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L’ouvrage Didactique du français et construction d’une discipline scientifique regroupe quinze chapitres dans lesquels les auteurs abordent des thématiques classées en trois grandes parties : « Fondements de la didactique du français comme discipline scientifique », « Constitution d’une discipline scolaire : enjeux et débats » et « Les objets de la discipline français : de l’ingénierie didactique à l’analyse des pratiques d’enseignement ». La plupart des contributions font écho aux travaux et aux réflexions de Schneuwly non seulement sur la didactique du français, mais aussi plus largement sur la didactique des langues.
Composée de trois chapitres, la première partie met en lumière l’entreprise de conceptualisation menée par Schneuwly, entre autres, pour poser les fondements épistémologiques de la didactique du français comme discipline scientifique et en construire l’autonomie. De manière concomitante, cette construction théorique s’accompagne d’un ancrage dans la pratique grâce à des expérimentations et à des programmes de formation, ce qui souligne l’importance de la notion de transposition didactique, continuellement interrogée par Schneuwly et ses collaborateurs de l’équipe genevoise. Ce double engagement théorique et pratique amène les didacticiens à « reformuler leur réflexion pour en faire des outils visant à développer celle d’élèves, d’enseignants, de formateurs ». D’ailleurs, la transposition didactique est liée à la culture scolaire, concept qui met en lumière la dimension émancipatrice de l’école défendue par Schneuwly.
La deuxième partie de l’ouvrage met en discussion des enjeux de la didactique du français comme discipline scolaire où diverses composantes sont en interaction. Se pose ainsi la double question de leur autonomie et des rapports qu’elles entretiennent. Dans cette perspective, certains points de désaccord avec les positions de Schneuwly sont débattus. Par exemple, dans sa contribution, Reuter interroge les concepts de systématicité, de progressivité, de disciplination et de disciplinarisation pour en souligner le caractère totalitaire, car ils ne prennent pas en considération toutes les configurations et pratiques possibles. Dans le même sens, des contributions interrogent l’articulation de différentes composantes de la didactique du français et les objets à enseigner. Ces préoccupations révèlent un désaccord entre les auteures de la quatrième contribution avec Schneuwly et l’équipe genevoise sur la question des orientations relatives à l’enseignement des genres discursifs. Bien qu’elles se rapprochent de l’équipe genevoise par le recours à un même cadre théorique, les auteures récusent les orientations qu’elle donne à l’enseignement des genres. Elles mettent de l’avant une double nécessité : 1) la focalisation sur l’apprentissage « en cours de route » de « positions énonciatives » spécifiques à chaque « communauté discursive disciplinaire »; 2) la transversalité des savoirs acquis en classe de français aux autres disciplines. Cette partie se termine par un article dans lequel la reconnaissance de l’autonomie épistémique de la grammaire est revendiquée en vue d’un enseignement de la langue, considérée par Schneuwly à la fois comme objet de savoir et comme outil de communication, pour elle-même.
La question de la discipline scolaire impose d’examiner également le travail de l’enseignant, ce à quoi s’intéressent les contributions de la troisième partie à la lumière des travaux de Schneuwly. Ainsi, le rapprochement entre les séquences potentiellement acquisitionnelles (SPA) de Pietro et al. (1989/2004) et les séquences didactiques (SD) de Dolz et al. (2001) engendre la bifocalisation, qui sert à penser les rapports entre communication et réflexion sur la langue. De plus, cette dernière partie attire l’attention sur la nature à la fois matérielle et immatérielle des objets langagiers, ce qui implique que les outils d’enseignement, servant à mettre les élèves au contact de l’objet à enseigner, peuvent être matériels ou immatériels aussi. Il se dégage alors un questionnement sur les notions d’outils, d’écriture et de ses instruments dans l’enseignement. Toujours dans la perspective de l’ingénierie, trois exemples de séquences sur les problèmes de ponctuation pour élèves de 12 à 15 ans sont examinés. Ces activités proposent de travailler la ponctuation en exploitant des genres textuels différents, ce qui actualise le concept de genre textuel défendu, entre autres, par Schneuwly.
Outre l’intérêt de l’ingénierie, la dernière partie met en lumière l’importance de l’analyse des pratiques d’enseignement dans le développement de la didactique du français comme discipline scientifique. Les pratiques d’enseignement sont examinées notamment à travers la notion de geste didactique qui permet de comprendre la manière dont l’objet d’enseignement se transforme en objet enseigné. Par exemple, en partant d’une discussion de la « description multifocale » de l’approche didactique développée à Genève, Dufays établit une typologie des gestes didactiques pour amener les chercheurs et les formateurs à « penser ensemble les différentes dimensions de l’agir enseignant en articulant une diversité de points de vue ». La troisième partie s’achève par un article dans lequel ressort l’intérêt d’une approche comparatiste, historique et didactique pour comprendre la constitution de la littérature comme objet d’enseignement et composante de la didactique du français. Cette approche comparatiste promue par Schneuwly aide à comprendre « la circulation des objets scolaires ».
Cet ouvrage se révèle un outil passionnant pour qui veut obtenir une vision panoramique de la didactique du français comme discipline scientifique, de sa constitution à son autonomisation. Il couvre un large spectre de thématiques et entame un dialogue laissé ouvert avec les travaux de Schneuwly. Il permet de voir à quel point les connaissances sur la discipline constituent un processus dynamique. En effet, les questions qu’il soulève restent encore pendantes malgré des propositions de réponses fort enrichissantes. Cependant, la densité et la richesse des contributions ne parviennent pas toujours à éviter l’exposition rapide des questions abordées. Par ailleurs, l’ouvrage est rédigé dans quatre langues, ce qui souligne d’une part la portée des réflexions de Schneuwly et, d’autre part, les filiations entre la didactique du français et la didactique des langues.