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Issue d’approches critiques du fonctionnalisme et du marketing (Papanek, 1984 ; Margolin et Margolin, 2002), la notion de « design social » s’est diffusée ces dernières années, notamment dans les espaces professionnels de l’architecture et de l’urbanisme aux prises avec une injonction délibérative et participative croissante (Blondiaux et Sintomer, 2002 ; Nonjon, 2006 ; Carrel, 2013) et parfois contraints de relégitimer leur intervention (Champy, 2001).
Terme générique – d’autant plus fort que flou (Boltanski, 1982) –, le design social désigne un ensemble d’intentions et de méthodes, plus ou moins délimitées et formalisées, censées rompre avec les formes de planification centralisées du passé, et oeuvrer à une conception participative des objets urbains et des espaces construits ou aménagés (Deboulet et Nez, 2013). Alain Findeli, qui fut professeur à l’École de design industriel de la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal, décrit le « changement de paradigme » qui s’opère dans les années 1990, dans le sillage d’une critique amorcée deux décennies plus tôt :
C’est ainsi que l’on découvrit que le design n’était pas, contrairement à ce que le langage courant dit encore souvent, une activité de résolution de problèmes ; que ses « problèmes » étaient toujours mal définis (wicked ou ill-defined) ; que la phase de construction de la problématique était essentielle à la bonne conduite d’un projet ; que la formulation de la commande d’un projet exigeait toujours d’être remise en question et reconstruite ; qu’un modèle devait aider à penser et non à s’en dispenser ; que les destinataires de nos projets n’étaient pas seulement des consommatrices ou des usagers ayant des besoins à satisfaire ou à combler mais qu’ils étaient, eux et elles aussi, porteurs de projets ; qu’il convenait de distinguer l’agir du faire et du fabriquer ; qu’un produit de design n’était pas nécessairement matériel ; que sous le look se cachaient d’autres significations que celles que le marketing nous imposait, et bien d’autres choses bien instructives encore
Findeli, 2003 : 14
Design social, mais aussi architecture participative, architecture citoyenne, participatory design, sustainable design, urbanisme participatif, laboratoires vivants ou living labs… sont autant de dénominations qui ont fleuri depuis pour désigner cette tendance protéiforme, que nous souhaitons questionner dans ce numéro, en l’appréhendant dans la diversité de ses expressions locales et nationales (France, Québec, Italie et Autriche).
La pertinence de ces nouvelles pratiques de fabrication de l’espace peut d’abord s’évaluer à l’aune de leur propension à innover ou à étendre concrètement le changement social à la trame des relations et des usages de l’espace, mais aussi aux représentations ou aux concepts mêmes par lesquels l’espace humain est imaginé, délimité et habité. Aussi ce numéro se penche-t-il, avec les outils des sciences sociales, sur des projets d’aménagement qui prétendent subordonner l’urbanisme et l’architecture à la « participation », et qui revendiquent dès lors a minima l’inclusion de publics (« clients », « habitants », « citoyens » et/ou « usagers », selon la manière dont on les nomme et définit) dans la production de la ville.
Par-delà la multiplicité des formes et l’extrême diversité de leurs enjeux économiques, politiques, sociaux ou culturels, ces projets « participatifs » semblent de prime abord remettre en question la primauté – voire le monopole – accordée au « professionnel », à l’« expert » et à l’élu en matière de décision concernant l’environnement – construit ou non – et ses usages. Les articles rassemblés dans ce dossier, s’ils prennent au sérieux ces démarches et en restituent finement l’économie, les technologies et la mise en oeuvre, montrent également combien – et comment – ces figures traditionnelles de la décision, et la division des rôles et du pouvoir qui les accompagnent, résistent, le plus souvent, se redéployent et se réinventent plus qu’elles ne se dissolvent. En maintenant ainsi un « plafond de verre » de la démocratie représentative, qu’il ne suffit décidément pas de vouloir « briser » pour y parvenir (Lefebvre et Roger, 2009).
Appréhender le design social comme objet implique dès lors de s’intéresser de manière centrale aux professions et aux professionnels (Nonjon, 2006) qui s’en saisissent, et à la manière dont ces pratiques – qu’ils contribuent en grande partie à définir – modifient, entament ou non, leur rôle et leur prééminence. Si certains placent parfois leur action dans le sillage des « luttes urbaines » radicales des années 1960 et 1970, beaucoup revendiquent aujourd’hui une approche nettement plus « pragmatique », dépolitisée et dépolitisante.
Plusieurs perspectives s’offrent à qui veut comprendre et problématiser le design social aujourd’hui. Il y a d’abord, si l’on accepte de s’en tenir à la modernité occidentale, les trajectoires historiques des pratiques de design et d’architecture elles-mêmes depuis le xixe siècle (Choay, 1965 ; Fiell et Fiell, 2005). Trop peu théorisées ou conceptualisées encore, au point où l’on peut déceler une « lacune épistémologique » dans la production scientifique à l’égard de l’histoire du design (Flamand, 2013 : 12), toutes ces trajectoires soulèvent pourtant d’une façon ou d’une autre des questions incontournables, qui ont trait à la division du travail et à la production industrielle, à la différenciation sociale, à la rationalité technique, à la composition des nouvelles hiérarchies et des nouveaux rapports de pouvoir, et à l’individualisation des pratiques. Par exemple, les philosophies sociales et les utopies de Robert Owen, de Charles Fourrier ou de William Morris ont nourri le mouvement moderne tout autant que sa critique, critique qui se poursuit jusqu’à nous ; les communautés libertaires, le mouvement Arts & Crafts, l’école du Bauhaus, le Situationnisme, le Design radical nous offrent des variations étonnantes d’une pensée de l’espace qui cherche à conjuguer l’« agir » (politique) et le « faire » (technique). Le design social s’inscrit bien dans ces trajectoires historiques, mais il reste à expliquer comment celles-ci sont redéfinies maintenant, dans le contexte de nos controverses sociospatiales et de nos désormais « politiques de la démocratie participative » (Gourgues, 2013), dont il est un avatar.
Une autre perspective consiste à examiner de près les expériences et les interventions qui, le plus souvent à l’échelle locale et microsociale, tentent de modeler l’espace habité et ses usages, à partir de préoccupations artistiques, culturelles et politiques. Les effets de ces expériences participatives, où se rencontrent et souvent se « heurtent » professionnels et militants, élus et fonctionnaires (O’Miel et Mongy, 2014), chercheurs, artistes et techniciens, se font sentir dans des domaines aussi différents que l’habitat, l’aménagement des places publiques et du paysage, la patrimonialisation, le transport, l’environnement, le loisir, l’éducation, la santé, ou encore l’implantation de lieux de culte, autant de thématiques présentes dans ce numéro.
On a ainsi vu apparaître depuis quelques années une grande variété d’actions dédiées à un urbanisme alternatif, ouvert à une certaine indétermination et hétérogénéité (Adaptative Actions, 2013 ; Borasi et Zardini, 2008 ; Miessen et Basar, 2006 ; Petcou et al., 2007). Pour n’en nommer que quelques-unes : créer un système intégré d’agriculture urbaine, aménager des parcelles abandonnées en espaces publics et en terrains de jeu, implanter des centres d’emploi et des espaces de travail mobiles, offrir gratuitement un abri et des services (hébergement, vêtements, nourriture) à des personnes vivant l’itinérance, construire des logements pour des travailleurs en attente de visas… L’intérêt de ces initiatives vient du fait que, notamment en vertu de leur caractère souvent éphémère et instable, elles posent avec une extraordinaire acuité les défis, tant éthiques que politiques, de la participation. Elles interrogent les finalités et les ambiguïtés des politiques dites de « revitalisation » urbaine ou d’aménagement et, en retour, déstabilisent le statut de l’« objet » (mobilier urbain, réseau routier, interstice, place publique, bâtiment, paysage…), dans toutes ses dimensions esthétiques et pratiques, jusqu’aux « régimes de valeur » contestés (Hatchuel, 2013 : 212) qui lui donnent sens. Les prétentions sociales et politiques de l’art participatif, après avoir été largement célébrées, ont d’ailleurs été la cible de sérieuses critiques (Bishop, 2012 ; Chagnon, Neumark et Lachapelle, 2011).
Ces pratiques alternatives n’épuisent donc pas les controverses persistantes autour de leurs finalités et de leurs effets, indépendamment des désirs de ceux qui les portent. Plusieurs enquêtes sociologiques ont ainsi montré récemment comment certaines interventions artistiques ou actions culturelles contribuaient à rendre les espaces « dégradés » de la ville plus désirables pour des populations mieux nanties, participant – volensnolens – à des dynamiques de gentrification (Tissot, 2011 ; Collet, 2015) et à l’éviction – ou au maintien à « bonne » distance – des indésirables.
Les contributions réunies ici soulignent pour la plupart combien ces dynamiques participatives, si elles ouvrent parfois des brèches et remettent en cause des formes routinisées de domination, ne suppriment pas pour autant les luttes et les inégalités, constitutives de l’espace urbain comme de l’espace social. Aussi, comme on le suggère dans ce numéro, il est nécessaire de réinscrire les pratiques de design social ou d’urbanisme participatif dans un cadre problématique plus large. Nous pouvons en identifier au moins deux axes : le premier touche aux débats autour de la démocratie participative et ses expérimentations, le second, à la question de l’innovation, de sa mesure et de ses effets sur un certain nombre de professions – notamment celles qui revendiquent la « propriété » (Abott, 1988) du traitement des questions urbaines.
On le sait par moult travaux (Sintomer, 2009 ; Rosenberg, 2009, Poletta, 2013), l’idée de participation s’est imposée dans les années 1960, en des sens parfois antagonistes, mais souvent comme alternative au modèle dominant de démocratie représentative et à ses effets censitaires (Gaxie, 1978). La critique des dispositifs participatifs, d’abord peu formalisés/institutionnalisés, et de leurs limites ne se fit pourtant pas attendre. Dès 1983, Jacques Godbout souligne ainsi, à partir de terrains de recherche québécois, certains mécanismes de dépossession et de réaffirmation du rôle des « experts » (Godbout, 1983).
Ces critiques se sont multipliées depuis, au gré des recherches empiriques conduites sur ces dispositifs et de leur institutionnalisation. Au point que, d’alternative au modèle de la démocratie représentative, la démocratie participative semble désormais s’être muée en auxiliaire privilégié (et quasi obligé) de la décision publique. Les dispositifs participatifs font ainsi désormais partie des mécanismes ordinaires de gouvernement et sont très souvent initiés par les pouvoirs publics eux-mêmes, en quête de légitimité et de… « publics » à mobiliser (Gourgues, 2010). Le design social peut/doit dès lors être appréhendé comme l’un des instruments de gouvernement de cette panoplie participative.
S’ils sont donc souvent conçus et mobilisés dans l’optique de faire disparaître ou d’atténuer les conflits potentiels entre parties, voire d’éviter le politique (Eliasoph, 2010), les dispositifs participatifs ont parfois pour effet inattendu de révéler des intérêts sociaux contradictoires, de susciter des clivages et des contraintes d’arbitrage (Mazeaud, 2012). Comme le fait remarquer justement Guillaume Gourgues :
la participation publique ne peut jamais être considérée comme totalement verrouillée, contrôlée, administrée. L’assignation des rôles, des procédures et des comportements que les dispositifs s’efforcent de prescrire – certains de manière plus visible que d’autres – se confronte aux capacités de résistance des participants, réelles ou potentielles
Gourgues, 2013 : 129
En ouvrant un espace d’expression et de mobilisation, souvent fortement contraint, il est vrai, certains dispositifs participatifs amènent les acteurs sociaux qui y participent à se définir de façon plus ou moins inattendue. Et parfois même à se « prendre au jeu » et au rôle, voire à déborder du cadre prescrit (cf. l’article de Claire Carriou, par exemple). Comme le montrent les articles réunis ici, les participants ont souvent d’autres ressources et répertoires mobilisables que ceux de l’« exit » d’un côté ou de la « résistance » frontale de l’autre.
La question de l’innovation et de sa mesure mérite dès lors d’être posée. L’attention portant alors moins sur la délibération et la prise de décision, et davantage sur le processus d’« invention », ses conséquences inattendues (Couturier et Etheridge, 2013 : 73-74). Les approches sociopragmatiques et la théorie de l’acteur-réseau se rapprochent ainsi, d’une part, des démarches plus endogènes des porteurs ou des animateurs de projet, et, d’autre part, des interactions complexes entre « biens » et « agents » dans le processus d’invention, ou des « sites de problématisation » qui le caractérisent : le design se définit en effet difficilement par l’objet produit ou son matériau, peut-être plus facilement par son « raisonnement de conception », qui fait de l’inconnu avec du connu, qui crée « avec préméditation des “expansions” du connu » (Hatchuel, 2013 : 209-210). L’effort réflexif et le regard critique induits sont soulignés par Michel Callon dans un article récent, où il s’interroge sur l’emprise de l’innovation, devenue elle aussi un véritable impératif dans la société contemporaine :
La société n’est plus considérée comme une structure stabilisée ; elle est vécue et décrite comme un processus ininterrompu qui remet constamment en chantier les êtres et leurs relations […] Ce n’est pas parce que l’innovation devient un processus ouvertement et explicitement collectif que la démocratie installe ses quartiers au coeur de l’économie. Mais l’importance de ce vocabulaire et des pratiques qu’il désigne atteste de l’émergence d’interrogations sur les rapports entre économie et politique ainsi que sur le tracé des frontières qui les séparent
Callon, 2013 : 121-123
Ces deux appréhensions complémentaires du design social, comme instrument de participation incertain et procès d’innovation, nous rappellent une nouvelle fois que l’espace et ses usages se trouvent au coeur de luttes indissociablement matérielles et symboliques (Edelman, 2012), à partir desquelles se joue l’expérience démocratique.
Si les rapports qu’entretiennent l’architecture et la politique, le design et le pouvoir – rapports souvent placés sous le signe de l’idéologie, de la rhétorique, de la propagande, du contrôle ou de la régulation – ont fait l’objet de nombreuses réflexions (Cacciari, 1993 ; Freitag, 1992 ; Jameson, 2007 ; Sennett, 1992), il faut questionner non seulement les contraintes et les obstacles à la participation sociale, mais aussi ses malentendus, ses faux-fuyants et ses « opportunités », tant pour les participants que pour ceux qui inventent et diffusent de nouveaux dispositifs (Nonjon, 2006).
Le tropisme envers les espaces centraux urbains, auquel ce numéro n’échappe pas totalement, ne doit pas occulter que de nombreux territoires périphériques se trouvent aujourd’hui soumis à de fortes pressions. Alors que ces pressions (provenant de la production agricole, de l’exploitation des ressources naturelles, du développement résidentiel, du transport, des politiques d’aménagement, du tourisme, du design publicitaire, des mesures de sécurité, des opérations militaires ou de l’intervention humanitaire) conduisent parfois à des équilibres ou à des compromis précaires entre acteurs, elles sont d’abord des occasions de conflits et d’initiatives citoyennes, qui mettent en débat et en pratique, sous différentes formes collaboratives ou participatives, des manières alternatives de s’approprier l’espace et de le définir. Les expériences participatives et/ou collaboratives étudiées dans ce numéro interrogent donc les dynamiques de constitution de la « société civile » et les modalités d’exercice du pouvoir, tout autant que la formation des identités individuelles et collectives, professionnelles, toutes ancrées dans des territoires à partager, à conquérir ou à reconquérir. Le présent numéro de Lien social et Politiques se caractérise donc par la diversité des terrains investigués (lieux et échelles, types d’action, groupes et projets urbains étudiés), des regards disciplinaires (de la sociologie à l’urbanisme, en passant par la science politique et les études urbaines), mais aussi des méthodes employées (ethnographie parfois, collecte de matériaux d’entretiens ou d’archives, prosopographie…).
Ce numéro se compose de trois parties. Dans un premier temps, les articles proposés mettent au jour la diversité d’intérêts et de revendications autour de l’aménagement de l’espace, qu’il s’agisse de patrimonialiser d’anciens sites industriels, de choisir le lieu d’implantation d’une mosquée ou de reconvertir une ancienne église. Dans un deuxième temps, des articles associant parfois chercheurs et professionnels reviennent sur des expériences innovantes de codesign et sur leur réception. Dans un troisième et dernier temps, nous avons choisi de rassembler des articles qui insistent sur les appropriations locales des dispositifs participatifs, qui portent ici notamment sur la question (centrale) de l’habitat.
La première partie concerne avant tout les controverses et les luttes autour de l’aménagement ou de l’occupation de l’espace, ainsi que les expériences citoyennes et/ou militantes d’appropriation de l’espace. Taiclet fait émerger la dimension mémorielle et symbolique des luttes pour l’appropriation de l’espace, et plus spécifiquement les rapports contradictoires que travailleurs et résidants peuvent entretenir envers le patrimoine industriel ; la préservation de l’artefact apparaît pour les uns comme le signe d’un déclin et d’une disparition de l’activité minière, pour les autres comme un élément essentiel du paysage et de l’histoire de la communauté. O’Miel et Talpin soulignent comment le rôle des experts peut se trouver conforté plutôt que mis en question dans les processus de consultation, et que par ailleurs le résultat inattendu d’une controverse favorise la reconnaissance et la présence d’une communauté particulière dans l’espace public. Roy, Sénécal et Desroches soulignent comment les conflits autour d’un enjeu de design urbain s’inscrivent dans les transformations de l’action communautaire à l’échelle du quartier, et comment ces conflits peuvent, par le biais de « conciliabules » éphémères et de liens informels, laisser place à l’expression de points de vue jusque-là confinés à l’extérieur des instances décisionnelles.
La deuxième partie porte sur les expérimentations participatives, les processus de conception et de recherche-action. Devisme et Ouvrard offrent un point de vue critique et documenté sur des « exercices de prospective » assortis de diverses formes de consultation publique dans la région de Nantes. Les auteurs attirent l’attention sur le travail de « cadrage » opéré par les nouveaux intermédiaires que sont les consultants, ainsi que sur les nouvelles figures de l’expertise en contexte d’« incertitude ». Faburel et Chevallier discutent d’une démarche collaborative mise en place lors de l’édification d’une ligne à haute tension en Champagne-Ardenne. La discussion révèle des enjeux à la fois techniques et politiques de l’aménagement de l’environnement et des paysages, et souligne la persistance de « verrous professionnels » ainsi que de la « méfiance » des participants devant les postures unilatérales des experts. Abrassart, Gauthier, Proulx et Martel décrivent deux expériences de codesign dans des bibliothèques de quartier et en exposent les traits théoriques et pratiques. Une attention particulière est consacrée aux processus d’innovation et d’apprentissage, pour en tirer des leçons en vue d’une « sociologie par le design ». Tenailleau montre que l’expérience de design social entourant une école ouverte s’insère dans des mouvements et des revendications plus larges, politiques et pédagogiques. Tandis que formes et fonctions du bâtiment sont censées répondre aux nouvelles pédagogies, le cas étudié met en relief l’importance des coalitions à l’échelle nationale ; l’échec ou la réussite du projet en dépend. La troisième partie rassemble des études sur les politiques publiques et le rôle des institutions en matière de logement, de développement local, d’aménagement et de revitalisation/réhabilitation des espaces urbains. Devaux se penche sur l’habitat participatif, mais plus particulièrement sur ses effets en tant qu’outil de démocratisation dans la production du logement à grande échelle. Malgré les gains, de nombreux obstacles apparaissent : en plus de la réticence de certains des acteurs institutionnels et professionnels, on reconnaît les obstacles habituels à la participation, dont le coût en temps et en argent, et la nécessité d’un fort capital social et culturel. Meyfroidt examine le cas de l’habitat groupé à Vienne, sous l’angle de l’action publique d’abord, qui connaît une longue tradition à Vienne, ainsi qu’en regard du rôle d’intermédiaire que joue l’architecte, entre la communauté et le promoteur. Ferchaud et Dumont soulignent que les tentatives de réformes des procédures classiques de concertation relèvent pour une part de la « mise en scène » et continuent à valoriser les acteurs institutionnels, mais cependant créent des « échappées », des « dynamiques collatérales » : elles offrent alors de véritables expériences de coconstruction et ont pour effet imprévu d’activer le lien social, de provoquer de nouvelles initiatives locales. Carriou fait elle aussi un constat nuancé : dans certaines conditions, le cadre participatif voit se constituer de nouvelles stratégies. L’émergence d’un conflit entre habitants et porteurs de projet peut par exemple provoquer la prise de parole de citoyens qui se sentaient jusque-là vulnérables ou impuissants. Ces revendications prennent de plus une dimension collective, même si le projet en est un d’accès à la propriété et même si la dimension « coopérative » du logement n’est pas partagée pas tous les habitants.
L’ensemble des contributions, aussi varié soit-il, propose donc une réflexion sur les enjeux démocratiques et politiques de l’aménagement du territoire, mais aussi sur la manière dont ces questions spatiales et urbaines contribuent à l’aménagement des dispositifs participatifs, entendu, dans le double sens de leur conception et design, mais aussi de la fréquente euphémisation de leurs ambitions délibératives initiales.
Parties annexes
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