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Les rumeurs sont les conséquences naturelles de tout marché financier (Kapferer (1990)). Récemment la communauté financière a commencé à s’intéresser à ce genre particulier d’informations et plus particulièrement aux rumeurs d’offres publiques d’acquisition (OPA). Par définition, une rumeur d’OPA se présente généralement comme une information concernant l’éventuelle annonce d’une prise de contrôle d’une entreprise et qui s’avère être : (1) non vérifiée, du fait qu’elle ne permet pas d’affirmer avec certitude l’imminence de l’offre (2) importante pour son public (3) aléatoirement crédible en raison des preuves qui accompagnent son émergence.

Depuis une décennie, ce type de rumeurs a particulièrement retenu les attentions par son omniprésence et son impact excessif sur les cours boursiers des entreprises visées sur le marché français. Dans ce cadre, des groupes comme Danone, Suez ou encore Hermès ont récemment été visés par des rumeurs de prise de contrôle provoquant ainsi une réaction excessive des prix de leurs titres suscitant parfois l’intervention de l’Etat (cas du groupe Danone). En 2006, l’AMF[1] a adopté un dispositif de gestion spécifique aux rumeurs d’OPA qui lui permet, particulièrement lorsque le marché des titres d’un émetteur fait l’objet de variations significatives ou de volumes inhabituels, de demander à toute personne concernée par le lancement d’une offre publique de révéler ses intentions officiellement au marché.

Cependant, malgré la place majeure qu’elles occupent, la littérature financière a longuement ignoré les rumeurs d’OPA. Pourtant deux principales catégories d’études peuvent être identifiées : la première présente les rumeurs comme une explication au comportement anormal des titres des entreprises acquises avant l’annonce formelle des offres publiques (Keown and Pinkerton (1981), Jarrell and Poulsen (1989), Aktas et al. (2002), Gao and Oler (2012)). La seconde catégorie des travaux se concentre davantage sur l’étude de l’impact des rumeurs d’OPA apparues principalement dans le Wall Street Journal (Pound and Zeckhauser (1990), Zivney et al. (1996), 1996 et Gao and Oler (2012)). La majorité de ces différentes études est donc réalisée sur le marché américain se contentant seulement d’étudier l’impact des rumeurs sur les cours boursiers.

Notre étude se place dans le cadre de la seconde catégorie des travaux et se focalise sur la mesure de l’impact des rumeurs non seulement sur les cours boursiers des titres cibles mais également sur des composantes qui sont assez sensibles à l’arrivée d’une nouvelle information à savoir le volume de transactions et la fourchette de prix[2]. L’apparition de ce type de rumeurs sur le marché peut revêtir une importance particulière de la part des investisseurs et particulièrement des détenteurs des titres cibles mais également des dirigeants des entreprises cibles qui risquent éventuellement de perdre leurs postes dans le cas de la réussite de l’offre et donc de la confirmation des rumeurs.

Etant donné l’absence des travaux consacrés directement à ce sujet, notre étude porte sur les rumeurs apparues sur le marché français entre 1997 et 2011. Ce nouveau champ de recherche se caractérise par sa particularité en termes de réglementations notamment par rapport au marché américain. En effet, l’AMF est parmi les premiers régulateurs de bourse à consacrer une loi propre à ce genre particulier d’informations. Notre objectif consiste donc à proposer une première mesure de l’impact des rumeurs d’OPA sur la liquidité des titres des entreprises cibles françaises dans une tentative d’apporter des réponses à la volatilité excessive des cours boursiers autour des dates d’apparition.

Cet article est organisé comme suit : la deuxième section présente le cadre théorique et la formulation des hypothèses. La troisième section présente l’échantillon et la méthodologie utilisée, suivis des résultats et discussions. La dernière section conclut l’étude.

Revue de la littérature et formulation des hypothèses

Dans la littérature l’impact de la publication d’informations est principalement étudié dans le cadre de l’hypothèse de la forme semi-forte de l’efficience de marché (Malkiel and Fama (1970)). Les études consacrées aux rumeurs d’OPA ne sortent pas de ce cadre théorique et peuvent être classées en deux catégories à savoir les travaux qui les présentent comme étant une explication au comportement anormal des titres cibles avant la date d’annonce officielle des offres publiques d’acquisition (Keown and Pinkerton (1981), Jarrell and Poulsen (1989), Aktas et al. (2002), Gao and Oler (2012)) et ceux qui les considèrent comme un type particulier d’informations caractérisé par son importance et son ambiguïté (Pound and Zeckhauser (1990), Zivney et al. (1996) et Gao and Oler (2012)).

Selon la première catégorie des travaux, le comportement anormal des titres des entreprises cibles d’offres publiques d’acquisition, sur la période pré-offre, est principalement justifié par trois facteurs : (1) l’usage privé d’information, (2) la prise de participation de l’acquéreur dans le capital de l’entreprise cible lors de la préparation de l’offre (3) les différentes informations relayées par les médias et qui impliquent directement l’entreprise cible dont découlent principalement les rumeurs.

Par ailleurs, Keown and Pinkerton (1981) supposent que la réaction des prix des actions des entreprises cibles observée avant la date d’annonce est en grande partie expliquée par les informations diffusées dans les médias et qui concernent une potentielle prise de contrôle de la cible notamment en raison de son caractère opéable[3] (sous-évaluation, niveau de liquidité important, rapprochements déjà effectués dans le secteur). Ces informations sont ainsi relayées par les médias et expliquent en grande partie la réaction des prix observée avant la date d’annonce de l’offre. Jarrell and Poulsen (1989), quant à eux, ils affirment que parmi les 172 entreprises acquises de leur étude, 70 ont fait l’objet de rumeurs de prise de contrôle apparues dans le Wall Street Journal et 26 entreprises ont été marquées par des délits d’initiés. Les auteurs concluent que la réaction des prix des actions des entreprises visées par les rumeurs est nettement supérieure aux rendements anormaux observés dans le cas des offres publiques d’acquisition précédées par des délits d’initiés. Récemment, Gao and Oler (2012) détectent une réaction anormale des volumes sur les 20 jours qui précédent l’annonce officielle de l’offre. Toutefois, pour les entreprises qui n’ont pas fait l’objet de rumeurs, les volumes anormaux ne sont observables qu’à partir du sixième jour précédant l’annonce. Les auteurs concluent ainsi que la présence des volumes anormaux sur la période pré-offre est expliquée par la diffusion des rumeurs publiées dans le Wall Street Journal.

La seconde catégorie des travaux s’intéresse à l’annonce des rumeurs d’OPA en tant qu’évènement indépendant. Pound and Zeckhauser (1990) s’intéressent ainsi aux 42 rumeurs d’OPA publiées dans la colonne « Heard On The Street » du Wall Street Journal entre 1983 et 1985. Les auteurs n’observent aucune réaction des prix ni le jour d’annonce ni les jours suivants; cependant sur les 20 jours qui précèdent la publication des rumeurs, le cumul des rentabilités anormales observé est de 7,5 %. Zivney et al. (1996) corroborent l’étude précédente et observent que certaines rumeurs publiées dans la colonne « Heard On The Street » ont été publiées, en moyenne dix jours avant, dans la colonne « Abstract of the Market » du même journal. Les auteurs observent que les rumeurs publiées dans l’AOTM[4] provoquent une augmentation significative des prix de 7,78 % durant les 20 jours avant la date de la publication des rumeurs. Sur le marché turc, Kiymaz (2001) détecte la présence de rendements anormaux significativement positifs, 4 jours avant la date de publication, tandis que des rendements anormaux négatifs ont été observés sur la période post-publication. Les résultats sur la période prépublication réfutent, selon l’auteur, l’hypothèse de la forme semi-forte de l’efficience. Clarkson et al. (2006) se concentrent sur les rumeurs d’OPA échangées sur le marché australien[5] et observent des rendements anormaux entre t=-2 et t=0 respectivement de 1,09 %, 2,95 % et 2,37 %. Mis à part l’impact des rumeurs sur les prix des entreprises cibles, aucune étude ne s’est réellement intéressée à la variation de la liquidité des titres autour des dates d’apparition des rumeurs dans les médias. Cependant différentes études se sont concentrées sur l’observation de la variation de la fourchette de prix autour des dates d’annonce des recommandations des analystes financiers et des prévisions de résultats qui sont en partie des informations ayant approximativement les mêmes caractéristiques des rumeurs dont principalement l’incertitude. Keynes (1930) estime qu’un actif est d’autant plus liquide qu’il est transformable en espèces dans un délai court et sans perte. La liquidité d’un titre financier peut se mesurer de différentes manières, le volume de transactions et la fourchette de prix se présentent comme les deux mesures les plus utilisées dans la littérature financière (Bushee and Noe (2000), Leuz and Verrecchia (1999) et Welker (1995)).

Le signal transmis par le volume de transactions est évoqué par Easley and O’Hara (1992). Leur modèle se caractérise par la possibilité d’absence de transactions notamment lors des situations de symétrie totale d’informations. Ainsi, l’accroissement du volume de transactions signifie la présence d’informations privées. Dans leur étude sur le marché américain Gao and Oler (2012) constatent que le jour et le lendemain de l’annonce les volumes connaissent une forte augmentation avant de baisser au deuxième jour après l’annonce. Par ailleurs, Graham et al. (2006) présentent un résumé des variations de la fourchette de prix et du volume de transactions lors de l’arrivée d’une nouvelle information sur le marché. En effet et après sa publication, l’information peut soit réduire l’asymétrie d’information (rétrécissement de la fourchette, Admati and Pfleiderer (1988), Easley and O’Hara (1992)) soit au contraire l’augmenter (élargissement de la fourchette, Kim and Verrecchia (1994)).

Toutefois, les modèles de l’asymétrie d’information supposent traditionnellement que l’annonce d’une nouvelle information a tendance à diminuer la situation d’asymétrie d’information se traduisant ainsi par le rétrécissement de la fourchette de prix. Selon ces modèles la fourchette et le volume de transactions retrouvent leurs niveaux normaux après l’annonce de l’information concernant un évènement. Cependant, Kim and Verrecchia (1994) prétendent que l’avantage des agents informés par rapport à ceux qui sont moins informés réside dans leur capacité et leur rapidité à interpréter l’information publiée. Ainsi, la liquidité demeure faible et le niveau d’asymétrie d’information reste élevé même après l’annonce tout en tenant compte du niveau de précision de la publication. Par conséquent, les teneurs du marché vont se prémunir contre le risque de la présence d’agents informés soit en élargissant la fourchette, soit en réduisant la profondeur de marché, soit les deux à la fois. Ceci a tendance à faire baisser la liquidité (Admati and Pfleiderer (1988) et Easley and O’Hara (1992)). En se concordant avec cette idée, l’apparition de certaines informations peut avoir un impact négatif sur la liquidité des titres concernés. En effet, un élargissement de la fourchette de prix est observé le jour même et la veille des publications des recommandations de vente. L’auteur conclut que le niveau de l’asymétrie d’information augmente lors des annonces des recommandations de vente contrairement aux annonces des recommandations d’achat.

Par ailleurs, Lakhal (2008), étudiant l’impact de la communication volontaire sur la liquidité des titres, observe une diminution de la fourchette de prix et une augmentation du volume de transactions à la suite de la diffusion des résultats trimestriels sur le marché français entre 1998 et 2000. Selon l’auteur, bien que les informations liées aux annonces des résultats ont tendance à réduire l’asymétrie d’information, les nouvelles concernant les prévisions des résultats ont tendance au contraire à l’augmenter aussi bien avant qu’après l’annonce. A la lumière des hypothèses théoriques et des résultats empiriques des différents travaux, nous émettons l’hypothèse suivante :

L’apparition des rumeurs d’offres publiques d’acquisition dans les médias affectent significativement les caractéristiques des titres cibles.

Echantillon et méthodologie

Les rumeurs sont collectées à partir de la base Factiva en utilisant une recherche par mots clés tels que : rumeurs d’offres publiques d’acquisition, rumeurs de prises de contrôle, rumeurs de rachat ou encore offres publiques d’acquisition. Après l’élimination des articles qui sortent de notre cadre d’étude, nous avons finalement retenu 200 rumeurs d’offres publiques d’acquisition collectées entre 1997 et 2011.

Les cibles de rumeurs d’OPA sont identifiées selon leur capitalisation boursière et leur secteur d’activité. Ainsi, l’analyse selon le critère de la taille montre que 132 entreprises appartiennent au compartiment A[6], 38 entreprises appartiennent au compartiment B et seulement 30 entreprises qui appartiennent au compartiment C. De ce constat, il s’avère que les rumeurs d’offres publiques d’acquisition visent à priori les entreprises de forte capitalisation boursière. L’importance de la rumeur dans ce cas peut se traduire par l’importance de la cible notamment en termes de capitalisation boursière.

L’analyse descriptive de l’échantillon selon la taille de l’entreprise montre également que la capitalisation boursière des entreprises varie entre un minimum d’un million d’euros et un maximum de 101407 millions d’euros.

Tableau 1

Répartition de l’échantillon selon le marché de cotation

Répartition de l’échantillon selon le marché de cotation

Le compartiment A regroupe les grandes capitalisations d’un montant supérieur à 1 milliard d’euros, le compartiment B rassemble les moyennes capitalisations d’un montant compris entre 1 milliard d’euros et 150 millions d’euros et le compartiment C est comosé des petites capitalisations d’un montant inférieur à 150 millions d’euros.

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Selon la nomenclature ICB[7], les entreprises de notre échantillon sont distribuées sur 24 secteurs dont principalement, les biens de consommation, l’industrie, les institutions financières, la technologie et les services aux consommateurs. Sur le marché australien, Clarkson et al. (2006) trouvent que les entreprises les plus visées par les rumeurs d’offres publiques d’acquisition appartiennent aux secteurs des métaux de base, médias, télécommunication et diverses Industries.

La méthodologie des études d’évènement[8] de Fama et al. (1969) est utilisée afin d’évaluer la réaction des titres des entreprises cibles autour de la date d’apparition des rumeurs. Selon cette méthodologie, la réaction du marché à l’arrivée d’une nouvelle information peut être mesurée par la différence entre les rendements réellement observés sur le marché et une norme théorique qui correspond aux rendements estimés en l’absence de l’évènement. La méthodologie d’évènement est appliquée aux prix, volume de transactions et fourchette de prix. La démarche méthodologique des études d’évènement est la même pour tout type d’évènement. Sa mise en oeuvre est généralement faite selon quatre étapes :

Etape 1 : la détermination des paramètres de l’étude

Les paramètres de l’étude portent principalement sur la date de l’évènement, la période de référence et la fenêtre d’étude.

Date de l’évènement : la date de l’évènement principal de notre étude correspond à la date de la première apparition des rumeurs dans les médias. La collecte des rumeurs sur la base Factiva a donné accès à plusieurs sources à savoir des sites internet, des journaux ou des agences de presse. Cette diversification dans les sources nous permet de gagner en précision en ce qui concerne la date de la première apparition des rumeurs, ainsi le risque d’erreur est nettement inférieur à celui révélé par les premières études qui se concentrent uniquement sur les rumeurs collectées à partir d’une seule source.

La période de référence ou période d’estimation : Armitage (1995) relève que la longueur des périodes de référence est généralement comprise entre cent et trois cents jours. L’estimation de la norme sera donc effectuée sur l’intervalle [-260, -21] avant la date de l’apparition des rumeurs.

La fenêtre d’étude : correspond à la période d’observation de la réaction des cours autour de la date de l’évènement t0. Cette période varie entre dix, vingt et quarante jours centrés sur la date d’annonce (Armitage (1995)). A l’instar de Pound and Zeckhauser (1990) et Zivney et al. (1996), notre fenêtre d’étude s’étalera sur les quarante jours centrés sur la date de l’apparition des rumeurs dans les médias, c’est-à-dire vingt jours avant et vingt jours après la date t0.

Etape 2 : Estimation de la norme

Sur la période de référence la rentabilité attendue en l’absence de l’évènement peut être déterminée principalement par différentes méthodes. L’approche par le modèle de marché est l’approche la plus utilisée dans les différentes études. Le modèle de marché élaboré par Fama et al. (1969) donne une estimation de la rentabilité attendue des titres en fonction du risque et du rendement de marché. Dans ce cadre, Brown and Warner (1985) effectuent des simulations et obtiennent des meilleurs résultats avec le modèle de marché qui sera le mieux adapté pour ce genre de méthode.

Etape 3 : Calcul des Rentabilités anormales

L’application du modèle de marché pour la détermination des rendements espérés sur la fenêtre d’évènement consiste dans une première étape à estimer les coefficients du modèle de marché à partir des rendements des titres et de l’indice de marché sur la période de référence.

La régression est faite selon la méthode des moindres carrés ordinaires :

Après estimation, les rendements attendus, calculés pour chaque entreprise sur la fenêtre d’étude en fonction des coefficients estimés sur la période de référence, se présentent comme suit :

Si les rumeurs d’OPA contiennent une information pertinente pour les investisseurs, elles devraient être accompagnées d’une réaction des prix se traduisant par la présence de rendements anormaux sur la période d’étude.

Cette réaction est donc mesurée par la différence entre les rendements observés et les rentabilités théoriques calculées sur la fenêtre de l’étude.

Une fois les rentabilités anormales calculées pour chaque entreprise, une moyenne pour tout l’échantillon est calculée pour chacun des 41 jours de la fenêtre d’étude.

Les rentabilités anormales moyennes sont ensuite cumulées pour mieux observer la réaction des cours sur la période d’évènement :

Cette même démarche est appliquée aux volumes de transactions et aux fourchettes de prix. L’estimation de la norme n’est pas réalisée selon le modèle de marché mais selon la moyenne calculée sur la période de référence. Les volumes anormaux sont ainsi calculés selon l’équation :

La liquidité est aussi mesurée par la fourchette effective (FE). Le principal avantage de travailler avec la fourchette effective est que cette dernière intègre les trois coûts effectivement supportés par les intervenants notamment les coûts de la sélection adverse (Ajina and Lakhal (2010)).

Les fourchettes effectives sont calculées pour l’ensemble des entreprises de notre échantillon. Les fourchettes anormales sont ensuite calculées sur la fenêtre d’étude en prenant la différence entre les fourchettes calculées sur la fenêtre d’étude et la valeur calculée sur la fenêtre de référence.

Une fois les valeurs anormales pour chaque entreprise calculées, une moyenne est estimée, pour les 200 cibles sur chaque jour de la fenêtre.

Pour le volume anormal :

Pour la fourchette anormale effective :

Etape 4 : Test de significativité

Les tests sont appliqués sur les moyennes des valeurs anormales (prix, volumes et fourchettes) observées pour tout l’échantillon sous l’hypothèse H0 que RAMt; VAMt; FEAMt sont égales à zéro. Les tests de significativité du Signe, de Wilcoxon signé et de Student en coupe transversale sont utilisés pour les valeurs anormales observées pour les prix, les volumes et les fourchettes.

Analyse des résultats

Les résultats montrent que les rumeurs d’offres publiques d’acquisition provoquent bien un mouvement anormal des titres des entreprises cibles. Ceci se traduit par la présence des valeurs anormales des prix, volumes et fourchettes de prix autour de la date d’apparition des rumeurs dans les médias, notre hypothèse est alors validée.

Le jour de l’annonce, la rentabilité anormale moyenne pour tout l’échantillon est de 2,66 % positive et significative à un seuil de risque de 1 %.

Figure 1

Rendements anormaux sur la fenêtre [-10, +10]

Rendements anormaux sur la fenêtre [-10, +10]

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Tableau 2

Rendements anormaux moyens sur la fenêtre d’étude [-10, +10]

Rendements anormaux moyens sur la fenêtre d’étude [-10, +10]

Note : Les rentabilités anormales moyennes correspondent à la moyenne des différences entre les rendements réels des titres et les rendements estimés par le modèle de marché. La date 0 correspond au jour de l’annonce de la rumeur dans les différentes sources. La significativité des rentabilités anormales moyennes (RAM) est vérifiée par les tests de Wilcoxon signé, du signe et du Student en coupe transversale. Les valeurs des tests sont très proches, mais l’interprétation des résultats est faite selon le test de Wilcoxon signé puisque c’est un test qui tient compte non seulement du signe des variables, mais également de leur rang par rapport à l’échantillon. ***significativité à 1 %; ** significativité à 5 % et* significativité à 10 %.

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L’ajustement du marché est réalisé en grande partie au cours de cette journée. Des rendements anormaux positifs et significatifs sont également observés la veille de l’apparition des rumeurs avec une moyenne égale à 0,58 %. Aucune réaction significative des cours n’a été cependant observée après la date d’annonce. Nos résultats s’alignent ainsi avec ceux trouvés par Zivney et al. (1996) sur le marché américain, Kiymaz (2001) sur le marché turc et Clarkson et al. (2006) sur le marché australien. Ces travaux révèlent qu’il y a une réaction positive significative des prix sur la période préannonce qui peut atteindre les 7 % sur les 20 jours. Nos résultats confirment également cette observation, ainsi les cumuls des rendements anormaux calculés sur les fenêtres [-20, -1] et [-10,-1] sont de 0,89 % et 1,28 %. Ces valeurs bien qu’elles soient positives restent inférieures aux valeurs observées par Pound and Zeckhauser (1990) sur le marché américain. Cette différence peut éventuellement être expliquée par le choix des sources de la collecte des rumeurs. En effet, dans notre travail les rumeurs sont collectées à partir de différentes sources (presse écrite, sites internet ou encore agences de presse), nous avons ainsi diversifié les sources dans une tentative de réduire les risques d’erreur dans les premières dates d’apparition. Par ailleurs, Pound and Zeckhauser (1990) et (Kiymaz 2001) suggèrent que la réaction des prix avant la date de l’annonce des rumeurs peut être expliquée par un usage privé des rumeurs avant leur publication d’où la situation d’asymétrie d’information. Cet usage est effectué soit par les parties concernées par l’offre soit par des analystes financiers qui diffusent secrètement l’information à leurs clients et à leurs proches avant son apparition dans les médias (Kiymaz (2001)). Ainsi une stratégie de « pump and dump » est adoptée et qui consiste d’abord à acquérir un nombre d’actions d’une entreprise cible, à lancer, ensuite, une rumeur d’OPA de façon à faire augmenter d’une manière brutale le cours de l’action, enfin, le spéculateur malhonnête n’a plus qu’à vendre les actions initialement achetées à bas prix. Cette stratégie est considérée comme de la manipulation[9] de cours doublée de diffusion de fausse information; elle est sanctionnée par l’AMF.

Les résultats montrent également que l’apparition des rumeurs d’offres publiques est accompagnée par une variation anormale du volume de transactions des entreprises cibles.

Tableau 3

La variation du volume de transactions des entreprises cibles de rumeurs d’OPA

La variation du volume de transactions des entreprises cibles de rumeurs d’OPA

Note : Les volumes anormaux moyens correspondent à la moyenne des différences entre les volumes réels des titres et les volumes estimés la moyenne calculée sur la fenêtre de référence. La date 0 correspond au jour de l’annonce de la rumeur dans les différentes sources. La significativité des volumes anormaux moyens (VAM) est vérifiée en fonction des tests de Wilcoxon signé, du signe et du Student en coupe transversale. Les valeurs des tests sont très proches, mais l’interprétation des résultats est faite selon le test de Wilcoxon signé puisque c’est un test qui tient compte non seulement du signe des variables, mais également de leur rang par rapport à tout l’échantillon. ***significativité à 1 %; ** significativité à 5 % et* significativité à 10 %.

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Figure 2

Variation des volumes anormaux moyens autour de la date d’apparition des rumeurs sur la fenêtre [-10, +10]

Variation des volumes anormaux moyens autour de la date d’apparition des rumeurs sur la fenêtre [-10, +10]

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En effet, nous détectons la présence des volumes anormaux positifs et significatifs deux jours avant la date de l’évènement. Les valeurs anormales observées sur les dates (-2), (-1) et 0 sont respectivement de 17 %, 14 % et 56 % significatives aux seuils de 5 et de 1 %. Ces résultats rejoignent ceux observés sur le marché australien par Clarkson et al. (2006) qui montrent que la diffusion des rumeurs sur le forum de discussion « Hotcopper » génère des volumes anormaux un jour avant et le jour même de l’annonce, les valeurs sont respectivement de 13 % et 16 %. Aucun volume anormal n’est cependant observé après l’apparition des rumeurs sur le forum.

La présence des volumes anormaux la veille de l’apparition des rumeurs dans les médias peut éventuellement être expliquée par la présence des agents informés. Ces derniers vont tenter de profiter de cet avantage informationnel avant l’apparition publique des rumeurs. Ceci rejoint les propos d’Easley and O’Hara (1992) qui évoquent le fait qu’une augmentation du volume de transactions avant la publication d’une information trahit éventuellement une situation d’asymétrie d’information et donc la présence d’agents informés sur le marché.

Le lendemain de l’annonce, le volume de transactions connaît une baisse significative qui se poursuit jusqu’au troisième jour après l’apparition des rumeurs. En effet, une présence des volumes anormaux négatifs est détectée sur les deux jours +1, +2 avec des valeurs respectives de (-24) % et (-21) % et qui sont significatives à un seuil de 1 %.

La baisse du volume de transactions est conforme aux résultats retrouvés par Draper and Paudyal (1999) sur la période post-annonce des offres publiques d’acquisition et aussi aux prédictions du modèle de Kim and Verrecchia (1991). Ces derniers proposent en effet que le volume de transactions connaît une baisse après l’annonce de l’information. Cette baisse se justifie par le fait que les agents non informés s’abstiennent de réaliser des transactions à cause de l’ambiguïté et du manque de précision de l’information rendue publique. En effet après l’annonce, la rumeur prend éventuellement une autre dimension et sort du cadre privé des agents informés et des premiers suiveurs. Eventuellement ces derniers vont prendre conscience qu’il ne s’agit finalement que d’une simple rumeur et non pas d’une information privée. Dans ce cas les agents les moins informés resteront en dehors du marché ce qui se traduit par une baisse des échanges en raison de la mauvaise qualité de l’information. La baisse d’activité observée après l’apparition des rumeurs se justifie donc par l’état de méfiance des différents agents et surtout ceux qui sont les moins informés.

Outres les prix et le volume de transactions, l’étude d’évènement est également appliquée à la fourchette de prix afin de mesurer l’impact des rumeurs sur la liquidité des titres cibles. Les résultats montrent que les annonces des rumeurs d’offres publiques d’acquisition provoquent une baisse de la liquidité observable sur les périodes préannonce et post-annonce des rumeurs dans les médias. En effet, sur les onze jours centrés sur la date d’évènement, nous remarquons que la fourchette effective des titres des entreprises cibles connaît une hausse dès le deuxième jour (0,82 %) avant l’apparition des rumeurs et se poursuit pour atteindre son maximum (2,19 %) le jour de l’évènement, le lendemain elle commence à baisser pour atteindre (1,38 %).

Tableau 4

Fourchettes anormales effectives moyenne sur la période [-5, +5]

Fourchettes anormales effectives moyenne sur la période [-5, +5]

Note : Les fourchettes moyennes correspondent à la moyenne des différences entre les fourchettes effectives observées et les fourchettes estimées par la moyenne calculée sur la période d’estimation. La date 0 correspond au jour de l’annonce de la rumeur dans les différentes sources. La significativité des fourchettes anormales moyennes est vérifiée par les tests de Wilcoxon signé et du signe. Les valeurs des tests sont très proches, mais l’interprétation des résultats est faite selon le test de Wilcoxon signé puisque c’est un test qui tient compte non seulement du signe des variables, mais également de leur rang par rapport à tout l’échantillon. ***significativité à 1 %; ** significativité à 5 % et* significativité à 10 %.

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Figure 3

Variation de la fourchette anormale des entreprises cibles de rumeurs d’OPA

Variation de la fourchette anormale des entreprises cibles de rumeurs d’OPA

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En termes de fourchette anormale, la seule valeur significative est observée lors du jour de l’annonce. En effet, nous observons un élargissement anormal de la fourchette qui atteint 1,29 % à la date t0. Cependant, il est essentiel de préciser que notre étude porte sur un échantillon composé principalement d’entreprises qui appartiennent au compartiment A et dont les titres se caractérisent par leur grande liquidité. Ceci se justifie par les valeurs des fourchettes anormales négatives et significatives observées autour du jour de l’évènement.

L’élargissement de la fourchette de prix est expliqué dans la littérature par la hausse des coûts de sélection adverse réclamés par les apporteurs de liquidité pour se prémunir contre le risque de l’éventuelle présence d’agents informés. Ceci traduit une baisse de la liquidité des titres des entreprises cibles de rumeurs d’offres publiques. Ces résultats rejoignent les idées avancées par Kim and Verrecchia (1994) qui montrent que l’annonce de certaines informations provoque une augmentation de l’asymétrie d’information et par la suite une baisse de la liquidité des titres visés. Selon ces auteurs cette situation est due d’une part au degré de la précision de l’information et d’autre part à la capacité de certains agents à mieux interpréter les informations annoncées. La présence d’asymétrie d’information lors ou après la date d’annonce est également vérifiée lors des études consacrées aux annonces des prévisions de résultats (Lakhal (2008)) ou encore aux recommandations des analystes financiers.

Conclusion

Cette recherche a été consacrée à l’étude de l’impact des rumeurs d’offres publiques d’acquisition sur les prix, les volumes et les fourchettes de prix des titres des entreprises visées. L’étude est réalisée sur 200 cibles de rumeurs cotées sur le marché français entre 1997 et 2011.

Nos résultats montrent la présence des valeurs anormales autour de la date d’apparition des rumeurs dans les médias, confirmant ainsi l’impact de ce genre d’informations sur le comportement et sur les croyances des investisseurs sur le marché. Nous avons constaté également que la présence de ce genre d’informations provoque une baisse de la liquidité des titres visés se justifiant par l’élargissement de la fourchette des prix. Une situation d’asymétrie d’information est donc détectée entre ceux qui détiennent la vérité concernant la rumeur en question ou tout simplement les agents informés (parties concernées par l’offre, analystes financiers, leurs proches ou les lanceurs de rumeurs) et les suiveurs ou les agents non-informés. Deux situations se présentent :

Dans le cas où les rumeurs sont finalement confirmées, ces dernières peuvent se présenter éventuellement comme le résultat d’une fuite d’informations entre les parties concernées par l’offre. L’information privilégiée est alors camouflée sous la forme de rumeur. La seconde situation concerne les rumeurs démenties ou ignorées qui se présentent comme le résultat des anticipations des analystes financiers qui, en se basant sur certains indicateurs économiques et financiers, peuvent détecter les potentielles cibles d’offres publiques et transmettre par la suite l’information à leurs clients et à leurs proches. La diffusion de ce type de rumeurs peut trahir l’éventuelle présence de lanceurs de rumeurs dans le seul but de la manipulation des cours.

La rumeur d’OPA est réglementée, depuis 2006, sur le marché français. Ce dernier est l’un des premiers à appliquer cette réglementation. Une extension de cette recherche peut se faire sur le marché anglo-saxon, où la régularisation de ce type de rumeurs vient d’entrer en application depuis le 19 décembre 2011, cinq ans après son application sur le marché français. Des études futures pourront également s’intéresser aux types de rumeurs financières autres que les rumeurs d’offres publiques d’acquisition. Ainsi, une typologie selon le contenu des rumeurs pourra être proposée en s’intéressant davantage aux origines et aux impacts de ce phénomène sur le marché financier.