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Les communautés facilitent le partage de connaissances dans le contexte de l’économie fondée sur la connaissance où les expertises sont fortement distribuées. Elles questionnent l’émergence de nouveaux modèles organisationnels (Lee et Edmondson, 2017). S’inscrivant dans la dichotomie proposée par March (1991) sur l’exploration et l’exploitation, Adler (2001) et Amin et Cohendet (2004) les présentent comme des communautés dites « modernes » représentant un nouveau mode d’agencement organisationnel mieux à même d’explorer les connaissances que la firme et le marché. Ils les distinguent des communautés « traditionnelles », proches d’une logique de clan porteur de contraintes sociales limitant l’autonomie des individus. En effet, les communautés « modernes » sont basées sur des relations informelles, l’auto-organisation et la constitution d’une identité commune. Elles n’ont pas de frontières clairement délimitées, ni de hiérarchie visible. Les individus y participent volontairement, motivés par le partage de valeurs telles que la réciprocité et la bienveillance. Elles se distinguent aussi des réseaux. Alors que ceux-ci structurent des liens informels, forts et faibles entre des acteurs organisationnels (Powell, 2003), les communautés se définissent plutôt comme un ensemble d’interactions entre des individus qui partagent une identité sans avoir nécessairement le même rattachement organisationnel (Amin et Cohendet, 2004).

Les modes de coordination distinguent aussi ces communautés d’autres formes d’organisation (Lee et Edmondson, 2017). Adler (2001) et Cohendet et al. (2006) montrent que la confiance y apparaît comme le moteur central des échanges alors que la coordination au sein du marché repose sur la définition d’un prix permettant d’échanger des biens et services standardisés entre entités autonomes, et la coordination au sein de la firme repose sur la hiérarchie formelle, sous la forme d’une autorité managériale préalablement définie et le contrôle formel qu’elle exerce. Les travaux de Coase et Williamson amènent à arbitrer entre le marché et la firme en fonction des coûts de transactions. Le choix de coordination entre le prix et la hiérarchie formelle vise à assurer une meilleure allocation des ressources. Les communautés « modernes », quant à elles, constituent un moyen de rendre compte de la création de connaissances (Cohendet et Diani, 2003). Elles se distinguent par la nature de la confiance qui s’y développe : difficile à remettre en cause, la confiance au sein des communautés est présentée comme résiliente et réflexive (Adler, 2001).

Adler (2001) reconnait que le marché, la firme et la communauté représentent avant tout des modèles types qui vont s’interpénétrer pour faciliter l’exploration et l’exploitation. Des formes hybrides d’organisation ont été étudiées (Menard, 2012). Plusieurs travaux ont analysé comment les communautés émergeaient à l’interstice des structures formelles soulignant une combinaison complexe entre la hiérarchie formelle et la confiance au sein des entreprises (Bootz, 2015). En revanche, la combinaison des mécanismes de coordination n’a pas été étudiée lorsque les communautés modernes représentent le modèle dominant d’organisation (Lee et Edmondson, 2017). Pourtant celui-ci tend à se développer.

En effet, une variété de lieux d’innovation se développent sous la forme de communautés localisées (Moriset, 2017; Brown, 2017; Bathelt et Cohendet, 2014). Il s’agit de fab labs et makerspaces (Holm, 2015), de coworking spaces (Fabbri et al. 2016) et d’incubateurs (Boucken et al., 2017). Des entrepreneurs, des indépendants, des artisans ainsi que des étudiants et des salariés viennent y travailler, pour accéder à des conditions matérielles peu onéreuses et trouver un espace d’échanges propice au développement de leurs projets (Fabbri et al., 2013; Jakonen et al., 2017). Schmidt et Brinks (2017) et Mérindol et al. (2016) proposent le terme d’« open labs » afin de dépasser les labels de coworking, makerspace ou d’incubateur. Ces auteurs soulignent que leur point commun est la dynamique de communautés localisées qui s’y installent. Ces communautés sont caractérisées par la devise « working alone together » (Spinuzzi, 2012; Merkel, 2017) reflétant les opportunités de développement des projets individuels tout en s’appuyant sur un environnement social bienveillant : les relations y sont en effet fondées sur l’informel et le partage de valeurs d’ouverture, de réciprocité et de bienveillance, fondements d’une identité commune (Garret et al. 2017; Merkel 2017; Walters-Lynch et Potts, 2017). En faisant référence aux communautés modernes proposées par Adler, Spinuzzi (2012) a souligné, de ce point de vue, le rôle moteur de la confiance résiliente et réflexive dans les lieux d’innovation, tout en identifiant la coexistence d’une variété de relations impliquant le don, le business et la présence de managers (les community managers) d’un nouveau genre. Cette variété rend difficile la compréhension des bases sur lesquelles la coordination s’opère au sein de ces communautés (Vidaillet et Bousalham, 2017; Gandini, 2015).

Notre question de recherche est alors la suivante : comment se combinent les modes de coordination fondés sur la confiance résiliente et réflexive, la hiérarchie formelle et le prix lorsque le mode d’organisation est la communauté ? Pour aborder cette question, nous nous appuierons sur l’étude de 12 open labs situés en Ile-de-France.

Cet article se divise en cinq sections. Une première propose un cadre conceptuel pour aborder les mécanismes de coordination au sein des communautés. Une seconde précise la méthodologie qualitative retenue. La suivante présente les résultats de l’étude multi-cas. Les deux dernières montrent l’originalité des modes de coordination lorsque le modèle dominant d’organisation est la communauté.

Cadre conceptuel

La première section aborde la place de la confiance résiliente et réflexive au sein des communautés modernes. Les deux suivantes identifient la manière dont elle peut être combinée avec le prix et la hiérarchie formelle pour échanger et collaborer, tant pour explorer qu’exploiter. Enfin, la dernière aborde les enjeux de gestion des comportements opportunistes.

La place de la confiance réflexive et résiliente au sein des communautés

La confiance est définie comme le fait qu’un acteur A anticipe que les actions d’un acteur B vont affecter positivement ses activités (Luhman, 1998; Blomqvist, 1997). Elle implique donc un pari sur le comportement de B. Il s’agit d’un choix explicite visant à accepter une position de vulnérabilité vis-à-vis d’autrui.

Au-delà de cette définition, la confiance reste un concept aux multiples facettes (Nooteboom, 2006). Adler (2001) fait référence à la confiance résiliente et réflexive comme indissociable des communautés dites modernes. Basée sur les travaux de Ring (1996) et Luhman (1998), cette confiance serait le moteur des échanges et collaborations au sein de ces communautés. Elle est difficile à remettre en cause par opposition à la confiance dite « fragile », dont la source principale est le calcul et les intérêts personnels, et que l’on retrouve dans l’analyse du marché et de la firme. La spécificité de la confiance résiliente et réflexive repose sur la combinaison de trois sources : 1) les interactions répétées, 2) le calcul rationnel et les intérêts personnels, ainsi que 3) le partage de valeurs telles que l’ouverture, la réciprocité et la bienveillance. Elle se construit dans les relations interpersonnelles, mais par essence l’objet de cette confiance est à la fois l’individu, le groupe et le système qui permet de produire les valeurs partagées (Adler, 2001). Ring (1996) et Nooteboom (2006) considèrent que cette confiance crée de la valeur ajoutée parce qu’elle intègre et dépasse le seul calcul d’intérêt.

Cette confiance explique que les motivations à échanger (des informations, connaissances, services) et à collaborer (c’est-à-dire, travailler en commun sur un projet) au sein des communautés modernes sont plus marquées que dans d’autres formes organisationnelles (McEvely et al. 2003; Lee et Edmondson, 2017). Au sein des open labs, cette confiance explique la qualité des échanges (Merkel, 2017). Les sources de confiance y sont variées : les valeurs de réciprocité et de don y occupent une place centrale (Jakonen et al. 2017; Trupia, 2016) sans exclure le calcul et les intérêts personnels (Boucken et al. 2017). Cette confiance résiliente et réflexive rend possible une coordination tacite qui permet de recourir à un niveau limité de verbalisation pour échanger et collaborer entre des individus qui ne se connaissent pas au départ (Walters-Lynch et Potts, 2017). Si les communautés ont des frontières floues c’est-à-dire que les individus peuvent y entrer et en sortir facilement, la coordination par ce type de confiance permet d’identifier un « dedans et un dehors » aux communautés et de les distinguer fortement des relations existant dans la firme et sur le marché (Adler, 2001).

La nature de la confiance introduit une réflexion spécifique concernant la mobilisation des autres mécanismes de coordination. En effet, Nooteboom (2008) met en évidence que la manière de combiner la hiérarchie et le prix varie en fonction du type de confiance. Au sein de la firme ou sur le marché, la confiance « fragile » est appréhendée comme un mécanisme de coordination complémentaire à la hiérarchie formelle ou au prix pour fluidifier les échanges (Mayer et al. 1995; Woolthuis et al. 2005) et réduire les coûts de transaction (Williamson, 1975). Cette confiance opère en quelque sorte comme une sorte de « glue » qui va faciliter les échanges basés sur le prix et l’autorité managériale. Mais la manière dont le prix et la hiérarchie complètent la confiance résiliente et réflexive au sein des communautés, constitue une source de questionnement sans être vraiment investiguée (Adler, 2001; Lee et Edmondson, 2017). Ainsi, Gandini (2015) observe que dans les open labs, le prix et la hiérarchie formelle ne sont pas exclus des relations, sans pour autant que leur mobilisation soit clairement appréhendée.

Pour aborder les mécanismes de coordination au sein des communautés, nous proposons de prendre en compte la dynamique d’exploration et d’exploitation pour échanger et collaborer, d’une part, et la gestion des comportements opportunistes, d’autre part.

Collaborer pour explorer au sein des communautés : la hiérarchie formelle comme mécanisme complémentaire

La confiance résiliente et réflexive permet l’existence en quelque sorte « naturellement » des échanges et de collaborations (Cohendet et Diani, 2003) sans recourir à de puissants mécanismes d’incitation (Lee et Edmondson, 2017). Au sein des open labs, les communautés permettent aux entrepreneurs d’accéder facilement à une variété d’expertises et de ressources pour accélérer leur projet et se construire un capital social (Fabbri et al. 2013).

Cependant Adler (2001) suggère que d’autres mécanismes semblent opérer pour l’exploration des connaissances en particulier pour réaliser un projet en commun au sein des communautés. Dans la lignée des travaux de Nickerson et Zenger (2004), Adler suggère que la hiérarchie formelle peut permettre la mise en place d’une architecture qui aide les individus à définir en commun les termes du problème et les modalités d’exploration en particulier lorsque les tâches sont interdépendantes. Adler (2001) ouvre alors la perspective à la présence de hiérarchie formelle dans le cadre des communautés. La hiérarchie est représentée par des individus désignés et ayant des responsabilités fonctionnelles explicites qui n’auraient donc pas seulement vocation à organiser et contrôler les ressources productives (Brousseau, 2001; Amin et Cohendet, 2004; Cohendet et Diani, 2003). Au sein des open labs, lorsque les projets collaboratifs existent (Spinuzzi et al. 2018; Capdevila, 2014), la hiérarchie formelle semble y jouer un rôle non négligeable sans pour autant que sa mobilisation soit clairement explicitée. Il s’agit d’activités comme l’organisation d’évènements, tels que des hackathons (Garrett et al. 2017; Trupia, 2016), ou de projets exploratoires cohérents avec les valeurs portées par la communauté (Jakonen et al. 2017). Spinuzzi et al. (2018), Jakonen et al. (2017) ainsi que Garrett et al. (2017) évoquent des responsables de projet qui sont, soit les animateurs de l’open lab, soit des membres de la communauté qui s’investissent plus que d’autres dans la vie de la communauté sans avoir de positions fonctionnellement préalablement définies.

Echanger et collaborer pour exploiter : le prix et la hiérarchie formelle comme mécanismes complémentaires

Si les communautés sont adaptées à l’exploration, dans bien des cas, elles contribuent aussi à des activités orientées vers l’exploitation. Ainsi dans de nombreux open labs, associations, entrepreneurs, artisans et indépendants souvent explorent et exploitent, en parallèle ou de manière séquentielle. Gandini (2015) et Vidaillet et Bousalham (2017) soulignent que cette imbrication rend la nature des activités développées difficiles à catégoriser.

Tout d’abord, les membres vont y exploiter des outils de prototypage, des ressources physiques, comme des bureaux (Spinuzzi et al. 2018) ou encore recourir à l’expertise de mentors dans le cadre de parcours d’incubation de startups (Bouncken et al. 2017). Il s’agit finalement d’un ensemble de ressources assez standardisées, gérées par les animateurs de l’open lab, le plus souvent mutualisées, auxquelles les membres y accèdent via un mécanisme de prix.

Ensuite, de nombreux entrepreneurs, associations et indépendants y trouvent aussi des clients, sous-traitants ou partenaires (Bounchen et al. 2017; Jakonen et al 2017). Dans certains cas, ils répondent même en commun à des sollicitations extérieures provenant d’entreprises (Blein 2016). Ils organisent alors leur activité sur un modèle de quasi-firme tel que proposé par Eccles (1981). Bien qu’ils ne soient pas liés entre eux par un contrat de travail, ils organisent la prestation à réaliser en commun au sein des communautés en répartissant les tâches et en établissant le prix de cette prestation selon un mode projet. Ces collaborations impliqueraient donc le recours au prix et à la hiérarchie.

Toutefois, cette mobilisation de la hiérarchie formelle et du prix semble s’opérer sur des bases différentes dans les communautés de ce que l’on peut identifier dans une entreprise ou sur le marché. Ainsi, le mécanisme hiérarchique ne semble pas associé à une autorité managériale clairement désignée. Ensuite, la formation du prix semble différer de ce qui peut exister sur un marché. Blein (2006) constate un continuum entre les relations fondées sur don et les échanges marchands entre les membres de ces communautés, néanmoins la formation du prix se fait en dessous de la valeur réelle qui serait appliquée sur le marché.

Les mécanismes de coordination et la gestion des comportements opportunistes au sein des communautés

Selon Williamson (1975), parce que la confiance est fondée sur le calcul et l’intérêt personnel, elle reste indissociable de comportements opportunistes. Cela explique que ceux-ci constituent un enjeu central et au coeur du débat d’organisation entre la firme et le marché. Au sein des communautés, les risques de comportements opportunistes sont relégués au second plan car les sources de la confiance résiliente et réflexive ne sont pas seulement basées sur le calcul et l’intérêt (Cohendet et Diani, 2003). Les individus qui ne jouent pas le jeu des relations fondées sur cette confiance sont rapidement exclus de la communauté. Le contrôle social et la réputation semblent constituer des mécanismes d’incitation suffisamment efficaces pour réduire les comportements opportunistes (Amin et Cohendet, 2004) alors que le recours à la hiérarchie est jugé contreproductif (Blomqvist, 1997; Nooteboom, 2006; Woolthuis, 2005). En effet, le contrôle assuré par la hiérarchie formelle d’une part, et la confiance résiliente et réflexive d’autre part, renvoie à des comportements qui représentent autant de signaux différents voire opposés pour amener les individus à s’engager dans la relation (Six, 2007).

Les travaux sur les opens labs semblent confirmer la manière de gérer les comportements opportunistes. L’absence de contrôle formel constitue une revendication de ces communautés soulignant leur rupture de fonctionnement avec l’entreprise (Merkel, 2017). Le contrôle social ainsi que la réputation, sont souvent présentés comme suffisants pour limiter les comportements opportunistes. Blein (2016) souligne ainsi que les individus, qui ne jouent pas le jeu des valeurs de réciprocité, se voient très vite limités dans les échanges avec les autres résidents.

Toutefois, plusieurs auteurs suggèrent que la réputation et le contrôle social pourraient se révéler insuffisants dans les communautés dès lors que celles-ci intègrent des individus qui poursuivent une variété d’intérêts (Adler, 2001; Von Hippel et Von Krogh, 2003). On retrouve en partie cet enjeu dans les open labs. Ainsi, si au sein des hackerspaces ou de fab labs, les individus revendiquent un positionnement sur la production de biens communs, d’autres communautés, composées principalement d’entrepreneurs et d’indépendants, couvrent explicitement des activités lucratives (Vidaillet et Bousalham, 2017) ou sont hétéroclites car les individus y poursuivent, à la fois, des activités lucratives et tournées vers la production de biens communs. Gandini (2015), Bouncken et al. (2017) et Cooney et al. (2008) soulignent que dans ce contexte, la variété des objectifs peut conduire à l’émergence de situations de coopétition, voire de holdups, limitant de fait les échanges fondés sur les valeurs de don et réciprocité.

Nooteboom (2006) et Von Hippel et Von Krogh (2003) soulignent qu’une autorité managériale pourrait alors être nécessaire pour pallier les comportements opportunistes lorsque les intérêts individuels sont trop variés dans une communauté. Toutefois, ils n’en précisent pas les modalités. Adler (2001) va dans le même sens tout en soulignant que mobiliser la hiérarchie formelle au sein d’une communauté est délicat. La hiérarchie ne peut être perçue comme légitime par la communauté que si elle est considérée comme cohérente avec ses valeurs. Elle se confond alors souvent avec la figure de leader (Lee et Edmondson, 2017). Toutefois, les conditions réelles de la mobilisation de la hiérarchie au sein de communautés pour réduire les risques de comportements opportunistes restent non analysées.

Ainsi l’étude des mécanismes de coordination au sein des communautés aboutit à un cadre d’analyse qui propose que la hiérarchie et le prix sont mobilisés de manière complémentaire à la confiance résiliente et réflexive. Cette mobilisation semble opérer selon des logiques différentes pour échanger et collaborer et ceci en fonction des logiques d’exploration et d’exploitation mais leur fondement reste encore peu étudié par la littérature. L’objectif de l’étude de cas est d’approfondir l’analyse de ces mécanismes de coordination.

Méthodologie

La méthodologie est basée sur une étude multi-cas (Yin, 2009) fondée sur l’abduction. Il s’agit d’un processus itératif d’enrichissement de la théorie à partir des données issues du terrain (Strauss et Corbin, 1990; Thomas, 2010). Cette étude permet d’étudier la pertinence du cadre conceptuel proposé et de l’enrichir. Nous avons retenu une perspective fondée sur les microfondations (Versailles et Foss, 2019) : les motivations individuelles comme les dynamiques organisationnelles et collectives ont été prises en compte.

Critères de sélection et présentation des cas étudiés

L’étude porte sur 12 open labs créés entre 2012 et 2016. Situés en Ile-de-France, ils ont des statuts différents et couvrent des thématiques variées. Animés par une petite équipe de permanents, ces lieux offrent une variété de services d’incubation, de coworking, et/ou de makerspaces ou hackerspaces (voir tableau 1). Le tableau présente aussi la taille des communautés et la date de création des lieux.

Tableau 1

Présentation des open labs et des entretiens réalisés par cas

Présentation des open labs et des entretiens réalisés par cas

†† Le statut de l’open lab est celui adopté au moment de la collecte et analyse de données

ETP : employé à temps plein

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Ces open labs ont été sélectionnés sur deux critères. Tout d’abord en fonction de la présence d’une communauté affichée comme stratégique. Ensuite, en fonction de la place des collaborations entre les membres, de l’exploration et l’exploitation, et de l’orientation vers des activités lucratives (cf. tableau 2). Les open labs orientés vers des activités lucratives sont composés de créateurs d’entreprise, des indépendants ou de très petites entreprises.

Collecte et analyse des données

Au total, nous avons réalisé 44 entretiens en 2016. 17 personnes interviewées étaient des animateurs des open labs, tandis que 27 étaient des résidents (cf. voire tableau 1). Chaque entretien a duré entre 50 minutes et 1h30. Des entretiens ont d’abord été menés avec les animateurs pour comprendre le mode de fonctionnement et les activités d’innovation menées au sein de ces open labs, les pratiques de travail collaboratif, l’interaction et les échanges entre les membres des espaces étudiés et enfin, le rôle de l’animateur dans la gestion des échanges et des collaborations. Les entretiens avec les résidents ont visé à comprendre leur motivation personnelle à échanger et collaborer, pour comprendre les sources de confiance. Ces entretiens ont permis de comprendre aussi la place de l’entraide, ainsi que le recours à des échanges fondés sur le don et le prix. Des questions ont aussi concerné leur perception des conflits et tensions éventuelles au sein de la communauté, la manière d’élaborer des règles, de contrôler ou de piloter des projets collaboratifs ainsi que leur compréhension du rôle de l’animateur à la fois dans les échanges, les collaborations et la gestion des conflits.

Selon les cas les entretiens étaient semi-directifs ou ont permis du storytelling. Autant que possible, nous avons cherché à faire raconter comment animateurs et résidents échangeaient et collaboraient au quotidien dans le lieu et comment l’entraide, le don, le prix et la hiérarchie intervenaient dans les relations qu’ils développaient au sein des open labs. Tous les entretiens ont été enregistrés, retranscrits, et codés en tenant compte des principaux mécanismes de coordination issus de la revue de la littérature. L’ensemble des concepts présentés dans la section sur le cadrage conceptuel ont ainsi été codés et sont présentés dans le tableau 3. Chaque auteur a codé indépendamment les données puis ensuite par itérations les auteurs sont parvenus à une convergence de 95 %. L’analyse de cas n’a pas permis de faire émerger de nouveaux concepts, mais elle a permis de proposer de nouveaux liens logiques entre les concepts proposés, qui sont synthétisés dans les figures 1 et 2 de la discussion.

Nous avons aussi visité ces open labs et participé à quelques évènements organisés par ces lieux. Ces observations ont enrichi nos analyses en nous aidant à mieux caractériser les motivations à échanger et les mécanismes de coordination mobilisés. Enfin, nous avons procédé à deux séminaires de restitutions intermédiaires et finaux des résultats devant les membres des open labs étudiés, pour mieux préciser des dimensions clés de l’activité des communautés et identifier les points communs et les différences sur la manière de se coordonner.

L’analyse a d’abord été réalisée individuellement par les chercheurs. Dans un second temps, ceux-ci ont confronté leurs résultats et les comparaisons. Nous avons retenu une approche multi-cas et non une comparaison systématique. Yin (2009) considère une telle approche est possible lorsqu’il ne s’agit pas d’analyser tous les points de similitudes et de différences entre les cas étudiés mais de focaliser l’analyse sur un aspect donné. Dans notre étude, nous n’avons pas cherché à comparer de manière systématique les différences de thématiques, de statuts et de modèles économiques des open labs, ni les relations entretenues par ces open labs avec des entreprises extérieures à la communauté. Sur tous ces points, les open labs sont caractérisés par des différences importantes. Dans cette recherche, nous n’avons retenu que les éléments qui permettaient d’expliquer les différences et points communs entre les mécanismes de coordination mobilisés au sein des open labs.

Résultats de l’analyse des cas

Cette section présente la place de la confiance résiliente et réflexive au sein des cas étudiés, la manière dont ces communautés mobilisent d’autres mécanismes de coordination, et enfin la gestion des comportements opportunistes. L’analyse conduit à distinguer les open labs en fonction de leur orientation vers des activités lucratives.

La confiance résiliente et réflexive comme moteur des échanges et des collaborations

Quel que soit les open labs, les échanges sont nombreux : autour d’un café, à la demande d’un résident pour résoudre un problème, ou au cours d’évènements organisés au sein du lieu. Ils permettent d’accélérer les projets caractérisés par de fortes incertitudes et d’éviter l’isolement des individus, notamment les entrepreneurs et les indépendants. Ils permettent aussi d’obtenir rapidement un avis d’experts, un retour d’expériences, des contacts pour trouver des prestataires ou encore pour comprendre comment utiliser les outils de prototypages en toute sécurité. Ils sont parfois structurés par les membres de la communauté eux-mêmes.

Il y a les événements qui sont organisés [à la Ruche] à l’initiative des coworkers... pour proposer des sortes de toolbox comme par exemple sur l’analyse financière.... N’importe quel coworker peut les proposer gratuitement. C’est une manière de s’entraider …. En fait, ce sont des mini-informations d’une heure ou deux pour donner des clés sur un sujet particulier. C’est un vrai plus.

Entrepreneur incubé 1 à la Ruche

Tableau 2

Les cas étudiés en fonction de leurs caractéristiques clés : place des collaborations, orientation des activités vers l’exploration et l’exploitation, place des activités lucratives

Les cas étudiés en fonction de leurs caractéristiques clés : place des collaborations, orientation des activités vers l’exploration et l’exploitation, place des activités lucratives

Légende : * : occasionnel, ** : fréquent, *** : central dans l’activité de l’open lab

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Tableau 3

Codages utilisés pour l’analyse de données

Codages utilisés pour l’analyse de données

Tableau 3 (suite)

Codages utilisés pour l’analyse de données

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La confiance occupe une place centrale pour expliquer l’engagement des individus tant dans les échanges que les collaborations. Elle repose sur les valeurs de la bienveillance, l’entraide et la réciprocité ainsi que sur la fiabilité et les compétences des individus. Elle n’exclut pas le recours au calcul et à l’intérêt personnel. Les sources sont donc multiples renvoyant donc aux caractéristiques de la confiance résiliente et réflexive.

On se sent en sécurité, c’est bienveillant... ce qu’on cherche à développer c’est qu’il y ait de l’entraide, qu’il n’y ait pas de notion prédatrice. …

Entrepreneur 1, à DV

Je suis ici pour accélérer mon business …. Mais le plus important ici pour moi c’est que l’on formalise du don contre don…. Il y a vraiment une vision du monde et si on ne la partage pas, il y a quelque chose qui n’ira pas.

Entrepreneur 2 du LLL

Les gens qui ont créé le hold-up[1]auront envie de participer aux hold-ups de ceux qui y sont venus. Le jour où j’en crée un, je pourrais plus facilement solliciter les autres si j’ai joué le jeu »

Entrepreneur incubé 2 du MS

Cependant l’intensité des échanges et les collaborations ne sont pas homogènes entre tous les résidents. Elle augmente au fur et à mesure que les relations interpersonnelles et la familiarité s’instaurent, et en fonction des motivations individuelles.

C’est un lieu partagé…. Certains sont devenus plus que des collègues…On n’est pas tous copains, on ne se connait pas tous, on n’a pas d’obligations …

Entrepreneur ICI

Cela permet d’avoir des liens d’amitié avec certains d’entre d’eux [dans la communauté], c’est plus facile ensuite de répondre aux sollicitations.

Entrepreneur 3 la Paillasse

Pour autant, le prix et la hiérarchie formelle sont aussi mobilisés pour échanger comme pour collaborer, et ceci pour les activités d’exploration et d’exploitation. La combinaison de ces mécanismes varie selon que les communautés sont tournées vers des activités lucratives ou non.

La combinaison des mécanismes de coordination pour échanger dans le cadre de l’exploration et l’exploitation

Le prix et la confiance comme mécanismes centraux de coordination pour les communautés orientées vers des activités lucratives

Le premier constat est que la mobilisation du prix varie en fonction de la place des activités lucratives au sein des open labs (cf. voir tableau 2). Lorsque les activités lucratives sont absentes, les échanges au sein des communautés se fondent principalement sur la confiance résiliente et réflexive que ce soit pour l’exploration ou l’exploitation. Ainsi si Electrolab et la Paillasse hébergent quelques entrepreneurs, la motivation première est de faire autrement de la science et de la technologie tout en promouvant les valeurs des hackers. Les échanges reposent principalement sur une logique de don et de réciprocité à l’exception de l’exploitation des ressources mutualisées comme les outils de prototypages qui requièrent le recours à un prix monétaire. Toutefois, les individus préfèrent souvent utilisés le terme de « contribution » ou de « cotisation » que celui de prix pour évoquer l’accès à ces ressources.

Dans les cas où les activités lucratives occupent une place centrale, soit pour tous leurs membres comme par exemple pour DV et WCL ou RL, soit pour une partie des membres comme LLL, la Ruche et ICI, le recours au prix est modifié à deux niveaux.

Tout d’abord, l’accès aux ressources mutualisées est perçu comme un service payant qui se décline parfois en une gamme de services avec des prix différents[2]. Les individus se définissent comme les clients de l’open lab, alors que sur d’autres aspects de la vie de l’open lab, ils se voient comme les membres d’une communauté qui partagent les mêmes valeurs.

Ensuite, dans ces open labs, les individus entretiennent à la fois des échanges basés sur le don et sur le prix sans que cela n’altère la confiance au sein de la communauté, et ceci tant pour explorer que pour exploiter. Tous les membres sont à l’affut de nouvelles opportunités business. Cela peut conduire à trouver des sous-traitants ou des clients dans l’open lab. Ce type de relations peut se développer entre les membres de la communauté ainsi qu’avec les animateurs. Lorsque ces derniers organisent des activités de conseil ou des évènements pour des grandes entreprises, ils mobilisent parfois des membres de la communauté. Lorsque la contribution de ces derniers est significative, elle est rémunérée. C’est le cas de the Tank, LLL, ICI et Numa par exemple. Ces échanges reposent sur une coordination par le prix, soit monétaire soit basé sur du troc. Dès lors qu’il y a une perspective directe d’application sur un marché, le prix monétaire s’applique. Mais lorsqu’il s’agit de projets éloignés du marché, les individus recourent alors souvent au troc.

Dès lors, au sein des open labs orientés vers des activités lucratives, les individus peuvent être engagés simultanément dans une variété de projets d’exploration et d’exploitation impliquant à la fois une coordination par le prix et la confiance résiliente et réflexive. Deux logiques ont été identifiées pour arbitrer entre le don et le prix. Soit les membres de la communauté s’engagent sans contrepartie pour aider un individu par affinité ou parce que son projet repose sur des valeurs fortes auxquelles ils s’identifient et ceci quel que soit le temps consacré au projet. Soit, si le temps consacré est jugé trop important (dépassant quelques heures), alors les individus recourent au prix, le plus souvent fondé sur le troc (comme par exemple un échange de service fondé sur l’expertise de chacun).

Il y a un moment aussi il faut quand même rester réaliste. On est quand même dans un modèle où on est là pour travailler, pour du travail rémunéré aussi. Donc moi, si je dois dédier deux heures pour aller les aider à faire de la prod, il n’y a pas de problème mais c’est vrai qu’on prend pas une semaine.

Entrepreneur 3 de DV

Focus 1 - Les échanges fondés sur le don et le prix (monétaire et troc) au sein d’ICI et MS

Eric est graphiste et travaille dans le coworking space d’ICI. Il est souvent sous-traitant de Natacha, responsable d’une micro-entreprise en communication et aussi installée au sein du lieu. Eric met gratuitement ses compétences de graphistes au service d’une petite troupe de théâtre qui intervient pour les enfants malades. Il en parle à Natacha qui, séduite par le projet, décide d’y contribuer aussi bénévolement en organisant la communication du projet. Par ailleurs, Natacha assure aussi la communication d’autres projets de résidents mais la plupart du temps, elle négocie son intervention par un échange de service. La contrepartie peut être, par exemple, de l’aider à tester de nouvelles applications web. Enfin à la demande de Nicolas, fondateur d’ICI, Natacha assure la communication d’ICI (presse et visites entreprises) et en échange elle peut s’installer dans le coworking sans payer.

L’aventure entrepreneuriale est difficile pour Alain, un jeune incubé au sein de MS. Par moment découragé, il trouve du réconfort auprès des autres entrepreneurs qu’ils côtoient tous les jours dans l’open lab, et qui l’aident à relativiser les difficultés. Leurs échanges lui permettent aussi de bénéficier de contacts pertinents pour rencontrer des investisseurs, ou encore d’obtenir de l’aide de Jean, un autre entrepreneur, pour monter un dossier de demande de financement public. Celui-ci va y consacrer bénévolement une demi-journée, permettant à Alain d’éviter des erreurs et de gagner du temps. Jean l’a aidé car il s’est lié d’amitié avec Alain. Parce qu’il connait bien ce type de montage financier, il aide parfois sur 2 jours d’autres membres de la communauté à monter leur projet de financement. Il négocie alors son implication par un échange de service (comme par exemple, de l’aide technique sur du prototypage).

La hiérarchie formelle comme mécanisme complémentaire à la confiance résiliente et réflexive et au prix pour amplifier les échanges

Les open labs fonctionnent en apparence en l’absence de hiérarchie formelle. Les individus ne rendent pas compte à un manager qui contrôle la réalisation de leurs projets.

…Il n’y a pas cette pression que peut mettre un manager… c’est principalement ça, l’absence de hiérarchie. … on peut dire que les autres ce sont des collègues sans hiérarchie.

Entrepreneur 1 DV

Pourtant une coordination par la hiérarchie existe dans toutes les communautés étudiées, et repose en grande partie sur l’équipe d’animation de l’open lab. Si cette dernière est considérée comme un membre à part entière de la communauté, elle a en même temps toujours une responsabilité formelle[3] qui va l’amener à organiser l’espace et au besoin à émettre des règles comme par exemple sur l’utilisation et la sécurité des outils de prototypages. Au sein de DV, un seul animateur existe et est appelé le « maire du village », dans d’autres lieux, les membres de la communauté vont utiliser le terme de « notre animateur » ou encore « notre chef d’orchestre ». Ce titre illustre son rôle en tant qu’autorité pour gérer l’espace et promouvoir les activités collectives comme les évènements.

Ils [les entrepreneurs] sont là tous les mercredis matin … c’est moi qui les oblige à être là; après ils peuvent venir quand ils le veulent.

Animatrice 1 Creatis

Ce n’est pas non plus l’anarchie, il y a un responsable qui s’occupe de la sécurité en laboratoire, de l’ensemble des règles à suivre, de la gestion des déchets, vraiment il y a une gérance du laboratoire....

Etudiant entrepreneur 2 de la Paillasse

Les animateurs cherchent à démultiplier les échanges au sein des communautés, tant pour explorer qu’exploiter des solutions, sans pour autant remplacer les initiatives personnelles.

Ce sont eux [les animateurs] qui créent de la fluidité, des connexions dans le lieu

Entrepreneur 1 du LLL

Ils occupent une place clé pour éviter que les entrepreneurs se renferment sur leurs projets.

Entrepreneur 2 WCL

Dans les communautés orientées vers les activités lucratives, les animateurs contribuent parfois à amplifier ou à codifier le passage des échanges fondés sur le don à celui basé sur le prix. L’animatrice de Creatis a défini les prix pour héberger les professions libérales (comme les avocats) dans le coworking, en fonction de leur acceptation à échanger le temps d’un café ou d’un déjeuner chaque semaine avec des entrepreneurs de Creatis. L’animateur de DV a défini les règles pour que les startups installées accèdent à l’expertise de la communauté. Les entrepreneurs peuvent demander des conseils aux indépendants du web pour leur projet sur la base d’échanges fondés sur le don. Toutefois, dès que les échanges impliquent une contribution de plusieurs semaines, la contrepartie du travail fourni par l’indépendant est soit un prix monétaire, soit une participation au capital de la startup.

La combinaison des mécanismes de coordination pour collaborer dans le cadre de l’exploration et l’exploitation

Confiance et hiérarchie : deux mécanismes clés pour développer des collaborations

La participation à des projets communs tournés vers l’exploration ou l’exploitation est toujours volontaire fondée sur la confiance résiliente et réflexive. Toutefois, les motivations peuvent varier. Dans les communautés non lucratives, cette participation repose sur la volonté de contribuer à des projets qui véhiculent des valeurs importantes pour les résidents. C’est le cas du projet Epidemium porté par la Paillasse (et lancé par son équipe d’animation) et l’entreprise pharmaceutique Roche, pour explorer de nouvelles solutions sur le cancer du sein[4]. Dans les communautés orientées vers des activités lucratives, la participation à un projet collaboratif dépend aussi de l’intérêt du projet mais d’autres aspects entrent en ligne de compte, comme la disponibilité des personnes et les motivations d’ordre commercial. C’est le cas au sein de DV ou ICI où les indépendants répondent souvent en commun à des sollicitations externes.

Quels que soient les cas, la fonction de manageur de projet est toujours bien présente et visible. La coordination par la hiérarchie permet ainsi d’opérationnaliser la collaboration, et ceci dans les communautés orientées vers des activités lucratives ou non. Le responsable de projet s’assure aussi de l’adhésion des membres dans la durée. Il n’est pas forcément un des animateurs de l’open lab. Souvent il s’agit d’un membre de la communauté porté par une forte motivation et expérience professionnelle. Lorsque les individus s’engagent dans un projet commun, leur affinité avec le chef de projet est un élément sinon déterminant du moins important dans leur décision de collaborer. Le chef de projet doit donc être reconnu comme légitime par les personnes qui s’engagent volontairement dans les projets. Ces relations hiérarchiques sont temporaires puisqu’elles ne durent que le temps des projets. Ce mode de fonctionnement permet de clarifier très vite les raisons de la participation des individus aux projets, ce qui limite les risques de tensions et conflits potentiels.

Parfois, le recours au mécanisme hiérarchique permet de compléter les expertises qui pourraient manquer pour réaliser un projet. Par exemple, les animateurs de DV ou la Paillasse interviennent en instituant une initiative permettant de sélectionner les nouveaux membres de la communauté. Cela permet par la suite de s’assurer que la communauté couvrira toutes les compétences nécessaires pour mener des projets collaboratifs. Ainsi, la Paillasse a mis en place un programme annuel d’open résidence. Les individus qui ont un projet dans les biotechnologies peuvent demander à avoir accès gratuitement à l’espace de travail et les laboratoires de la Paillasse en contrepartie de leur implication plusieurs jours par mois aux projets collaboratifs de l’open lab. L’animateur retient en priorité des individus qui possèdent des compétences non encore disponibles au sein de la communauté.

Le prix comme mécanisme complémentaire à la confiance et la hiérarchie pour organiser les collaborations dans les communautés orientées vers des activités lucratives

Au sein des communautés orientées vers des activités lucratives, certaines collaborations impliquent aussi le recours au prix, en particulier pour les projets qui répondent à une demande externe. Ces demandes sont « intermédiées » soit par les animateurs des open labs et sont réalisées au titre de l’open lab, soit directement par les résidents dans le cadre de leurs activités business. Pour ce type de projet, l’ajustement du niveau de contribution des participants se définit en fonction des possibilités de faire facturer leur contribution. Ainsi, les artisans d’ICI développent de nombreux projets en commun pour répondre à des sollicitations extérieures, à partir d’une demande gérée directement par des résidents. Si la participation est volontaire et fait intervenir souvent les motivations liées à l’intérêt pour le projet et aussi la confiance personnelle pour les personnes qui proposent la collaboration, le niveau d’implication est ajusté en fonction de la définition du prix relatif à la prestation à réaliser. Il s’agit le plus souvent d’un prix monétaire.

La logique est similaire au sein de DV ou du LLL, au sein desquels de nombreux projets sont intermédiés par l’animateur. Celui-ci constitue alors un apporteur d’affaire qui assure la contractualisation finale avec l’entreprise. Les résidents participent sur les mêmes critères que sur les projets apportés par les résidents : selon l’intérêt pour le projet, la tarification proposée, leur disponibilité pour participer et la confiance dans le chef de projet identifié.

La gestion des comportements opportunistes : un phénomène rare

Les comportements de free-riders sont assez rares. En effet, ceux qui ne jouent pas le jeu de la bienveillance et de la réciprocité, sont exclus des dynamiques d’échanges et de collaborations au sein de la communauté, et ceci quelle que soit l’orientation des activités (lucratives ou non) de l’open lab. Le contrôle social et la réputation permettent de limiter ce type comportement. L’équipe d’animation de l’open lab joue aussi un rôle. Elle est consciente de l’importance du partage de ces valeurs pour éviter tout comportement de free-rider. C’est pourquoi elle les promeut au sein de la communauté. Par exemple au sein de MS, l’équipe d’animation instaure des événements festifs qui visent à l’échange de cadeaux entre les membres qui ne se connaissent pas pour mieux incarner les valeurs de don et de réciprocité.

Toutefois, bien que les comportements opportunistes restent rares, les animateurs peuvent intervenir dans des situations tendues et utiliser leur fonction de gestionnaire du lieu. Ainsi au sein d’ICI, l’utilisation des machines au sein du makerspace obéit à des règles de sécurité strictes, et aussi à des règles de disponibilité prioritaire pour les artisans qui y travaillent tous les jours par rapport aux résidents qui viennent quelques jours par semaine et souvent pour assouvir une passion. Cependant, les règles ne sont pas toujours respectées par les non professionnels expliquant l’intervention de l’animateur de l’open lab, qui statue en dernier recours face à un conflit. Ce rôle de l’animateur, qui peut contraindre les membres de la communauté, est décrit par les résidents à travers les qualificatifs de « boss » ou de « patron ».

Il faut intégrer les codes en arrivant [dans la communauté] Cela implique de laisser les machines en l’état… de bien gérer le temps sur une machine si on voit d’autres personnes qui en ont besoin…. Quand certains ne jouent vraiment pas le jeu …. On leur parle…. Quand cela ne suffit pas, on en parle au « boss » [le fondateur d’ICI] pour qu’il clarifie les règles

Artisan à d’ICI

Le tableau 4 propose une synthèse des mécanismes de coordination identifiés au sein des open labs étudiées et des spécificités en fonction de l’orientation des communautés vers des activités lucratives ou non.

Tableau 4

Synthèse des résultats

Synthèse des résultats

En italique les points de différences dans la mobilisation des modes de coordination entre les communautés étudiées au sein des open labs orientés vers la production de bien commun et ceux orientés vers des activités lucratives

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Discussion

Cette recherche montre que si la confiance résiliente et réflexive constitue bien le mécanisme central au sein des communautés, elle n’exclut pas le prix et la hiérarchie formelle. Leur combinaison s’opère sur des bases différentes de ce qui existe sein de la firme et du marché.

Toutes les communautés étudiées intègrent les logiques de makers et/ou d’entrepreneuriat : les individus cherchent à explorer de nouvelles solutions et à les exploiter très vite. Ainsi, il existe un continuum entre l’exploration et l’exploitation pour lequel la confiance résiliente et réflexive constitue le moteur des échanges et des collaborations. Cette étude de cas montre que c’est sans doute la nature de l’exploitation réalisée qui doit être prise en compte. En effet, les projets d’exploitation au sein des communautés ne visent pas l’industrialisation à grande échelle de solutions proposées comme c’est le cas pour les firmes établies. Lorsque les entrepreneurs s’inscrivent dans une telle perspective, ils partent de l’open lab pour développer leurs activités selon une dynamique facilitant la rationalisation des connaissances. Donc, au sein des communautés, il ne s’agit pas d’exploiter des solutions standardisées à grande échelle. Ceci explique pourquoi la distinction entre exploration et exploitation dans les communautés n’est pas aussi centrale pour comprendre la combinaison des modes de coordination qu’elle ne l’est dans les entreprises.

Cette recherche montre que pour comprendre la mobilisation des mécanismes de coordination, la distinction importante est relative à la finalité des communautés étudiées. Cette catégorisation permet de montrer une mobilisation originale du prix au sein des communautés orientées vers des activités lucratives, et ceci sans exclure les relations de confiance résiliente et réflexive. Ensuite, cette recherche permet de comprendre le rôle joué par la hiérarchie formelle comme mécanisme complémentaire dans tous les types de communautés et ceci à deux niveaux : tout d’abord pour échanger et collaborer et, ensuite, pour gérer en dernier ressort les comportements opportunistes.

L’originalité des mécanismes de coordination au sein des organisations fondées sur des communautés : la combinaison prix/ confiance

Cette recherche permet de distinguer la combinaison des mécanismes de coordination à partir de la finalité poursuivie au sein des communautés. Dans celles orientées vers des activités lucratives, la coordination par le prix joue un rôle fondamental au même titre que la confiance résiliente et réflexive. Comme le suggère Blein (2006), il existe alors un continuum entre les échanges fondés sur le don et le prix. Tandis que dans celles uniquement orientées vers la production de biens communs, la confiance résiliente et réflexive reste le mécanisme principal. Cette distinction se retrouve même dans les termes utilisés par les résidents pour caractériser les échanges fondés sur le prix : dans les communautés orientées vers la production de biens communs (uniquement avec les animateurs, d’ailleurs, et pour utiliser des ressources mutualisées), les individus vont parler de « cotisations »; dans celles orientées vers des activités lucratives, le recours au « prix » est quotidien, sans altérer le recours au don.

Contrairement à ce qu’évoque Six (2007) et Nooteboom (2006), cette recherche montre que les individus passent facilement d’une relation fondée sur la confiance résiliente et réflexive au prix, et ces modalités sont bien internalisées par les individus.

Premièrement, la coordination par le prix permet de gérer les relations entre les membres pour répondre directement à une demande sur le marché, comme la littérature l’a montré (Bouncken et al. 2017). C’est une situation rencontrée en particulier au sein d’ICI, de DV et dans une moindre mesure, au sein de la Ruche, WCL, LLL ou encore Numa. Toutefois, cette recherche n’a pas permis d’identifier que la formation d’un prix entre les résidents était en dessous du prix du marché comme le souligne Blein (2006). En revanche, l’engagement dans ce type de relation est facilité par la confiance entretenue au sein du lieu. Cela se traduit par une contractualisation reposant sur un simple devis. Lorsque les résidents répondent en commun à une demande externe, on constate la mise en place d’une quasi-firme, selon des modalités flexibles.

Deuxièmement, au sein des communautés orientées vers des activités lucratives, la coordination par le prix est aussi mobilisée pour gérer les relations d’entraide au sein de la communauté. En fait, les individus passent facilement d’un mode d’échange fondé sur le don à celui fondé sur le prix pour accéder à des ressources disponibles au sein de la communauté, en particulier à l’expertise de ses membres. Ce mode d’échanges peut s’opérer autant pour mener des projets d’exploration que d’exploitation. Il a été possible d’identifier la manière dont les individus opèrent leur choix. Les membres de ces communautés font le choix d’une coordination par le prix (monétaire ou le plus souvent sur la base de troc), lorsque le temps consenti à l’échange ou à la collaboration dépasse ce que l’individu considère comme représentant la réciprocité et le don dû à la communauté. Ainsi le temps consacré à la relation, au même titre que l’exploitation directe sur le marché, constituent deux critères clés dans le choix du recours au prix ou au don. Les individus arbitrent entre le temps utile consacré à leurs activités professionnelles et l’activité bénévole qui va avec la participation à la communauté.

Cette fluidité des relations est rendue possible par la production d’une confiance résiliente et réflexive, facilitée par une relation de proximité. Confirmant les approches d’Adler (2001), cette confiance permet d’identifier un dedans et un dehors à la communauté, reposant sur un partage de valeurs entre des individus qui interagissent au quotidien dans le lieu physique de l’open lab. Dans cette perspective, à la fois le partage des valeurs et les interactions répétées et localisées facilitent ce sentiment d’appartenance. Lorsque les individus partent de l’open lab, ils ont souvent le sentiment de perdre l’essence même de la communauté. Cette étude permet de montrer qu’il existe aussi un dedans et un dehors à la communauté concernant la manière de se coordonner par le prix. Les logiques sont différentes concernant la manière de mobiliser une coordination par le prix entre les résidents et avec les acteurs extérieurs.

Une hiérarchie formelle peu visible et pourtant bien présente

La plupart des résidents au sein des open labs précisent qu’ils ont des collègues mais pas de supérieur hiérarchique qui contrôle leurs activités. Pourtant l’exercice de la hiérarchie existe, mais il apparait bien différent de celui rencontré au sein des entreprises. Comme le soulignent Lee et Edmondson (2017), les organisations organiques comme les communautés sont le terrain propice à de nouvelles fonctions hiérarchiques qui s’affranchissent de leur rôle traditionnel.

Les formes de hiérarchie pour renforcer les collaborations et les échanges

Comme le suggère Adler (2001) et Niekerson et Zenger (2004), la hiérarchie formelle peut renforcer les collaborations fondées sur la confiance résiliente et réflexive. En fait, ce rôle est très prégnant au sein de tous les open labs étudiés. Cette recherche permet d’aller plus loin en précisant deux formes de hiérarchie formelle.

Tout d’abord, la hiérarchie se manifeste à travers le rôle des animateurs des open labs. Recrutés et donc désignés par l’association ou la société privée qui gère l’open lab, ils sont souvent qualifiés de chefs d’orchestre. Ils représentent une autorité managériale permanente, jugée essentielle pour faciliter l’utilisation des ressources mutualisées, la redondance et l’accessibilité des connaissances au sein de la communauté. Cette autorité managériale peut même définir les modalités pour organiser l’espace de travail et certains moments de rencontres (cas de Creatis) ou encore pour sélectionner les profils d’individus qui vont entrer dans la communauté afin de renforcer les expertises pour développer les projets collaboratifs (cas de la Paillasse). Ce rôle est le même pour les activités d’exploration et d’exploitation. On constate en revanche des spécificités entre les communautés orientées vers des activités lucratives et les autres. Pour les premières, ils interviennent parfois pour codifier et instaurer les règles qui formalisent le passage entre les échanges fondés sur le don et le prix (cas de Creatis et DV). Les animateurs facilitent ainsi l’existence d’un continuum de relation entre don et prix.

Ensuite, la hiérarchie peut être représentée par les membres des communautés à travers la gestion de projets. Comme identifiés par la littérature, les responsables de projets collectifs contribuent à proposer une architecture aidant les individus à répartir et organiser les activités. Comme au sein de certaines entreprises caractérisées par un management aplati, cette hiérarchie est principalement temporaire (le temps du projet). Cette recherche permet de mieux comprendre les modes de désignation des responsables de projets qui, eux, sont très différents de ceux des entreprises. La fonction de chef de projet ne devient effective que si celui qui souhaite l’endosser est reconnu par la communauté, c’est-à-dire, qu’elle opère seulement si les individus s’engagent à reconnaitre cette fonction : ceci constitue un critère pour s’engager dans une collaboration. Ainsi, elle n’est pas désignée par une structure. Le responsable de projet doit être reconnu et accepté comme tel, dès le départ, par tous les participants à la collaboration, réduisant de fait les situations de conflits par la suite.

La hiérarchie comme dernier ressort pour gérer les comportements opportunistes

L’intuition de Von Hippel et Von Krogh (2003) se révèle exacte. La hiérarchie formelle peut être un moyen de réduire l’émergence de comportements opportunistes lorsqu’il existe une variété d’intérêts. Cette situation n’a été rencontrée que rarement, et seulement pour des communautés orientées vers des activités lucratives où les intérêts parfois se relèvent contradictoires. Dans ce cas de figure, les animateurs se présentent comme une autorité de dernier recours face à des comportements que la communauté ne sait pas gérée par elle-même. Les animateurs peuvent alors introduire des règles qui contraignent les individus. Il est intéressant de noter que les membres de la communauté utilisent alors le terme de « boss » ou de « chef » pour préciser qu’il recourt à l’animateur dans sa fonction managériale qui contrôle voire sanctionne sans que cela apparaisse en contradiction avec la production de la confiance résiliente et réflexive. Toutefois, ces situations sont rares, suggérant que dans la plupart des cas, le contrôle social opéré par la communauté est suffisant. Le risque pour les individus d’être exclu de la communauté, et donc de ne plus accéder à ses ressources matérielles et immatérielles, suffit le plus souvent à les dissuader d’adopter des comportements opportunistes. Ainsi comme le soulignent Cohendet et Diani (2003), dans les communautés le risque de tels comportements passe au deuxième plan alors qu’il s’agit d’une préoccupation centrale au sein des firmes ou sur le marché.

Les deux graphiques suivants synthétisent les résultats obtenus sur les mécanismes de coordination au sein des communautés et leurs spécificités en fonction qu’elles soient orientées vers des activités non lucratives (figure 1) et des activités lucratives (figure 2).

Figure 1

Les modes de coordination dans les communautés orientées vers des activités non lucratives

Les modes de coordination dans les communautés orientées vers des activités non lucratives

Confiance R&R : confiance résiliente et réflexive

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Figure 2

Les modes de coordination dans les communautés orientées vers des activités lucratives

Les modes de coordination dans les communautés orientées vers des activités lucratives

Confiance R&R : confiance résiliente et réflexive

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Conclusion

Cette recherche a montré comment les individus se coordonnaient dans les organisations fondées sur des communautés, sujet jusqu’ici peu abordé par la littérature académique. Elle contribue à mieux comprendre le rôle central de la confiance résiliente et réflexive, sans pour autant exclure d’autres formes de coordination entre les individus. Ces mécanismes de coordination sont mobilisés dans des logiques très différentes de ce qui existe au sein de la firme ou sur le marché. Ce travail de recherche, fondé sur l’abduction, ne conduit pas à une généralisation des résultats obtenus, mais permet de poser les bases d’un raisonnement sur la complémentarité de ces mécanismes dans le cadre d’organisations fondées sur les communautés.

Cette recherche permet aussi de mieux comprendre le mode de fonctionnement des open labs. L’enjeu est d’autant plus important que ces open labs constituent des dispositifs clés pour la créativité sur les territoires (Bathelt et Cohendet, 2014). Il s’agit de lieux de production de confiance résiliente et réflexive quelle que soit l’orientation de leurs activités (activités lucratives versus bien commun). On constate qu’au-delà de la variété de leurs activités, de la taille des communautés, et de la date de création de ces lieux, les dynamiques qui concernent les modes de coordination sont similaires. Les principales distinctions entre les open labs portent sur leur finalité : orientation vers des activités lucratives ou non.

Toutefois, nous avons identifié plusieurs limites à cette recherche pouvant ouvrir de nouvelles perspectives d’analyse. Tout d’abord, cette recherche analyse les mécanismes de coordination à un instant T. Il pourrait ainsi être intéressant d’étudier leur évolution au sein des open labs qui restent des organisations dont les statuts sont changeants.

Ensuite, cette recherche ne traite pas des relations de ces communautés avec leur environnement. Indirectement, elle souligne que des relations avec des acteurs extérieurs existent et reposent sur des combinaisons hiérarchie, confiance, prix de nature différente que celles existant dans la communauté. Ces relations externes sont, soit entretenues directement et à l’initiative des membres des communautés, soit « intermédiées » par les animateurs de ces open labs. Parce que les sources de confiance sont différentes en interne et en externe aux communautés, on peut supposer que la combinaison des mécanismes de coordination reposera aussi sur des logiques différentes. Dans cette perspective le modèle économique de l’open lab pourrait aussi influencer le mode de gouvernance des relations avec les acteurs extérieurs.

Enfin, cette recherche propose de mieux comprendre les mécanismes de coordination des communautés « modernes » proposées par Adler (2001) et Amin et Cohendet (2004) à partir de l’analyse d’interaction localisées, donc associées à une proximité géographique. Il serait intéressant d’analyser les mécanismes de coordination dans d’autres configurations comme des communautés virtuelles.