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Dans ce tout dernier ouvrage de Ben H. Shepherd, reader in history à la Glasgow Caledonian University, ce dernier se penche sur l’histoire de l’armée allemande au cours du IIIe Reich. Utilisant des sources primaires préservées à la Bundesarchiv-Militärarchiv, une pléthore de sources secondaires ainsi que des lettres de soldats issues de la Feldpostbriefe, l’auteur brosse le portrait de cette armée, et ce, à travers toutes les régions occupées par celle-ci. Le sujet est abordé sous quatre aspects distincts mais complémentaires, à savoir la performance militaire de l’armée, sa relation avec le régime hitlérien, son rôle dans l’occupation et sa culpabilité dans la perpétration de crimes de guerre.
Le premier thème de cet ouvrage, la performance militaire de l’armée allemande au cours de la Seconde Guerre mondiale, est très bien explicité. En effet, l’historien discerne parfaitement ce qui fit de la Wehrmacht une des meilleures armées de l’époque : son Auftragstaktik, son habileté à toujours améliorer sa doctrine et l’entraînement de ses troupes, la discipline de ses soldats et l’initiative, la flexibilité et l’agressivité de ses officiers. Cependant, les propos du professeur Shepherd ne se transmuent point en un panégyrique de son sujet d’étude. Autant ce dernier semble admirer les indéniables qualités de l’armée allemande, autant il déboulonne moult mythes l’entourant. C’est ainsi qu’il met en exergue l’inanité de la pensée stratégique de l’état-major allemand, l’incompétence crasse de la FHO (Fremde Heere Ost), les échecs logistiques de l’armée et les erreurs des militaires les plus admirés pour leurs prouesses opérationnelles (Guderian et von Manstein entre autres).
La seconde composante de ce livre concerne la relation des forces armées avec le régime nazi. À ce sujet, l’auteur ne révolutionne point l’état des connaissances sur la question. Il se borne à ce qui est aujourd’hui considéré comme étant une lapalissade ; Hitler a acheté la complicité des dirigeants militaires. En effet, ces derniers furent fort aises de voir les nazis leur offrir ce qu’ils désiraient par-dessus tout : une augmentation de la taille de l’armée, le retour du service militaire obligatoire, des investissements dans les technologies de pointe, la mobilisation de la société et, évidemment, un programme de réarmement doté d’un pharaonique budget. L’historien nous montre aussi très bien, à l’occasion de promotions, de remises de médailles ou de dons monétaires ou immobiliers, comment le Führer acheta la connivence de certains des plus grands militaires allemands de l’époque. Bref, la communauté d’intérêt formée par l’armée et les nazis, qui perdura grosso modo jusqu’à la mort d’Hitler, fut basée sur la réaffirmation de la puissance allemande, le désir d’adopter une politique expansionniste à l’Est et le dédain envers les bolchéviques, les Juifs et les Slaves.
Quant au rôle de l’armée au cours de l’occupation et sa culpabilité dans les crimes de guerre, force est d’admettre que cette institution ne peut plus guère revendiquer avoir les mains propres comme elle le fit jadis. Shepherd, pendant des centaines de pages, s’évertue à expliquer le processus de brutalisation et de radicalisation des soldats allemands. On découvre ainsi que cette armée non seulement cessa progressivement de se plaindre des massacres perpétrés par la SS (Blaskowitz en Pologne), mais que ses unités participèrent à des exécutions de masses, détruisirent des villages entiers, tuèrent des innocents (incluant des enfants) en représailles pour des actions de partisans, aidèrent logistiquement la SS lors de l’Holocauste et laissèrent mourir, dans des conditions abjectes, des centaines de milliers de prisonniers de guerre qui tombèrent entre ses mains. En somme, les nazis auraient été dans l’impossibilité de poser leurs gestes criminels à l’égard des populations européennes sans l’apport de l’armée.
Bien que les thèses défendues par Shepherd n’ont généralement pas un caractère pionnier, ce livre foisonnant représente une merveilleuse synthèse de ce que fut la grandeur et la décadence de l’armée allemande. Le texte est limpide, agrémenté de statistiques, de photos, d’annexes autant intéressantes que pertinentes, le tout basé sur une vaste maîtrise du sujet de la part de l’auteur.
Toutefois, la démonstration de Shepherd ne saurait être considérée comme étant achevée, car son sujet d’étude est si vaste qu’il requiert beaucoup plus de détails, de données et de remarques qu’il est possible d’en fournir à l’intérieur d’un seul volume. Heureusement, les explications jamais absconses de cet historien sont propices à donner envie à ses lecteurs de parfaire leurs connaissances sur ce sujet en lisant ensuite les Bartov, Citino, Frieser, Fritz, Glantz et Stahel. Par contre, quelques coquilles polluent le texte et on aurait apprécié une facture visuelle plus relevée par l’ajout de cartes géographiques (sept cartes pour un ouvrage d’histoire militaire nous semblent bien peu).
Au final, il s’agit d’un bon pavé de plus de 600 pages qui plaira assurément aux lecteurs s’intéressant à l’histoire allemande et plus particulièrement aux passionnés de la Seconde Guerre mondiale.