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Introduction

Les partenariats internationaux sont devenus une forme croissante d’internationalisation des entreprises. De nombreuses firmes multinationales y ont recours sous forme de joint-venture (entreprise mixte), de fusion et acquisition, d’alliance ou de partenariat sans investissement. Dans une revue de la littérature concernant la performance des partenariats internationaux, Jeppe Christoffersen relève l’impact négatif des conflits interpersonnels (2013). Les conflits relationnels sont notamment liés au manque de confiance. En effet, même lorsque les partenaires d’une fusion viennent du même pays, la confiance est un élément essentiel de succès (Bergadaà et al., 1999; Blomqvist, Ståhle, 2000; Brulhart, 2002; Joffre, 2007)

La confiance interpersonnelle permet de développer la confiance organisationnelle et améliore la performance (Barmeyer et al., 2009; Blomqvist, Ståhle, 2000). D’après Donada et Nogatchewsky (2007) qui font une revue de littérature des études quantitatives sur les partenariats industriels de 1990 à 2007, la confiance réduit l’incertitude et augmente la coopération dans un contexte changeant. C’est au niveau des relations interpersonnelles que les entreprises peuvent le mieux activer la confiance et favoriser la coopération avec leur partenaire. En particulier, la communication apparaît comme le moyen le plus évident pour créer les conditions de la confiance (Blomqvist, Ståhle, 2000).

Par conséquent, nous nous proposons d’observer comment la communication interpersonnelle participe au processus de création de la confiance entre les individus et les organisations, dans le cadre d’un partenariat international.

Le processus de création de la confiance

L’enjeu de la création de la confiance est majeur dans les partenariats inter-organisationnels. Nous nous demandons quels en sont les mécanismes.

Un processus cognitif

On parle de confiance lorsqu’il y a une situation de véritable interdépendance entre des acteurs ayant d6es moyens limités et des objectifs communs. Chacun a besoin de la confiance de l’autre et d’avoir confiance en l’autre, pour pouvoir s’organiser de manière satisfaisante, prendre des décisions et agir (Reynaud, 1988, p. 1458).

Le mécanisme de la confiance, parfois abstrait à cause de l’aura émotionnel qui l’entoure, est expliqué de manière quasi-mathématique par Reynaud (1998, p. 1458-1459). C’est la disposition d’esprit qui permet à un individu A, alors que l’action de l’individu B est incertaine et nécessaire à l’action de A, d’anticiper l’action de B. Chaque individu est tenu de faire une projection de ses propres actions, en anticipant celles de l’autre personne, qui sont pourtant incertaines. Cette anticipation permet à l’individu d’être dans un état de confiance. Dans cet état, il peut prendre des décisions d’une manière qui lui parait satisfaisante (Le Flanchec et al., 2006, p. 274). Le processus relationnel et perceptif qui amène à l’état de confiance est à la fois calculé et affectif (Campoy, Neveu, 2007; Johnson, Grayson, 2005). Cependant, l’individu ne cherche pas à mesurer le risque (Reynaud, 1988, p. 1459). Il se met volontairement dans une situation de vulnérabilité vis-à-vis de l’autre (Schoorman et al., 2007, p. 346-347), sur la base de ses perceptions rationnelles et émotionnelles. Il s’agit maintenant, d’identifier sur quels facteurs de perception il se base pour atteindre cette disposition à la confiance.

Les facteurs de la confiance dans la communication

Il semble y avoir chez les auteurs un consensus sur les 3 facteurs qui une fois perçus, mènent à un état de confiance. Ils ont été établis par Schoorman et al (2007, p. 345), les premiers à avoir offert un modèle interdisciplinaire de la confiance en 1995. Ces facteurs sont interdépendants : la capacité, la bonne intention et l’intégrité. Il s’agit, premièrement, de percevoir si l’autre a la capacité à produire une certaine action car il parait compétent et en avoir les moyens. Deuxièmement, il faut percevoir sa bonne intention dans le cadre de l’interaction entre les deux parties. En effet, pour envisager cette interrelation de manière satisfaisante, il est nécessaire que l’autre ne semble pas agir de manière indépendante ou avec la volonté de nuire à soi ou au projet. Enfin, il faut pouvoir se projeter dans le temps et percevoir si sa capacité et ses bonnes intentions ne sont pas sans lendemain; si elles sont relativement stables dans le temps et si ses actions seront conformes aux attentes; s’il est intègre et tient ses promesses.

Les auteurs se concentrent sur l’aspect perception des facteurs de confiance. A notre connaissance, il n’y a pas de recherche portant sur la contrepartie qui est l’expression de ces facteurs. Pourtant, on peut logiquement affirmer que celui qui souhaite que l’autre ait confiance en lui va exprimer ces trois facteurs : montrer qu’il est capable, qu’il a de bonnes intentions et qu’il est intègre.

Quels que soient les facteurs prépondérants à un moment donné ou pour une relation donnée et la nature émotionnelle ou factuel de ces facteurs, il s’agit de voir comment ils sont émis et perçus c’est-à-dire communiqués. Pour les auteurs, la communication est en effet, la source de la confiance la plus facile à gérer (Blomqvist, Ståhle, 2000). Cependant, selon la proximité des personnes la communication ne se fera pas sur les mêmes bases et par conséquent la confiance va être produite selon des modes distincts.

Les modes de production de la confiance

Dans son article fondateur, Zucker (1986) identifie, à l’appui de faits historiques tirés de l’industrialisation des Etats-Unis entre 1840 et 1920, les différents modes de production de la confiance. Selon l’auteure, le mode de production initial de la confiance est basé sur le processus, c’est-à-dire sur l’échange passé ou attendu entre les deux parties. Le processus est en place quand les parties se connaissent à un niveau local et dans le cadre d’un contexte stable. L’autre mode de production habituel est basé sur les caractéristiques de la personne, ses origines familiales ou ethniques qui, lorsqu’elles sont partagées, permettent aux parties de se référer à des normes ou des valeurs communes. De manière intéressante, ces 2 modes qu’on pourrait qualifier de traditionnels, ne sont pas seulement l’apanage de l’Amérique préindustrielle. Ils rappellent en effet le fonctionnement de la société rurale traditionnelle chinoise que décrit le sociologue chinois Fei Xiaotong (Arkush, 1996) : il est basé sur le village rural où la famille est au centre des relations qui s’étendent de manière concentrique aux voisins et petit à petit à des cercles plus larges mais dans des liens d’interdépendance forts et avec un partage des mêmes références sociales. Les relations se mettent ainsi en place et se développent avec un risque minimal, garantissant la stabilité de la société. Pour Fei Xiaotong, l’urbanisation et le développement du commerce notamment avec l’Occident ont fragilisé le fonctionnement de la société chinoise traditionnelle et entrainé de profondes mutations. De même, pour Zucker (1986), aux Etats-Unis, l’histoire montre que les échanges entre personnes deviennent risqués lorsqu’ils doivent sortir des références locales stables et relativement fiables, à cause de l’augmentation des migrations internes et externes et de l’augmentation de la distance géographique entre les parties en interrelation. Ces circonstances entrainent un arrêt de la production de la confiance, une situation d’absence de confiance, c’est-à-dire un état de défiance. Le manque de compréhension entre les protagonistes et un décodage inadéquat dans leur perception peuvent aussi mener à des interprétations négatives ou dépréciatives notamment par le biais des stéréotypes et aboutir à de la méfiance (Iribarne (d’), 2004, p. 17-18).

Ainsi, en l’absence d’histoire et de références culturelles et sociales communes, les modes de communication sont brouillés. Le mécanisme de la confiance qui fonctionnait au sein d’une culture donnée est rompu. Cela nous amène à nous interroger sur la production de la confiance entre des individus de pays différents.

La confiance dans un contexte international

D’après Barmeyer, Mayrhofer et Mothe (2009) les partenariats, alliances et fusions-acquisitions sont un lieu de prédilection pour l’étude du processus de la confiance. Cependant, le fait de s’intéresser à une collaboration entre personnes de cultures différentes pose la question de la stabilité du mécanisme de production de la confiance tel que nous l’avons décrit plus haut. Barmeyer, Mayrhofer et Mothe (2009) avancent que les partenariats internationaux peuvent être influencés par des acceptions culturelles différentes. Les auteurs prennent le cas de la culture française où la confiance est plus affective que dans la culture allemande, plus factuelle. En France, les relations inter-organisationnelles seront donc fragilisées, de manière plus importante, lorsque l’équipe dirigeante change. Il apparait clairement que ce n’est pas le processus de production ou les facteurs de la confiance qui sont remis en cause par les différences culturelles, c’est le moyen de perception de ces facteurs, plus ou moins émotif, qui diffère dans les cas français et allemand. Comme l’affirme Usunier (2010) qui se base notamment sur le travail de Fukuyama de 1995, le concept de confiance est le même quelles que soient les cultures.

Dans le cas d’un partenariat international, la confiance interpersonnelle ne peut pas se baser sur les méthodes de décodage d’indicateurs des facteurs de confiance issues de références sociales et culturelles communes; le mode de production de la confiance dans les cultures d’origine est caduc. La communication semble un moyen pertinent pour produire les conditions de la confiance, grâce à l’expression et la perception des facteurs de confiance. Il y a d’ailleurs une forte corrélation entre la fréquence de communication et la perception d’un état de confiance (Becerra, Gupta, 2003). Or, il y a peu d’étude sur l’aspect qualitatif de la communication : le mode de communication (direct ou par intermédiaire), le moyen de communication (factuel ou émotionnel), l’objet de la communication (le facteur de confiance : capacité, bonne intention, intégrité).

Nous proposons donc d’observer de manière longitudinale les processus qui permettent par la communication la création d’un état de confiance, dans le cas d’un partenariat sino-français.

Le modèle conceptuel à la base de cette étude du processus de création de la confiance par la communication est illustré par les figures 1 et 2. Dans la figure 1, les deux partenaires internationaux, qui ne peuvent pas utiliser de références sociales et culturelles communes, se trouvent dans un état de défiance, absence de confiance ou de méfiance si leurs interprétations sont négatives. Alors que dans la figure 2, le processus de communication repose sur l’expression-perception des facteurs qui permettent de se trouver dans un état de confiance; c’est ce processus que nous voulons observer.

La méthode utilisée pour l’étude du processus

Choix de l’observation participante directe

Observer le processus de création de la confiance par la communication entre deux partenaires internationaux nécessite une étude longitudinale des comportements et des relations entre individus. L’étude des processus (Mendez et al., 2010, p. 232-239) implique notamment de sélectionner les ingrédients principaux (ou éléments pertinents du contexte), d’affiner la compréhension et d’interpréter la dynamique du processus en se concentrant sur les moments de changement à l’intérieur des principales séquences répertoriées. Il s’agit d’en identifier les principales bifurcations et les moteurs, tout en revenant sur le cadre conceptuel avec l’appui de la littérature.

L’approche ethnologique est pertinente pour observer la pratique du management (Iribarne (d’), 2004) et, grâce à l’observation directe, le chercheur peut faire apparaitre les logiques sociales et culturelles des groupes étudiés, notamment par l’analyse du non-verbal (Quivy, Van Campendoudt, 1995, p. 200). En adoptant l’observation participante, le but est d’accompagner le processus en temps réel, et de permettre une réflexivité où le chercheur questionne continuellement les attitudes des acteurs locaux (Miles, Huberman, 1994, p. 8). La validité de cette méthode de collecte et d’interprétation des données est garantie par la formation d’ethnologue de l’observateur (Quivy, Van Campendoudt, 1995, p. 203). De nombreux entretiens non directifs ponctuent ces observations et en assurent une validité suffisante (Quivy, Van Campendoudt, 1995, p. 203).

Plusieurs dizaines d’interviews étalés sur 9 mois, ainsi qu’une vingtaine de journées, au cours de deux mois d’observations ont été retranscrits sur le moment ou en fin de journée. Avec les documents supports produits par les partenaires, l’ensemble compte de plus de 3000 pages dactylographiées. Une réduction des données (Miles, Huberman, 1994, p. 10) a par conséquent été nécessaire au cours de l’étude du processus et ce, de manière itérative. Nous avons distribué l’ensemble des notes, entretiens et documents sur une grille thématique. Les colonnes attribuent un code aux données en fonction du modèle tiré de la littérature (Miles, Huberman, 1994, p. 69 et suiv.). Ces codes initiaux concernent la perception ou l’expression d’un facteur de confiance, le type de facteur (capacité, bonne intention ou intégrité), le moyen de communication émotionnel ou factuel et le mode direct ou indirect. Les données qui sortaient du champ d’investigation ont été progressivement éliminées, après soigneuse vérification. Celles qui faisaient apparaitre de manière inductive des éléments de la communication qui ne relevaient pas des facteurs de confiance tels qu’identifiés par la littérature, nous ont poussé à créer de nouveaux codes par lesquels nous avons passé au crible l’ensemble des données. Afin de découvrir les séquences, phases, points de bifurcation et ingrédients du processus, les données ont aussi été classées par dates auxquelles étaient attribués des éléments de contexte, permettant d’identifier les principales occurrences dans les étapes du processus (Mendez et al., 2010; Miles, Huberman, 1994, p. 200 et suiv.). L’analyse processuelle d’un cas implique dans un deuxième temps un travail d’interprétation délicat qui demande de regrouper ou de séparer les données, de faire un lien entre les variables afin « de construire des chaînes d’indice, de preuve et de relation » pour trouver un sens et comprendre la dynamique du processus (Mendez et al., 2010, p. 232). C’est le propre de l’étude d’un cas que Miles et Huberman (1994, p. 29) comparent au travail d’un détective, qui amène à un échantillonnage permanent d’informateurs, de documents et d’observations et qui « permet de voir une configuration locale en profondeur ». De plus, la description fidèle d’un cas a valeur de témoignage et les personnes qui vivent des situations similaires peuvent s’y retrouver et se comparer (Yin, 2009, p. 3).

Le choix d’un cas extrême

D’après Morgan et al. (2014) qui ont cherché à évaluer l’efficacité des équipes de travail en fonction de leur méthode de communication, toutes les équipes de travail se situent dans une fourchette entre équipe virtuelle extrême et équipe faiblement virtuelle, selon 4 dimensions : organisationnelle, spatiale, temporelle, et culturelle. Or, nous avons choisi d’étudier le partenariat entre une entreprise privée, filiale française d’un groupe européen qui conçoit, produit et vend des systèmes de haute technologie, que nous appellerons Eurosys, et la filiale d’une entreprise publique chinoise, que nous appellerons Yaji, dans un souci d’anonymat. Les partenaires sont donc particulièrement distants d’un point de vue organisationnel. De plus ces entreprises ont opté pour une solution de partenariat international contractuel sans investissement. Ce type de partenariat permet aux entreprises d’un même secteur de se partager les marchés ainsi que les différentes étapes de la production au sens large, en fonction de critères de coûts, de compétences et de développements stratégiques, par contrat, sans investir dans une entité commune. Les interviewés ont expliqué leur manière de travailler à distance avec leurs homologues de l’autre pays, en contact quotidien virtuel par internet, et toutes les semaines en visioconférence en présence des managers. Ces équipes travaillant à plus de 10.000 km sont donc très distantes d’un point de vue spatial. De plus, la désynchronisation des activités due au décalage horaire de 6 ou 7 heures et aux vacances prises à des périodes différentes, crée une distance temporelle remarquable. Enfin, la Chine et la France se trouvent dans deux clusters culturels distants selon les dimensions culturelles de l’étude Globe (House et al., 2004). Elles sont éloignées du point de vue de la langue et des représentations que leurs ressortissants ont des uns et des autres traduisant une méconnaissance réciproque encore très grande (Brizay, 2013; Yang, Zheng, 2017).

FIGURE 1

Absence ou faiblesse de la communication : pas de confiance ou méfiance

Absence ou faiblesse de la communication : pas de confiance ou méfiance

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FIGURE 2

Communication entrainant la perception/expression des facteurs de confiance et donc un état d’esprit de confiance

Communication entrainant la perception/expression des facteurs de confiance et donc un état d’esprit de confiance

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Le partenariat observé étant un cas extrême vu la dispersion des partenaires sur les 4 dimensions, organisationnelle, spatiale, temporelles et culturelles, les éléments clefs de fonctionnement du processus observés pourront, par conséquent, être ensuite envisagés dans des situations moins extrêmes (Miles, Huberman, 1994, p. 270). Selon Teddie et Yu (2007, p. 81) la méthode de sélection des échantillons sur la base du cas extrême est une des six méthodes d’échantillonnage dont le but est notamment la comparabilité. Il permet de faire une généralisation de type analytique, d’étendre les résultats sur la base de la manière dont le cas correspond à des construits généraux. Ce n’est pas tant sa représentativité que sa force conceptuelle qui est recherchée (Collins et al., 2007, p. 273).

L’observation participante du processus de création de la confiance par la communication, dans un partenariat sino-français

Nous avons pu suivre l’équipe française, puis les deux équipes, française et chinoise, au sein de ce partenariat, pendant 9 mois. Le partenariat avait commencé depuis 6 mois quand certains membres de l’équipe d’Eurosys ont participé à une formation sur la culture chinoise que nous donnons régulièrement. Nous situons donc le début de l’observation du processus lors de cette formation en janvier, le processus lui-même ayant démarré en juillet de l’année précédente. Lors d’un entretien avec le responsable opérationnel et 3 ingénieurs, pendant la formation, nous avons pu faire un premier état de la confiance au sein du partenariat du point de vue de l’équipe française.

Etat de défiance au début du processus observé

Les deux équipes devaient produire les pièces d’un système complexe. L’ensemble des pièces à réaliser devait être réparti entre Français et Chinois. Les 5 ingénieurs français de l’équipe, ainsi que le manager opérationnel s’étaient déplacés en Chine, à tour de rôle, sur des périodes de 15 jours, 2 à 3 fois, pour former les membres de l’équipe chinoise correspondante. Le responsable opérationnel français avait le sentiment que son homologue chinois M. Wu « se fermait comme une huitre » dès lors qu’il s’agissait de rentrer dans les détails de la collaboration. Le manager français n’arrivait pas à communiquer avec lui, sans pouvoir identifier s’il s’agissait d’un problème de langue. Par conséquent, lui-même se sentait incapable de planifier les actions de sa propre équipe en collaboration avec l’équipe chinoise. De plus, les ingénieurs français interviewés n’étaient pas sûrs de l’efficacité des formations qu’ils donnaient en Chine, les Chinois paraissant incapables de fournir ce qui était attendu. Jusqu’à présent, les Chinois n’avaient envoyé que quelques pièces incorrectes que les Français avaient dû entièrement refaire. Les interviewés ne voyaient pas comment respecter les échéances. Ils envisageaient même de faire appel à des sous-traitants français, malgré le coût supplémentaire, au cas où les Chinois ne produiraient pas à temps. Malgré des déplacements et des contacts fréquents à distance, à la fin de la première séquence non observée du processus et selon les dire des interviewés français, la communication était faible ou mauvaise, elle engendrait de la défiance et l’incapacité d’envisager la collaboration de manière satisfaisante.

Les séquences initiales du processus

Par la suite le processus peut se découper en différences séquences où nous avons pu mener des observations régulières ou des entretiens. Suite à la formation interculturelle sur la Chine, les managers ont annoncé leur décision d’organiser un séminaire sur site, en France, pour leurs 7 homologues managers et ingénieurs chinois et leurs techniciens, pendant 2 mois, en juin et juillet. Selon eux, ce séminaire avait pour but de montrer aux Chinois leur façon de travailler in situ, de vérifier l’efficacité des formations techniques en démarrant la production en commun, d’éviter un éparpillement de l’équipe chinoise en les « ayant tous sous la main » pour décider les modalités de la collaboration (le partage des tâches, les moyens et la planification).

Les Français ont organisé le séminaire en plusieurs formations théoriques où tous les aspects des pièces étaient abordés un à un, pour toute l’équipe chinoise. Ensuite les Chinois devaient passer à la pratique, avec l’aide des Français, puis tout seuls et être évalués. De plus, certains managers chinois devaient suivre un séminaire « planification » pour leur permettre de déterminer leurs besoins, de faire un plan de charge et un planning quant à la production de toutes les pièces avant la date limite fixée à fin octobre. Si les Français avaient besoin des Chinois pour produire une certaine quantité de pièces, les Chinois avaient besoin de la formation et des informations des Français pour effectuer ces pièces sans faire d’erreur et planifier leur travail en phase avec les Français.

La séquence du séminaire en France a été suivie d’une période de travail, chacun dans son pays avec peu de contacts au mois d’aout, mois de congé pour les Français, puis d’une visite des responsables Français en septembre en Chine. Ensuite, chacun a poursuivi le travail de son côté en contact régulier, à distance, jusqu’au mois d’octobre. Fin octobre, échéance importante pour la production des deux équipes, une évaluation devait être faite des résultats de chacun par rapport aux objectifs fixés en commun en juillet.

Au sein du partenariat, il y avait donc bien une interdépendance des équipes des deux pays qui pouvaient bénéficier de la création d’un état de confiance pour mener à bien un projet avec des objectifs clairs et des moyens limités.

Le tableau 1 montre de manière chronologique les méthodes de recherche utilisées en fonction des différentes étapes du cas observé et permet d’identifier les principales séquences du processus général, selon la méthode de l’étude des processus (Mendez et al., 2010).

Alors que chacun avait travaillé de son côté avec des mises en communs ponctuelles, en petits groupes ou de manière individuelle, le séminaire a été la première occasion où l’ensemble des deux équipes s’est retrouvé sur le même lieu de production, sur une période relativement longue de deux mois. Des moments de socialisation qui n’existaient pas auparavant ont été créés comme à l’occasion des déjeuners quotidiens. Les sorties de weekend et dîners ont été rares et plutôt programmés sur la fin du séminaire, sur la base du volontariat. Ils ont pourtant contribué à une accélération de la fréquence des opportunités de communication entre les membres des deux équipes. De ce point de vue, le séminaire a été un point de bifurcation où une forte concentration de changements a été observée dans le processus (Mendez et al., 2010, p. 235). En effet, comme Becerra et Gupta (2003)¢N l’ont montré, la fréquence de communication augmente l’état de confiance, ce que l’analyse du cas a aussi pu mettre en évidence, grâce à l’identification des différentes phases du processus.

Tableau 1

Identification des principales séquences du processus général et datation selon la méthode de l’étude des processus (Mendez et al., 2010)

Identification des principales séquences du processus général et datation selon la méthode de l’étude des processus (Mendez et al., 2010)

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Les phases principales du processus

Les phases sont un deuxième séquençage du processus. Il tient compte non plus seulement des moments importants qui ponctuent le processus, mais aussi des changements et des liens avec les principaux ingrédients repérés. Les différentes phases se sont succédé, tout en se juxtaposant. Elles se différencient par la présence plus ou moins importante des états de défiance ou de confiance qui coexistent en permanence (Schoorman et al., 2007, p. 350).

3 phases sont apparues dans le processus : avant, pendant et après le séminaire, comme le montre le tableau 2 qui en présente aussi les ingrédients et le point de bifurcation, détaillés ci-après.

Lors de la première phase, y compris celle de la préparation du séminaire, la défiance interpersonnelle et organisationnelle était prépondérante du côté des Français. Une même défiance s’est sentie auprès des Chinois le premier jour de leur arrivée, ils semblaient très froids et sceptiques.

Tableau 2

Les différentes phases du processus de la confiance, le point de bifurcation, les ingrédients principaux

Les différentes phases du processus de la confiance, le point de bifurcation, les ingrédients principaux

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Lors de la deuxième phase, pendant le séminaire, nous avons pu observer progressivement un état de confiance interindividuelle, dans les deux équipes, de la part de certaines personnes envers certains membres de l’autre équipe partenaire et un début de confiance envers leur organisation.

Après le séminaire, lors de la troisième phase, en plus de la confiance individuelle envers certaines personnes, la confiance envers les organisations partenaires s’est développée auprès de certains individus, dans les deux équipes.

Identifions maintenant les ingrédients principaux du processus dont la présence caractérise aussi les 3 différentes phases et le point de bifurcation.

Les ingrédients principaux du processus

En analysant le processus, nous avons pu identifier des « ingrédients », éléments pertinents du contexte tels que, s’ils n’avaient pas été là, le processus se serait probablement déroulé de manière différente (Mendez et al., 2010, p. 226).

Le premier ingrédient du processus est la formation dispensée aux managers de l’équipe française. Cette formation a participé au développement de la sensibilité de certains d’entre eux à la particularité et à l’importance de la communication, tout au long du processus. Notamment les décisions de faire le séminaire en France, de rédiger des « power-point » simplifiés, avec des illustrations, de réduire le nombre d’abréviations et le jargon spécifique à Eurosys, d’élaborer un glossaire, de distribuer sur papier des supports de cours, de donner la possibilité aux Chinois de faire une sieste après les repas afin qu’ils restent concentrés l’après-midi, de faire l’effort de se mélanger aux Chinois lors des déjeuners et d’organiser un match de football et une sortie en commun, ont favorisé la communication dans le sens suggéré par la formation.

En effet, lors de la préparation de la présentation initiale du séminaire, le responsable de projet français commentait « avec le dessin d’un bateau, dans lequel on est tous embarqués, en conclusion, cela plaira aux Chinois, … ». A l’arrivée dans la cantine, lors du séminaire, à plusieurs reprises, on entendait « allez, comme on a appris, on se mélange… ». De même après la présentation des résultats aux responsables chinois en octobre, le responsable opérationnel français a dit « …, j’ai changé l’ordre les slides, j’ai présenté les résultats à la chinoise… ». Un des ingénieurs a aussi fréquemment partagé sa compréhension de la sensibilité des Chinois à la communication de jugements personnels en public. Il ne voulait pas « faire perdre la face aux Chinois » et ne donnait pas son évaluation des premières pièces de manière collective mais individuellement, et plutôt comme une proposition d’amélioration que comme un verdict négatif.

Le second ingrédient, le séminaire en France, a été comme nous l’avons vu, une opportunité importante de socialisation pour les deux équipes. La socialisation et l’individualisation des échanges permet de mieux se comprendre, de s’habituer aux différents accents en anglais, de contextualiser les attitudes et de créer des routines et un langage commun. (Anglès, 2015, p. 58-59; Ferrin et al., 2008, p. 163).

Un troisième ingrédient a été la participation de l’interprète chinoise, Mme Li. Elle ne comprenait pas tous les aspects techniques mais en demandant des explications au responsable opérationnel chinois, elle lui a permis de s’affirmer auprès des 2 équipes. Il se mettait d’ailleurs lui-même certaines fois à traduire et à expliquer directement en montrant ainsi ses compétences. D’autres fois l’interprète minimisait les mots un peu brusques des Français en expliquant le contexte tel qu’elle le comprenait. Les Français ne comprenaient pas pourquoi elle traduisait parfois en détails, pendant très longtemps, quelque chose de simple, et parfois très rapidement, ou pas du tout, quelque chose de complexe. Puis, au milieu de la phase 2, quand les équipes commençaient à communiquer plus fréquemment en direct, elle a disparu. D’après ses collègues elle passait son temps à faire du shopping. Elle a eu un rôle d’accélérateur de communication et de régulateur des émotions au début du séminaire. Elle a été là, le temps que chacun se sente à l’aise pour pouvoir s’exprimer, sans avoir peur de se tromper, de perdre ou de faire perdre la face à cause d’une mésinterprétation (ce qui est en soi un signe d’état de confiance).

Enfin, quatrième ingrédient, notre rôle d’observateur a permis à plusieurs reprises aux participants de préciser leur pensée, d’exprimer des sentiments implicites ou de bénéficier d’un effet réfléchissant sur leurs propres actions qu’ils ont pu ainsi remettre en question. Nos rares interventions avaient pour intention unique de comprendre les processus en cours. Elles ont permis à chacun d’exprimer son sentiment lorsque la communication était bloquée par les malentendus liés à de la communication non-verbale. Par exemple, au milieu de la présentation d’un ingénieur Français, les Chinois se sont mis à parler très fort, entre eux, dans leur langue. Le Français a arrêté sa présentation pour les regarder, stupéfié. En provoquant une explication : « vous être en train de… ? », les Chinois ont pu, en finissant notre phrase, dire qu’ils étaient en train de se mettre d’accord sur leur compréhension de la présentation. Le Français soulagé a expliqué à son tour qu’il avait imaginé avoir dit quelque chose d’inapproprié car il pensait, au ton de leur voix, que les Chinois n’étaient pas contents. Après cet incident, les Chinois ont décidé de prendre des notes et d’attendre la fin de la présentation pour se mettre d’accord entre eux. Vers la fin du séminaire, un lundi matin alors que les Chinois avaient fait une sortie en car organisée par les Français la veille, le responsable opérationnel français nous a accueillie en disant « je ne sais pas ce qu’ils ont, pourtant hier, lors de la sortie tout s’est bien passé, et là ils font la gueule, je ne sais pas si on va arriver à travailler aujourd’hui ». En les saluant, en renvoyant l’expression implicite de leur mécontentement : « vous êtes soucieux, soucieuses, … ? », une ingénieure chinoise nous a expliqué qu’ils étaient très en colère car, deux d’entre eux avait perdu 600 euros laissés dans des sacs dans le car, lors de la sortie. Entendant cela, le responsable opérationnel français a proposé de les rembourser immédiatement et de faire des réclamations à l’autocariste.

Ce rôle de médiateur joué par l’interprète et l’observateur, qui intervient de manière neutre et immédiate, en miroir, permet le travail réflexif sur les difficultés rencontrées dans le déroulement d’une collaboration interculturelle que Chevrier et Segal (2011) recommandent. Il serait plus efficace que les formations interculturelles dans le but de faciliter une meilleure compréhension des spécificités de chacun et de sensibiliser les acteurs aux incompréhensions de leurs propres conduites. D’autant que toutes les personnes impliquées ne participent pas obligatoirement à ces formations.

Ces 4 ingrédients du processus (la formation interculturelle, les temps et lieux de socialisation ainsi que le rôle de médiateur de l’interprète et de l’observateur) ont pour point commun d’être des accélérateurs ou des facilitateurs de la communication. Voyons plus précisément comment celle-ci participe au processus de création de la confiance.

L’analyse de la communication au sein les équipes observées porte sur la perception et l’expression des facteurs de confiance, selon le modèle issu de la littérature. Les résultats sont résumés dans le tableau 3.

Tableau 3

La communication des facteurs de confiance en fonction des phases du processus

La communication des facteurs de confiance en fonction des phases du processus

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La perception des facteurs de confiance

Dans la première phase, comme nous l’avons vu en ce qui concerne les Français, les facteurs de confiance étaient surtout perçus en termes de questionnement sur la capacité et l’intention du partenaire. Lorsque les Chinois répétaient « dans une semaine ! » en chinois, d’un air moqueur, il s’agissait du délai que les Français donnaient fréquemment pour fournir tel ou tel document ou information : ce comportement est interprété comme la perception de l’absence de capacité et de bonne intention de la part des Français qui semblaient les mener en bateau.

Lors de la deuxième phase, la perception des facteurs personnels concernait surtout la bonne intention : le responsable opérationnel français disait fièrement : « Monsieur Li pose beaucoup de questions ! ». Un ingénieur français expliquait avec contentement « Madame Wang a travaillé hier soir et m’a montré son travail sur une pièce ce matin ! ». M. Wu répétait d’un air satisfait à ses collègues « Joseph comprend notre problème ! ».

Puis petit à petit et surtout lors de la dernière phase, les facteurs concernaient surtout la capacité et l’intégrité, au niveau personnel ou organisationnel. Du côté français, le responsable de projet a indiqué « M. Wu est un bon leader » et le responsable opérationnel a constaté ravi « ils ont produit les pièces demandées dans les temps pour la première fois ! », « maintenant ils ont les moyens pour y arriver ». Les Chinois entre eux partageaient l’idée que « Joseph est brillant ! » ou que « le logiciel des Français est plus efficace ».

L’expression des facteurs de confiance

L’expression des facteurs de confiance n’est pas identifiée comme telle dans la littérature. Elle n’est pourtant pas ignorée. Certains auteurs ont étudié les actions de coopération ou de prise de risque ayant potentiellement un impact sur la perception des facteurs de confiance par le partenaire (Ferrin et al., 2008; Serva et al., 2005). Par contre, le modèle initial de Schoorman et al. (2007) qui est largement utilisé s’intéresse de manière unilatérale à celui qui fait confiance. Il ne s’intéresse pas à celui qui cherche la confiance et qui va donc exprimer des éléments montrant qu’il en est digne. Pourtant, l’interdépendance est posée comme condition de base de la confiance (Ferrin et al., 2008, p. 173). En prenant en compte l’expression en plus de la perception, nous apportons un éclaircissement quant à l’aspect réciproque de la confiance, qui s’il n’est pas nécessaire, participe à son processus de création (Serva et al., 2005).

L’expression de facteurs de confiance est surtout présente en fin de phase 2. Les Français, ont montré la bonne intention de leur entreprise dans le partenariat en acceptant de revoir certains indicateurs de qualité et des dates limites dans le sens demandé par les Chinois. Ils ont accepté de changer entre autres le mot anglais « procurement » qu’ils utilisaient dans tous les supports écrits dans le sens d’approvisionnement, car pour les Chinois ce mot signifiait aussi proxénétisme et n’était pas acceptable. De même, fin juillet, ils ont finalement accepté d’envoyer Joseph que les Chinois réclamaient plutôt que Christian initialement prévu, pour faire les derniers ajustements, en septembre, en Chine. La proposition de rembourser les 600 euros volés ou perdus est aussi une expression claire de la part des Français de montrer leur intégrité.

De leur côté, à partir de la fin de la phase 2, les Chinois aussi ont eu des attentions individuelles montrant leur bonne intention ou leur intégrité, comme la distribution de petits cadeaux à ceux qu’ils appréciaient le plus. A son tour, en Chine, Wu a fourni une aide précieuse, lorsque les deux responsables français se sont fait voler leurs papiers au restaurant. Il est intervenu auprès des personnes de la police qu’il connaissait pour accélérer la délivrance du document permettant d’obtenir un laisser-passer auprès de l’ambassade de France. De plus, à leur arrivée il a offert un service à café en porcelaine chinoise à son homologue français, amateur de café qui en a été très touché et a exprimé un changement dans sa perception de la bonne intention et de l’intégrité du manager chinois.

Dans la communication entre partenaires, perception et expression des facteurs de confiance s’alimentent dans le processus, au sein d’une boucle.

Nos observations amènent à considérer un autre élément clef, apparu de manière inductive et récurrente dans le processus.

Un nouvel élément créateur de confiance : l’expression de la confiance en l’autre

De manière répétitive et régulière tout le long de la phase 2 d’observation, les uns et les autres dans les deux équipes ont exprimé leur perception de la capacité de l’autre à un niveau organisationnel. « Vous y arriverez ! (à produire les pièces correctement, ou dans les temps) » disaient à l’équipe chinoise, Joseph et le responsable opérationnel français. De leur côté, les ingénieurs chinois ont à plusieurs reprises exprimé la perception de la capacité des Français à bien les former : « vos cours sont très bien, nous apprenons beaucoup de choses ». D’ailleurs, lorsque les Français ont distribué les fiches d’évaluation des cours techniques, avant de commencer la pratique, les Chinois n’ont pas répondu immédiatement comme cela était demandé, ils n’ont répondu que le lendemain le matin, sur un document commun, sur l’ensemble des cours sans distinction, et en mettant des bonnes notes. Or, les Chinois se moquaient de certains ingénieurs français comme Christian qui ne savait pas répondre à leur question, et sur lequel ils pensaient ne pas pouvoir compter pour les aider une fois en Chine, si bien qu’ils réclamaient la venue de Joseph. De même, les Français, disaient entre eux que M. Du n’y arriverait jamais (incapacité), que Mme Qi essayait de créer des problèmes au sein de l’équipe (mauvaise intention) …, tout en disant à l’équipe chinoise « vous allez y arriver ! ». Les membres de l’équipe à laquelle s’adressait l’expression de la confiance, se sont mis immédiatement à sourire, à paraitre plus détendus, soulagés et contents. Ils semblent qu’ils aient perçu une bonne intention envers le partenariat de la part de l’autre équipe. De plus, ceux qui reçoivent ces signaux ne se sentent plus tout seuls vis-à-vis des objectifs, notamment s’ils doutaient de leur propre capacité à les atteindre : « on n’arrivera pas à donner l’information ou à produire » (de la part des Français), « les deadlines sont trop courts » ou, « nous n’avons pas assez de personnel, ou pas le matériel qu’il faut » (de la part des Chinois).

D’autre part, l’expression de la confiance en l’autre au niveau organisationnel est apparue alors que la confiance n’était ni perçue, ni partagée par tous, au niveau individuel. Elle peut être l’expression ciblée d’un encouragement. Pour nous, elle est aussi une manière volontaire d’exprimer la bonne intention de son groupe, afin que l’autre la perçoive, soit (re-)motivé et donc, ait confiance.

Ce résultat permet d’élargir la perspective des études récentes sur la réciprocité dans le processus de confiance (Ferrin et al., 2008; Serva et al., 2005) : la confiance de A en B, entraine une action de prise de risque ou de collaboration de la part de A, ce qui entraine de la part de B une augmentation de la perception des facteurs de confiance envers A, qui amène B à faire, à son tour, une action à risque ou de collaboration. En travaillant sur l’aspect communication, nous montrons que l’expression de la confiance des membres de A envers le groupe B, peut entrainer une augmentation de la confiance de B envers A.

Recommandations

Ces résultats obtenus dans un cas extrême en termes de type d’organisation et de partenariat, d’éloignement spatial et culturel des partenaires, nous permettent de donner les recommandations suivantes pour améliorer l’état de confiance grâce à la communication au sein des partenariats internationaux.

Premièrement, nous recommandons la mise en place d’accélérateurs de communication qui permettent d’activer la première boucle d’expression-perception de facteurs de confiance :

Une formation interculturelle axée sur les différents modes de communication, destinée aux équipes des deux partenaires;

  • Des temps et lieux de socialisation entre les membres des différentes équipes, tels que séminaires, déjeuners et sorties;

  • Des médiateurs qui permettent d’exprimer les émotions et incitent les individus à expliquer leur comportement.

  • Deuxièmement, il est nécessaire de sensibiliser les responsables d’équipes au processus de la confiance basé sur la communication, afin qu’ils utilisent sciemment l’expression des facteurs de confiance pour entrainer la confiance chez l’autre équipe. Sachant que l’état de confiance et de défiance coexistent toujours, ils peuvent cependant lever volontairement des doutes sur leurs propres capacités, leur bonne intention et leur intégrité, et faciliter la collaboration.

Enfin, notre dernière recommandation est de ne pas négliger l’expression de la confiance envers l’autre équipe, dans le but de montrer une bonne intention au niveau organisationnel, un engagement dans le partenariat sous forme d’encouragement, comme cela se fait naturellement à l’intérieur de sa propre équipe.

Ces actions peuvent être envisagées positivement dans les cas moins extrêmes de joint-venture, de fusion, d’acquisition, ou même de filiale à l’étranger où la difficulté vient moins du manque d’occasions de communication (contrairement au partenariat sans investissement) que de la qualité de la communication, et notamment de l’expression des émotions. De même, pour des partenariats entre des cultures plus proches l’augmentation quantitative et qualitative de la communication ne peut que faciliter l’état de confiance.

Apports et limites des observations sur le processus de création de la confiance

L’observation longitudinale d’un partenariat sino-français a permis de mieux comprendre le processus de création de la confiance. Il a mis en évidence que les principaux ingrédients du processus sont des accélérateurs de communication. Notamment le rôle des médiateurs tend à confirmer au niveau de l’entreprise interculturelle ce que Zucker (1986, p. 95) a observé au niveau national et du point de vue historique. En effet, l’auteure considère que la diversification des activités avec des personnes venant de plus en plus loin, entraine la mise en relation de cultures différentes et nécessite un « traducteur » pour produire de la confiance.

Cependant, l’étude ne permet pas de dire si l’état d’esprit de confiance interpersonnelle et organisationnelle est permanent ou temporaire. Par conséquent, il serait intéressant de voir sur un plus long terme, si les occasions et la qualité de la communication diminuant à cause de la distance, l’état de confiance décroit et dans quelle mesure. D’autre part, notre recherche concerne un projet ponctuel à l’intérieur d’un partenariat à plus long terme, il se peut que nos résultats soient liés à ce contexte de court terme qui a pu affecter la communication (Swärd, 2016, p. 1857).

L’amélioration de la communication participe certainement au fait que les équipes ont finalement atteint leurs résultats dans les temps. Même si nous limitons notre analyse à la communication individuelle, elle révèle une confiance envers les individus ou l’organisation, ainsi que des interactions au niveau du groupe (Schoorman et al., 2007, p. 345). Notre étude donne par conséquent des éclairages sur la confiance au niveau d’un groupe, qui reste un niveau peu étudié par les chercheurs (Serva et al., 2005, p. 626-627). Par contre, les observations ne permettent pas de faire de liens entre la communication directe ou indirecte et les facteurs qui sont perçus ou exprimés, entre le moyen affectif ou factuel et le type de facteur communiqué. L’analyse approfondie des mécanismes de la communication qui a montré son potentiel dans la création de la confiance, devra donc faire l’objet de recherches plus spécifiques.

Du point de vue du processus lui-même, la première boucle de la création de la confiance par la communication a pu être confirmée. Les acteurs perçoivent et expriment des facteurs de confiance, de manière directe ou par intermédiaire, factuelle ou émotionnelle. Ensuite, l’état de confiance semble leur permettre d’organiser leur travail de façon satisfaisante chacun de leur côté. La perception des facteurs de confiance interpersonnelle n’existe pas chez tous les membres de l’équipe. Il reste des personnes en qui certains perçoivent de l’incapacité ou de la mauvaise intention, mais cela n’empêche pas la création d’un état de confiance inter-organisationnelle comme si elle était portée par seulement quelques personnes des deux côtés. Grâce à cette étude, il apparait que cette boucle peut être (ré-)activée grâce aux ingrédients accélérateurs de la communication (formation, lieu et temps de socialisation et médiateurs).

Enfin, comme le montre la figure 3, cette recherche permet de proposer un modèle de création de la confiance par la communication, où s’ajoute une deuxième boucle. Cette deuxième boucle ne fonctionne pas de la même façon dans le processus de communication. Elle est active, elle n’est pas nécessaire mais dépendante de la première et se situe au niveau organisationnel : A exprime sa confiance en B, même si elle n’est pas rationnellement et totalement fondée au niveau individuel. B se sent encouragé et perçoit la bonne intention de A; cela améliore sa confiance en A. Le fait d’exprimer la confiance en l’autre ne suffit pas à créer la confiance, il participe du processus plus généralement.

Tout comme la mise en place des ingrédients de la communication et l’expression des facteurs de confiance, cette deuxième boucle peut être insufflée de manière volontaire et directe par les acteurs qui peuvent choisir d’exprimer leur confiance en l’autre pour (ré-)activer l’état de confiance.

FIGURE 3

Modèle du processus de création de la confiance issu des observations

Modèle du processus de création de la confiance issu des observations

La confiance en soi permet d’exprimer les facteurs de confiance (1ère boucle au centre en clair).

Mise en évidence d’une 2ème boucle (extérieure plus foncée), l’expression de la confiance en l’autre montre la bonne intention et participe à l’état de confiance.

* Les facteurs de confiance exprimés et perçus sont : la capacité, la bonne intention, l’intégrité

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