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Introduction

Presque toutes les sociétés ont réservé aux femmes les mêmes catégories de traitement avec des évolutions variées vers l’équité dans la distribution des tâches, vers la reconnaissance d’habiletés particulières ou vers l’équité salariale. Cette variation se manifeste aussi bien par l’étendue des secteurs touchés que par la qualité des changements réalisés. L’étendue et l’ampleur de ces changements féminisants dans le secteur éducatif ont fait l’objet d’un récent rapport de l’UNESCO (2018) qui conclut que malgré une belle progression, plusieurs pays se trouvent loin du compte. Quant au Burkina Faso, il a élaboré, à la faveur des projets d’inclusion sociale, notamment celui du Partenariat mondial pour l’éducation, un programme sectoriel de l’éducation et de la formation dont un des objectifs est « d’éliminer totalement les disparités liées au sexe à tous les niveaux du système éducatif en 2025 » (Partenariat mondial pour l’éducation, 2013, p. 65). Nous nous posons alors la question suivante : au Burkina, quelle est l’ampleur des changements au bénéfice des femmes enseignantes?

Au Burkina comme en Afrique, en enseignement, l’absence de parité au sein du corps enseignant a longtemps été un fait indéniable lié aux stéréotypes culturels. L’étude de Lauwerier et Akkari (2015) fait état d’une moyenne en 2006 de 45 % de femmes en Afrique subsaharienne, avec quelques écarts importants selon les pays. Ils expliquent que les faibles proportions se retrouvent là où les stéréotypes culturels sont plus élevés. Par exemple, on observe 65 % d’enseignantes au Niger, mais seulement 14 % au Tchad. Quant au Burkina Faso, la figure suivante (figure 1) montre que l’évolution graduelle de la proportion des femmes enseignantes vers la parité avec leurs collègues masculins.

Figure 1

Comparaison de la proportion de femmes enseignantes au cycle primaire

Comparaison de la proportion de femmes enseignantes au cycle primaire
Source : Banque mondiale (2017)

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De plus, ces données indiquent que l’évolution de la proportion de femmes au Burkina dans le milieu enseignant n’a atteint le niveau subsaharien que récemment, passant de près de 30 % en 2003 à 45 % en 2015, soit 15 points de pourcentage sur plus d’une dizaine d’années. Si quantitativement tout tend à se résorber, il semble en être tout autrement sur le plan qualitatif.

L’indice qui met la puce à l’oreille est le peu de femmes enseignantes au sein des postes de direction et du personnel de formation. En effet, 7 % des enseignantes contre 25 % des enseignants masculins sont directrices d’école (Kaboré, Lairez et Pilon, 2003, p. 232). Quand on sait que l’évolution vers le poste de direction demande une certaine aisance dans la préparation des concours de promotion et un meilleur contrôle sur les tâches quotidiennes afin de se livrer à des activités de développement professionnel, on peut conclure que quelque chose ralentit la progression de carrière chez les enseignantes.

De plus, dans le tableau suivant (tableau 1), quand nous observons l’évolution de la proportion du personnel formé au Burkina, rien n’indique que les femmes enseignantes devraient démériter d’avoir autant de postes de responsabilité dans la profession, surtout si l’on compte en leur sein davantage de personnel formé.

Tableau 1

Évolution comparée de la proportion du personnel formé au sein du corps enseignant au Burkina Faso

Évolution comparée de la proportion du personnel formé au sein du corps enseignant au Burkina Faso
Source : (Banque mondiale, 2017)

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Le plafond de verre que l’on retrouve dans plusieurs secteurs de la vie active et dans plusieurs pays (UNESCO, 2018, p. 21) apparait bel et bien au-dessus des femmes dans la profession enseignante au Burkina Faso. Une autre manifestation de ce plafond est la composition, en 2011, de l’équipe de formation des enseignants à l’école normale supérieure de Koudougou : 82 % d’hommes et 18 % de femmes (Bureau international d’éducation, 2011). Le Burkina Faso a donc une étape à franchir, comme dans les années 80 au Canada : « la disproportion la plus flagrante est celle qui est observée dans les écoles primaires dans lesquelles, avec près de 90 % d’enseignantes, on ne retrouve que 35 % des femmes directrices ou adjointes » (Conseil supérieur de l’éducation, 1984, p. 16).

Cependant, nous constatons que, même au Canada, l’éclatement du plafond de verre est un lent processus puisqu’une vingtaine d’années plus tard, Karsenti, Collin et Dumouchel (2013), d’une part, et Tardif (2013), d’autre part, font le même constat quelque peu décevant : malgré l’augmentation de la proportion d’enseignantes au primaire, les statistiques mettent en lumière la persistance de la sous-représentation des femmes aux postes de gestion en éducation. Pourtant, ce plafond de verre qui barre la route vers les postes de direction n’est qu’un élément dans la difficile intégration des femmes dans la profession enseignante au Burkina Faso. Qu’en est-il de leur quotidien?

Problématique

Peu d’études semblent avoir analysé le vécu des femmes enseignantes au Burkina Faso. Les journaux évoquent de temps en temps des problématiques connues, des lieux communs (Kaboré, 2015). Les études font accessoirement mention des enseignantes en traitant plutôt du thème de la scolarisation des filles (Kaboré, Lairez et Pilon, 2003; Niada, Kircher, Kangnama et Zouré, 2013; Ouoba, Tani et Touré, 2003). Leurs conclusions peuvent être ramenées à ceci : pour améliorer la scolarisation des filles au Burkina Faso, les enseignantes devraient se comporter en modèles, être dans les classes et quelquefois dans les organes décisionnels. Kaboré et al. (2003) et l’étude du PASEC (2016, p. 92) constatent l’effet positif de cette présence du modèle féminin sur la réussite scolaire des filles dans la classe. Depuis, les enseignantes sont encouragées à être les porte-étendards de la scolarisation des filles.

On peut malheureusement constater que l’intérêt porté aux enseignantes burkinabè correspond moins à leurs propres conditions qu’à ce qu’elles peuvent rapporter en étant des modèles féminins pour leurs cadettes. Comment s’écarter de cette vision utilitariste de la femme enseignante au Burkina Faso pour s’intéresser aux conditions d’exercice de la femme en tant que professionnelle de l’enseignement?

Selon van Essen et Rogers (2003), en Occident « les travaux concernant la formation et la professionnalisation des enseignantes ont souvent été menés de pair avec ceux qui étaient consacrés à la féminisation » (paragr. 14), et l’amélioration de la situation de la femme dans la profession enseignante a été davantage soutenue par les mouvements féministes. En Espagne, en Allemagne et en Russie, les mêmes auteures établissent un lien entre le mouvement féministe et la professionnalisation vers la fin du XIXe siècle.

Davantage de femmes entrent dans la profession avec l’expansion des écoles féminines et cherchent à se faire reconnaitre comme des professionnelles. Ce moment coïncide avec le développement de mouvements féministes qui vont militer pour l’amélioration de l’éducation féminine. Leurs revendications passent en général par des demandes d’une meilleure formation pour les enseignantes, par l’accès aux examens et aux diplômes masculins, et par la création d’associations professionnelles qui veillent aux conditions de travail des femmes.

van Essen et Rogers, 2003, paragr. 16

Progressivement, la tentation de décrire la profession enseignante par l’image de la femme a laissé place à des assises plus « professionnelles » tout en maintenant une distance des courants masculinisants. Cette création d’une identité spécifique a pris naissance dans la volonté d’offrir à la femme une formation initiale plus solide. Elle a aussi permis son intégration à une structure de défense d’intérêts entrainant, dans certains cas, la mise en place de syndicats non mixtes. La formation des femmes enseignantes en Occident s’est donc arrimée au développement d’une identité enseignante libératrice et propre à la femme.

Au Burkina Faso, l’amélioration du statut de la femme enseignante pourrait emprunter le même chemin, mais les structures déficientes du syndicalisme unisexué nous orientent davantage vers l’amélioration du vécu de la femme enseignante. La raison est qu’elle a les pieds dans le système scolaire comme l’école elle-même l’a fait au Burkina Faso : entrer dans une culture qui ne lui est pas à priori favorable et où l’homme a antérieurement joué le rôle du sage qui enseigne. En ce sens, elle commence par la même planche d’appel que son homologue en Occident : « En entrant dans le domaine inconnu d’enseignantes mariées, ces femmes ont défié les attitudes patriarcales dominantes, ont transformé leurs propres vies, et ont fourni des occasions à la prochaine génération de femmes mariées » (Corman, 2002, p. 81). Ce qu’elles vivent dans les écoles joue sur leur personnalité, leurs motivations et leurs aspirations. Gálvez, López-Martín, Manso et Valle (2018) montrent par exemple que certaines situations désavantagent les femmes enseignantes quant à leur sentiment d’auto-efficacité dans les pays européens tandis que Sanli (2019) montre la même tendance pour le sentiment d’être en contrôle de sa pratique professionnelle. Cela nous ramène encore une fois au quotidien de la femme enseignante.

Plus précisément, au Burkina Faso, qu’est-ce que le milieu social et scolaire, chargé des divers aspects de la culture africaine, crée comme difficultés ou obstacles à l’exercice de la profession chez les femmes enseignantes?

Cadre théorique

À partir de leur recherche sur l’insertion professionnelle des jeunes enseignants, Mukamurera, Lakhal et Tardif (2019) ont défini cinq concepts intéressants : l’insertion professionnelle, qui s’étend de l’entrée dans la profession jusqu’au fonctionnement efficace dans le système scolaire; l’intégration, qui survient quand l’enseignant réussit à passer au-dessus de la précarité en début de carrière; cette intégration s’accompagne d’une socialisation organisationnelle (SO) qui correspond à l’adoption de comportements, l’acquisition de connaissances et le respect de normes du milieu de travail afin de permettre une meilleure interaction professionnelle avec les différents acteurs; la professionnalité – gestion de la classe (PGC), qui touche à la pratique professionnelle en classe à laquelle ils ajoutent la professionnalité – différenciation pédagogique (PDP) pour la gestion de l’hétérogénéité des élèves et la professionnalité – gestion des apprentissages (PGA) qui porte sur la gestion et l’évaluation des apprentissages; enfin, on y dénombre l’interaction avec les acteurs ou la « dimension personnelle et psychologique » (DPP), qui porte sur les aspects émotionnels et affectifs du travail enseignant en tant qu’expériences humaines complexes (Mukamurera et al., 2019). Leur analyse factorielle confirmatoire a permis de tester la validité de construit de ces cinq facteurs.

Les auteurs qui ont cependant analysé la situation des femmes au travail utilisent moins de concepts sociologiques dans la pratique de la profession enseignante. Par exemple, l’étude de Baillargeon, Brun et Lebel (2017) se focalise surtout sur la dimension personnelle et psychologique, un des concepts de Mukamurera et al. (2019). Il en était de même dans la revue de littérature sur la situation des femmes au travail de Berkovich (2018) basée sur le concept de l’homophilie, qui caractérise la facilité ou la difficulté d’intégration d’un individu au regard des traits similaires qu’il a avec le groupe social, similarités regroupées autour des variables comme le sexe, la couleur de la peau, le niveau académique et le statut socioéconomique.

According to this theory, homophily is a key human inclination, so that similar individuals in the workplace, sense some type of interpersonal attraction fueled by the desire to define one’s self-concept as part of a social group (Goldberg et al., 2010). Relational demography research shows that demographic similarity between individuals at work is associated with individuals perceiving work as a supportive environment.

Berkovich, 2018

On comprend ici qu’en situation minoritaire féminine, les collègues masculins ou des supérieurs immédiats auront tendance à adopter des comportements homophiles au détriment des enseignantes.

L’étude de Baillargeon et al. (2017) avait déjà fait état de cette tendance dans les cultures occidentales et américaines. Elle observait que le fait d’être un représentant du sexe traditionnellement voué aux activités domestiques, couplé au fait d’être encore sous-représenté dans la profession enseignante créait une surreprésentation des facteurs personnels et psychologiques au sein des obstacles de la vie professionnelle.

Cela veut dire qu’au Burkina Faso, les communautés ou les collègues ayant plus de bagages culturels traditionalistes adopteront davantage des comportements misogynes ou homophiles au détriment de la femme enseignante en situation minoritaire : « in cases of gender dissimilarity, teachers are likely to report a weaker perception of trust […], possibly because dissimilarity triggers a subconscious warning mechanism that continually signals to teachers that their social status in the organization is uncertain » (Berkovich, 2018).

Cette diversité conceptuelle sur l’analyse sociologique de la femme en profession (Baillargeon et al., 2017; Berkovich, 2018; Mukamurera et al., 2019) légitime en fait nos réserves à épouser un cadre de référence unique. C’est pour cette raison que notre recherche reste sur une lancée exploratoire dans l’objectif est de mieux décrire toutes possibilités d’obstacles à l’intégration émergeant d’une analyse du quotidien des enseignantes au Burkina Faso. Cependant, les concepts clés définis dans ce cadre théorique nous permettront de mieux nommer ce qui émerge au terme de notre analyse par théorisation ancrée (Méliani, 2013; Paillé, 1994).

Cadre méthodologique

Théorisation ancrée, outils de collecte de données et échantillonnage

Nous cherchons à appréhender les difficultés des enseignantes au Burkina Faso à travers des récits de plusieurs protagonistes de l’éducation primaire. La description de ces difficultés peut être rendue par l’analyse de ces récits selon la démarche de la théorisation ancrée qui est un va-et-vient continu entre la collecte de données et l’analyse des résultats. La meilleure illustration de cette démarche est qu’au départ, nous avions procédé à un échantillonnage des cas typiques (Paillé et Mucchielli, 2016). Cependant, devant la pauvreté des données recueillies, nous avons introduit les cas extrêmes. Dans les faits, puisque l’objectif du ministère est ultimement la réussite scolaire des étudiants, notre sélection des cas extrêmes de circonscriptions[1] s’est faite selon leur taux de réussite scolaire : nous en avons choisi quatre à fort taux de réussite scolaire et quatre autres à faible taux. Nous avons sélectionné deux écoles par circonscription, soit un total de 16 écoles. Dans chaque école, les membres du personnel étaient interrogés, dont au moins le directeur et l’enseignant le plus expérimenté. Là encore, nous avons dû ajouter une représentante féminine quand elle était absente des choix précédents. Le bilan d’échantillonnage reviendra finalement à quatre représentants dans les directions générales, huit inspecteurs dont une inspectrice, huit conseillers dont deux conseillères, 16 directeurs (aucune femme) et 34 enseignants dont 17 enseignantes. Nous avons jugé que cette sélection permettait d’éviter une vision unilatérale du problème.

Quant aux outils de collectes de données, le questionnaire, préalablement choisi, a été abandonné au profit des entrevues semi-directives. Cette décision a été prise quand nous avons constaté que les réponses au questionnaire étaient laconiques et insuffisantes : « le choix des sites, des informateurs est conditionné par l’analyse en évolution plutôt que prédéterminé sur la base de critères “objectifs”. Si des instruments sont utilisés lors de la collecte de données (guide d’entrevue, grille d’observation), ils demeurent toujours provisoires » (Paillé, 1994, p. 153). En fin de compte, les 70 verbatims sont le fruit des entrevues semi-directives auprès des enseignants et des enseignantes et d’entrevues non directives auprès des inspecteurs, des conseillers pédagogiques, des directeurs d’école et des représentants des instances dirigeantes. Les questions étaient axées sur les obstacles liés au développement professionnel, aux soutiens et aux appuis organisationnels apportés indistinctement aux enseignantes et aux enseignants dans l’exercice de leur profession. Dans ce cadre de cette étude, nous n’avons retenu que les discussions liées aux femmes enseignantes. Un autre article a été rédigé à partir de la même collecte; le lecteur se reportera à une publication antérieure (Djibo et Gauthier, 2017).

La catégorisation des données

Toute recherche qualitative peut recourir à plusieurs formes d’analyse de contenu (Dionne, 2018; Paillé, 1994). Dans le cadre de la théorisation ancrée, nous avons choisi une catégorisation plutôt émergente. D’abord séduits par une catégorisation selon les acteurs sociaux interrogés, ce qui s’est révélé être une catégorisation grossière et non productive, nous nous sommes orientés vers la saturation autour des catégories d’obstacles des femmes enseignantes, catégories plus « ancrées » dans les données recueillies.

Cadre d’analyse et d’interprétation des résultats

Notre analyse par théorisation ancrée a surtout respecté les étapes de la catégorisation ouverte et systémique, l’élaboration de l’arbre catégoriel, l’association des regroupements catégoriels et les éléments de théorisation, selon le guide de Marta Anadón et Lorraine Savoie-Zajc (2009). Malheureusement, nous n’avons pas été en mesure de retourner sur le terrain pour valider nos résultats. Cependant, le corpus de 70 verbatims nous paraissait largement suffisant et productif. De plus, notre connaissance du milieu burkinabè comme pays d’origine nous a permis d’être plus confiants face aux erreurs de théorisation des obstacles à l’exercice des femmes enseignantes tout en étant prudents aux biais culturels personnels.

Résultats

L’analyse successive des verbatims a permis de constater une première catégorie primordiale qu’est la volonté politique et sociale d’augmenter les bénéfices de la présence des enseignantes en zones rurales. Ces bénéfices sont reconnus par les encadreurs, les conseillers pédagogiques et les directeurs. La volonté d’augmenter ces bénéfices crée une problématique autour d’un autre groupe de catégories, le lieu d’affectation. Cette catégorie « lieu d’affectation » confronte deux problématiques, dont le surnombre des enseignantes en zones urbaines d’une part et le manque d’ouverture du milieu aux enseignantes en zones rurales d’autre part. Cependant, les problématiques diffèrent dépendamment de la situation matrimoniale des femmes enseignantes, selon qu’elle vit avec son mari, selon qu’elle vit loin de son mari ou selon le fait qu’elle soit célibataire. Enfin, toutes les catégories liées aux obstacles ont des effets cumulés sur la vie professionnelle des femmes enseignantes, une vie professionnelle qui peut englober la gestion des relations professionnelles et l’évolution de carrière des enseignantes.

Les bénéfices de la présence des femmes enseignantes en zones rurales

De l’avis des inspecteurs, des conseillers et des directeurs, la présence des enseignantes est un moteur de promotion du statut de la femme, aussi bien pour les femmes de la communauté que pour les jeunes filles inscrites à l’école. Cette présence est particulièrement bénéfique pour la scolarisation des filles. Le côtoiement des femmes ayant un statut d’enseignant amène certains parents à pousser leurs filles à réussir autant que les garçons.

Par ailleurs, l’enseignante devient un modèle pour les filles. Elles leur formulent davantage de recommandations sur la vie. Elles les conscientisent à viser « plus que les dernières places dans la société contemporaine ». Les enseignantes jouent sur l’effet d’identification pour les exhorter à mieux travailler. Leurs meilleures connaissances des règles d’hygiène en font des agents de sensibilisation auprès des filles et des femmes du village.

De façon plus spécifique, la gestion de la classe est plus facile avec les jeunes classes où les enfants font le rapprochement entre leur mère et leurs enseignantes. Ces rapprochements permettent aussi aux enseignantes de développer des relations plus harmonieuses et pédagogiques avec les élèves, d’où la description inévitable de l’enseignement comme un métier de femmes. L’enseignante leur semblerait plus compréhensive que son collègue masculin, ce qui entrainerait plus d’intérêt des élèves pour les apprentissages. Même quand elles seraient sévères, les enfants les considèreraient quasiment comme leur mère. Toute cette tendance contribue visiblement à un meilleur respect des enseignantes par leurs collègues masculins.

Les aspects plus observables favorables aux enseignantes viennent de la comparaison avec les collègues masculins « qui sortent boire dans les cabarets ». Elles seraient également plus rigoureuses quand on leur confie la gestion financière. Enfin, des directeurs témoignent de la volonté des enseignantes à se former davantage. Tous conviennent qu’en absence de difficulté, l’enseignante performe autant sinon mieux que son collège masculin.

Si aux yeux des interviewés, les bénéfices de la présence de la femme enseignante dans la profession sont énormes et, dans certains cas, sa présence aux postes d’inspectrices, de conseillères pédagogiques et de directrices d’école témoigne d’un réel progrès, la description des obstacles dans les catégories suivantes montre que ces bénéfices sont au détriment d’un certain sacrifice, notamment en zones rurales.

Les obstacles liés au lieu d’affectation

Il ressort des verbatims qu’être affecté en zones urbaines comporte des avantages. L’enseignante y est généralement plus en sécurité et elle a cette facilité à recruter de jeunes filles domestiques un peu plus éduquées afin de l’aider dans les tâches domestiques. Les directeurs apprécient tous aussi la facilité à y trouver des suppléants en cas de congé de maternité. La ville est non seulement caractérisée par une acceptation de l’école, mais une quasi-évidence du droit à la femme à exercer la profession d’enseignante. Dans le meilleur des cas, l’enseignement au primaire est considéré comme un métier de femmes.

Cependant, le décor change dès qu’on aborde la situation du surnombre de femmes enseignantes en ville. Tous font le constat : encadreurs, conseillers, directeurs d’école. L’exemple extrême cité est le cas d’une dizaine d’enseignantes dans une même école ou trois enseignantes dans une même classe. Cette disparité crée un ressentiment des collègues masculins à l’égard des enseignantes. Ils en appellent à une égalité de traitement dans les affectations en zones urbaines.

Contrairement à la ville, être affecté en zones rurales comporte généralement plus de difficultés que d’avantages pour la femme enseignante. Si la majorité des enseignants évite d’être affectée dans un village, les enseignantes n’y font pas exception. Le milieu rural décrit est caractérisé par trois éléments qui peuvent parfois se retrouver au même endroit : certains refus de l’éducation scolaire dite « occidentale », la présence de tendances misogynes et, dans certains cas, la réticence de la communauté locale à recevoir des femmes enseignantes.

Dans un cas particulier, ce sont les femmes de la communauté locale qui semblent être les plus opposées à la présence des femmes enseignantes sur fond d’une jalousie autour d’une des tâches ménagères les plus fréquentes :

Quand [la maitresse] envoie les enfants chercher de l’eau, elles [les femmes du village] disent à la maitresse de venir puiser elle-même son eau. Ils [les élèves envoyés par les maitresses] n’ont pas accès à la pompe facilement. Tu les envoies vers 17 h, ils ne reviennent que vers 19 h. Quand c’est le tour des enfants [de puiser l’eau], les femmes disent que comme c’est pour la maitresse, elle n’a qu’à se lever venir puiser son eau, car elle est femme comme nous. Souvent, elles jettent nos seaux. Par exemple […], elles disent aux enfants de nous dire que si on croit qu’on est femme plus qu’elles, on se trompe et c’est à nous de venir nous-mêmes puiser notre eau et si on veut, on n’a qu’à accoucher des enfants pour les envoyer chercher de l’eau. Ou alors, elles disent aux enfants d’uriner ou cracher secrètement dans l’eau avant de nous l’amener. Il y a une rivalité entre les enseignantes et les femmes du village.

Enseignants, lignes 460-473

L’affectation des enseignantes en zone rurale reste une volonté politique. L’administration a été fortement encouragée à envoyer des enseignantes en région pour lutter contre les préjugés culturels et promouvoir le statut de la femme. Cette croisade contre l’ignorance et le manque d’hygiène dans les communautés villageoises, la déscolarisation des filles, l’absence du modèle féminin est louable.

Cependant, les conséquences de ce dédoublement de la tâche de la femme enseignante sur sa pratique professionnelle et sur sa santé mentale ne semblent pas être suffisamment mesurées. Une telle difficulté nous suggère que les femmes ne vivront pas leurs difficultés d’exercice de la profession de la même manière selon leur statut matrimonial.

Les obstacles liés à la situation matrimoniale de la femme enseignante

Nous retrouvons trois sous-catégories de femmes enseignantes selon leur situation matrimoniale : celles qui vivent seules parce qu’elles sont célibataires ou que leurs conjoints sont éloignés et celles dont les conjoints sont présents.

À leur entrée dans la profession enseignante, la majorité des femmes enseignantes sont déjà en couple ou mariées. L’enseignante ayant minimalement un conjoint bénéficie de l’aura d’être une personne adulte aux yeux de la tradition africaine. De plus, elle présente le modèle traditionnel féminin de la femme accomplie dès qu’elle a une progéniture. Pourtant, cette maternité, qui était un avantage au regard d’une communauté rurale, ne l’est pas nécessairement aux yeux de ses collèges dans sa profession. Comme un encadreur le fait remarquer, la vision du couple est en défaveur de l’enseignante, même mariée à un autre enseignant : « quand un enfant est malade, c’est la femme qui prend congé, et non l’homme, pour s’occuper de l’enfant ». Devant des absences plus fréquentes et des congés de maternité, certains collègues masculins ou supérieurs ne peuvent cacher leur lassitude :

Je m’amuse à dire aux femmes que moi comme président de ce pays, il y a des choses que je ne pourrai admettre. Dans un pays pauvre comme le Burkina, il y a des femmes qui font toute l’année sans travailler. Certaines calculent leur congé de maternité à la rentrée ou vers la fin pour enchainer avec les vacances. À la rentrée, avec l’allaitement, je prends une suppléante. Comment peut-on devenir une enseignante avec cet esprit? Je ne dis pas que c’est tout le monde, mais il y a une certaine majorité. Je pense que nos institutions favorisent ces comportements.

Inspecteurs, lignes 25-31

Les cas extrêmes sont les femmes enseignantes élevant leurs enfants et vivant dans une autre localité que leur conjoint. Elles disent souffrir personnellement et professionnellement de cet éloignement. Certaines sont déchirées sur la conciliation famille-travail. Pendant les jours fériés et les fins de semaine, il est de coutume de faire faire des classes supplémentaires aux élèves pour rattraper certains retards ou mieux se préparer aux examens ministériels. L’enseignante ayant un conjoint éloigné est divisée entre le besoin de profiter de ces jours « pour permettre à ses enfants de voir leur père » et celui d’améliorer la performance de sa classe. De l’avis des conseillers pédagogiques, ce sont ces situations typiques qui peuvent entrainer la réaffectation d’une femme enseignante en ville, quand le mari s’y trouve déjà :

Ils font tout pour ne pas séparer des couples. Même si vous venez de vous marier, dès que le dossier arrive là-bas, même si vous allez être trois enseignants dans une classe, on va vous affecter. Ce qui n’est pas le cas dans la santé par exemple. Vu la difficulté de la tâche, si vous compliquez encore les choses…

Conseillers, lignes 423-428

Quant à la femme enseignante célibataire, elle n’est pas non plus avantagée par son statut aux yeux de la communauté rurale. Dans bien des cultures africaines, le fait de ne pas être marié laisse automatiquement toute personne, fût-elle une femme, au statut d’enfant. Cette perception est évidemment plus forte pour les femmes et donc pour la femme enseignante, ce qui lui confère une immaturité perçue à exercer la profession enseignante, une fonction d’adulte. D’ailleurs, les restes d’une telle conception peuvent être observés dans certaines tribus où tout visiteur non marié, peu importe son âge, est souvent logé avec les enfants (Commission internationale de juristes, 1997) pour la durée de son séjour.

En ville, un tel regard est moins présent sur la femme enseignante célibataire. Elle passe presque inaperçue aux yeux de la communauté scolaire. L’envers de son décor provient de ses collègues masculins, un autre travers social qui porte sur les limites plus floues entre les jeux de séduction et le harcèlement sexuel. Lors de nos entrevues, les allusions à mots couverts sur les agressions sexuelles par des collègues supérieurs n’ont pas manqué. Nous n’avons pas obtenu assez d’éléments pour préciser sur cette sous-catégorie.

Au regard des deux catégories précédentes, il est aisé d’imaginer l’effet induit de ces obstacles sur la vie professionnelle des femmes enseignantes.

Effets cumulés sur la vie professionnelle des femmes enseignantes

La zone rurale semble être la catégorie favorisant un plus grand nombre d’obstacles à l’exercice de la profession chez les enseignantes.

En plus des tendances misogynes et sexistes de la communauté locale, tout se corse au niveau professionnel quand la maternité pointe dans un contexte d’absence de suppléance, une situation qui fait renaitre les tendances homophiles de leurs collègues et de leurs encadreurs. L’on observe que certaines communautés ou certains directeurs vont jusqu’à s’opposer à l’affectation d’enseignantes dans leur école ou à la possibilité qu’elles soient maitresses dans des classes de fin de cycle, qui sont des classes d’examen.

Même si les absences sont justifiables au regard du contexte, les enseignantes font face à l’incompréhension de leur supérieur. Comme le dit l’une d’entre elles : « il faut s’expliquer malgré les certificats médicaux ». Elles subissent donc une énorme pression psychologique pour éviter les congés en cas de maladie, surtout en zones rurales où il n’y a pas de suppléance. Une fois encore, certaines communautés locales cherchent à se prémunir de ces congés de maternité en exigeant le non-dépassement d’un certain ratio de femmes dans leur école.

Des directeurs d’école ont noté que le retour au travail ne peut être totalement effectif si la femme enseignante est toute seule à s’occuper de son rejeton. Cette absence de soutien familial caractérise les conjoints burkinabè dont la plupart se cachent derrière la division traditionnelle des activités domestiques. Dans les récits, l’on retrouve des cas extrêmes où des maris sans compassion s’opposent à ce que l’enseignante fasse des travaux scolaires à la maison.

Par rapport à leur carrière, la vie des enseignantes mariées ne leur donne pas le temps de mieux préparer les élèves aux examens ou d’être mieux préparés lors de la visite d’évaluation des encadreurs; certaines sont en retard dans les corrections.

Sur le plan de la gestion de classe, dépendamment des communautés locales, les élèves plus âgés deviennent difficiles à gérer pour les enseignantes. Leurs compétences et leur force physique et mentale sont également mises à rude épreuve quand elles héritent d’effectifs pléthoriques :

Moi, j’ai des difficultés. […] Par exemple, il faut faire deux ou trois devoirs par jour avec soixante-quinze élèves. Imaginer, s’il faut faire deux devoirs par jour… [Le soir], il faut corriger près de 150 devoirs, préparer son cours et être dynamique le lendemain et aussi il ne faut pas laisser le côté familial clocher.

Enseignants, lignes 242-248

Devant l’ampleur de ces différents résultats, il convient de les mettre en perspective avec d’autres recherches.

Discussion

L’objectif de départ de notre recherche était de décrire les obstacles liés à l’exercice de la profession chez les enseignantes au Burkina Faso à l’aide des entrevues semi-directives et non directives. L’analyse des résultats nous a permis de faire émerger différentes catégories en toute connaissance de cause des biais liés aux analyses qualitatives (Anadon et Savoie-Zajc, 2009). Malgré le silence qui entoure ce phénomène au Burkina Faso, nous constatons que nos résultats font état de différents obstacles en adéquation avec les concepts que nous avions retrouvés chez Mukamurera et al. (2019), Berkovich (2018) et Baillargeon et al. (2017).

La catégorie « lieu d’affectation » nous a permis de décrire des concepts retrouvés chez Mukamurera et al. (2019, paragr. 10) comme « l’intégration en emploi, l’affectation spécifique et les conditions particulières de la tâche » à la socialisation organisationnelle (SO). Au Burkina, la situation dans les zones rurales est telle que les enseignantes ne veulent pas y être affectées. Venant parfois elles-mêmes de ces milieux avant d’étudier dans les villes, elles peuvent envisager ou être informées des conditions d’exercice de la profession qui peuvent entrainer, selon Mierzejewski, Broccolichi, Joigneaux et Sinthon (2018, paragr. 41) un désenchantement : « l’effet de désenchantement est particulièrement net, lorsque les nouvelles conditions de travail ne permettent pas de réinvestir les acquis professionnels engrangés, non sans mal, dans les contextes d’exercice précédents. ». On le voit aussi dans les résultats liés à la catégorie des effets cumulés sur la vie professionnelle : au lieu d’être concentrées sur le réinvestissement de leurs acquis professionnels, les enseignantes dépensent leurs énergies à combattre des préjugés culturels, à surmonter l’absence de solidarité féminine chez les consoeurs villageoises, à s’invertir énormément dans des activités parascolaires. Si les conditions de socialisation se sont amenuisées en Occident pour laisser la place à la socialisation intrascolaire, au Burkina Faso, la socialisation dans la communauté locale où l’école est implantée semble incontournable. Les résultats confirment que les oppositions de la communauté peuvent donc avoir un effet perturbateur. À statut égal entre écoles défavorisées en Occident (Kamanzi, Tardif et Lessard, 2015) et en zones rurales, c’est le pouvoir des acteurs de la communauté locale au Burkina qui surprend. C’est un concept supplémentaire à considérer quand on parle de socialisation ou de l’insertion des enseignants dans le contexte africain.

Le deuxième lot de résultats en importance recoupe nos concepts théoriques comme la dimension personnelle et psychologique chez Mukamurera et al. (2019), Baillargeon et al. (2017) d’une part et d’autre part l’homophilie chez Berkovich (2018). Le vécu personnel et psychologique difficile des enseignantes est à la fois lié à une socialisation rurale et communautaire politiquement mal évaluée et une socialisation interne et scolaire contrecarrée par des comportements homophiles des collègues ou des directeurs. Ces oppositions ont ceci de commun qu’ils récusent ce qu’il y a de plus intrinsèque à la femme enseignante, sa féminité et sa maternité (Devineau, 2016). Le retour du congé de maternité est loin d’être la fin de la maternité pour les femmes enseignantes, la culture africaine, comme bien d’autres, « lui ayant enseigné à être mère et épouse lui fait souvent prendre, avec son travail à l’extérieur, une double responsabilité sur ses épaules sans vraiment s’en rendre compte. Elle se doit d’être performante à la maison et à l’école » (Houle, 1993, p. 140). Il ne faut donc pas s’étonner que « la propension au décrochage serait élevée chez les femmes, chez ceux qui ont commencé la carrière très jeune et chez ceux qui sont mariés ou ont de jeunes enfants » (Kamanzi et al., 2015, p. 62). La fatigue générée par ce double emploi s’accroit au long des années et est plus lourde au primaire qu’aux autres cycles d’enseignement (Mukamurera et al., 2019).

L’autre relation interpersonnelle difficile empreinte d’homophilie se vit au sein de l’équipe-école et porte sur la gestion des absences dues à la maternité. Elle crée des situations de méfiance avec le supérieur immédiat. Dans l’étude de Berkovich (2018) sur la relation hiérarchique dans l’enseignement, donner sa confiance à la personne du sexe opposé est plus difficile. Plus loin, Berkovich (2018) met en lumière le danger d’occuper le poste de directeur dans un milieu éducatif dominé par le sexe opposé. La confiance qui repose sur la personne qui occupe le poste devient une question de perception : « Whereas the difference in affective trust in the principal is more likely to be the result of gender difference between teacher and principal, the difference in cognitive trust requires some explanation. Cognitive trust in a leader is not only about perceived credibility but also about perceived capability » (Berkovich, 2018). On peut donc mieux comprendre les constats déjà existants sur le terrain : les relations homophiles peuvent freiner le gout des enseignantes à s’orienter vers les postes de responsabilité dans un contexte minoritaire.

Quand ces deux pôles relationnels, avec la communauté et avec l’école deviennent problématiques, les conséquences rejoignent ce que Boulet et Le Bourdais (2016) mettent sous la notion ou l’absence de soutien social : « les femmes qui bénéficient d’un soutien social élevé au travail ont une probabilité nettement plus faible de connaitre la détresse psychologique, comparativement à celles qui reçoivent peu de soutien » (Boulet et Le Bourdais, 2016, p. 456). Inversement, les mêmes auteurs notent que « le fait pour une femme d’avoir accès à un nombre élevé plutôt que faible de pratiques de conciliation réduit par près de la moitié la probabilité qu’elle a de connaitre un niveau élevé de détresse » (2016, p. 459).

Enfin, en troisième analyse, nous constatons que les enseignants sont capables de faire tout simplement leur travail, travail regroupé dans les catégories de Mukamurera et al. (2019) : gestion de la classe, la différenciation pédagogique (hétérogénéité) et gestion des apprentissages (gestion et évaluation) quand elles sont libérées des obstacles documentés. L’action de l’enseignante selon les objectifs de l’école comme institution scolaire est alors visible sur la socialisation et la scolarisation des filles (UNESCO, 2018, p.24). Au Burkina Faso, les recherches de Kaboré, Lairez et Pilon dénombrent des taux de persévérance plus forte des filles chez les femmes enseignantes. Ils constatent également que le taux d’inscription des filles aux concours ministériels au dernier cycle du primaire est plus élevé quand le poste de direction est occupé par une femme (Kaboré et al., 2003, p. 230).

Ce chemin de la libération semble passer inexorablement par l’aide aux travaux domestiques, comme on le voyait en France, où, pour réussir professionnellement, les femmes devaient « sous-traiter les tâches ménagères et la garde des enfants pour répondre aux demandes de la hiérarchie ou d’autres instances susceptibles de valoriser ses compétences » (Cacouault-Bitaud, 2007, p. 290). Certes, quelque part, on peut s’attendre des femmes enseignantes la capacité de mieux gérer la conciliation travail-famille, mais cette gestion ne survit pas quand les femmes enseignantes de notre échantillon font face à la pression des résultats (Mukamurera et al., 2019). De plus, il en ressort que pour certaines enseignantes, les conjoints éloignés physiquement ou culturellement du foyer ou des tâches domestiques ont du chemin à faire.

L’autre chemin de libération est la nécessité d’une formation initiale plus solide (Polat et Iskender, 2018; Sanli, 2019) comme la meilleure vaccination pour éviter la perception de perte de contrôle ou d’auto-efficacité. Au Burkina Faso, malheureusement, notre étude antérieure (Djibo et Gauthier, 2017) tend à montrer que la seule formation initiale des enseignants, bien qu’elle soit plus solide dans les écoles publiques que dans les écoles privées, reste insuffisante pour faire face aux conditions difficiles de la profession. Cependant, la participation à la formation continue n’est possible que si la femme enseignante réussit à se dégager de temps à autre de ses impératifs quotidiens.

Conclusion

Pour toute enseignante oeuvrant dans un pays développé, à certains égards, les obstacles à l’exercice des femmes enseignantes au Burkina peuvent paraitre ceux d’une autre époque et créer la tentation de jeter un regard inintéressant sur une telle étude. Pourtant, la lutte pour une meilleure intégration de la femme dans les diverses sphères de la société place chaque pays sur une ligne du temps plus ou moins proche du futur pour les plus chanceux et moyenâgeux pour plusieurs pays africains.

Le silence assourdissant qui règne autour du quotidien difficile de plusieurs femmes enseignantes au Burkina Faso est décortiqué à la lumière de notre approche par la théorisation ancrée partiellement appliquée et qui limite la portée de nos résultats à notre échantillon de 70 entrevues auprès d’enseignants, de directeurs, de conseillers pédagogiques, d’inspecteurs et de représentants d’instances gouvernementales. La compréhension de ce quotidien est la suivante.

Dans la volonté noble d’améliorer la scolarité des filles et de leur donner, ainsi qu’à leurs mères, un modèle féminin, les femmes enseignantes sont encouragées à s’investir dans les zones rurales presque au-delà de la limite de leur fonction d’enseignante. C’est un premier élément distinctif des résultats où l’on perçoit les conséquences de la volonté politique d’attendre de l’école d’être un agent de socialisation et d’éducation de la communauté où l’enseignante est sur la ligne de front, et selon les cas, sans préparation distincte, sans soutien familial, sans soutien des collègues. En aval, notre recherche dégage la prise en compte de la socialisation dans la communauté locale comme facteur préparatoire à l’intégration professionnelle de la femme enseignante.

La littérature nord-américaine tend à confirmer les difficultés psychologiques, professionnelles et familiales qui peuvent remettre en question l’efficacité de leur intervention si rien n’est fait. Au-delà de l’atteinte de la parité, les femmes enseignantes au Burkina Faso sont engagées malgré elles dans une double lutte indissociable, celle contre les travers culturels de leur société et celle contre les obstacles à l’exercice de leur profession. Néanmoins, l’histoire de cette lutte en Occident offre des lendemains possibles, mais enseigne la nécessité d’attaquer sur plusieurs fronts : féministe, syndicaliste, personnel et social.

Une recherche future gagnerait à quantifier davantage le phénomène pour prioriser les solutions envisageables. Cette telle recherche pourrait creuser davantage les solutions spécifiques au milieu rural qui constitue la majeure partie de la population du Burkina Faso.