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Contexte

Dans le cadre d’une recherche collaborative en cours, une collecte de donnée portant sur la perception de l’environnement sociopédagogique des élèves issus des classes des personnes enseignantes participantes a eu lieu dès le premier mois du projet. Les données ainsi collectées visaient à brosser un portrait de la situation (i) pour soutenir l’élaboration du dispositif de formation et d’accompagnement (Collerette, 2021), (ii) pour orienter les choix des objectifs de développement professionnel (Kennedy, 2019) et (iii) pour documenter les effets des changements de pratique sur la perception des élèves grâce à des collectes de données similaires subséquentes (Galand et Janosz, 2020). Une fois les données collectées et analysées, plusieurs réflexions de l’équipe de recherche paritaire, composée de personnes chercheuses issues du milieu universitaire et du terrain, ont été nécessaires afin de choisir quand et surtout comment présenter les résultats aux personnes participantes tout en préservant le contrat réflexif qui les lie aux personnes chercheuses (Descamps-Bednarz et al., 2012). L’objectif de cette chronique est donc d’exposer une portion de la démarche ainsi que certaines réflexions liées à la présentation visuelle de données de recherche afin qu’elles soient comprises et utilisées par les personnes enseignantes participantes.

Résultats à présenter

Au tout début de la recherche collaborative, les personnes enseignantes participantes ont demandé des données sur la perception de leurs élèves de leur environnement sociopédagogique. Ce cadre conceptuel, issu des travaux de Janosz (1997, 2007), renvoie à six climats (figure 1) qui constituent l’environnement des classes d’éducation préscolaire et d’enseignement primaire : 1) relationnel ; 2) pédagogique ; 3) évaluatif ;  4) de sécurité ; 5) de justice ; 6) d’appartenance (Carpentier et al., 2021, 2022).

Figure 1

Les six climats de l’environnement sociopédagogique

Les six climats de l’environnement sociopédagogique

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Les données collectées auprès de 185 élèves issus des classes des 12 personnes enseignantes titulaires participantes ont montré une perception négative du climat évaluatif et une perception très négative du climat de sécurité. Des analyses comparatives ont aussi été effectuées selon le genre des élèves et leur niveau scolaire en utilisant le barème de significativité de Fisher et l’ampleur des tailles d’effet de Cohen (Carpentier et al., accepté).

L’équipe de recherche, composée de trois chercheuses universitaires (deux professeures et une doctorante) ainsi que de trois personnes chercheuses du milieu de pratique (toutes conseillères pédagogiques), devait donc présenter des résultats plutôt mitigés au tout début du projet de recherche collaborative. Trois rencontres de l’équipe de recherche ont eu lieu pour discuter des modalités de formation et de la posture d’accompagnement à privilégier lors de la présentation des résultats et des notes personnelles ont été prises dans les journaux de bord respectifs. Lors de ces moments d’échange, des discussions ont eu lieu sur divers aspects, notamment la temporalité, les modalités de formation (ex. : discussion de groupe) ainsi que leur logistique (ex. : composition des groupes) et les connaissances des personnes participantes (année d’expérience, leadership dans l’école).

Concrètement, lors de ces rencontres, les données ont été présentées et explicitées aux personnes chercheuses du milieu de la pratique et elles ont été questionnées quant aux différentes façons de présenter les résultats aux personnes participantes pour qu’ils soient compris, réinvestis et mobilisés. Les modalités de formation ainsi que la posture d’accompagnement privilégiées dans le cadre de cette recherche collaborative ont aussi été rappelées afin de faire des choix cohérents. C’est donc en adoptant une posture d’accompagnement de guidance, qui tend vers la coconstruction de savoirs, que les choix de présentation des données ont été effectués dans le souci de favoriser des discussions de groupe et des réflexions pour soutenir une mobilisation des connaissances par les personnes participantes. Alors que cette chronique porte sur les réflexions et les choix liés à la présentation visuelle des résultats, un second article (Carpentier et al., soumis) est consacré plus spécifiquement aux modalités de formation et à la posture d’accompagnement privilégiée lors de cette présentation de données « sensibles ».

Présentation visuelle des résultats

D’emblée, les personnes chercheuses du milieu de pratique ont soulevé des doutes sur les tableaux de données quantitatifs utilisés pour présenter les résultats. Elles ont fait plusieurs propositions pour que les données soient plus facilement interprétables, notamment en utilisant des diagrammes à bande, des diagrammes circulaires ainsi que des représentations matérielles. Par exemple, la moyenne du climat de sécurité (x=2,76), même bien expliquée, n’allait pas, selon eux, être marquante alors qu’une représentation visuelle le serait peut-être plus. Après plusieurs tentatives, la manière retenue de rendre visibles les moyennes a aussi permis aux personnes participantes de comparer concrètement les résultats entre les climats pédagogique et de sécurité (figure 2).

Figure 2

Représentation visuelle de la moyenne des climats pédagogique et de sécurité

Représentation visuelle de la moyenne des climats pédagogique et de sécurité

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Les représentations des analyses comparatives ont aussi été au coeur des réflexions du comité restreint de la recherche. En effet, les personnes chercheuses du milieu pratique craignaient qu’un seuil de signification et une taille d’effet ne soient pas assez concrets et parlants pour les personnes enseignantes participantes. Les résultats de cette collecte de données devaient soutenir l’identification d’objectifs de développement professionnel et devenir des indicateurs pour constater les effets éventuels des changements de pratique lors des prochaines collectes de données (rappelons qu’il est prévu de mesurer la perception des élèves de leur environnement sociopédagogique chaque année du projet). En ce sens, il a été convenu d’expérimenter différentes représentations pour déterminer laquelle faciliterait le plus la compréhension. Ce sont les diagrammes à bandes (Figure 3) qui ont été retenus à cet effet parce qu’ils permettront aisément de faire des comparaisons entre les résultats obtenus aux différents moments de collecte de données (an 1, 2 et 3). Certains choix liés notamment à l’association d’une icône pour chaque climat (figure 3), aux couleurs employées (bleu pour le positif et orange pour le négatif) et à l’ordre de présentation (du plus positif vers le plus négatif) ont été faits dans un souci de cohérence visant l’appropriation et le partage des résultats.

Figure 3

Diagramme à bandes représentant les résultats de l’analyse comparative du climat de sécurité selon le genre

Diagramme à bandes représentant les résultats de l’analyse comparative du climat de sécurité selon le genre

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En somme, puisque ces résultats devaient être non seulement présentés, mais surtout acceptés, compris et utilisés par les personnes participantes, les réflexions et les discussions de l’équipe de recherche ont d’abord porté sur leur présentation visuelle.

Discussion et conclusion

Les résultats en général, et particulièrement ceux liés au climat évaluatif et au climat de sécurité, perçus plus négativement par les élèves, ont nécessité une réflexion sur leur présentation visuelle aux personnes enseignantes participantes. La démarche réflexive employée ainsi que les nombreuses itérations des présentations visuelles par le comité de recherche ont été possibles, en partie, grâce à la parité de chercheuses universitaires et de personnes chercheuses du milieu de pratique. En effet, « la participation de personnes issues des milieux universitaires et scolaires permet de favoriser la production de savoirs pertinents pour les deux milieux de pratique en même temps qu’elle contribue à la professionnalisation de l’enseignement » (Beauchesne et al., 2005, p. 377). Pour tendre vers une réelle collaboration qui favorise à la fois une compréhension mutuelle des objets de recherche et une réduction de l’écart entre le monde de la recherche et celui des praticiens (Colognesi, 2018), Van Nieuwenhoven et Colognesi (2015) indiquent qu’il faut établir une relation symétrique, répartir les responsabilités, avoir une vision partagée de l’utilité du projet, tenir compte des contraintes et des réalités diverses, valoriser l’expertise de chacun et qu’il faut également que les bénéfices du projet soutiennent le développement personnel et professionnel des personnes chercheuses issues des milieux scolaire et universitaire. En somme, après une première année du projet, il est possible de croire que l’utilisation de données collectées rapidement au début d’une recherche collaborative peut favoriser une mobilisation des savoirs et l’identification d’objectifs de développement professionnel en cohérence avec les besoins du milieu (Carpentier et al., accepté). En revanche, il importe de souligner que cela nécessite des réflexions préalables, notamment sur la présentation visuelle de ces données par l’équipe de recherche et exige que cette équipe soit constituée de personnes chercheuses universitaires et du milieu de pratique.