Résumés
Résumé
À l’interface du vivant et de l’inerte, se développe un ensemble de nouvelles technologies regroupées sous le terme générique de biopuces. Grâce à la miniaturisation, nous pouvons imaginer que, demain, de nombreuses études biologiques et médicales se feront avec des biopuces qui permettront d’accroître de plusieurs ordres de grandeur le parallélisme des analyses, les vitesses de réaction des tests et leur débit, tout en réduisant les coûts. Cette évolution a démarré avec l’apparition des puces à ADN et se poursuit aujourd’hui avec, entre autres, les puces à cellules qui permettent d’accélérer considérablement l’étude des gènes de fonctions inconnues et leurs implications potentielles dans différentes maladies. Bien que la technologie en soit encore à ses prémices, il est vraisemblable que les puces à cellules feront évoluer la biologie et la médecine de manière significative.
Summary
With the complete sequencing of the human genome, research priorities have shifted from the identification of genes to the elucidation of their function. Methods currently used by scientists to characterize gene function, such as knock-out mice, are based upon loss of protein function and analysis of the resulting phenotypes to infer a potential role for the protein under scrutiny. Until now, these methods have been successful but time consuming and only a few genes at a time could be analyzed. Cell microarrays allow to simultaneously transfect thousands of different nucleic acid molecules, RNA or DNA, into adherent cells. It is then possible to analyze a large pallet of resulting phenotypes in clusters of transfected cells. We are currently manufacturing cell microarrays with collections of full-length cDNA cloned in expression vectors (gain of function analyses) or siRNA (loss of function studies) to unravel function of genes involved in differentiation and proliferation of human cells. Although there are still some technological difficulties to overcome, the potential for cell microarrays to speed up functional exploration of genomes is very promising.
Corps de l’article
Alors que le séquençage complet du génome humain arrive à son terme, nous ne connaissons la fonction que d’environ 15 % des gènes. Une tâche gigantesque reste à accomplir pour déterminer la fonction des gènes restants. Pour cela, l’approche la plus directe consiste à étudier les perturbations cellulaires résultant du gain ou de la perte du produit d’un gène. Cette approche a été mise en oeuvre avec succès dans des cellules de mammifères ou à l’échelle d’un animal (souris transgénique ou souris knock-out, KO). Toutefois, la plupart des techniques utilisées jusqu’à présent ne permettent l’étude que d’un gène à la fois. Pour répondre aux besoins de la biologie à grande échelle et augmenter la vitesse d’exploration fonctionnelle des génomes, il est nécessaire d’accroître significativement le débit d’analyse.
Au milieu des années 1990, le développement des puces à ADN [1-3] a permis, pour la première fois, d’obtenir une mesure massivement parallèle de la concentration à l’équilibre des ARN messagers (ARNm) d’une cellule. Les biologistes disposaient de nombreuses techniques pour étudier les ARNm individuellement (Northern blots, RT-PCR…), mais, grâce aux puces à ADN, ils purent changer d’échelle en analysant simultanément l’ensemble des transcrits d’un génome. De la même manière, pour augmenter la vitesse d’annotation fonctionnelle des génomes, de nouveaux développements technologiques, et notamment de nouvelles biopuces, seront nécessaires.
Transfection massivement parallèle sur puce
L’analyse à haut débit du gain et de la perte de fonction d’un gène dans des cultures cellulaires passe nécessairement par une étape de transfection massivement parallèle. Quelques publications récentes ont décrit un format de transfection « inverse » et simultanée de plusieurs milliers d’acides nucléiques différents sur puce [4, 5]. Très souple et d’un coût réduit, ce format dérivé des puces à ADN est en fait assez simple à mettre en oeuvre : des plasmides mélangés à un polymère et à un agent de transfection sont déposés sur une lame de verre (lame de microscope) au moyen d’un robot de dépôt muni d’aiguilles creuses, traditionnellement utilisé pour la fabrication des puces à ADN. Chaque dépôt fait environ 200 μm de diamètre. La lame est ensuite introduite dans une boîte de culture et recouverte d’une couche uniforme de cellules adhérentes. Les plasmides déposés sur la lame vont alors diffuser localement et pénétrer dans les cellules en contact direct avec le dépôt, d’où l’appellation de transfection inverse (Figure 1).
Quelques auteurs ont utilisé des plaques de microtitration pour réaliser des analyses fonctionnelles à l’échelle génomique [6, 7]. Les puces à cellules transfectées offrent plusieurs avantages par rapport aux plaques de microtitration. En premier lieu, le parallélisme est bien supérieur puisque nous sommes en mesure de déposer 10 000 gènes, soit l’équivalent de plus de 100 plaques de microtitration à 96 puits, sur une simple lame de microscope. À terme, l’intégralité du génome humain pourra être analysée sur une seule puce puisque les robots de dépôts les plus récents permettent de réaliser jusqu’à 40 000 dépôts sur la surface d’une lame. En second lieu, la miniaturisation des systèmes a l’avantage de diminuer largement les volumes de travail. Cela est particulièrement pertinent pour l’étude de cellules rares, comme les cellules souches, ou pour diminuer les quantités utilisées de réactifs onéreux, comme par exemple les siARN (short interfering RNA) issus de la synthèse chimique. En outre, puisque plusieurs milliers d’îlots de cellules peuvent être analysés sur une seule lame, il n’est pas nécessaire de faire appel à des robots coûteux de manipulation de liquides ou d’analyse à haut débit. Il est tout à fait envisageable de déposer différents acides nucléiques au fond de chaque puit d’une plaque de microtitration, pour produire des matrices (les puits de la plaque de microtitration) de matrices (les dépôts au fond d’un puit) d’îlots de cellules. Ce format semble particulièrement intéressant pour le criblage à haut débit de principes actifs ou de molécules pharmacologiques.
Gain ou perte de fonction dans des îlots de cellules transfectées
Grâce à la transfection massivement parallèle sur puce, des collections entières de gènes humains, clonés dans un vecteur d’expression, peuvent être utilisées pour étudier l’effet du gain de fonction de chacun des gènes, grâce à la synthèse de la protéine correspondante dans des îlots de cellules transfectées. Il est alors possible d’analyser les phénotypes d’intérêt (apoptose, prolifération…) résultant de cet excès de protéine dans les îlots de cellules. Ainsi, notre équipe dispose d’une collection de 16 000 ADN complémentaires (ADNc) (dont 70 % sont pleine longueur) clonés sous le contrôle d’un promoteur fort permettant une synthèse exacerbée du produit des gènes. Plusieurs équipes dans le monde travaillent activement à la constitution de collections complètes de gènes humains clonés dans des vecteurs d’expression.
La découverte de l’interférence par l’ARN (ARNi) permet l’extinction systématique de l’expression d’un gène (grâce à des siARN) dans des cellules de mammifères, ce qui, jusqu’alors, était particulièrement difficile [8, 9]. Même si l’utilisation de l’ARNi diffère de la technologie knock-out dans la mesure où l’extinction complète de l’expression du gène est difficile, cette caractéristique n’est pas forcément problématique et peut même constituer un avantage majeur pour étudier les protéines dont l’absence totale s’avérerait létale pour la cellule. En outre, l’induction temporelle de l’extinction grâce aux ARNi permet de réaliser des cinétiques d’extinction graduelle du gène étudié et éventuellement d’en observer les effets initiaux. Il est donc possible d’utiliser les puces à cellules pour étudier la transfection de cellules par des milliers de siARN en parallèle et analyser les phénotypes d’intérêt résultant de l’absence de la protéine dans les îlots de cellules modifiées [5, 10-12] (Figure 2). Alternativement, il est aussi possible d’utiliser la transfection de cellules par des plasmides permettant la transcription in vivo de l’ARN interférent (short hairpin RNA, shARN). Ces vecteurs d’expression particuliers peuvent supprimer l’expression d’un gène de la même manière qu’un siARN.
Analyse phénotypique
Les perturbations cellulaires produites dans des cellules cultivées sur ce type de biopuces peuvent être suivies à l’aide de plusieurs approches. Une fois le tapis cellulaire fixé, l’analyse phénotypique peut être réalisée selon différentes techniques : immunofluorescence (IF) à l’aide d’anticorps spécifiques de cibles d’intérêt, hybridation in situ, pour localiser au niveau subcellulaire des ARN messagers, et autoradiographie, pour suivre des biomolécules ou un principe actif marqués avec un radionucléide. Mais l’analyse peut également porter sur des cellules vivantes, et en temps réel, pour suivre différentes fonctions cellulaires telles que la division, la synthèse et la translocation de protéines, les flux de calcium intracellulaire, la synthèse d’ATP…
Plusieurs aspects de la vie cellulaire sont étudiés au laboratoire grâce à ces biopuces. La prolifération cellulaire de cellules primaires ou de lignées est suivie par immunofluorescence dirigée contre la protéine PCNA (proliferating cell nuclear antigen) naturellement exprimée dans des cellules en prolifération, mais également contre un nucléotide modifié ajouté au milieu (5-bromo-2’-désoxy-uridine) incorporé dans l’ADN cellulaire lors de la phase S. La différenciation est suivie également par IF en choisissant d’autres marqueurs spécifiques du type cellulaire étudié comme, par exemple, la myosine dans des cellules myogéniques. L’apoptose, quant à elle, est suivie à l’aide d’un inhibiteur de caspases marqué par un fluorophore (Figure 3). À défaut de fournir des indications précises sur les mécanismes moléculaires impliqués dans les phénotypes étudiés, ces analyses devraient permettre d’accélérer significativement l’annotation fonctionnelle du génome.
Mais les applications des puces à cellules ne se limitent pas à l’exploration fonctionnelle. Elles sont, par exemple, adaptables à la mesure de l’affinité potentielle d’un ligand pour des protéines réceptrices exprimées à la surface des cellules transfectées. Il suffit pour cela de déposer sur la puce les vecteurs d’expression de la collection de protéines étudiées et de suivre la fixation du ligand sur les îlots de cellules qui les expriment. La possibilité de réaliser des criblages à haut débit, tout en utilisant de très faibles volumes (et donc de faibles quantités de petites molécules à haute valeur ajoutée), rend ce format de biopuces particulièrement attractif pour l’industrie pharmaceutique.
Enfin, en ce qui concerne l’analyse en imagerie optique des puces à cellules, il convient de rappeler que ce format a été mis au point pour être adapté à tout type de microscope, pourvu que celui-ci soit doté des optiques appropriées à la détection envisagée. De même, ces biopuces sont également compatibles pour une lecture par balayage par des scanneurs dédiés aux puces à ADN. L’analyse à l’échelle subcellulaire des images ainsi obtenues peut être réalisée à l’aide de logiciels d’imagerie pour la biologie, disponibles dans le commerce auprès de différents fournisseurs.
Conclusions
Bien que la technique en soit encore à ses prémices et que de nombreuses limites restent à surmonter, le potentiel des puces à cellules pour l’exploration fonctionnelle des génomes n’en est pas moins réel. Elles devraient permettre d’accélérer la découverte des gènes impliqués dans certaines maladies humaines. Enfin, on peut envisager l’utilisation de ces biopuces dans l’industrie pharmaceutique comme un outil de routine permettant de rechercher de nouvelles cibles pour les médicaments de demain.
Parties annexes
Références
- 1. Schena M, Shalon D, Davis RW, Brown PO. Quantitative monitoring of gene expression patterns with a complementary DNA microarray.Science 1995 ; 270 : 467-70.
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- 3. Nguyen C, Rocha D, Granjeaud S, et al. Differential gene expression in the murine thymus assayed by quantitative hybridization of arrayed cDNA clones.Genomics 1995 ; 29 : 207-16.
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