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Le titre de ce livre annonce assurément un ouvrage à portée historique. Étonnamment, cependant, dans le quintuplé d’auteurs qui le cosigne ne se trouve aucun historien. Roland Chamberland est un médecin qui a pratiqué sa science pendant un quart de siècle dans des communautés autochtones. Steve Audet est travailleur social depuis une dizaine d’années dans ces mêmes communautés. Serge Bouillé est directeur d’un centre d’accueil pour délinquants autochtones. Mariano Lopez est éducateur et s’occupe principalement d’Autochtones traités pour des pathologies de l’accoutumance. Enfin, Jacques Leroux est docteur en anthropologie et auteur d’une thèse sur la mythologie, la cosmologie et l’organisation sociale chez les Algonquins. Des cinq membres de ce collectif d’auteurs, ce dernier est le seul qui détient une formation que l’on juge habituellement préalable à ce genre de recherche. Il est donc à souhaiter que les plumes caustiques du milieu universitaire ne les affublent pas du vocable amérindianistes du seul fait d’avoir osé, une fois, exploré le monde cartographique du xviie siècle.
L’objectif avoué à l’origine de cette recherche laissera assurément quelque peu perplexe la clientèle cible de ce type d’ouvrage : se pencher sur l’histoire des Algonquins « afin de mieux répondre aux questions soulevées par la pratique clinique » à Kitcisakik (p. 1). Absente tout au long de l’ouvrage, cette dimension de la pratique clinique rebondit à la toute fin. Dans les dernières lignes de leur conclusion, les auteurs nous apprennent en effet que cette étude « de l’évolution du territoire des Kotakoutouemis se poursui[vra] dans un deuxième livre », et que « l’abondance des données recueillies » prépare « la voie à un troisième qui portera sur les déterminants historiques à l’origine de la destruction sociale en milieu algonquin », et même à un quatrième ouvrage qui traitera plus précisément de la pratique clinique ayant mis à jour des « fantômes », lesquels trouveront vraisemblablement leur genèse dans les observations extraites de ce premier volume portant sur le xviie siècle. Je laisserai à d’autres le soin de juger de la validité de la démonstration dans ses explication et application cliniciennes. Quant à la dimension historique, le lecteur comprendra rapidement pourquoi ces néophytes dans le monde de la recherche sur l’histoire autochtone du xviie siècle ont séduit leurs éditeurs. L’approche par petits pas sur cette terre inconnue de Kotakoutouemis, à partir de la Carte de la Nouvelle-France de Champlain datée de 1632, de la carte anonyme Nouvelle-France réalisée vers 1641 et des planches de Nicolas Sanson dessinées en 1656 et en 1657 revisite avec perspicacité certains lieux communs sur l’histoire des petits peuples de l’hinterland québécois. Certes, les auteurs posent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses. Chaque segment de leur démonstration se termine en effet par une série d’interrogations, dont quelques-unes seulement soulèvent une amorce de solution. Les questions dressées ne manqueront pas, toutefois, d’interpeller les historiens et les ethnolinguistes, qui sont ici en quelque sorte conviés à se remettre à leur table de travail, afin d’apporter des éclairages nouveaux : les premiers, par exemple, devraient pouvoir fournir quelques données convaincantes à savoir si l’ethnonyme Attikamègues évoquait, vers 1640, un groupe local, une microbande ou une bande régionale dont l’une des microbandes aurait été constituée des Chaovaeronons (p. 129) ; aux seconds de résoudre l’énigme à savoir si le synthème Kovatohota reflète dans son étymologie l’ampleur des rassemblements au pays des Outakouamioueks (p. 138). L’ouvrage fourmille de telles interrogations fort per-tinentes, dont les réponses, si elles étaient aussi finement formulées, permettraient des pas de géants dans la connaissance des communautés indiennes au temps des premiers contacts.
Jamais ouvrage n’aura cependant aussi bien porté son titre : terra incognita ; même après 266 pages de lecture, le territoire des Kotakoutouemis reste plutôt flou et mal connu du lecteur : quelque part à l’est des Algoumequins que Champlain situait dans la vallée inférieure de la rivière des Outaouais, et quelque part à l’ouest des Attikamègues, aux sources de l’actuelle rivière Saint-Maurice. Et pour cause. Les Kotakoutouemis du xviie siècle n’ont laissé que peu de traces dans les écrits ethnohistoriques, il s’avère donc difficile pour les chercheurs même les mieux intentionnés de faire la lumière sur une peuplade qui ne trouve qu’une poignée de mentions sur plus de cent ans d’archives. Ce résultat peu déterminant ne rend cependant pas honneur à l’effort déployé par les auteurs, qui ont même, par exemple, poussé le zèle jusqu’à scruter à la loupe les cartes topographiques actuelles et des séries de photographies aériennes afin de répertorier les chutes d’eau pouvant correspondre aux descriptions données par le père Buteux, lors de son voyage au pays des Attikamègues, en 1651. De façon générale, l’ouvrage est d’ailleurs d’une facture remarquable. Des reproductions de cartes anciennes, des agrandissements de détails de cartes, la fabrication de cartes schématisées et une série de tableaux illustrent de façon exemplaire la démonstration. De même, la couverture bibliographique recense les principaux ouvrages cernant le sujet à l’étude, et la recherche cartographique fait même preuve d’une rafraîchissante curiosité.
Bien qu’à des lunes des débats fratricides qui marquent actuellement la recherche sur l’histoire amérindienne, les conclusions de cette étude ne manquent toutefois pas de faire ressurgir certaines pommes de discorde. Selon ces auteurs, on peut difficilement douter du fait que les Kotakoutouemis ont « accueilli et intégré à leurs familles » un certain nombre de membres en fuite parmi les groupes Algoumequins de Champlain et, entre autres, des Kichesipirinis et des Weskarinis. Le mot maudit n’est pas écrit, mais ces auteurs ne documentent-ils pas le mixage ethnique, lorsqu’ils écrivent que « les Kotakoutouemis se seraient vraisemblablement repeuplés en se mariant, entre autres, avec des réfugiés méridionaux et des membres des nations du Nord », entraînant par le fait même un « remaniement ethnique » au sein de leur communauté (p. 223-224) ? La formule employée devrait être suffisamment douce aux sensibles oreilles anthropologiques pour ne pas jeter le discrédit sur l’ouvrage. Les partisans d’une autre lecture historienne s’interrogeront cependant sur le juste emploi du verbe pronominal « se sont repeuplés » : la démonstration n’est pas faite à savoir si ce sont les Kotakoutouemis qui se sont effectivement repeuplés sur le territoire, ou si c’est le territoire qui s’est repeuplé de réfugiés de différentes provenances. De même, le pont que l’on tente de jeter entre les Kitcisakikininis, qui occupent actuellement les sources de la rivière des Outaouais, et les Kotakoutouemis, qui auraient, au temps de Champlain, occupé le même territoire, reste des plus fragiles ; qu’il suffise ici de citer l’un des arcs sur lequel repose ce pont : « la popularité des tournois indigènes et des foires à la brocante ne rappelle-t-elle pas l’attirance des populations qui vivaient jadis le long de la vieille route du cuivre pour les assemblées et les foires commerciales ? » Sur la base de tels rapprochements, les partisans de l’histoire immuable ne tisseront-ils pas les liens ancestraux d’une continuité tribale remontant à la nuit des temps ?