tout en tenant compte de la diversité culturelle et langagière des familles (Bottoms et al., 2017). En outre, il semble que les FMN favorisent l’amélioration des représentations que les enseignantes et enseignants peuvent avoir des parents issus de milieux socioéconomiques plus défavorisés et leur engagement dans l’éducation scolaire de leur enfant (Jacobbe et al., 2012) comme leurs représentations des rôles éducatifs des parents et leurs attentes envers l’école et les enseignants (Bofferding et al., 2016).