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Introduction
De plus en plus de systèmes éducatifs sont enclins à utiliser des connaissances issues de la recherche (CIR) et des programmes d’intervention basés sur des preuves pour composer avec les différentes problématiques auxquelles ils sont confrontés : abandon scolaire, échecs scolaires, piètres résultats aux épreuves internationales, redoublement, inclusion scolaire, attrition des enseignants, gestion des comportements, violence, intimidation, etc. (Bissonnette et al., 2020). En effet, les programmes basés sur des preuves proposent des interventions dont l’efficacité a été montrée par des données probantes (Baye, 2018).
Quand on parle de données probantes, on fait généralement référence à des pratiques de prévention ou d’intervention validées par une certaine forme de preuve scientifique, par opposition aux approches qui se basent sur la tradition, les conventions, les croyances ou les données non scientifiques
La Roche, 2008, p. 2
Le recours aux données probantes et l’éducation basée sur les preuves ont influencé plusieurs systèmes éducatifs de langue anglaise et exercent également une influence sur ceux de langue française, dont le Québec, la France et la Belgique (Baye, 2018 ; Maroy et al., 2016 ; Rey, 2014). Or, même si un programme d’intervention est basé sur des preuves, son implantation avec succès n’est pas pour autant assurée. En effet, la qualité de la mise en oeuvre d’un programme d’intervention constitue un déterminant de son succès (Savignac et Dunbar, 2014). Ainsi, la mise en oeuvre d’un programme prometteur a plus de chance de produire des effets positifs qu’une implantation de piètre qualité d’un programme pourtant exemplaire.
Le peu d’efficacité que démontrent les résultats d’un programme peut être causé non pas par un manque d’efficacité du traitement et des interventions, mais par des faiblesses dans sa mise en oeuvre.
Savignac et Dunbar, 2014, p. 1
Par conséquent, il importe de poser un regard sur les conditions d’implantation afin d’identifier celles pouvant faciliter une mise en oeuvre réussie et ainsi contribuer à son succès. Comme le soulignent Savignac et Dunbar (2014) : « Un programme efficace, jumelé à une mise en oeuvre de qualité, augmente les probabilités d’atteindre des résultats positifs chez les clientèles à desservir » (p. 1). Dans une revue de recherches sur la mise en oeuvre de programmes fondés sur des données probantes, Savignac et Dunbar (2014) indiquent qu’il existe des éléments clés favorisant une implantation de qualité desdits programmes.
À l’instar de Fixen et ses collaborateurs (2005), nous définissons la mise en oeuvre ou l’implantation d’un programme comme « un ensemble spécifique d’actions visant à mettre en pratique une activité ou un programme » (p. 5). Les effets de la mise en oeuvre d’un programme sur les résultats obtenus ont été démontrés, notamment, dans une revue de recherches réalisée par Durlak et DuPre (2008). Ces chercheurs ont analysé cinq méta-analyses regroupant 483 recherches et ils affirment que la mise en oeuvre d’un programme a des effets très importants sur les résultats obtenus.
… les résultats des méta-analyses ci-dessus vont dans le même sens en indiquant l’influence de la mise en oeuvre sur les résultats [des programmes]. L’ampleur de la différence favorisant les programmes dont la mise en oeuvre semble bonne [qualité élevée] par opposition à celle qui est moins bonne [piètre qualité] est considérable, et a donné lieu à des tailles moyennes de l’effet deux à trois fois plus élevées, et, dans des circonstances idéales, peut être jusqu’à 12 fois plus élevée
Durlak et DuPre 2008, p. 330
Les éléments clés d’une mise en oeuvre de qualité
Savignac et Dunbar (2014) ont analysé les conditions d’implantation des programmes fondés sur des données probantes. Les chercheures indiquent :
Pour le moment, la littérature permet d’affirmer que certaines dimensions de la mise en oeuvre seraient généralisables surtout en ce qui concerne les étapes et les composantes clés. Qu’il s’agisse de programmes en prévention du crime ou d’un programme dans une discipline connexe, par exemple en éducation ou dans le milieu de la santé et des services sociaux, la mise en oeuvre reposerait, à la base, sur les mêmes principes généraux
Savignac et Dunbar, 2014, p. 1
Quoiqu’il puisse y a avoir des conditions particulières liées à l’implantation de certains programmes, nous reprenons ici les éléments clés transversaux identifiés par Savignac et Dunbar (2014) qui sont associés à une mise en oeuvre de qualité. Ces éléments clés sont présentés dans le tableau 1 et sont décrits brièvement ci-dessous.
Aux éléments clés identifiés par ces chercheures, nous avons ajouté « Qualité du support de la direction » qui concerne plus spécifiquement la mise en oeuvre de programme en milieu scolaire.
Kam et al. (2003) ont observé un effet significatif entre le soutien de la direction pour le programme et la fidélité de la mise en oeuvre par les enseignants. Lorsque ces deux facteurs étaient élevés, des résultats positifs significatifs ont été notés chez les étudiants ; par contre, lorsque le soutien de la direction était faible, des changements négatifs ont été observés chez les élèves
Savignac et Dunbar, 2014, p. 9
Nous tenons à souligner que l’implantation réussie d’un programme fondé sur des données probantes est également tributaire de la clarté dudit programme, de son niveau d’opérationnalisation, de l’accompagnement fourni aux acteurs impliqués et de son monitorage (Boyer et Bissonnette, 2021 ; Savignac et Dunbar, 2014).
Éléments clés liés aux organisations
Le tableau 1 montre que les éléments clés d’une mise en oeuvre réussie sont majoritairement associés aux organisations. Ainsi, l’organisation doit sélectionner ou choisir minutieusement une équipe qualifiée et expérimentée qui sera responsable de la mise en oeuvre du programme. Il s’avère nécessaire de s’assurer également que le personnel sélectionné soit en mesure de faire preuve d’empathie, de tolérance, etc. De plus, lors de l’application du programme sur le terrain, il importe d’offrir aux personnes responsables de sa formation des activités de coaching leur permettant de consolider et d’approfondir leurs connaissances et leurs habiletés. Ces personnes responsables doivent également faire preuve de leadership dans l’implantation du programme.
Le leadership doit être exercé non seulement à l’intérieur des milieux expérimentant le programme, en particulier par son équipe de direction, mais également au sein même de l’organisation qui les chapeaute afin d’assurer son financement, l’établissement de partenariat avec des ressources externes et sa pérennité. Comme l’indiquent Savignac et Dunbar (2014), la présence de « champions » au sein des organisations est une composante clé de la mise en oeuvre. En milieu scolaire, la qualité du soutien de la direction d’établissement s’avère indispensable.
Chaque programme couronné de succès dépend fortement de la qualité du support de la direction. (…) Le manque de support de la part de la direction fut la principale raison pour laquelle des programmes ont échoué : la passivité, le manque réel de soutien et de proactivité pour trouver des solutions ont été identifiés comme des causes fréquentes d’échec (Mihalic et al., 2004) »
Savignac et Dunbar, 2014, p. 12
Les leaders du projet engagés dans sa gestion doivent :
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prendre des décisions fondées sur les données collectées et faciliter les processus par lesquels le programme sera implanté ;
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ramener les orientations et la pratique vers les résultats escomptés du programme ;
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mettre en place des conditions organisationnelles favorables à l’application fidèle du programme.
Finalement, le monitorage du programme est effectué à l’aide d’un système de gestion de l’information (les données) en soutien à la prise de décision. Des outils favorisant la cueillette de données, l’évaluation de la fidélité du programme, la mesure des effets des interventions, etc., fournissent des informations nécessaires à la prise de décision, aident les organisations dans la réalisation du programme et indiquent si des correctifs doivent être apportés. Ainsi, plusieurs des éléments clés liés aux organisations concernent la dimension leadership du programme.
Éléments clés liés aux praticiens et au programme
Les caractéristiques et les compétences des praticiens exercent une influence déterminante sur la mise en oeuvre d’un programme. Les attitudes manifestées par les praticiens en matière d’ouverture ou de résistance ainsi que leurs perceptions des avantages et des inconvénients liés à l’adoption d’un nouveau programme affectent sa mise en oeuvre.
Les praticiens qui reconnaissent le besoin spécifique du programme se sentent souvent plus confiants dans leur capacité (auto-efficacité), et ceux qui ont les compétences requises sont plus susceptibles de mettre en oeuvre un programme avec un niveau de fidélité plus élevé (Durlak et DuPre, 2008). (Savignac et Dunbar, 2014, p. 13).
Les attitudes, les perceptions, le sentiment d’auto-efficacité et les compétences des praticiens influenceront leur motivation et leur niveau d’engagement à mettre en oeuvre un programme. À leur tour, les éléments clés liés au programme influenceront la motivation et l’engagement des praticiens dans l’implantation proposée. Ces éléments concernent la formation et l’assistance fournies avec le programme.
La mise en oeuvre du programme est facilitée lorsque les acteurs impliqués (praticiens, directions, coordonnateur, etc.) reçoivent une formation, un soutien et un accompagnement prévus à cet effet. En effet, « les personnes qui offrent la formation et l’aide technique devraient comprendre les besoins et les ressources de l’organisation, comprendre les buts et objectifs de l’organisation, et connaître suffisamment le contenu lié expressément au programme pour bien former le personnel » (Savignac et Dunbar, 2014, p. 35). En milieu scolaire, la qualité de la formation et du soutien offerts par les développeurs du programme représente un « facilitateur important favorable au maintien de la mobilisation du milieu et au perfectionnement des compétences reliées au programme » (Savignac et Dunbar, 2014, p. 46).
En somme, la description des éléments clés associés à une mise en oeuvre de qualité montre la nécessité de se préoccuper de l’implantation d’un programme, et ce, avant même d’en évaluer les effets.
Conclusion
Les programmes fondés sur des données probantes proposent des interventions pouvant contribuer à l’amélioration de l’école. Toutefois, pour y parvenir, il est primordial d’accorder une attention particulière aux éléments clés favorisant une implantation réussie de ces programmes. Parmi ces éléments clés, ceux liés aux organisations concernant la dimension leadership du programme sont déterminants. De plus, les caractéristiques et les compétences des praticiens influenceront également leur niveau d’engagement à mettre en oeuvre un programme. Réciproquement, la formation et l’assistance fournies avec le programme influenceront la motivation des praticiens à mettre en oeuvre les interventions proposées.
La prise en compte des éléments clés liés à une mise en oeuvre de qualité s’avère indispensable pour favoriser une implantation réussie des programmes fondés sur des données probantes.
Parties annexes
Note
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[1]
Ce texte est un extrait adapté de l’introduction d’un article à soumettre pour publication : Bissonnette, S., Deltour, C., Kubiszewski, V. & Baye A. (à soumettre). Analysis of the conditions of implementation of the Positive Behaviour Support (PBS) system in a francophone educational context. Journal of Positive Behavior Interventions.
Bibliographie
- Baye, A. (2018). L’éducation basée sur des preuves. Communication présentée à la Journée d’étude dans le cadre du Pacte pour un enseignement d’excellence. Mons, Belgique, 23 mai. Consulté le 10 décembre à : https://sharepoint1.umons.ac.be/FR/universite/facultes/fpse/serviceseetr/methodo/Documents/semaine-enseignement/Ariane-Baye_20180523.pdf.
- Bissonnette, S., Bouchard, C., St-Georges, N., Gauthier, C. et Bocquillon, M. (2020). Un modèle de réponse à l’intervention comportementale : le soutien au comportement positif (SCP). Enfance en difficulté, 7, 131-152.
- Boyer, C. et Bissonnette, S. (2021). GRAR : gestion scolaire rationnelle axée sur les résultats. Enfance en difficulté (accepté pour publication).
- Durlak, J. & DuPre, E. (2008). Implementation matters: A Review of research on the influence of implementation on program outcomes and the factors affecting implementation. American Journal of Community Psychology, 41, 327–350.
- Fixsen, D. L., Naoom, S. F., Blase, K. A., Friedman, R. M. & Wallace, F. (2005). Implementation Research: A Synthesis of the Literature. Tampa, FL : University of South Florida, Louis de la Parte Florida Mental Health Institute, The National Implementation Research Network (FMHI Publication #231).
- La Roche, M. (2008). Vers une pratique fondée sur les données probantes. Document d’information. Ottawa, Canada : Université d’Ottawa. Consulté le 24 décembre à : https://www.leblocnotes.ca/node/2261
- Maroy, C., Brassard, A., Mathou, C., Vaillancourt, S., et Voisin, A. (2016). La mise en oeuvre de la politique de gestion axée sur les résultats dans les commissions scolaires au Québec. Médiations et mécanismes d’institutionnalisation d’une nouvelle gestion de la pédagogie. Rapport de recherche, Montréal : Université de Montréal.
- Rey, O. (2014). Entre laboratoire et terrain : comment la recherche fait ses preuves en Éducation. Dossier de veille de l’IFÉ, 89, 1-28. Consulté le 10 décembre à : http://veille-etanalyses.ens-lyon.fr/DA-Veille/89-janvier-2014.pdf.
- Savignac, J., et Dunbar, L. (2014). Guide sur la mise en oeuvre des programmes fondés sur des données probantes : Qu’en savons-nous jusqu’à maintenant? Ottawa : Centre national de prévention du crime. Consulté le 10 novembre à https://www.securitepublique.gc.ca/cnt/rsrcs/pblctns/gd-mplmnttn-vdnc-prgrms/gd-mplmnttn-vdnc-prgrms-fr.pdf