Résumés
Résumé
On estime à environ 5 000 le nombre annuel de nouveaux cas de mélanome en France. La proportion des formes familiales est évaluée, selon les séries, entre 5 % et 10 %. Les aspects cliniques, histologiques et biologiques de progression du mélanome sont actuellement mieux connus ; les développements technologiques récents ont, quant à eux, permis d’aborder les mécanismes moléculaires de la progression tumorale et de mettre en lumière des gènes impliqués dans cette évolution. Toutefois, des difficultés importantes persistent : il existe une grande variabilité dans l’expression de ces gènes, non seulement d’un patient à l’autre, mais aussi selon les stades de la maladie, locaux ou métastatiques ; par ailleurs, certaines des mutations retrouvées au cours du mélanome peuvent également être présentes dans des lésions bénignes (naevus). La variabilité génotypique associée au mélanome rend le ciblage thérapeutique complexe, et constitue actuellement un défi majeur en termes de traitement. Cet article, volontairement non exhaustif, insistera surtout sur les anomalies génomiques les plus étudiées, desquelles semblent naître des perspectives thérapeutiques intéressantes.
Summary
Cutaneous melanoma remains a management challenge. Melanoma is the leading cause of death from skin tumors worldwide. Melanoma progression is well defined in its clinical, histopathological and biological aspects, but the molecular mechanism involved and the genetic markers associated to metastatic dissemination are only beginning to be defined. The recent development of high-throughput technologies aimed at global molecular profiling of cancer is switching on the spotlight at previously unknown candidate genes involved in melanoma. Among those genes, BRAF is one of the most supposed to be of interest and targeted therapies are ongoing in clinical trials. In familial melanoma, germline mutations in two genes, CDKN2A and CDK4, that play a pivotal role in controlling cell cycle and division. It is hope that this better understanding of the biologic features of melanoma and the mechanisms underlying tumor-induced immunosuppression will lead to efficaceous targeted therapy.
Corps de l’article
Le cancer représente l’une des principales causes de mortalité dans les pays industrialisés. La cancérogenèse est due au dérèglement de l’expression des gènes impliqués dans la prolifération, la survie ou la mort cellulaire, une dérégulation secondaire à la survenue de mutations de ces gènes. La plupart des cancers sont sporadiques, c’est-à-dire que les mutations sont apparues de façon somatique et n’existent qu’au niveau de la tumeur. Cependant, environ 5 % des cancers sont secondaires à une mutation initiale présente de façon constitutive chez l’individu : on parle alors de prédisposition génétique au cancer. Les gènes impliqués dans ces cancers familiaux peuvent également être à l’origine de cancers sporadiques, la mutation n’étant alors pas germinale, mais apparue au niveau de certains tissus, c’est-à-dire somatique. L’étude des fonctions des protéines, produits de ces gènes, ainsi que de leurs ligands permet d’améliorer les connaissances sur les mécanismes de prolifération cellulaire en général, et de la tumorogenèse en particulier. La découverte de mutations familiales autorise l’identification des individus à risque, permettant ainsi de mettre en place une stratégie thérapeutique ou préventive éventuelle, mais aussi de rassurer les patients indemnes de mutation.
Le mélanome est devenu un enjeu de santé publique majeur dans de nombreux pays : depuis le milieu des années 60, son incidence a en effet augmenté de 3 % à 8 % par an selon les pays. Malgré cette incidence accrue et une mortalité également en hausse, le taux de survie augmente : en 1960, 60 % des patients atteints de mélanome décédaient de leur maladie, contre 11 % actuellement. Cette amélioration est essentiellement due au progrès réalisés en termes de diagnostic précoce [1].
Mutations somatiques et mélanome
Différents types d’anomalies chromosomiques ou de niveaux d’expression génique ont été mis en évidence sur des échantillons de tumeur primitive de mélanome, notamment par hybridation génomique comparative (CGH) ou évaluation comparative du nombre de copies d’ADN par micro-arrays. Les anomalies les plus fréquemment retrouvées sont les délétions des chromosomes 1, 6, 9 et 10, et des translocations réciproques ou complexes entre les chromosomes 6, 7 et 8, dans plus de 95 % des cas [1-3]. Des corrélations génotype-phénotype existent, reliant le type anatomoclinique du mélanome (acral, superficiel, nodulaire, lentigineux) aux remaniements chromosomiques qui leur sont associés [4].
Le mélanome acral, qui intéresse essentiellement les zones non photo-exposées, est fréquemment porteur d’un nombre supérieur de remaniements en gain, c’est-à-dire de trisomies, lorsqu’il est comparé au mélanome d’extension superficielle [5]. Les mélanomes survenant en zones photo-exposées, quant à eux, présentent le plus souvent des aberrations sur les régions chromosomiques 13q et 17p [6]. De leur côté, les mélanomes atteignant les muqueuses sont surtout porteurs de translocations concernant les gènes régions 1q, 6p et 8q [7]. Les régions chromosomiques amplifiées contiennent le plus souvent des oncogènes connus (HRAS, CDK4, BRAF, cyclin D1) [8], mais également des gènes non identifiés [9]. Plusieurs études concordantes ont donc démontré que la nature des aberrations chromosomiques et le niveau d’expression de ces oncogènes sont corrélés au type anatomoclinique de mélanome et à sa survenue en zone photo-exposée ou non [4].
La séquence des modifications caryotypiques survenant au cours de l’évolution du mélanome est peu connue. Il semble toutefois que deux phénomènes initiaux, délétion du chromosome 3 ou translocation impliquant le chromosome 6p, sont essentiels avant que surviennent les autres altérations concernant les chromosomes 1, 8, 9, 10, 11 et 15 [10].
Le nombre d’aberrations chromosomiques, quant à lui, augmente avec l’évolution métastatique, traduisant une grande instabilité génétique. La comparaison génomique entre tumeur primitive et métastases révèle un grand nombre d’altérations accompagnant la progression de la maladie [11].
Gène BRAF
Une forte association entre des mutations du gène BRAF et le mélanome a été rapportée en 2002 par Davies et ses collaborateurs [12]. Il existe chez l’homme 3 gènes RAF (A-RAF, B-RAF et C-RAF) et 3 gènes RAS (H-RAS, K-RAS et N-RAS). Le gène BRAF code pour une sérine/thréonine kinase intervenant dans la voie de signalisation des MAP (mitogen-activated protein)-kinases (Figure 1). L’activation de cette voie conduit à des événements cytoplasmiques et transcriptionnels communs au développement de multiples cancers.
Les gènes N-RAS et BRAF, impliqués dans la voie de signalisation des MAP-kinases, sont fréquemment mutés aux cours des stades locaux et métastatiques du mélanome. Les mutations de N-RAS sont présentes dans 5 % à 20 % des mélanomes. Quant aux mutations du gène BRAF, la plus commune est la mutation substitutive V600E (anciennement V599E), présente dans près de 66 % des cas de mélanome. Les mutations du gène BRAF semblent constituer un élément précoce dans l’évolution du mélanome, la progression métastatique de la maladie [13] et la prolifération vasculaire associée au développement tumoral [14] ; elles sont détectables dès la phase de croissance horizontale de ce cancer. Le transfert in vitro du gène BRAF muté conduit à des modifications du phénotype des mélanocytes, avec augmentation de leur prolifération et formation de tumeurs [15]. Des mutations du gène BRAF sont cependant également présentes au sein de naevus bénins. Les mutations germinales de ce gène semblent rares [16].
Associées à un mélanome, les mutations du gène BRAF sont plus fréquentes chez les sujets jeunes, lorsque le mélanome survient sur des zones d’exposition au soleil intense et intermittente (dos, jambes) [17]. Ces mutations sont rares, en revanche, sur les zones exposées de manière chronique aux radiations solaires (visage, extrémités des membres) [18], et absentes au cours des mélanomes oculaire [19] et desmoplastique [20].
In vitro, la suppression des produits d’expression du gène BRAF par interférence par l’ARN limite la prolifération cellulaire [21]. Les mutations du gène BRAF représentant une cible thérapeutique privilégiée, des agents interférant avec le gène BRAF sont en cours de développement clinique dans des essais thérapeutiques de phase III [22].
Gène MC1R
Le MC1-R, récepteur de l’α-MSH (mélanocortine) présent sur les mélanocytes, permet de stimuler la production de mélanines foncées (eumélanines) (Figure 2), qui sont photoprotectrices. Les mutations du gène MC1R entraînent une diminution de la production des eumélanines au profit de celle des phéomélanines, peu photoprotectrices [1], facilitant en cela la survenue de dommages photo-induits. Il existe un grand polymorphisme du gène MC1R dans la population caucasiennne : environ 30 variants ont été rapportés, parmi lesquel 9 sont associés à des pertes fonctionnelles [23, 24]. Des variants de MC1R ont été retrouvés en France chez 68 % des patients atteints de mélanome, contre 31 % dans un groupe contrôle. Les variants les plus significativement corrélés au risque de mélanome sont Val60Leu, Arg151Cys et Arg160Trp [25].
Gène TP53
Le gène suppresseur de tumeur TP53, situé sur le bras court du chromosome 17, code pour une protéine nucléaire de 53 kDa (p53), un facteur de transcription intervenant à l’état normal dans le contrôle négatif du cycle cellulaire, la réparation et la division cellulaires, le contrôle de la stabilité génétique et l’apoptose. Quand le gène TP53 est muté, et la protéine inactive, les promoteurs de la croissance cellulaire s’expriment et déclenchent un développement anarchique de la cellule et, à terme, une tumeur cancéreuse.
Le rôle de p53 dans le mélanome n’est que partiellement compris. La protéine p53 est indétectable dans de nombreux tissus, y compris la peau, du fait de sa courte durée de vie. Cependant, l’étude en immuno-histochimie de tumeurs exprimant des variants mutés de p53 montre que cette protéine est stable dans le temps, et détectable. Il ne semble en revanche pas y avoir d’expression de p53 dans les naevus. Le niveau d’expression de la protéine p53, qui croît avec l’épaisseur de la lésion, est aussi plus élevé dans les métastases. Lorsque le mélanome survient sur un naevus, seules les cellules malignes expriment la protéine p53 [26]. Lors de l’analyse de la tumeur primitive, des pertes d’hétérozygotie (LOH) de TP53 ont été retrouvées dans environ 20 % des cas [27].
Gène PTEN
Le gène suppresseur de tumeur PTEN (phosphatase and tensin homolog deleted on chromosome TEN) est localisé sur le bras long du chromosome 10, en 10q23. Les mutations somatiques de ce gène ont pour conséquences la survenue de tumeurs cérébrales, de glioblastomes et de cancers de l’endomètre. Les mutations du gène PTEN sont fréquemment retrouvées dans les lignées cellulaires in vitro de mélanome. Une étude récente a retrouvé, sur des lésions primitives de mélanomes, jusqu’à 43 % de mutations de PTEN, sans que la présence ou l’absence de ces mutations soit liée au pronostic [28]. Lorsque la mutation du gène PTEN est germinale, les patients développent préférentiellement des cancers du sein et de la thyroïde, mais peu de mélanomes [29].
Gènes de prédisposition et mélanomes familiaux
Les formes familiales de cancer ont souvent permis de mettre en évidence des anomalies génétiques qui gouvernent à la fois les formes familiales et les formes sporadiques de la maladie. Les formes familiales représentent 8 % à 12 % des mélanomes. La proportion exacte des mélanomes associée à des gènes connus est mal évaluée, mais serait inférieure à 2 % [30]. Deux gènes majeurs de susceptibilité ont été identifiés en association avec les mélanomes familiaux : le gène suppresseur de tumeur CDKN2A et l’oncogène CDK4.
Le gène CDKN2A a été localisé en 9p21 grâce à des délétions homozygotes retrouvées fréquemment portées par des lignées tumorales [31, 32]. Ce locus, désigné ensuite comme associé aux mélanomes familiaux [33], code pour deux protéines, p16INK4a et p14ARF. La protéine p16INK4a est un inhibiteur de la phosphorylation de la pRB (produit du gène suppresseur de tumeur RB-1, pour rétinoblastome-1) par le complexe cycline D1-cdk4, inhibition qui entraîne un arrêt du cycle cellulaire en G1. La protéine p14ARF intervient, quant à elle, en inhibant la dégradation de la protéine p53 [34]. Une mutation du gène CDKN2A est présente dans 25 % à 40 % des formes familiales de mélanome, tandis qu’elle n’est que de 0,2 % à 2 % dans les formes sporadiques [35].
D’autres gènes sont en cours d’études ; ainsi, un gène candidat est localisé sur le bras court du chromosome 1, en 1p22 [36].
Conclusions et perspectives
À la suite du succès remarquable de l’inhibiteur sélectif de tyrosine-kinase (imatinib) dans le traitement de la leucémie myéloïde chronique, la cancérologie est entrée dans l’ère des traitements « de ciblage moléculaire ». Les anomalies chromosomiques et moléculaires au sein des tumeurs sont multiples et souvent variables pour une même tumeur, notamment au cours de son évolution métastatique. Il n’a pas encore été dégagé pour le mélanome de cible moléculaire essentielle au développement des mélanocytes tumoraux, spécifique du contingent cellulaire malin et persistant au cours de l’évolution métastatique. Il est probable que la solution émanera d’une thérapeutique ciblée, utilisée en monothérapie ou, plus probablement, en association, une thérapeutique visant non seulement les mélanocytes tumoraux, mais aussi l’environnement immédiat (en termes de vascularisation, de réponse immunitaire…) des cellules malignes, nécessaire à leur prolifération. La compréhension des anomalies génétiques et des mécanismes moléculaires impliqués dans le mélanome aux stades initiaux et disséminés progresse actuellement de manière spectaculaire. Les hypothèses de développements thérapeutiques sont aussi très nombreuses, même si le traitement du mélanome métastatique constitue encore un défi thérapeutique majeur pour les chercheurs et médecins impliqués dans la prise en charge de cette maladie.
Parties annexes
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