Résumés
Résumé
Tantôt qualifié de reliquat anachronique de la guerre froide, tantôt encensé en sa qualité de pivot de la sécurité européenne, le traité sur les forces armées en Europe (fce pour Forces conventionnelles en Europe) a pour caractéristique d’avoir survécu à toute une série d’événements qui auraient dû, en toute logique, précipiter son échec. D’autant que, pour certains commentateurs de la sécurité européenne, la récente décision russe d’appliquer un moratoire au traité et surtout le conflit en Géorgie ont assurément scellé sa fin. Pour autant, conclure à sa disparition serait aventureux. En fait, l’application du traité, parce qu’il inclut une forte dimension liée à la confiance, constitue une variable indéniable de la nature des relations entre l’Est et l’Ouest.
Mots-clés:
- désarmement classique,
- traité fce,
- sécurité européenne,
- otan
Abstract
Sometimes described as being an anachronistic residue of the Cold War, sometimes acclaimed in its quality of cornerstone of the European security, the Treaty on Armed Forces in Europe (cfe, Treaty on Conventional Forces in Europe), has for feature to have survived to a set of events which logically would have been to precipitate its end. All the more so as, for some commentators of the European security, the recent Russian decision to implement a moratorium on the treaty and especially the conflict in Georgia have assuredly sealed its end. For all that, its disappearance is not definite. As a matter of fact, the implementation of the treaty, because it includes a strong dimension linked to confidence-building, is an undeniable variable of the nature of the relations between the West and the East.
Keywords:
- Conventional disarmament,
- cfe Treaty,
- European security,
- nato
Corps de l’article
Le 14 juillet 2007, le président Vladimir Poutine signait officiellement le décret stipulant que la Russie reportait sine die l’application du traité sur les forces conventionnelles en Europe (fce)[1]. Prenant la forme d’un moratoire, cette décision, entrant en application le 11 décembre de la même année, fut prise alors que la Russie entendait manifester son irritation dans un contexte stratégique plus général dans lequel elle se sentait de plus en plus exclue : édification par les États-Unis d’une défense antimissile en Europe de l’Est, projets américains d’installation de troupes en Bulgarie et en Roumanie, règlement de la question du Kosovo en court-circuitant la Russie, possibilités de déployer des troupes aux frontières russes bridées par un traité fce jugé anachronique, etc. Pour autant, eu égard aux vicissitudes du traité fce depuis sa signature le 10 novembre 1990 et son entrée en vigueur provisoire le 17 juillet 1992, le moratoire russe ne semblerait constituer qu’une énième péripétie. La caractéristique fondamentale de ce traité, négocié dans une logique de blocs (otanversus pacte de Varsovie) en période de guerre froide, est bien celle d’avoir survécu à une multitude d’événements (dissolution du pacte de Varsovie rendant de facto inopérant l’équilibre institué par le traité entre les deux alliances, disparition de l’Union soviétique, guerres dans le Caucase et surtout élargissements de l’otan) qui auraient dû, en toute logique, précipiter sa fin. Il a réussi, malgré tout, à subsister.
La signature du traité fce marqua le zénith de la dynamique de la maîtrise des armements classiques à une époque, certes encore dominée par les rivalités Est/Ouest, mais surtout caractérisée par une volonté politique, de part et d’autre du rideau de fer, d’éviter tout conflit direct, notamment au moyen d’armes classiques, entre les deux camps[2]. Le traité visait la réduction du matériel à caractère offensif[3] et obligeait, notamment, chaque groupe d’États parties (Alliance atlantique et pacte de Varsovie) à procéder à une certaine répartition des matériels terrestres soumis à limitation dans toute la profondeur d’une zone donnée. Tous les équipements limités par le traité (elt) en excédent devaient être détruits, déclassés ou transformés pour passer dans des catégories de matériels non soumis à limitation. Ces règles furent complétées par des mesures d’accompagnement, notamment des échanges d’informations et des mesures de vérification hautement intrusives (Koulik et Kokovski 1994 ; Lederman 1991).
La zone d’application du traité fut divisée en sous-zones. Afin de limiter la concentration des armes classiques dans ces zones, des plafonds furent fixés pour la quantité d’armements classiques pouvant être détenus par les deux groupes d’États, dans l’une quelconque des sous-zones. Chaque État partie était tenu de participer à des échanges réguliers et détaillés de données sur ses elt et de réduire ses matériels en excédent par rapport aux plafonds fixés. Il existait quatre zones, incluant grosso modo autant de pays appartenant au groupe Est qu’au groupe Ouest[4]. Les zones étaient emboîtées de telle façon qu’il y eût une symétrie des forces, de part et d’autre, de la limite séparant les États du groupe Est et ceux du groupe Ouest[5].
Néanmoins, à peine le traité était-il signé que cette logique de symétrie devenait quasiment caduque, d’autant plus que le pacte de Varsovie, en février 1991, et l’Union soviétique, en décembre de la même année, furent successivement dissous. Si les parties au traité acceptèrent de poursuivre l’application du régime fce, il n’était plus question de prétendre à une dynamique de désarmement symétrique. Cette dissymétrie était aggravée par la problématique des flancs, régions dans lesquelles principalement la Russie était bridée par des règles numériques strictes imposées par le traité. Moscou, qui devait désormais faire face à un déplacement de sa zone de sécurité du front occidental à ses frontières méridionales, réclamait à cor et à cri la suppression, ou même seulement l’aménagement, de ces dispositions. Ses revendications s’entremêlaient avec un dossier connexe, celui portant sur l’équilibre du traité ; à partir du moment où les perspectives d’élargissement de l’otan se précisaient, Moscou commença à mettre en avant l’effet numériquement déstabilisateur, au regard de l’équilibre général instauré par le traité actuel entre les deux groupes d’États parties (Alliance atlantique, ex-pacte de Varsovie).
L’objet de notre article est de tenter d’apporter des éléments de réflexion pour répondre à un curieux paradoxe : un traité conçu dans un contexte de guerre froide, à un moment où l’otan et le pacte de Varsovie rivalisaient, et aménagé pour que ces organisations fussent dépouillées de leurs moyens militaires classiques pouvant servir à une attaque militaire a continué à structurer la sécurité européenne dans une logique décalée avec la situation stratégique d’après-guerre froide.
I – Les premiers différends
A — Les tours de passe-passe soviétiques
Au lendemain de la signature du traité, des photos satellites occidentales révélèrent que l’urss avait transféré à l’est de l’Oural – au-delà de la zone d’application du traité – plusieurs dizaines de milliers d’elt[6], diminuant d’autant les réductions qu’elle devait effectuer en application du traité.
En dépit des contestations de la part des pays occidentaux, Moscou argua que ce vaste mouvement n’était pas illégal. En effet, jusqu’à l’entrée en vigueur du traité, aucune contrainte juridiquement valable n’empêchait quelque État que ce fût de modifier le niveau de ses armements présents dans la zone à laquelle devait s’appliquer le futur traité. Que des États ayant tout ou partie de leur territoire en dehors de la zone d’application d’un traité aient toute latitude pour agir à leur guise dans ces territoires non couverts par les dispositions du traité était une réalité qui ne contredisait pas la lettre de ce dernier[7]. Quant aux Occidentaux, ils estimaient que cette interprétation entrait en contradiction si ce n’est avec la lettre, au moins avec l’esprit du traité (Davidson 1990), car ils avaient accepté de réduire leurs armements classiques en fonction d’estimations du potentiel soviétique sur le fondement duquel le texte avait été négocié.
Le représentant soviétique au Groupe consultatif commun (gcc)[8], Oleg Grivnevski, admit qu’il pouvait y avoir quelques « erreurs » dans la déclaration faite par son pays. Il s’engagea à les corriger dans les 90 jours. La querelle autour de l’interprétation de l’article III se termina lorsque les autorités soviétiques prirent l’engagement, le 14 juin 1991, lors d’une réunion extraordinaire du gcc, de détruire ou de recatégoriser d’ici à 1995 au moins 6 000 chars de bataille, 1 500 vbc et 7 000 pièces d’artillerie, et à ne pas constituer, avec les matériels stockés à l’est de l’Oural, des réserves stratégiques pouvant rejoindre rapidement la zone d’application (Grivnevski 1991).
En outre, alors que les membres de l’Alliance atlantique estimaient que l’urss aurait à déclarer de 1 300 à 1 600 objets de vérification, les informations communiquées par Moscou dans le cadre de l’échange du 19 novembre 1990 ne mentionnèrent que quelque 900 objets. Les quotas en inspections passives[9], proportionnels à ce nombre d’objets de vérification communiqué, étaient réduits d’autant. En fait, l’écart, aussi minime fût-il, avait pour conséquence notable que l’Union soviétique était sujette à moins d’inspections passives et à moins d’inspections par défi. Si cette péripétie ne remit pas en cause la viabilité du traité, il renforça le sentiment que les Soviétiques faisaient de leur mieux pour minimiser les contraintes du régime fce (Falkenrath 1995a : 131).
B — La disparition de l’Union soviétique
À peine le processus de ratification engagé par le Soviet suprême, l’application du traité fce se trouva interrompue par la dissolution du Parlement soviétique, bientôt suivie par celle de l’urss elle-même. Après quelques semaines de débat, un consensus se dégagea à l’Ouest pour préserver le traité tel quel et poursuivre son entrée en vigueur le plus vite possible. Pour que l’intégrité du traité pût rester viable, il fallait que les plafonds d’ensemble acceptés par l’urss le fussent par les nouveaux États et qu’ils fussent répartis entre eux à l’amiable, de façon que l’équilibre général des dispositions du texte ne fût pas modifié. En mai 1992, les anciennes républiques soviétiques – à l’exception des trois États baltes – visées par le traité (Russie, Ukraine, Bélarus, Kazakhstan, Moldavie, Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie) conclurent à Tachkent un accord relatif à la répartition des dotations accordées à l’ancienne Union soviétique[10] (dans la zone des flancs et dans la zone 4-1). Une fois l’accord conclu, il devenait possible d’adapter les dispositions de fce à la nouvelle situation, créée par la disparition de l’urss.
Cette adaptation prit la forme d’un « document final » adopté le 5 juin 1992 par une conférence extraordinaire des États signataires, tenue à Oslo : ce texte précisait les droits et obligations des nouveaux États issus de l’éclatement de l’urss, sans pour autant modifier ceux des autres parties contractantes. Afin de parer à toute difficulté de ratification par les États successeurs de l’urss, il fut décidé de faire entrer en vigueur les dispositions du traité avant que toutes les ratifications nécessaires ne fussent effectives.
C — Le problème de la cinquième « zone virtuelle »
Bien que non inscrite en tant que telle dans le traité, l’expression « zone des flancs » fut utilisée dès le début pour qualifier cette zone au côté de celle des quatre qui subdivisent le continent européen. Les dispositions de l’article V du traité relatives à la règle des flancs fixaient des sous-plafonds d’elt terrestres en unités d’active. Ces dispositions entendaient limiter la capacité de l’urss à concentrer ses forces dans les régions militaires de Leningrad et du Nord-Caucase en Russie et celles en Géorgie, en Arménie et en Azerbaïdjan. L’article IV ajoutait à ces limites l’interdiction de placer dans la région des flancs des équipements terrestres en dépôt surveillé, faculté ouverte partout ailleurs dans la zone d’application du traité. La question de la règle des flancs a été l’un des problèmes les plus aigus dans le cadre des relations entre, d’une part, la Russie – et à moindre degré l’Ukraine – et, d’autre part, l’Alliance atlantique.
C’est en mars 1993, à la suite d’une visite d’inspection du ministre de la Défense, Pavel Gratchev, dans des unités militaires dans le Caucase que Moscou exigea, pour la première fois, une nécessaire révision de l’article V du traité fce. Prenant de court les Russes, l’ambassadeur ukrainien Yuri Kostenko demanda au gcc, le 14 septembre 1993, une révision de l’article V. Kiev estimait que les limites imposées à son pays étaient « complètement injustifiées au regard de la nouvelle situation géopolitique ». Elles obligeaient en effet l’Ukraine à défendre un quart de son territoire avec seulement 17 % de ses chars disponibles, 7 % de ses vbc et 22 % de son artillerie (Newall 1997 : 9).
Quelques jours après l’intervention de Yuri Kostenko, le président Eltsine envoya aux principaux dirigeants occidentaux une lettre dans laquelle il revendiquait la suppression des limites imposées par l’article V. Il justifiait sa démarche au nom du « changement fondamental de circonstances » par rapport à celles qui prévalaient lors de la signature du traité. Afin d’étayer ses revendications, le président russe ne manquait pas d’arguments. Le traité fce, tout d’abord, avait été conçu dans une logique de bloc à bloc. Or, le nouvel environnement géopolitique européen rendait cette logique obsolète de facto. Le traité fce avait donc, pour la Russie, un aspect discriminatoire, puisqu’il obligeait Moscou à restreindre le déploiement de ses forces sur son territoire. Par ailleurs, l’évolution des menaces à sa frontière méridionale était le plus grand défi pour la sécurité russe et requérait donc un déploiement significatif des forces militaires dans le Nord-Caucase. Le rapatriement des forces russes stationnées en Europe de l’Est se trouvait, en outre, gêné par les dispositions de l’article V dans la mesure où Moscou ne pouvait les affecter dans ses bases méridionales, alors qu’il existait pourtant des infrastructures pour les accueillir. La règle des flancs, enfin, imposait aux Russes de déployer la majeure partie de leurs forces classiques dans la région militaire (rm) de la Baltique et le long des frontières avec le Bélarus et l’Ukraine, ceci revenant à reconstituer le face-à-face Est-Ouest du temps de la guerre froide (Falkenrath 1995b). L’objectif des Russes était de ne pas remettre en cause le traité, dans son ensemble, mais de réviser les dispositions de l’article V.
La raison fondamentale de la volonté russe de suspendre les limites quantitatives imposées par le régime fce dans la zone des flancs fut le fait que, désormais, la Russie voyait dans le Caucase une région instable, belliqueuse et surtout dangereuse pour ses frontières méridionales. Or, les dispositions de l’article V limitaient ses possibilités de déploiement de forces militaires. Les plafonds dans les flancs devaient donc être revus du fait des menaces sérieuses qu’ils faisaient peser sur la Russie. Moscou souligna, par ailleurs, le caractère « croisé » de la question de la règle des flancs et de celle du maintien de la paix (Allison 1994)[11].
Les alliés occidentaux trouvèrent les premières demandes russes excessives quant au nombre d’équipements supplémentaires à déployer dans la zone des flancs. Ils ne voulaient, en aucun cas, ouvrir la boîte de Pandore. En novembre 1993, le Foreign Office publia une analyse juridique sur la proposition russe de suspension de l’article V du traité fce. La Convention de Vienne sur le droit des traités reconnaît la possibilité d’invoquer l’argument des « changements géopolitiques radicaux » pour demander la suspension des effets d’un traité[12]. Si les « circonstances » (dissolution de l’urss et du pacte de Varsovie) avaient effectivement changé depuis la signature du traité, les conditions posées par cette convention n’étaient, cependant, pas remplies. Tout d’abord, la nécessité de restreindre la capacité des parties d’entreprendre des actions militaires dans la zone concernée apparaissait précisément comme l’une des raisons de l’adoption de la règle des flancs. Ensuite, les « difficultés internes » ne pouvaient justifier, en droit, la suspension d’obligations juridiques. Enfin, lesdites circonstances n’affectaient pas seulement l’article V, mais aussi l’ensemble du traité dont la validité avait été, par ailleurs, confirmée par le Document d’Oslo, agréé par la Russie et l’Ukraine.
L’objectif des États-Unis était d’éviter qu’à l’issue de la date du 17 novembre 1995 l’entrée en vigueur du traité fce fût repoussée. Les Américains proposèrent donc un compromis, accepté par tous les membres de l’otan et proposé à la Russie en septembre 1995. L’arrangement consistait à redessiner la zone des flancs, dans un sens plus favorable aux revendications russes, notamment en augmentant le nombre de chars et de pièces d’artillerie autorisé.
D — La question de l’existence d’un lien entre fce et élargissement de l’otan
Le pacte de Varsovie, créé en 1954 en réplique à la création de l’Alliance atlantique, devait symboliser l’unité politico-militaire du camp socialiste. L’émancipation politique des États de l’Europe de l’Est, amorcée par Mikhaïl Gorbatchev et qui devait finalement se transformer en indépendance quelques années plus tard, puis entraîner l’effondrement de l’Union soviétique, sonna le glas de cette unité. Or, à l’instar de l’otan, le pacte de Varsovie était chargé de la gestion et de la répartition des elt, au sein du Groupe de l’Est. Symbole même de l’unité de la communauté atlantique, l’otan étudia très vite les possibilités de son élargissement aux pays de l’Est et surtout ses conséquences politiques et juridiques. La plupart des États candidats à l’Alliance étant membres du bloc de l’Est, donc soumis au régime fce, les études portèrent sur les conséquences dans les répartitions d’elt au sein des deux groupes d’États. Si le traité fce impliquait une approche en matière d’alliances (otanversus pacte de Varsovie), la question était de savoir si le fait de passer d’une alliance à l’autre avait des conséquences sur le nombre d’elt attribué à chaque bloc.
En septembre 1995, l’otan présenta sa position officielle sur la question – éventuelle – d’un lien entre son élargissement et la modernisation du traité (otan 1995). Si effectivement l’Alliance considérait le traité fce comme « la pierre angulaire de la sécurité européenne », elle estima que son élargissement ne pouvait être directement lié à une éventuelle modernisation du traité, dans la mesure où elle n’était pas partie au traité[13]. Dans un entretien à Arms Control Today, le diplomate américain Thomas Graham Jr. résuma la position de l’Alliance dans ces termes :
L’otan considère que, sur le plan juridique, il n’existe aucune relation entre le processus de l’élargissement de l’Alliance atlantique et le traité sur les Forces conventionnelles en Europe. En effet, le traité fce façonne la situation dans le domaine de sécurité sur le continent. L’otan, pour sa part, n’est qu’une alliance militaire qui d’ailleurs n’a signé aucun accord de désarmement ou de maîtrise des armements.
Graham 1996 : 6
Les expressions « États parties » et « groupes d’États parties » étaient, dans le corps même du traité, utilisées de façon parallèle, mais en même temps indépendante. La première phrase du préambule donnait la liste exhaustive de tous les États parties à fce, soit 22 pays. Ensuite, l’article 2-1-A définissait l’expression « groupe d’États parties ». Il s’agissait, d’une part, des États « ayant signé le traité de Varsovie de 1955 » et, d’autre part, de ceux « ayant signé le traité de Bruxelles de 1948 ou le traité de Washington de 1949 ou y ayant accédé ».
Sous l’appellation « groupe d’États parties », le texte mettait en avant une certaine entité collective. Toutefois, en utilisant régulièrement le terme « États parties », il laissait des marges de manoeuvre à chaque État (Lavieille 1997 : 199). Sur le plan juridique, l’Alliance atlantique considérait donc qu’il n’existait aucune relation entre le processus d’élargissement et le traité fce. Ce dernier était un accord de maîtrise des armements et de désarmement alors que l’otan était une Alliance militaire qui, d’ailleurs, n’avait jamais signé un traité de ce type. Sur le plan politique, néanmoins, l’otan savait pertinemment que les Russes allaient instrumentaliser la question de l’élargissement afin de moderniser le traité. Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, les Occidentaux n’avaient d’autre choix que d’essayer de trouver un terrain de compromis. L’otan, le 20 septembre 1995, proposa que certaines régions administratives russes (oblasts d’Astrakhan, de Novgograd, de Pskov, de Volgograd et de Vologda et l’oblast ukrainien d’Odessa) fussent exclues de la zone sud des flancs. La Russie aurait disposé, dans ce cas, d’une zone plus petite, mais assujettie aux mêmes limites quantitatives.
Le discours de l’Alliance consistait donc à nier officiellement l’existence d’un lien quelconque entre les deux questions et, en même temps, à mener une politique de gestes avec la Russie confirmant ladite liaison. Cette tactique laissait à l’otan les mains libres dans la poursuite de son processus d’élargissement et, concomitamment, permettait d’éviter d’accepter des revendications russes allant bien au-delà de ce que pouvaient accepter les Occidentaux.
La perspective de l’élargissement de l’Alliance atlantique laissait craindre une réaction hostile de la part des Russes – prévision qui s’est révélée exacte par la suite – autant pour des raisons psychologiques que pour des motifs stratégiques. La structure du traité fce était faite de telle façon que l’élargissement de l’Alliance atlantique à un pays membre du groupe de l’Est ne pouvait être sans conséquence sur les plafonds de chaque groupe d’États parties. Si les Occidentaux étaient a priori favorables à un élargissement de l’otan, ils ne souhaitaient ni diminuer leurs elt proportionnellement au nombre des nouveaux arrivants ni augmenter ceux de la Russie.
La question épineuse du lien entre élargissement de l’Alliance et révision du traité fut abordée lors de discussions entre le secrétaire d’État américain à la Défense, William Perry, et le ministre russe de la défense, Pavel Gratchev, à Moscou en novembre 1995. Ce dernier menaça son homologue de représailles si l’Alliance devait s’élargir à l’Est, par exemple par la création de nouvelles unités militaires, le redéploiement de forces armées existantes ainsi que l’établissement de relations militaires plus proches entre les États membres de la cei. Il proposa, en outre, que les zones de conflits et les opérations de combat fussent exclues du traité, ce qui donnerait à la Russie une plus grande liberté dans les zones affectant sa sécurité. Le langage musclé adopté par les Russes, en dépit de nuances utilisées de temps en temps pour maintenir chez les Occidentaux une certaine incertitude quant à leurs intentions réelles, a contribué à alimenter la liaison très forte entre la question de l’élargissement de l’otan et celle de la modernisation du traité fce [14].
Étant donné qu’il était difficile de fixer un chiffre stratégiquement justifié, l’idée fut d’échanger un élargissement contre une satisfaction des revendications russes concernant la zone des flancs, bien que les limites numériques concernant cette zone ne fussent pas proportionnelles aux dotations des pays postulant à l’Alliance. La solution la plus logique était d’accroître la composition du groupe d’États de l’Ouest en fonction de l’augmentation du nombre des membres de l’Alliance. Toutefois, cette approche devait impliquer une redéfinition des plafonds selon la formule de la compensation intégrale. Pour les Américains, la question des alliances pouvait et devait rester indépendante de l’application du traité. Le système des « groupes d’États » prévu par le traité fce pouvait fonctionner indépendamment de la composition des alliances.
Les Occidentaux, en même temps, savaient que la situation n’était pas tenable. Le nombre d’alliés militaires parties au régime fce de la Russie ayant diminué comme une peau de chagrin (Arménie, Bélarus et Kazakhstan), le système de plafonds répartis entre groupes qu’avait établi le traité n’était plus pertinent. Des pays comme la Bulgarie, la République tchèque, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et la Slovaquie appartenaient au même groupe d’assujettissements que la Russie, mais n’étaient pas militairement alliés avec cette dernière. Certains, par ailleurs, avaient vocation à adhérer à l’Alliance. De leur côté, les pays baltes cumulaient la double caractéristique de ne pas être membres du régime fce et de vouloir adhérer à l’otan.
II – Le processus d’adaptation du traité
A — Les principales dispositions de l’Accord sur les flancs
Parce que la Russie se retrouvait incapable d’assumer toutes ses obligations dans la zone des flancs, il devenait urgent de procéder à une adaptation du traité. L’Accord sur les flancs fut signé le 31 mai 1996. Tout d’abord, le texte rappelait que la Russie n’était pas autorisée à dépasser les plafonds dans la zone incriminée, mais donnait trois ans (jusqu’au 31 mai 1999) à Moscou pour s’y conformer. En vertu de l’Accord, plusieurs régions ne firent plus partie de la zone des flancs[15]. Bien que non assujetties aux limites prévues dans l’Accord sur les flancs, ces régions demeuraient soumises aux plafonds territoriaux globaux imposés par le traité fce. Enfin, l’Accord sur les flancs imposa des restrictions globales dans la zone initiale du flanc russe en limitant à 1 800 le nombre de chars, à 3 700 celui des vbc et à 2 400 celui des pièces d’artillerie. C’était une façon de limiter le transfert d’elt de la nouvelle zone vers l’ancienne. Ainsi, les concentrations russes d’elt dans les régions limitrophes de l’Ukraine, du Caucase, de la Turquie, des États baltes et des pays nordiques seront assujetties à certaines restrictions. Les régions russes bordant la mer Noire (territoire de Krasnodar, portion occidentale de l’oblast de Rostov) et la mer Baltique (rm de Leningrad) restaient, en outre, dans la zone des flancs.
L’Accord sur les flancs précisa que les États parties devaient scrupuleusement honorer le principe des négociations libres et celui du respect intégral de la souveraineté des États parties. Ces dispositions renforçaient celle prévue par l’article IV du traité lui-même et selon laquelle, dans le contexte du texte, un État partie ne pouvait pas installer de forces armées sur le territoire d’un autre État partie sans la permission de ce dernier. Toutefois, si le texte stipulait que les « déploiements temporaires sur les territoires d’autres États doivent être le fruit de négociations libres et respectueuses de la souveraineté des États parties concernées », cette précision ne suffit pas à apaiser la crainte des États de la Transcaucasie et en premier lieu l’Azerbaïdjan. Son président déclara ainsi que « l’Accord des flancs légitime la présence militaire russe à nos frontières et peut se révéler un formidable levier de pression sur nous » (Jégo 1997). Quant à l’Arménie, partenaire le plus fiable de la Russie dans la région, elle a très vite ratifié le document après la révélation par plusieurs officiels russes de la livraison d’armes russes à Erevan[16].
B — L’adaptation du traité fce
Le processus d’adaptation était amorcé. Il s’agissait, désormais, d’en déterminer la teneur et l’ampleur, ou, suivant les termes du document final de la Conférence d’examen, la « portée » et les « paramètres ». Allait-on procéder à des ajustements limités et simplement techniques ? Allait-on carrément renégocier un traité fce numéro 2. Le spectre était large. La solution des ajustements simplement techniques signifiait le maintien de la structure des groupes d’États parties. Un groupe pouvant juridiquement fonctionner indépendamment de la composition d’une alliance, certains jugeaient inutile de modifier le mécanisme clé du traité. Une adaptation des mécanismes des plafonds et des souplesses associées semblait nécessaire. La perspective de l’élargissement de l’otan renforçait ce postulat.
Les négociations sur l’adaptation du traité fce furent lancées officiellement le 21 juin 1997. La position russe était encore très mâtinée d’hostilité vis-à-vis de l’élargissement de l’otan et exigeait donc des garanties de la part des Occidentaux. Ainsi, quelques jours plus tôt, le ministre russe des Affaires étrangères, Evgueni Primakov, demanda ouvertement l’introduction de limites préalables aux capacités d’armement des nouveaux membres de l’Alliance atlantique. Le même jour, dans un entretien accordé à l’agence russe itar-tass, Evgueni Primakov (1997) souligna que la modernisation du traité fce constituait un préalable pour que la Russie donne son consentement à la signature du document sur les relations américano-russes (futur Acte fondateur signé le 27 mai 1997, à Paris). Il estimait, en outre, qu’il voyait dans la renégociation du traité « un indicateur important quant au sérieux des intentions » des partenaires occidentaux de la Russie. Alors que jusqu’ici la position russe était mâtinée d’ambiguïté, pour la première fois la Russie établissait, officiellement, un lien entre les renégociations du traité fce et ses relations avec l’otan, en montrant qu’elle laissait de côté son opposition au principe de l’élargissement de l’Alliance atlantique pour tenter de lui arracher un maximum de compensations.
Il s’agissait de prendre enfin en compte la disparition du pacte de Varsovie et l’élargissement de l’otan et donc de faire disparaître l’approche de bloc à bloc qui caractérisait le traité. D’importantes contradictions existaient entre le texte en vigueur et la nouvelle situation de l’Europe. Ni le changement de groupe des trois futurs membres (Pologne, Hongrie et République tchèque) de l’Alliance ni leur maintien dans le groupe Est n’offrait de solution satisfaisante. Il fallait donc élaborer un traité adapté. Son architecture devait nécessairement consister à remplacer le système de groupes Est/Ouest et des zones par un système de plafonds territoriaux (quantité maximale d’équipements qu’un État partie peut accueillir sur son territoire), coexistant avec des plafonds nationaux (dotation maximale en équipements qu’un État partie est autorisé à détenir). À la réunion de la High-Level Task Force (hltf)[17] de mars 1998, les Alliés se mirent d’accord sur une proposition visant « à maintenir la substance du régime des flancs tout en la réconciliant avec la structure du traité adapté ». La référence explicite à un plafond de zone fut abandonnée. Mais les contraintes d’alors étaient maintenues, voire augmentées, grâce à un système de plafonds nationaux et territoriaux, attribués à chacun des États de la zone, de sous-plafonds pour les régions russes et ukrainiennes de la zone des flancs et de limitations appliquées aux oblasts singularisés par l’Accord des flancs de mai 1996.
Le 23 juin 1998, l’Alliance présenta, à Vienne, une proposition prévoyant des possibilités de déploiements temporaires[18], en dépassement des plafonds territoriaux en cas de crise. L’idée de l’abandon de la structure bloc à bloc et celle de l’introduction de plafonds nationaux et territoriaux étaient jugées nécessaires. Il s’agissait désormais d’un aspect essentiel du mécanisme du désarmement classique dans la mesure où elles étaient les seules à refléter les nouvelles réalités stratégiques. Le projet de l’otan consistait, d’une part, à donner à chaque État le droit de déclarer ses propres limites nationales dans chacune des cinq catégories d’elt et, d’autre part, grâce aux plafonds territoriaux, à permettre aux États d’accueillir sur leur sol des forces armées étrangères.
Les plafonds nationaux concernaient les cinq catégories d’elt. Tout en sollicitant un niveau d’elt plus bas dans la zone d’application du traité, l’Alliance se déclara prête à « prendre des mesures significatives » pour arriver à la situation où les plafonds d’armement des 16 membres seraient « sensiblement inférieurs » aux plafonds prévus par l’Alliance atlantique dans le traité actuel. Quant aux plafonds territoriaux, ils englobaient les plafonds nationaux ainsi que les équipements stationnés sur le ou les territoires de chaque État partie dans la zone d’application du traité[19]. Ils ne concerneraient que trois catégories d’équipements terrestres, à savoir les chars, les vbc et les pièces d’artillerie.
La proposition de l’otan, en outre, introduisait une catégorie de « mesures particulières de stabilisation » qui s’appliqueraient aux quatre pays du groupe de Visegrad, au district de Kaliningrad, au Bélarus et à la partie occidentale de l’Ukraine, jusqu’à la prochaine conférence des États parties. Ces mesures consisteraient à établir le gel des plafonds territoriaux. L’apparition de forces armées sur ces territoires signifierait soit une réduction de ses propres équipements par le pays accueillant, soit un excès de plafonds territoriaux, donc une violation du traité. Par ce document, les Occidentaux signalaient aux Russes que l’élargissement de l’Alliance atlantique n’amènerait aucune augmentation des équipements militaires. En effet, les nouveaux adhérents seraient obligés de réduire préalablement leurs propres arsenaux militaires pour pouvoir accueillir des forces militaires de l’otan sur leur territoire. La proposition de l’otan, de plus, visait à résoudre le problème des équipements stockés. Alors que Moscou était en faveur de l’élimination de la distinction entre équipements « actifs » et équipements « stockés », l’Alliance proposait de donner le choix aux États parties : soit préserver les dotations concernant les stocks, soit éliminer 80 % de ces dotations et attribuer le reste aux unités d’active. Enfin, l’otan se prononça en faveur de l’introduction d’une « clause d’accession », permettant aux pays européens, non membres du traité fce, de rejoindre son régime. Cette clause visait surtout les trois États baltes, qui avaient préféré rester à la marge du traité (Chillaud 2002).
La réponse officielle de la Russie à la proposition de l’otan fut présentée le 7 mars 1997, au sein du gcc, à Vienne. Moscou, tout d’abord, se montrait favorable à certaines suggestions faites par l’otan, notamment l’idée de remplacer la structure des blocs par des limites nationales. Les Russes, néanmoins, estimèrent que les Occidentaux n’allaient pas assez loin dans leurs propositions. Ils souhaitaient, en effet, plus que jamais une refonte des principales dispositions du traité fce (élimination de la zone des flancs, exemptions d’équipements destinés à être utilisés par des forces armées pendant des opérations de maintien de la paix, introduction de la « règle de la suffisance » qui empêcherait définitivement l’otan d’augmenter le niveau de son équipement, etc.).
L’Alliance souhaitait rassurer Moscou sur la question des forces stationnées sur le territoire de la Hongrie, de la République tchèque et de la Pologne. Les Occidentaux estimaient que la stabilité serait renforcée par la conclusion d’un accord prévoyant qu’aucun nouveau stationnement ne devait venir s’ajouter à ceux existant déjà. C’est dans ce contexte que le Conseil de l’Atlantique Nord publia une déclaration le 14 mars 1997 : « Dans le contexte de sécurité actuel et prévisible, l’Alliance remplira ses missions de défense collective et ses autres missions en veillant à assurer l’interopérabilité, l’intégration et la capacité de renforcement nécessaires plutôt qu’en recourant au stationnement permanent supplémentaire d’importantes forces de combat » (otan 1998).
À l’occasion de la réunion ministérielle d’Oslo, les 30 États parties convinrent que l’adaptation du traité devrait être achevée lors du sommet d’Istanbul, de novembre 1999, mais que les questions les plus importantes devaient être impérativement résolues dans les premiers mois de l’année 1999. Il s’agissait des termes du compromis auquel la Russie faisait allusion pour obtenir des garanties de sécurité en contrepartie de l’élargissement, de même qu’un allégement des contraintes de la règle des flancs.
C — L’Acte fondateur
Outre les dispositions relatives aux nouvelles relations entre Moscou et l’otan, l’Acte fondateur sur les relations, la coopération et la sécurité mutuelles entre l’otan et la Fédération de Russie, signé le 27 mai 1997, comportait un certain nombre d’engagements visant à donner à la Russie des assurances de stabilité dans le cadre du traité fce (réduction générale des niveaux d’armements, retenue en matière de déploiement et de stationnement des forces de combat).
En dépit des bonnes intentions affichées par l’Alliance atlantique, les Russes estimaient que les garanties accordées par l’Acte fondateur n’étaient pas satisfaisantes. Lorsqu’il devint évident que les négociations de Vienne étaient proches de l’impasse, les pays de l’otan firent savoir qu’ils étaient prêts à réduire unilatéralement 80 % des armements qu’ils pouvaient stocker, en vertu du traité fce. Il s’agissait de matériels que les Britanniques, les Américains et les Allemands auraient pu conserver dans des dépôts, en tant que réserves utilisables en cas de crise[20]. Les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne et l’Italie déclarèrent qu’ils étaient disposés à réduire, sur une base nationale, les quantités d’armements prêts à être déployés au sein de leurs unités opérationnelles. La France annonça une réduction d’environ 5 % de ses plafonds nationaux pour les armements terrestres. Le Royaume-Uni fit une offre similaire pour toutes les catégories d’armes visées par le traité. Les États-Unis acceptèrent un plafond de 1 812 chars (au lieu de 4 006), 3 037 vbc (au lieu de 5 372), 1 553 pièces d’artillerie (au lieu de 2 492) et 404 hélicoptères (au lieu de 431). Enfin, le 14 mars 1997, l’otan déclara qu’elle ne prévoyait pas que d’importantes forces de combat supplémentaires soient basées en permanence dans les nouveaux pays membres après son élargissement (otan 1998).
Le 23 juillet 1997, le gcc adopta une série de mesures qui devaient préfigurer les grandes lignes du traité adapté. Le point le plus important fut la décision prise de remplacer la structure de bloc à bloc par un système fixant des plafonds nationaux et territoriaux pour chaque pays. Les plafonds nationaux détermineraient le nombre d’elt que chaque État partie est autorisé à avoir dans la zone d’application du traité. Les plafonds territoriaux remplaceraient le système actuel des zones emboîtées. Ils détermineraient la quantité d’armements que les forces nationales et étrangères déployées ou susceptibles d’être déployées dans un pays donné étaient autorisées à détenir. En ce qui concerne les forces stationnées, il fut décidé d’imposer des obligations supplémentaires en matière d’information et d’élaborer de nouvelles mesures de transparence comprenant la notification préalable des changements affectant les équipements détenus par une unité appartenant à une force stationnée. Les États parties, enfin, décidèrent d’inclure dans le traité fce adapté des dispositions visant à permettre à un État partie d’accueillir sur son territoire, avec son consentement exprès, des forces qui dépasseraient son plafond territorial pour des exercices militaires notifiés ou dans le cadre de déploiements temporaires, à la condition que ces deux mesures fussent compatibles avec les objectifs d’un traité adapté.
L’autre question sensible était celle qui avait trait au décompte des matériels stockés. En effet, le traité distinguait, pour les elt terrestres, ceux déployés dans des unités opérationnelles et ceux qui devaient être placés dans des dépôts permanents désignés (dpd)[21]. Souhaitant disposer de toute sa liberté d’utilisation de l’ensemble de ses équipements, surtout dans la zone des flancs, la Russie proposa que la règle des stockages fût abolie et que les matériels placés dans des dépôts fussent transférés aux unités d’active. L’otan, de son côté, présenta deux options : ou bien s’en tenir au régime existant pour les elt terrestres ou bien supprimer le placement en dpd en détruisant 80 % des matériels stockés et en transférant le reste aux autres unités actives. Aucune décision ne fut prise sur la question des flancs. Certains États proposèrent d’intégrer complètement l’Accord des flancs du 31 mai 1996 dans le traité fce adapté. La Russie, l’Ukraine, la Bulgarie et la Roumanie soutenaient que le concept de flanc était périmé.
D — L’Accord intérimaire du 30 mars 1999
Le 30 mars 1999, les parties signèrent un nouvel accord, en dépit de la très mauvaise conjoncture dans les relations otan/Russie (l’Alliance atlantique, quelques jours plus tôt, avait entrepris une campagne aérienne au Kosovo fortement critiquée par Moscou). Il confirma la nouvelle structure basée sur le système des plafonds nationaux et territoriaux. Si, jusque-là, le nombre de elt alloués aux États parties était réparti selon les blocs, l’accord du 30 mars stipulait que les elt seraient limités au regard du nombre de plafonds nationaux.
Les membres de l’otan, désormais 19 avec la récente adhésion de la Pologne, de la Hongrie et de la République tchèque, proposèrent d’abaisser leurs limites nationales agrégatives à 80 000 unités[22].
L’otan, par ailleurs, confirma l’engagement qu’elle avait pris lors de la signature de l’Acte fondateur, au terme duquel elle n’entendait pas envoyer sur le sol des nouveaux États membres, des forces armées importantes. Néanmoins, afin de répondre aux préoccupations de ces derniers, soucieux de pouvoir accueillir des forces de l’Alliance en cas de crise avec la Russie, des possibilités de déploiements temporaires d’équipements sur le territoire d’un allié en cas de crise étaient aussi prévues.
En vertu de l’accord, chaque État pouvait excéder ses limites territoriales respectives en cas d’exercices ou de déploiements temporaires ou de déploiements de forces de maintien de la paix, mandatées par l’Organisation de sécurité et de coopération en Europe (osce) ou par l’Organisation des Nations Unies (onu).
Chaque État pouvait recevoir un « déploiement temporaire de base » à la condition qu’il n’excédât pas 153 chars, 241 vbc et 140 pièces d’artillerie. Quant aux États de la zone des flancs, ils pouvaient accueillir un « déploiement temporaire exceptionnel », s’il n’excédait pas 459 chars, 723 vbc et 420 pièces d’artillerie.
III – Le traité adapté
Le 19 novembre 1999, les chefs d’État et de gouvernement des trente États parties au traité fce signèrent l’accord d’adaptation du traité (osce 1999).
A — Les principales dispositions du traité adapté
Un nouveau système de limitations
Le traité adapté supprime le système de limitations par groupe d’États parties et par zone, remplacé par un système de plafonds nationaux et territoriaux. Le plafond national, attribué à chaque État partie, limite le nombre d’équipements que l’État peut détenir dans la zone d’application[23]. Il correspond, dans le traité adapté, à la transcription des niveaux maximaux de dotations existants dans le traité actuel. Le plafond territorial, attribué à chaque État partie disposant d’un territoire dans la zone d’application, limite le nombre d’équipements terrestres que l’on peut déployer sur ce territoire, quelle que soit leur origine[24]. Les plafonds territoriaux sont destinés à remplacer le système actuel de limitations par zone, conçu pour prévenir toute accumulation déstabilisatrice des forces.
Le principe de flexibilité
Le traité adapté prévoit certaines mesures de souplesse : le recours à un mécanisme de révision des plafonds, la possibilité de dépasser les plafonds territoriaux à l’occasion d’exercices ou de déploiements temporaires notifiés et la non-prise en compte sous les plafonds territoriaux des elt en transit ou engagés dans une opération de soutien de la paix, sous mandat. Les plafonds sont élastiques dans la mesure où chaque État partie aura le droit de les réduire et de les augmenter à la seule condition qu’une baisse équivalente soit effectuée dans un ou plusieurs autres États parties.
Entre deux conférences d’examen, des révisions à la hausse seront possibles dans la limite de 20 % de plafond territorial et d’un maximum de 150 chars, 250 vbc et 100 pièces d’artillerie. Au-dessus de cette limite, le consensus des États parties est exigé. Toute révision à la hausse du plafond territorial d’un État partie doit être précédée ou accompagnée d’une baisse équivalente du plafond territorial d’un ou de plusieurs autres États parties. Pour les États situés dans la zone des flancs, l’échange ne peut intervenir qu’entre États parties situés dans cette zone. Des dépassements de plafonds territoriaux pourront être effectués dans le cadre d’exercices ou de déploiements temporaires, pour des opérations sans mandat. Ces dépassements pourront atteindre 153 chars, 241 vbc, 140 pièces d’artillerie au-dessus du plafond territorial. Ils pourront aller, dans une seconde étape, jusqu’à 459 chars, 723 vbc et 420 pièces d’artillerie pour tout État situé en dehors de la zone des flancs. Ces dispositions ont été introduites sous l’impulsion de l’Alliance atlantique, qui craignait que des limitations trop restrictives ne décrédibilisent les capacités de projection de ses forces dans les territoires « hors zone otan ». Tout dépassement entraîne mécaniquement la convocation d’une conférence des États parties.
Des révisions à la hausse sont possibles pour les elt terrestres (dans la limite de 20 % du plafond national et d’un maximum de 150 chars, 250 vbc et 100 pièces d’artillerie) et pour les elt aériens (dans la limite de 25 hélicoptères d’attaque et 30 avions de combat). Au-delà de ces limites, le consensus des États parties sera requis. À l’instar du mécanisme de révision des plafonds territoriaux, toute révision à la hausse du plafond national d’un État partie doit être précédée ou accompagnée d’une baisse équivalente du plafond national, d’un ou de plusieurs autres États parties. Des dépassements des plafonds territoriaux pourront être effectués dans le cadre d’exercices notifiés. Ces dépassements, néanmoins, sont limités en volume. Ils pourront atteindre 153 chars, 241 vbc, 140 pièces d’artillerie au-dessus du plafond territorial de tout État partie. Ils pourront aller, dans une seconde étape, jusqu’à 459 chars, 723 vbc et 420 pièces d’artillerie par État partie dont le territoire est situé en dehors de la zone actuelle des flancs. Le dépassement du premier volume de déploiements temporaires entraînera, en outre, la convocation d’une conférence des États parties et l’information des instances de l’osce.
Des dépassements de plafonds territoriaux pourront être effectués dans le cadre d’exercices, d’opérations sous mandat de l’onu ou de l’osce et de déploiements temporaires (opérations sans mandat). Lors des déploiements temporaires, ces dépassements seront limités en volume. Ils pourront atteindre 153 chars, 241 vbc, 140 pièces d’artillerie au-dessus du plafond territorial de tout État partie (déploiement temporaire de base). Dans une seconde étape, ils pourront aller jusqu’à 459 chars, 723 vbc, 420 pièces d’artillerie (déploiement temporaire exceptionnel) pour tout État partie dont le territoire est situé en dehors de la zone des flancs. Le dépassement du premier volume de déploiements temporaires entraînera la mise en oeuvre de mesures politiques d’accompagnement : la convocation d’une conférence des États parties et l’information des instances de l’osce.
Les elt ne seront pas comptabilisés sous les plafonds territoriaux lors des transits. Le volume des équipements qui transitent de la zone d’application vers l’extérieur de la zone ne sera limité que par le plafond national de l’État à qui ils appartiennent. La quantité d’équipements, qui transitent mais restent à l’intérieur de la zone d’application, sera limitée par le niveau d’équipement autorisé à stationner sur le territoire de destination. Ce niveau dépend du but du transit (stationnement sous plafond territorial, exercice, opération avec mandat, déploiement temporaire).
L’harmonisation du régime de la zone des flancs
Les États parties situés dans la zone des flancs[25] ne pourront recevoir sur leur territoire qu’un déploiement temporaire d’un volume de 153 chars, de 241 vbc et de 140 pièces d’artillerie. Ils ne pourront échanger des parts de plafonds qu’entre eux. L’accord d’adaptation entérina, pour la Russie, les modifications de la géographie de la zone décidées lors de la conférence de mai 1996, à savoir les stationnements d’elt au 1er janvier 1999[26]. De plus, conformément à l’engagement pris en mai 1996 d’examiner les dispositions sur les dépôts permanents désignés, les droits en dépôts permanents désignés (dpd) dans cette zone étaient intégralement convertis en droits en unités d’active. Pour l’Ukraine, seul l’oblast d’Odessa sera soumis à des contraintes spécifiques (400 chars, 400 vbc et 350 pièces d’artillerie).
Lors de l’adoption de l’accord intérimaire, l’Azerbaïdjan refusa d’annoncer les niveaux envisagés, pour ses plafonds, dans le cadre du futur traité fce adapté. Bakou justifiait son refus par la présence d’armements incontrôlés sur son territoire qui échappaient à la comptabilité du régime fce car ils étaient aux mains d’indépendantistes, notamment ceux du Nagorno-Karabakh. Ces transferts d’armements n’ayant pas été comptabilisés dans les échanges de données, ils échappaient de facto au régime fce, ce qui était inadmissible pour l’Azerbaïdjan qui craignait, en plus, que les Russes invoquent la possibilité de déploiements temporaires, donnée par l’Accord sur les flancs, pour installer leurs forces sur le territoire azéri.
Des mesures spécifiques de stabilisation prévues pour l’Europe centrale
Afin de répondre aux préoccupations de la Russie à la suite de l’élargissement de l’Alliance atlantique, la Pologne, la Hongrie et la République tchèque prirent l’engagement de baisser leur niveau d’équipement et de ne pas utiliser les mécanismes de révision des plafonds. Conformément à la proposition déposée par les Alliés à Vienne le 20 février 1997, ce choix devrait conduire à une baisse des plafonds national et territorial de ces États d’un volume égal à 80 % de ces droits en dpd. La Pologne et la Slovaquie diminueront leurs dotations et leurs plafonds d’ici à 2003, tandis que le Bélarus renonce à augmenter son plafond territorial de 20 %, comme il l’avait indiqué le 5 mai 1998.
B — Les perspectives du régime fce
Du Sommet d’Istanbul et de la signature du traité adapté jusqu’au début de l’année 2007, date à laquelle la Russie avait annoncé la suspension du traité, la situation était paradoxale : alors que l’Alliance atlantique avait clairement conditionné la ratification du « nouveau » traité fce au respect, par les Russes, de la règle des flancs, issue de l’« ancien » traité[27], la Russie rechignait à respecter ses engagements qui pourtant auraient pu permettre l’entrée en vigueur d’un traité concordant avec les nouvelles réalités stratégiques issues de la fin de la guerre froide.
La Russie, pourtant, a jugé que sa présence armée en Géorgie et en Moldavie était d’une importance tout aussi décisive. Si elle a joué sur l’ambiguïté entre 1999 et 2007, peut-être avait-elle jugé que, si elle restait dans l’ancien traité fce (tout en laissant penser à ses partenaires occidentaux que le respect de ses engagements pris à Istanbul n’était qu’une question de temps), elle aurait pu alors peser de son influence pour éviter un deuxième élargissement de l’otan. Finalement, constatant son échec, elle a décidé de se retirer (provisoirement) du régime fce [28]. En fait, la Russie semblait faire payer au traité fce le mécontentement qu’elle éprouvait vis-à-vis des États-Unis et de l’otan de plus en plus hégémoniques, faisant fi de ses intérêts de sécurité mais aussi de l’osce. Si, d’un côté, elle exige une réforme radicale de l’organisation viennoise, d’un autre elle foule au pied l’un des principes fondamentaux que cette dernière a toujours portés sur les fonts baptismaux et en même temps un principe de base de la sécurité européenne d’après-guerre froide, en l’occurrence le stationnement de forces armées étrangères contre la volonté du pays hôte. Pour autant, la fin des hostilités avec la Géorgie a permis à la Russie de mâtiner son coup de force d’une certaine légitimité, puisque désormais les forces russes de maintien de la paix déjà stationnées en Abkhazie et en Ossétie ont assurément vocation à être pérennisées et même consolidées[29]. Dans ces conditions, si la Russie ne respectait pas ses engagements pris à Istanbul, il est certain qu’une intensification de sa présence armée dans la région ne serait certainement pas propice à leur application.
La Russie, toujours membre du gcc, donnait des assurances en vertu desquelles elle ne concentrerait pas ses troupes aux frontières avec ses pays voisins. Après l’annonce de Poutine, le chef d’État-major des armées russes, le général Balouïevski, précisa que Moscou « ne prévoyait pas déployer des troupes » supplémentaires sur ses frontières occidentales. Néanmoins, désormais, autant les inspections que les échanges de données n’étaient plus possibles. Or, il s’agissait précisément là de vertus de confiance qui émanaient du régime fce ; elles permettaient autant de réduire les risques d’escalade par une connaissance précise du montant d’armements classiques que de décourager l’usage par les États d’une pression militaire à des fins d’intimidations politiques. Il s’agit là d’ailleurs d’un risque pour la stabilité politique en Arménie et en Azerbaïdjan : une course « régionale » aux armements affaiblirait les chances de parvenir à une solution pacifique pour le Haut-Karabakh. D’une façon générale, tous les États du Caucase ont commencé à réévaluer le format de leurs armées et de leurs équipements en prévision d’un échec prolongé du régime fce. Il existe, enfin, un risque dans le domaine du nucléaire ; la Russie, en effet, pourrait être tentée de déployer des missiles nucléaires tactiques pour compenser un déséquilibre des armements classiques (Zellner 2009), voire carrément de dénoncer le traité Intermediate Nuclear Forces (inf)[30].
En définitive, on peut légitimement se demander pourquoi la Russie ne s’est pas retirée plus tôt du traité fce. Conçu à une époque charnière, celui-ci avait vocation à s’appliquer à un moment où le pacte de Varsovie et l’urss existaient encore. Il répondait aux intérêts de deux alliances ennemies. Les bouleversements géopolitiques issus de l’effondrement du bloc de l’Est, puis de l’implosion de l’Union soviétique, ne pouvaient, néanmoins, être sans conséquence sur l’application du traité. En effet, répondant, malgré tout, à une logique de bloc à bloc, le traité fce était perçu comme un instrument de maîtrise des armements entre, d’une part, l’Alliance atlantique et, d’autre part, le pacte de Varsovie. En fait, les changements géostratégiques intervenus au cours de la décennie 1990 ont conduit à une distorsion entre l’évolution d’un traité poursuivie dans une logique d’alliance à alliance et la situation réelle. Dans ces conditions, si la Russie a maintenu sa présence au sein du régime, c’est parce qu’elle y voyait un gage de sa qualité de partenaire incontournable des pays occidentaux. Après les élargissements successifs de l’otan, vus de Moscou, cette assurance n’existait plus. Ajoutons, enfin, que l’Alliance et les États-Unis, à force de jouer les boutefeux, ont assurément une certaine part de responsabilité dans la décision de Moscou de suspendre l’application du traité. On remarquera ainsi que l’application du régime fce a souvent été une variable dans les relations entre l’Est et l’Ouest. Dans ces conditions, il n’est pas improbable d’assister à son retour en grâce au cas où les relations entre l’otan et le Kremlin s’amélioreraient, d’autant plus que, même si la Russie s’est soustraite (temporairement) du traité, elle continue de travailler avec ses partenaires occidentaux au sein de l’osce.
Parties annexes
Note biographique
Matthieu Chillaud
Chercheur postdoctoral et lecteur à l’Institut d’études politiques et administratives de Tartu, Estonie.
Notes
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[1]
Le traité fce est appelé officiellement le Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe (osce 1990). Néanmoins, par souci de facilité (l’usage veut que le traité soit dénommé traité sur les forces conventionnelles en Europe), on continuera d’utiliser l’expression traité fce. On notera, en outre, que la langue française préfère parler de désarmement classique plutôt que de désarmement conventionnel, mauvaise traduction littérale de la langue anglaise.
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[2]
Les origines du traité fce remontent au tout début de la décennie 1970. Au moment où la stratégie de la riposte graduée fut adoptée, le recours en premier des armes nucléaires était jugé nécessaire pour garantir la sécurité des alliés occidentaux, face à l’imposant appareil militaire du pacte de Varsovie ; on ne pouvait donc pas se priver de cet avantage avant que le déséquilibre des forces classiques soit corrigé, d’où l’intérêt porté aux négociations mbfr (Mutual and Balanced Forces Reduction), dont l’idée avait été lancée par l’otan peu de temps après l’intervention armée du pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie (Ruehl 1982 ; Sharp 2006).
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[3]
Avions, hélicoptères, chars, pièces d’artillerie et véhicules blindés de combat (vbc).
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[4]
Les quatre zones étaient les suivantes : 1) zone 4-4 : à l’Ouest, la rfa, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas ; à l’Est, la Tchécoslovaquie, la Pologne et la Hongrie ; b) zone 4-3 : la zone 4-4 à laquelle s’ajoutent à l’Ouest, le Danemark, la Grande-Bretagne, la France et l’Italie ; à l’Est, les régions militaires soviétiques de la Baltique, de Biélorussie, des Carpates et de Kiev ; c) zone 4-2 : la zone 4-3 à laquelle s’ajoutent, à l’Ouest, l’Espagne et le Portugal et, à l’Est, les régions militaires soviétiques de Moscou et de Volga-Oural ; d) zone 4-1 : l’ensemble de la zone d’application du traité (y compris les îles Canaries et les îles des Açores et de Madère), c’est-à-dire la zone 4-2, à laquelle s’ajoutent, à l’Ouest, l’Islande, la Norvège, la Grèce et la Turquie (dont une partie méridionale est exclue) et, à l’Est, les régions militaires soviétiques de Leningrad, du Nord-Caucase, de Transcaucasie, la Roumanie et la Bulgarie.
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[5]
Le principe de zones emboîtées signifie, considérant par exemple les chars, que, si en zone 4-4 occidentale, il y a moins de 7 500 chars, le Danemark, la Grande-Bretagne, la France et l’Italie peuvent en avoir plus de 2 800 (différence entre 10 300 et 7 500), à condition qu’il n’y en ait pas plus de 10 300 sur l’ensemble des territoires constituant la zone 4-3.
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[6]
Selon les services de renseignement américains, les Soviétiques avaient transféré plus de 40 000 elt (11 000 chars, 12 000 vbc, 12 000 pièces d’artillerie, 3 000 avions et 3 000 hélicoptères). Le chef de la délégation britannique au gcc, Paul Lever, révéla que quatre formations soviétiques, en outre, manquaient à la déclaration soviétique (la 7e et la 12e division blindée, la 281e brigade d’artillerie et la 214e brigade d’entraînement d’artillerie).
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[7]
Plus tard, les Soviétiques expliquèrent la raison fondamentale de ce transfert. Il s’agissait de la conséquence de l’annonce faite en 1988, par Mikhaïl Gorbatchev, de réduire de 500 000 soldats le format des armées. Moscou devait donc assurer une répartition équilibrée des forces et des équipements sur tout le territoire.
-
[8]
Groupe consultatif commun (gcc) : organe chargé des questions relatives à l’application du traité (respect, violations, améliorations et litiges), de la préparation des conférences des États parties, ainsi que des propositions d’amendement au traité.
-
[9]
À chaque État partie au traité fce avait été alloué un certain nombre d’inspections passives et actives, les premières étant celles que chacun devait accepter sur son territoire et les secondes celles que chacun pouvait effectuer sur un territoire étranger.
-
[10]
Cet accord devait faire suite à l’accord de Budapest du 3 novembre 1990 qui fixa les elt entre les anciens membres du pacte de Varsovie.
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[11]
Rappelons que la Russie avait tenté, avec plus ou moins de succès, d’habiller ses forces militaires déployées en Géorgie, en Arménie et au Tadjikistan en forces de maintien de la paix. Le cas de la Moldavie était différent, car la 14e armée (à peu près 6 400 soldats) stationnait déjà sur son territoire. Sur la problématique de l’interaction entre le traité fce et la présence des forces armées russes dans le Caucase, on se référera à l’excellent article de Victor-Yves Ghebali (2006). Quant à l’Arménie, pays pris en « sandwich » entre la Turquie et l’Azerbaïdjan, elle recherchait auprès de la Russie des garanties de sécurité collective et demandait que ses troupes déjà stationnées restent le plus longtemps possible, même si cela s’avérait incompatible avec le régime fce. En mars 1995, Erevan signa avec Moscou un accord octroyant des bases, pour une durée de 25 ans.
-
[12]
Selon la jurisprudence de la Cour internationale de justice, les changements invoqués doivent avoir affecté « un fondement essentiel pour le consentement des parties à être liées par ledit traité ». De plus, les changements doivent avoir « transformé radicalement l’étendue des obligations contractées ».
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[13]
« L’otan, en tant que telle, n’est pas signataire du traité fce, ni signataire d’aucun autre accord de maîtrise des armements. Par conséquent, d’un point de vue juridique, l’élargissement de l’otan n’a, en soi, aucune incidence sur le traité. »
-
[14]
Sur la position russe, voir Chernov (1995).
-
[15]
L’oblast d’Odessa, en Ukraine, ceux de Volgograd, de Kouchtchevskaya et d’Astrakhan, dans le sud de la Russie, une portion orientale de la province de Rostov, également dans le sud ; l’oblast de Pskov, dans le nord de la Russie.
-
[16]
Entre 1994 et l’automne 1996 (soit après la signature du cessez-le-feu au Haut-Karabakh), l’ancien ministre russe de la défense, Pavel Gratchev, a fourni 47 millions de dollars de chars, de vbc, ainsi que des missiles scud, sans « qu’un kopeck de cette juteuse transaction ne soit reversé au budget russe » (Jégo 1997).
-
[17]
Afin de réfléchir à la meilleure position commune à adopter au sein de l’otan, l’Alliance créa, lors du Conseil de l’Atlantique Nord à Halifax de mai 1986, la High-Level Task Force (hltf). Chargée d’étudier les méthodes les plus appropriées pour renforcer la « stabilité conventionnelle sur le continent européen », elle constituait un forum de discussions et de concertations entre les membres de l’otan, préalablement à toute négociation avec l’Est.
-
[18]
Au sens de la proposition de l’otan, il s’agissait de mécanismes permettant le dépassement des plafonds territoriaux en cas de crise. Ils intégraient des mesures de transparence (convocation d’une conférence des États parties et informations aux organes dirigeants de l’osce). Ils n’étaient pas limités dans le temps et ne s’appliquaient pas aux hélicoptères d’attaque ni aux avions de combat.
-
[19]
Il ne pourrait y avoir de plafonds territoriaux que dans trois cas : 1) dans le cadre d’exercices militaires notifiés ; 2) dans le cadre d’opérations de maintien de la paix, sous mandat onu ou osce ; 3) dans le cadre de déploiements temporaires.
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[20]
De manière générale, l’otan abaisserait ses plafonds globaux en matière d’armement de 10 %, ce qui signifie qu’elle n’aurait plus droit qu’à 16 794 chars et 17 372 pièces d’artillerie, au lieu des 20 000 autorisés pour chacune des deux catégories, conformément au traité fce. Elle aurait droit également à 27 718 vbc contre 30 000 prévus initialement.
-
[21]
Le terme « dépôt permanent désigné » signifie un lieu dont l’enceinte physique est clairement déterminée, contenant des armements et équipements conventionnels limités par le traité, qui sont comptés sous les plafonds globaux, mais qui ne sont pas soumis aux limites sur les armements et équipements conventionnels limités par le traité en unités d’active.
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[22]
Sur les 5 catégories d’elt, les limites totales de l’Alliance atlantique sont de 89 026 unités.
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[23]
Seuls les États-Unis et le Canada ne disposeront que d’un plafond national.
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[24]
Des stationnements étrangers pourront être effectués sur le territoire d’un État partie, avec le consentement exprès de cet État, dans la limite de son plafond territorial (marge d’accueil = plafond territorial – dotations réellement présentes sur le territoire).
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[25]
Conformément à la décision du 23 juillet 1997 qui stipulait que « la substance du régime des flancs tel que modifié à l’occasion de la première Conférence d’examen sera maintenue, mais réconciliée avec la structure du traité adapté » (gcc 1997).
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[26]
1 300 chars, 2 140 vbc et 1 680 pièces d’artillerie.
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[27]
Par. 51 du communiqué final émis, le 24 mai 2000, par le Conseil de l’Atlantique Nord siégeant à Florence (otan 2000). Cette décision fut adoptée à l’initiative des États-Unis (Schmidt 2005 : 154).
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[28]
Effectivement, la forme juridique de la décision russe – un moratoire et non un retrait – permet d’envisager un retour de la Russie dans le giron du régime fce. En fait, un moratoire, qui est la cessation provisoire des effets d’un traité, a plus une signification de facto que de jure. Le droit international public, en effet, ne reconnaît pas cette notion ; la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969) ne parle pas de « moratoire » mais bel et bien de « suspension ».
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[29]
La décision du Kremlin de reconnaître, au lendemain du conflit avec la Géorgie, l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud a, par ailleurs, compliqué la situation, d’autant que Moscou a signé avec elles des accords de défense lui permettant « légalement » d’y déployer des forces militaires.
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[30]
Bien que le Kremlin soit conscient que le choix d’abandonner ce traité amènerait les États-Unis à rétorquer immédiatement en installant des missiles en Europe, ce qui renforcerait l’asymétrie : si les missiles intermédiaires américains pourraient atteindre le territoire russe, l’inverse ne serait pas vrai.
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