Résumés
Résumé
Cadre de la recherche : Les jeunes adultes ont constitué le groupe d’âge ayant le plus souffert du sentiment de solitude pendant la pandémie. À ce jour, ce phénomène a principalement été approché par des indicateurs standardisés en santé mentale : nous défendons l’idée qu’une perspective sociologique peut apporter un éclairage différent sur ces expériences.
Objectifs : Cet article adopte une approche centrée sur les parcours de vie pour examiner les diverses significations de la solitude pendant la pandémie, ainsi que les conditions sociales de son émergence. Nous explorons les principales sources de solitude chez les jeunes, les émotions qui y sont liées et les stratégies adoptées pour y faire face.
Méthodologie : Notre enquête s’appuie sur l’analyse comparée de 48 récits de vie conduits en 2020 et 2021 auprès d’individus âgés de 18 à 30 ans, issus de milieux sociaux variés, à Montréal (16), en Gaspésie (16) et à Toronto (16).
Résultats : Tous les récits sont initialement marqués par l’existence d’un « choc de solitude », mais ils se polarisent fortement en trois grandes expériences différenciées : la solitude comme « gouffre », comme « combat » ou comme « ressource ».
Conclusions : On ne peut réduire la solitude pandémique des jeunes à la souffrance de l’isolement : dans notre enquête, les jeunes adultes ont été touché.es par différents types de solitude — relationnelle certes, mais aussi existentielle et politique — marquantes pour leur génération. Nous montrons également comment la précarité tend à créer un processus de « cumul des solitudes » et soulignons le rôle paradoxal des médias sociaux sur ces différents types de solitude.
Contribution : Cet article offre une meilleure compréhension des facteurs sociaux et générationnels à l’origine de la hausse marquée de la solitude des jeunes pendant la pandémie. Il permet de mieux saisir la dynamique des inégalités sociales dans ces expériences.
Mots-clés :
- pandémie,
- jeune adulte,
- jeunesse,
- parcours de vie,
- santé mentale,
- attachement,
- émotion,
- lien,
- soutien social,
- intégration sociale
Abstract
Research framework: Young adults were the age group most affected by feelings of loneliness during the pandemic. To date, this phenomenon has mainly been approached by standardized mental health indicators: we argue that a sociological perspective can shed different light on these experiences.
Objectives: Using a life-course approach, this article aims to understand the different meanings associated with experiences of loneliness during the pandemic, and to identify the social conditions that led to their occurrence. We highlight the main sources of loneliness among young people, the multiple emotions associated with it, and the different strategies for coping with it.
Methodology: Our study is based on a comparative analysis of 48 life stories conducted in 2020 and 2021 with individuals aged 18 to 30, from various social backgrounds, in Montreal (16), Gaspé (16) and Toronto (16).
Results: All the stories are initially marked by the existence of a “shock of loneliness”, but they are strongly polarized into three main experiences: loneliness as an “abyss”, as a “struggle” or as a “resource”.
Conclusions: We cannot reduce the pandemic loneliness of young people to the suffering of isolation: in our study, young adults were affected by different types of loneliness - relational, but also existential and political - that are significant for their generation. We also show how precariousness tends to create a process of “cumulative loneliness”, and highlight the paradoxical role of social media on these different types of loneliness.
Contribution: This article offers a better understanding of the social and generational factors behind the sharp rise in youth loneliness during the pandemic. It provides a better understanding of the dynamics of social inequalities in these experiences.
Keywords:
- pandemic,
- young adult,
- youth,
- life course,
- mental health,
- attachment,
- emotion,
- social bond,
- social support,
- social integration
Resumen
Marco de investigación : Los jóvenes fueron el grupo de edad más afectado por sentimientos de soledad durante la pandemia. Sin embargo, hasta la fecha, este fenómeno se ha abordado principalmente utilizando indicadores estandarizados de salud mental: nosotros argumentamos que un enfoque sociológico puede arrojar una luz diferente sobre estas experiencias.
Objetivos : Utilizando un enfoque basado en las trajectorias de vida, este artículo pretende comprender los diferentes significados asociados a las experiencias de soledad durante la pandemia, e identificar las condiciones sociales que condujeron a su aparición. Identificamos las principales fuentes de soledad entre los jóvenes, las múltiples emociones asociadas a ella y las diferentes estrategias para afrontarla.
Metodología : Nuestro estudio se basa en un análisis comparativo de 48 historias de vida realizadas en 2020 y 2021 con individuos de entre 18 y 30 años de diversos orígenes sociales en Montreal (16), Gaspé (16) y Toronto (16).
Resultados : Mostramos que todas las historias están marcadas inicialmente por la existencia de un "choque de soledad", pero que se polarizan fuertemente en 3 grandes experiencias diferenciadas: la soledad como "abismo", como "lucha" o como "recurso".
Conclusiones : Concluimos que la soledad pandémica de los jóvenes no puede reducirse al sufrimiento del aislamiento: en nuestra encuesta, los jóvenes adultos se vieron afectados por diferentes tipos de soledad -relacional, por supuesto, pero también existencial y política- que son significativos para su generación. También mostramos cómo la precariedad tiende a crear un proceso de "soledad acumulativa". Por último, destacamos el papel paradójico de los medios sociales en estos diferentes tipos de soledad.
Contribución : Este artículo ofrece una mejor comprensión de los factores sociales y generacionales que subyacen al marcado aumento de la soledad de los jóvenes durante la pandemia. También permite comprender mejor la dinámica de la desigualdad social en medio de estas experiencias.
Palabras clave:
- pandemia,
- joven,
- juventud,
- trayectoria de vida,
- salud mental,
- apego,
- emoción,
- vinculación,
- apoyo social,
- integración social
Corps de l’article
Introduction
Cet article vise à explorer les différentes expériences de la solitude parmi les jeunes adultes pendant la période de COVID-19, et à mieux comprendre le sens qui lui est donné au sein des parcours de vie. À partir d’une enquête conduite au Québec et en Ontario, nous nous attachons à repérer les principales sources de solitude chez les jeunes, les multiples émotions qui lui sont associées, ainsi que les différentes stratégies pour y faire face.
Dès les débuts du confinement, les jeunes adultes ont été identifié.es comme le groupe d’âge ayant le plus souffert du sentiment de solitude, que ce soit au Canada, en France ou au Royaume-Uni (Bu et al., 2020 ; Berhuet et Hoibian, 2021 ; Wickens et al., 2021). Face à ce phénomène, la question de la « solitude des jeunes » a émergé dans de nombreux débats publics. La solitude est devenue une préoccupation sociale associée aux jeunes générations, et non plus uniquement aux personnes âgées. Par exemple, à la suite d’une vague de suicides de jeunes étudiant.es au Japon, un « ministère de la solitude » a été mis en place en 2020 dans le but de lutter contre les effets de la solitude à cet âge de la vie (Sakamoto et Ishikane, 2021). En réalité, ce phénomène n’est pas nouveau : bien avant la pandémie, la montée du sentiment de solitude chez les jeunes constituait déjà un enjeu social émergent, même si peu visible. Depuis une décennie, on notait une tendance convergente à la hausse de la solitude parmi les jeunes adultes à plusieurs endroits de la planète (Buecker et al., 2021). Tel que mesuré par différents indicateurs reliés au fait de « se sentir seul », le taux de solitude des jeunes a dépassé celui des plus âgés aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Japon (Cigna, 2018 ; Di Julio et al., 2018 ; Barretto et al., 2021). Une telle hausse a suscité des interrogations scientifiques croissantes (DiTommaso et al., 2003 ; Chao et al., 2015 ; Vasileiou et al., 2019 ; Von Soest et al., 2020 ; Qualter et al., 2021 ; Hemberg et al., 2022). À ce jour, les travaux sociologiques se sont surtout penchés sur le rôle des médias sociaux (Seepersad, 2004 ; Wang et al., 2018 ; Fox, 2019) ainsi que sur les formes les plus « radicales » de solitude juvénile, notamment à travers le phénomène international des hikikomori (Furlong, 2008 ; Saito and Angles, 2013).
La crise sanitaire invite à poursuivre ces efforts de recherche pour mieux comprendre la spécificité des expériences juvéniles de la solitude et identifier de possibles leviers d’action sociale et politique. Dans cette perspective, cet article propose d’analyser les expériences de la solitude pandémique chez les jeunes adultes, au Québec et en Ontario. Nous nous appuyons sur l’analyse comparée de 48 récits de vie conduits en 2020 et 2021 auprès de jeunes adultes âgé.es de 18 à 30 ans, issu.es de milieux sociaux variés, à Montréal, en Gaspésie et à Toronto. Nous définissons la solitude comme un sentiment distinct de l’isolement objectif (Caccioppo et Hawley, 2009), pouvant survenir autant chez les individus isolés que chez des individus confinés ensemble. L’originalité de notre approche est de mobiliser une perspective temporelle longue étudiant les parcours de vie, pour examiner comment ces solitudes s’inscrivent dans les trajectoires contemporaines du « devenir adulte », et repérer les conditions sociales de leur survenue durant les expériences pandémiques. Dans cet article, nous allons montrer que si tous les récits sont marqués par l’existence d’un « choc de solitude » dominé par une solitude existentielle, on observe également une différenciation des récits entre trois grands types de rapport à la solitude. Nous reviendrons en conclusion sur la façon dont ces résultats peuvent nous aider à comprendre la spécificité et la multiplicité des solitudes juvéniles contemporaines.
Jeunes, pandémie, solitude : que sait-on ?
L’âge s’est imposé comme l’un des facteurs les plus prédictifs de la solitude dès le début de la crise sanitaire. Si tous les groupes d’âge ont été affectés par une augmentation sensible de leur niveau de solitude (O’Sullivan et al., 2021 ; Kovacs et al., 2021 ; Ernst et al., 2022), les plus jeunes ont connu la hausse la plus forte, que ce soit au Royaume-Uni (Groarke et al., 2020), en France (Berhuet et Hoibian, 2021) ou en Israël (Palgi et al., 2020). Ce phénomène se retrouve également au Canada, où les jeunes adultes présentent des niveaux de solitude plus élevés que les personnes âgées vivant seules, elles-mêmes très affectées (Wickens et al., 2021). Il faut noter que la solitude a aussi fortement touché les adolescent.es, du fait notamment d’importantes interruptions de leurs études (OCDE, 2020 ; OCDE, 2021 ; Smith et Lim, 2020).
Pour expliquer cette forte propension à la solitude des jeunes, plusieurs facteurs ont été avancés. Certaines études soulignent le poids de facteurs sociaux traditionnels : les jeunes adultes seraient plus souvent concerné.es par les situations de migration, de chômage, de vie solitaire, ou de faible réseau amical, ce qui accroît leur propension à la solitude (Bu et al., 2020). De plus, les mesures de distanciation sociale auraient eu un impact particulièrement fort à un âge marqué par l’importance d’une vie amicale et des loisirs extérieurs (Nunn et al., 2021 ; Berhuet et Hoibian, 2021). D’autres travaux avancent que les jeunes auraient une moindre expérience des crises et une plus grande difficulté à réguler leurs émotions (Wickens et al., 2021 ; Palgi, 2020), alors que la stabilité émotionnelle et la « résilience personnelle » constituent des facteurs protégeant du sentiment de solitude (Matthews et al., 2019 ; Ellis et al., 2020 ; Labrague et al., 2021). Les enquêtes montrent de façon plus générale que cette hausse de la solitude s’inscrit dans un phénomène de fragilisation mentale des jeunes et de perte prononcée de leur bien-être. Certaines recherches évoquent une « crise de santé mentale », qui s’est traduite par une forte augmentation des symptômes dépressifs, de l’anxiété et de l’angoisse vis-à-vis de l’avenir (El Gabalawi et Sommer, 2021 ; Jeauffret-Roustide et al., 2021), et ce, dans un contexte de conditions d’emploi dégradées (Longo et al., 2020). Le sentiment d’abandon et d’exclusion a aussi progressé plus vite chez les jeunes que dans le reste de la population (Berhuet et Hoibian, 2021). Au niveau global, le groupe d’âge des jeunes adultes est apparu le moins optimiste et le moins proche subjectivement des autres (Barford et al., 2021).
Il faut souligner l’existence de fortes inégalités sociales au sein de cette génération : la solitude a davantage touché les jeunes adultes moins diplômé.es, avec de bas salaires ou issu.es de l’immigration en milieu urbain (Bu et al., 2020 ; Shah et al., 2020). Les étudiant.es ont été fortement touché.es, en particulier les étudiant.es en situation de migration (OVE, 2021). Le poids de ces inégalités ethnoraciales et socio-économiques s’observe sur l’ensemble des indicateurs de mal-être (Fardghassemi et Joffre, 2021 ; Jeauffret-Roustide et al., 2021). Au Canada, les jeunes plus défavorisé.es et issu.es des minorités vivent plus souvent un sentiment de perte de connexion aux autres, de l’anxiété, et un sentiment d’abandon par l’État (Kishchuk, 2020). Enfin, on note des différences selon le genre qui ne sont pas identiques dans toutes les sociétés. Par exemple, les jeunes femmes canadiennes ont été plus affectées par la solitude que les jeunes hommes (Wickens et al., 2021), ainsi que par la dégradation de leur santé mentale (El Gabalawi et Sommer, 2021).
Jeunesse et solitude : une approche par les parcours de vie
Cette revue des écrits montre qu’à ce jour, la solitude des jeunes a été principalement approchée par des enquêtes statistiques centrées sur des indicateurs standardisés en santé mentale. Nous défendons l’idée qu’une approche sociologique peut apporter un éclairage différent sur ces expériences, en identifiant à quelles dynamiques sociales elles répondent. Dans le sillage de travaux récents sur la solitude des jeunes (Rokach et Neto, 2005 ; Van de Velde, 2018 ; Yang, 2019 ; Qualter et al., 2021 ; Petiot et al., 2023), notre objectif est de mieux saisir la multiplicité des expériences juvéniles de la solitude pendant la pandémie, ainsi que les conditions sociales de leur survenue. Très peu d’enquêtes qualitatives semblent avoir été publiées sur la solitude des jeunes pendant la pandémie : les travaux réalisés explorent plus directement l’isolement social (Dedryver et Knai, 2021), les usages des médias sociaux (Berhuet et Hoibian, 2021), ou les impacts psychosociaux de la pandémie (Lippke et al., 2021 ; McKinlay et al., 2022). Nous proposons de mobiliser les apports croisés de la sociologie des parcours de vie et de la sociologie des émotions afin de mieux comprendre les sources et les dynamiques de ces expériences de solitude.
En premier lieu, nous privilégions une perspective temporelle centrée sur les parcours de vie (Elder et Glen, 1998), qui réinscrit l’expérience de solitude dans l’ensemble des trajectoires pouren saisir les principaux points de rupture et de bifurcation. La solitude est pensée ici comme une expérience fondamentalement dynamique et processuelle, intimement liée aux différentes temporalités de l’existence (Van de Velde, 2011 ; Chao et al., 2015 ; Paugam, 2018). Cette lecture temporelle vise à mieux comprendre les racines générationnelles et sociales de l’expérience de la solitude chez les jeunes. Nous défendons l’idée que si l’on veut analyser les liens entre jeunesse et solitude, il est nécessaire de prendre en compte non seulement les facteurs psychologiques liés à cet âge de la vie (Wickens et al., 2021), mais aussi la spécificité des épreuves sociales qui marquent le « devenir adulte » contemporain. Pour cela, nous proposons une approche comparative de la place de la solitude dans les parcours de vie au sein de différents groupes sociaux de jeunes. Notre but est d’analyser à la fois les dynamiques communes dans cette expérience de solitude, et ce qui va les différencier. Le confinement a pu jouer le rôle de « brèche temporelle » dans les parcours (Chauvin et al., 2021). Il s’agit de comprendre pour qui, et de quelle façon, la pandémie s’est avérée vectrice de solitude, en prenant en compte les fragilités antérieures, les conditions sociales d’existence, ainsi que l’évolution croisée des liens familiaux, professionnels ou sociaux.
En second lieu, nous privilégions une définition élargie de la solitude, qui puisse saisir la diversité des expériences émotionnelles et sensorielles qui lui sont liées. Dans notre approche, la solitude n’est pas associée exclusivement au mal-être, mais représente une expérience sociale potentiellement ambiguë et évolutive, qui peut osciller entre émotions positives et négatives (Schurmans, 2003 ; Gaviria, 2012 ; Kirouac et Charpentier, 2018) – telles que la joie, la colère, ou l’anxiété, mais aussi l’espoir. Nous pensons, dans le sillage des travaux de Kathleen Stewart (2020) sur les « affects ordinaires », que les émotions de la vie quotidienne peuvent constituer une clé d’entrée fructueuse pour appréhender ces expériences de solitude, souvent difficiles à exprimer et à mettre en mots. Se saisir de la charge émotionnelle qui leur est associée peut aider l’appréciation de leurs multiples intensités et dynamiques. Comme l’éclaire Marie-Chantal Doucet, cette expérience ne peut être approchée de façon univoque puisqu’elle se vit dans un jeu de tensions – que ce soit entre proximité et distance, entre intériorité et extériorité, et entre différenciation et identification (Doucet, 2018).
Enfin, nous mettons au cœur de notre approche les « mots de la solitude » et la façon dont cette expérience est racontée par les participant.es. Nous veillons à prendre en compte la diversité des sources de solitude qui ont été mises au jour dans les recherches sur ce sujet : une solitude de nature plus « existentielle », liée à la conscience de son individualité face aux grands événements de la vie (Moustakas, 2016) ne doit pas être confondue avec une solitude « relationnelle », inscrite dans les attachements aux autres (Weiss, 1973), et une solitude plutôt « sociale » ou « politique », plus ancrée dans un rapport à la société dans son ensemble (Chao et al., 2015). Le sentiment de solitude n’est ainsi pas uniquement lié à l’absence d’entourage ou de liens de proximité. Tout en restant potentiellement corrélé à l’isolement relationnel (Fondation de France, 2022), il peut naître en présence de liens familiaux et sociaux, comme dans des situations de cohabitation des jeunes adultes avec leurs parents. Les travaux de Serge Paugam (2023) sur le lien social montrent que l’attachement aux autres peut prendre la forme de « liens qui oppressent » ou de « liens qui fragilisent », et donc être source de solitude. Dans cette recherche, nous avons veillé à prendre en compte de multiples situations de vie permettant de saisir ces différentes formes de solitude, sans se réduire à la solitude des individus les plus isolés.
Méthode
Pour opérationnaliser cette démarche, notre enquête s’appuie sur la comparaison de 48 récits de vie conduits de l’automne 2020 au printemps 2021 auprès de jeunes âgé.es de 18 à 30 ans au Québec et en Ontario.
Notre échantillon a été construit autour d’une recherche de diversité des situations sociales, familiales et territoriales. Tout d’abord, nous avons adopté une approche multisite qui met en jeu différents contrastes territoriaux : un effort a été fait dans la constitution de l’échantillon pour recueillir 16 participant.es dans trois lieux différents, soit à Montréal, en Gaspésie – plus précisément dans la région de Saint-Anne-des-Monts, et à Toronto. Tandis que Toronto et Montréal représentent de grands centres urbains et cosmopolites avec une forte proportion d’étudiant.es, la région de Sainte-Anne-des-Monts, en Gaspésie, abrite un pourcentage élevé de « NEET » – jeunes qui ne sont ni en emploi ni en études ni en stage. Avec 16 participant.es sur chaque site, notre objectif n’était pas d’établir un dispositif strictement comparatif, mais plutôt de dégager certaines différences liées aux territoires, tout en permettant d’identifier des traits communs à ces jeunes adultes au-delà de leurs lieux de vie. De plus, nous avons veillé à garantir une diversité de situations sociales au sein des jeunes adultes interrogé.es, étant donné que les premières enquêtes statistiques soulignaient l’importance du statut d’activité sur les expériences de solitude des jeunes pendant la pandémie. L’échantillon comprend des étudiant.es (21), des jeunes salarié.es (13), et des jeunes adultes ni en emploi ni en études ni en stage (NEET) – c’est-à-dire en situation de chômage ou d’inactivité (14). Il faut noter que neuf jeunes adultes s’identifient comme appartenant à des minorités visibles. Comme le montre le tableau 1, les jeunes interrogé.es à Saint-Anne-des-Monts sont relativement plus souvent en situation NEET, tandis qu’à Montréal et Toronto, l’échantillon se compose davantage d’étudiant.es ou d’individus en formation. Parmi ces étudiant.es, sept étaient au niveau de la maitrise ou du doctorat, neuf au premier niveau universitaire, et cinq au CÉGEP. En lien avec notre approche théorique de la solitude, nous avons pu garantir une certaine diversité en termes de composition des ménages, avec des jeunes vivant seuls (11), en colocation (10), avec leurs parents (12), ou avec un partenaire (15). Trois de ces jeunes adultes vivaient avec un enfant.
Pendant la pandémie, les jeunes adultes des deux régions ciblées par l’enquête – Québec et Ontario – ont évolué dans un contexte proche en termes de politiques publiques. Les mesures de distanciation sociale se sont révélées à peu près comparables entre l’Ontario et le Québec, avec un confinement généralisé de mars à avril 2020, le passage en ligne des études jusque l’été 2021, puis des mesures de distanciation sociale jusqu’à la fin du printemps 2021. En ce qui concerne les politiques publiques de soutien, la Prestation canadienne d’urgence d’un montant mensuel de 2000 $ a été ouverte dans les deux provinces, dès le début du confinement pour les jeunes salarié.es de plus de 18 ans, puis aux jeunes étudiant.es à partir de mai 2020. Nous verrons que cette aide fédérale a eu un impact important sur les expériences de certain.es jeunes.
Recrutement, passation et analyse
Le recrutement a privilégié une approche multisource, mobilisant à la fois les réseaux sociaux, des contacts avec des intervenant.es, ainsi que des affiches publiques. Les participant.es étaient sollicité.es sur un sujet plus large, portant sur le « devenir adulte » pendant la pandémie : il ne fallait pas s’auto-identifier comme ayant souffert de solitude pour pouvoir répondre à l’enquête. Les critères retenus consistaient à être âgé.e de 18 à 30 ans et prêt.e à raconter son expérience de la pandémie. Conformément au certificat d’éthique, nous avons recueilli le consentement de chaque personne avant l’entretien, en leur précisant l’objet de la recherche, le mode d’anonymisation des données et l’utilisation future de leur témoignage. On les informait qu’ils ou elles pouvaient arrêter l’entretien à tout moment ou refuser de répondre à une question jugée inopportune.
Les entretiens ont été réalisés soit en visioconférence, soit à l’extérieur. La visioconférence ne semble pas avoir eu d’impact défavorable sur la qualité des entretiens, favorisant même un bon niveau de confiance. Cet effet globalement positif de la visioconférence avait déjà été évoqué dans les travaux sur le sujet, soulignant que « rien ne vaut la maison » pour garantir un certain niveau de confort et d’intimité (Oliffe et al., 2021). Tout comme pour les entretiens à l’extérieur, nous veillions à ne pas aborder la question de la solitude en début d’entretien, car elle exige un niveau minimal d’intimité pour être confiée. L’entretien débutait par une première partie non dirigée, centrée sur les parcours de vie, pour se prolonger ensuite par une seconde partie semi-dirigée, comportant des questions ouvertes sur différentes dimensions des expériences pandémiques, dont celle de la solitude. Il leur était alors demandé dans quelle mesure la solitude constituait une expérience qui les concernait depuis le début de la pandémie, et si c’était le cas, pourquoi, de quelle façon, et à quels moments cette expérience les avait affecté.es. Les participant.es étaient invité.es à raconter concrètement ces expériences, dans un questionnement volontairement ouvert, comprenant des relances sur les émotions évoquées. Les jeunes adultes pouvaient parfois relater des situations douloureuses ; nous veillions à laisser le temps à leurs émotions de s’exprimer. Le guide d’entretien incluait des questions sur les moments où ce sentiment de solitude était moins présent, et sur ce qui aidait à son atténuation. Il se terminait par une série de questions plus factuelles, dans le but de clore l’entretien de façon la moins abrupte possible. Les entretiens ont duré en moyenne une heure. L’analyse de ces deux parties – parcours de vie et expériences de la solitude pendant la pandémie – a permis de faire émerger les principaux traits communs dans ces expériences, mais aussi les points de divergence entre les parcours de vie.
Résultats
À l’issue de cette enquête, nous allons montrer que si tous les récits se caractérisent par un premier « choc » de solitude dominé par une solitude existentielle (partie 1), les expériences de solitude se polarisent fortement en trois grands « récits de solitude » (partie 2) : la solitude comme « gouffre », la solitude comme « combat » et la solitude comme « ressource ».
Un script commun : le « choc de solitude »
Tous les récits pandémiques du corpus présentent un premier script commun, celui d’un « choc de solitude » initial, marquant l’entrée en confinement. Ce « choc de solitude » est décrit comme le basculement soudain vers un nouvel espace-temps et associé à l’expérience d’un double enfermement, spatial et temporel. Cette césure inattendue des existences est associée à un affect dominant : celui de la sidération. D’une part, l’horizon se referme sur l’espace restreint de l’appartement ou de la chambre, qu’il faut se réapproprier pour construire son propre monde, sa « bulle » ou son « espace à soi », même chez les jeunes vivant chez leurs parents : « Toute la journée sur mon lit ou mon petit bureau, pour moi c’est ça ma solitude », évoque ainsi une étudiante montréalaise de 24 ans. D’autre part, cette clôture spatiale est associée à l’expérience d’une clôture temporelle. Les récits associent la solitude pandémique à l’expérience d’un « présent continu » pour reprendre l’expression de Carmen Leccardi (2005), qui est marquée par l’absence de dépaysement quotidien et de perspective de changement. Ce temps linéaire et cyclique constitue un terreau propice au désœuvrement et aux dépendances. Dans notre enquête, de nombreux jeunes font part d’une intensification des dépendances, en particulier le cannabis, l’alcool ou le jeu en ligne. Ces dépendances sont décrites comme une échappatoire face au mal-être potentiel, tel qu’illustré par une étudiante en situation de migration à Montréal, vivant seule dans un appartement, sans aucun entourage proche au Québec : « Si je fume, mon cerveau s’éteint, et j’suis plus triste et j’ai plus l’impression d’être seule ». On retrouve, dans nombre de discours, la rhétorique récurrente du « piège » et du « manque de liberté » relevée également dans les expériences du confinement à d’autres âges de la vie (Elmer et al., 2020 ; McKenna-Plumley et al., 2021). Or, nous allons voir que ce choc va mettre en jeu différents types de solitude – existentielle, relationnelle, et politique, qui éclairent la multiplicité des sources contemporaines de solitude chez les jeunes adultes.
Rechoisir sa vie : le poids d’une solitude « existentielle » chez les jeunes
Un premier résultat de cette enquête est de révéler l’importance de la solitude « existentielle » chez les jeunes adultes durant la pandémie. Même si les récits mentionnent une souffrance liée à l’isolement social, ils sont davantage marqués par une forme de solitude associée à la remise en cause des projets fondamentaux d’existence dans un contexte d’extrême incertitude. « J’étais seule devant ma vie qui s’arrête. Genre littéralement seule devant ma vie qui s’écroule devant moi. Et j’me disais : comment j’vais faire pour repartir ? » résume une jeune femme confrontée au quasi-arrêt de ses études de psychologie, pour lesquelles elle avait migré à Montréal. Cette forme de solitude existentielle commence tout juste à être investie dans les recherches, qui ont longtemps privilégié ses dimensions plus relationnelles. Par exemple, la chercheuse Jessica Hemberg l’approche comme l’expérience d’un profond « décalage à soi » (Hemberg et al., 2019). Dans notre enquête, elle prend plutôt la forme d’une surmobilisation de son être et d’un « face à soi » radical induit par la rupture pandémique, et par le fait de devoir rapidement « reconstruire sa vie » après l’arrêt des projets existants. En effet, la solitude se loge particulièrement dans les périodes vulnérables et les transitions de vie (Pan Ké Shon et Duthé, 2013), et pour la plupart des jeunes interrogé.es, la crise sanitaire est venue interrompre un élan de construction d’un avenir, que ce soit par la suspension des études ou des stages, la perte d’un ou plusieurs emplois, ou la mise en péril d’un secteur économique. Or, ces bifurcations imposées sont vectrices de solitude puisqu’elles obligent à un travail souvent angoissant d’ajustement de soi aux nouvelles perspectives et une reconnexion nécessaire à ses propres aspirations pour « rechoisir sa vie ». Une étudiante montréalaise de 25 ans avoue qu’« en fait je suis seule face à la plus grosse remise en question de ma vie », tandis qu’une jeune employée ayant perdu son emploi exprime le besoin de « retrouvailles avec soi » pour formuler un nouveau projet de vie alors que « tout bouge ». Cette solitude existentielle est associée à une certaine forme de gravité : « ça pèse lourd là, plus seule tu meurs ». Elle est également liée à de l’impuissance et de l’anxiété en lien avec le sentiment de se battre seul.e pour répondre à l’injonction à rebondir : « C’est toute une vie qui est chamboulée, et à ce moment-là t’es complètement seul » résume ainsi un employé de Toronto confronté à la perte de son emploi dans la restauration.
Rééquilibrer les liens : l’ambiguïté de la solitude « sociale »
La souffrance de l’isolement social est sans doute l’expérience de solitude la plus attendue chez les jeunes à la suite des confinements, et elle a d’ailleurs été la plus étudiée (Dedryver et Knai, 2021). La solitude « relationnelle » ou « sociale », c’est-à-dire liée à la restriction brutale des liens, bien que présente dans les récits de notre enquête, s’est avérée la plus ambiguë et la plus polarisante. Dans la plupart des cas, l’isolement est considéré maîtrisable et fondamentalement transitoire, à condition de mettre en place différentes stratégies d’adaptation avant un « retour à la normale ». La majorité des jeunes enquêté.es associe la raréfaction des contacts à une forme de souffrance épisodique, « par moments ». Comme le soulignent Erik Klinenberg et Jenny Leigh (2023) dans leur enquête sur le confinement aux États-Unis, cette souffrance relationnelle a une forte dimension physique, et peut se manifester dans le manque temporaire de contacts corporels, tel que le rappelle cette étudiante immigrante de 24 ans : « de pas pouvoir faire un câlin à ses amis, les toucher quand on rigole ou juste de partager des moments comme ça, ça fait se sentir seule en fait ». La souffrance de l’isolement se fait le plus sentir parmi les situations de migration, car elle va de pair avec une incertitude sur la possibilité même de retrouvailles futures. Cette même étudiante affirme ainsi : « Le pire on ne sait pas quand on pourra le refaire de nouveau ». Toutefois, l’expérience de l’isolement relationnel est marquée par une profonde ambivalence. Même chez les jeunes qui en souffrent, l’isolement est associé à des dimensions positives, notamment un certain confort de ne pas être exposé à la pression sociale. Un jeune Gaspésien de 18 ans, qui déclare pourtant se sentir seul, fait part d’un réel soulagement : « Être avec du monde, des fois c’est juste fatigant ». Dans la majorité des récits, le confinement agit comme un « révélateur » des liens, parce qu’il induit un travail de « tri » dans les relations existantes. « J’ai fait un gros ménage de mes amis » affirme un jeune montréalais de 22 ans, qui ne compte pas reprendre son ancien niveau de sociabilité à l’issue de la pandémie. Dans les discours des jeunes adultes, ce tri se joue dans la différenciation subjective entre plusieurs liens sociaux jugés selon le manque qu’ils suscitent : les « liens de trop » considérés superficiels et ne provoquant pas de manque, les « liens de prise » qui permettent de résister au quotidien à la dureté des mesures de distanciation – avec les voisins ou les colocataires par exemple – et les liens plus intimes ou « profonds » – source de manque dans les situations d’éloignement.
Seul.es au monde ? L’existence d’une solitude « politique »
Les entretiens témoignent d’une autre source de solitude pandémique, plus présente chez les jeunes issu.es de région éloignée, en situation de précarité financière ou de migration : une solitude « politique ». Elle se vit dans le sentiment d’être incompris.e, oublié.e ou maltraité.e par la société, l’État ou les institutions, que ce soit individuellement ou collectivement. Cette solitude politique naît souvent de la confrontation à un acte explicite de mépris ou d’abandon par une institution, qui donne l’impression d’être « seul au monde », comme le souligne ce jeune Gaspésien qui déclare que la municipalité a oublié les jeunes au profit des plus anciens. Cette expérience concerne des jeunes faisant état d’une dégradation de leur santé mentale et confronté.es au refus d’aide médicale, ou encore de jeunes immigrant.es faisant face à un silence administratif sur leur statut migratoire, tel ce jeune salarié qui se dit « seul et bloqué » dans ses démarches (« car on s’fout bien de nous ! ») ou cette étudiante qui se sent « coupée du monde » dans ses demandes d’aide. On retrouve ce sentiment de solitude au niveau collectif. Certain.es jeunes de Gaspésie manifestent le sentiment d’avoir été « complètement oublié.es » en tant que jeunes par l’État ; d’autres jeunes urbains dénoncent avoir été directement ciblé.es dans des mesures « anti-jeunes ». Par exemple, un jeune adulte ayant reçu une amende de 500 $ pour avoir rencontré un ami dans un parc à l’extérieur a évoqué une expérience ayant aiguisé son amertume et son sentiment de solitude. Plusieurs jeunes adultes ont fait part d’un sentiment de solitude politique lié à l’usage intensif des médias sociaux, mentionnant s’être retrouvé.es engagé.es dans une forte polarisation des débats, accentuant l’impression d’être « seul et incompris » – en particulier chez les opposant.es aux mesures sanitaires.
« Exister » en ligne : l’étrange ambivalence de la vie numérique
Notre enquête éclaire les effets ambigus de la fréquentation des médias sociaux et de l’usage des communications numériques sur la solitude pendant la pandémie, qui viennent dans certains cas atténuer le sentiment de solitude, et dans d’autres cas, l’accroître. Cette profonde ambivalence a déjà été soulignée (Berhuet et Hoibian, 2021 ; Shah et al., 2020), mais les témoignages montrent comment les réseaux sociaux jouent de manière inégale sur différentes formes de solitude – existentielle, sociale ou politique. S’ils ont aidé globalement à résorber la souffrance de l’isolement, ils tendent à accentuer la solitude existentielle, et dans une moindre mesure, la solitude politique. D’une part, nombreux sont les jeunes qui ont présenté les liens et communications numériques comme une « bouée de secours », offrant l’opportunité de partager son expérience et de maintenir des relations signifiantes avec des personnes pourtant éloignées. Même s’ils peuvent être source de frustration, ils permettent de se sentir « exister » vis-à-vis des autres. Ce constat entre en résonance avec certaines expériences analysées durant le confinement au Royaume-Uni, soulignant qu’il a pu entrainer un renforcement des attachements, notamment familiaux (McKinlay et al., 2022).
D’autre part, l’usage des médias sociaux a parallèlement eu tendance à accentuer le sentiment de solitude, tant la comparaison avec les autres peut créer un cruel retour sur soi et un sentiment d’échec en cas de mal-être. Ils ont contribué à véhiculer une puissante injonction à « réussir sa solitude », c’est-à-dire à s’inscrire dans une dynamique de projets, voire transformer cette phase imposée en une période choisie et marquée par le bien-être. Cette invitation à la positivité se traduit par un sentiment d’échec chez les jeunes qui ne parviennent pas à vivre cette inversion, induisant un retour douloureux sur soi. La période d’isolement pandémique devient ainsi un « projet » sous responsabilité individuelle, et cette injonction constitue une clé essentielle de compréhension de leurs expériences de solitude, qui peuvent être accentuées par le contraste subjectif entre la situation vécue et l’illusion de la réussite des « autres ». « T’as tendance à voir tout ce que font les autres et à te dire euh… que t’es encore plus seule », affirme ainsi une étudiante. Cela fait écho à l’expérience d’un jeune salarié : « J’clique dessus, j’vois ça et au final je regarde ma télé ou j’vois ma plante, ben j’me sens seul d’un coup ». Une autre jeune adulte raconte s’être sentie très seule face au discours médiatique du « Ça va bien aller » au Québec, qui ne reconnaissait pas sa souffrance et ses difficultés. Le stigmate vécu n’est pas tant d’être seul.e – ce qui est une situation partagée en temps de confinement, mais plutôt de se laisser aller à « subir » cette solitude. Cette norme de bien-être et de responsabilisation individuelle constitue un facteur structurant de l’expérience de solitude des jeunes adultes, qui sera à considérer dans les futures recherches sur la question.
Une polarisation des expériences : trois grands récits de solitude
Au-delà de ce script commun, les récits de solitude ont laissé transparaitre de fortes inégalités face à cette expérience. Tous les jeunes adultes interrogé.es ont affirmé avoir ressenti un sentiment de solitude à un moment ou à un autre de la pandémie, mais les mots, l’intensité, les affects et le sens qui lui ont été associés se sont révélés très contrastés. Trois grands « récits de solitude » se dégagent parmi les jeunes interrogé.es, en lien principalement avec leurs conditions objectives d’existence pendant la pandémie : la solitude comme « gouffre », comme « combat » ou comme « ressource ».
Sombrer : la solitude comme « gouffre »
Dans un premier type d’expérience, les récits font part d’une « solitude extrême », absorbant toutes les dimensions de l’existence et associée à une souffrance chronique, ainsi qu’à des émotions négatives, tels l’angoisse et le désespoir. Pour les jeunes concerné.es, la pandémie marque un coup d’arrêt aux existences, et va les engager dans un processus de « cumul des solitudes » – existentielle, sociale et politique. Dans ce type de récit, la solitude est reliée à une épreuve totale et cumulative, affectant potentiellement toutes les dimensions de l’existence, et évoquée avec la rhétorique du piège ou d’un « gouffre » dans lequel on peut sombrer. La solitude devient totale. Ces jeunes adultes doivent faire face à la fois à une solitude « existentielle » liée au deuil de leurs projets et de certains choix de vie, à une solitude « relationnelle » du fait de l’éloignement ou à l’incompréhension de leurs proches, et parfois aussi à une solitude plus « politique » due au manque visible de soutien institutionnel. Les jeunes les plus vulnérabilisé.es par la pandémie, tels que les jeunes en situation de migration récente, les primo-arrivant.es à l’université, ainsi que les jeunes émancipé.es de leurs parents et ayant perdu leur emploi sans pour autant pouvoir bénéficier de la Prestation canadienne d’urgence racontent plus souvent ce type de récit. Les jeunes originaires de Gaspésie, qui ont davantage pu conserver leurs liens familiaux et sociaux durant les mesures pandémiques les plus contraignantes, ont moins souvent fait part de cette expérience du gouffre.
Le cas d’un jeune livreur illustre bien les processus à l’œuvre. Âgé de 22 ans au moment de l’entretien, il avait migré au Québec un an avant la pandémie, après avoir quitté Marseille. Ayant rapidement trouvé un emploi de livreur après son arrivée, il avait emménagé avec sa petite amie. Or, il affirme avoir « tout perdu » avec la pandémie – son emploi, sa santé, jusqu’à la perspective même de rester au Québec. Travailleur essentiel, il a été victime d’un accident de travail avant d’être licencié. Sa demande de résidence permanente a été suspendue, si bien qu’il ne sait pas s’il pourra demeurer au Québec. Il dit ressentir une intense solitude, qu’il associe aux multiples bouleversements vécus et au manque de « sa vie d’avant » malgré le fait de vivre avec sa petite amie : « J’me dis ben ouais, c’est seul. Et puis j’ai beau avoir ma copine admettons à mes côtés, ben j’vais m’sentir seul quand même, parce qu’il manque tout ça… Il manque les amis, il manque mes folies, la plage, le soleil et tu peux t’sentir seul en fait, même avec quelqu’un ». On retrouve certaines caractéristiques des solitudes « chroniques », qui ne peuvent être atténuées par des contacts sociaux, car elles mettent en jeu plusieurs dimensions de l’existence (Pan Ké Shon et Duthé, 2013). Ce témoignage fait écho à celui d’une étudiante de 21 ans, venue du Maroc il y a 2 ans pour suivre des études en travail social, et qui doit du jour au lendemain vivre seule après le départ de ses colocataires. Confrontée au basculement de ses études en ligne, elle abandonne rapidement parce qu’elle n’arrive plus à suivre et tombe peu à peu dans la dépendance. Elle affirme : « C’tait vraiment horrible… d’être seule, d’être seule genre littéralement seule. C’était vraiment… C’tait bien intense ». La crise sanitaire fait apparaître chez ces jeunes des vulnérabilités moins visibles auparavant, comme le manque de soutien familial et social, la difficulté d’accès à certaines informations, ou un statut migratoire fragile. Dans ce contexte, la crise remet en cause à la fois les liens quotidiens et les projets fondamentaux d’existence, puis les place dans un face-à-soi particulièrement éprouvant.
Ce sentiment de solitude extrême est source de multiples émotions, telles que l’angoisse, la colère, le désespoir, et d’une profonde fatigue. Dans ces situations, cette intense solitude vient absorber l’entièreté de l’être, affectant la santé mentale et physique. « J’avais l’impression de devenir folle pis j’avais l’impression que j’allais mourir » témoigne une autre étudiante montréalaise en psychologie de 22 ans, confrontée également au départ de ses proches, à la perte de son emploi, et au passage de ses études en ligne. Elle raconte se retrouver « complètement seule », « sans aucun recours », et évoque ses pensées suicidaires : « L’enfer, sur terre. J’suis seule face à tous mes trucs à faire, j’men sors pas du tout et… des fois t’sé j’suis là genre, t’as aucun recours, genre tu te dis “bin si j’passais sous le métro au moins ce serait quand même genre plus facile”. » Cette expérience va de pair avec un sentiment de perte de contrôle total sur sa vie : « J’contrôle plus rien. Genre rien du tout ». Elle peut induire un questionnement sur sa propre santé mentale : « Genre est-ce que je suis normale mentalement ? Est-ce que j’ai une maladie mentale ou je sais pas ? ». Or, certain.es jeunes adultes peuvent se sentir nié.es ou incompris.es dans leur vécu de souffrance, comme l’exprime cette étudiante de 23 ans qui ne trouve pas le soutien espéré face à ses crises de panique et d’anxiété : « Ce qui m’a énervé aussi, c’est le sentiment qu’on invalide c’que j’ressens en fait ». Cette expérience de solitude va de pair avec de profondes atteintes à la santé physique et mentale. Dans notre enquête, ces jeunes rapportent plus souvent des dépendances durables et des pensées suicidaires, alors qu’elles ou eux ont paradoxalement moins accès aux services de soutien.
Garder l’équilibre : la solitude comme « combat »
Un second type de récit fait part d’une expérience de la solitude parfois intense, mais partielle et oscillatoire, considérée comme potentiellement maîtrisable. La rhétorique privilégiée ici est non pas celle du « gouffre », mais celle d’un « combat » quotidien, nécessitant des stratégies adéquates. Dans ces récits, la solitude est exprimée avant tout sous la forme d’une frustration latente, qui se manifeste sur le long terme. Souvent maîtrisée dans les premiers temps, elle se fait sentir sous la forme d’une « usure » progressive et invisible. Le manque de contacts et de structure du temps quotidien est source de solitude, et invite les jeunes concerné.es à mettre en place un nouvel équilibre relationnel. Cette forme d’expérience de la solitude touche principalement de jeunes adultes plus « installé.es », dont les trajectoires de vie n’ont pas été fondamentalement remises en cause par la pandémie, mais qui se voient fragilisé.es dans leur bien-être. Elle tend à être portée par des étudiant.es en milieu ou fin de parcours, ou par de jeunes salarié.es ayant pu conserver leur emploi : beaucoup sont touché.es par le basculement quasi complet de leur mode de vie en ligne, et s’ils ou elles parviennent à reconstruire un équilibre relationnel, celui-ci reste précaire et toujours à renouveler. Malgré des situations souvent précaires au niveau économique, de jeunes Gaspésien.nes font aussi ce type d’expérience : ils ou elles vont maintenir une relative continuité dans leur trajectoire et conserver certaines prises relationnelles et sociales sur leur existence.
Dans ces récits, la solitude se manifeste sous la forme d’un sentiment d’étouffement progressif dû au fait de ne pas pouvoir « sortir de soi », comme l’exprime ce jeune avocat de 23 ans : « Là je sens une baisse de motivation, c’est le télétravail qui me pèse, je trouve ça déshumanisant… le matin j’ai de la misère à ouvrir l’écran, je m’y mets de plus en plus tard. C’t’un peu une traversée en solitaire cette période t’sais. ». Il faut noter qu’il vit avec sa petite amie, et qu’il a gardé de nombreux contacts numériques avec ses collègues de travail et ses ami.es. La solitude prend ici sa source dans une logique de « déshumanisation » ou d’« assèchement » liée au manque de vie extérieure et à l’extrême numérisation des liens. À l’image de ce jeune avocat, cette solitude relationnelle peut être également vécue par des individus ayant conservé un entourage proche. Ces jeunes adultes tendent alors à souffrir de l’usure des liens en ligne, ou du « trop-plein » de la cohabitation – ce qui s’est avéré souvent le cas pour les jeunes vivant chez leurs parents ou en couple. Cette forme de solitude peut être paradoxalement accentuée par l’expérience d’un décalage douloureux avec les plus proches, ce que nous pouvons qualifier de « cruelle proximité » : pour certain.es, la crise sanitaire a ouvert de réelles failles d’incompréhension au sein même des relations intimes, que ce soit au niveau conjugal ou familial. Ces expériences se sont révélées d’autant plus difficiles à vivre qu’elles contrastent avec la proximité attendue lors de telles périodes. Cette « cruelle proximité » est vécue par une jeune femme étudiante qui fait part d’un décalage d’expérience avec son mari, lui-même travailleur essentiel. Elle raconte ne pas pouvoir partager avec lui ce qu’elle ressent, ce qui accroît son sentiment de solitude. Ces expériences renvoient à la problématique des « liens qui étouffent » développée par Serge Paugam (2023), assurant une certaine forme de protection, mais une reconnaissance insuffisante. Pour ces jeunes déjà stabilisé.es dans leur trajectoire, le défi devient surtout de maintenir l’équilibre émotionnel et relationnel sur le long terme.
Plusieurs émotions s’expriment dans cette forme d’expérience, telles que la baisse progressive de motivation, un sentiment de fatigue et de déprime passagère, de la colère envers des proches, oscillant avec des périodes plus positives. Dans ces récits, la solitude est plutôt un sentiment fluctuant, souvent associé à la rhétorique des « montagnes russes ». Elle va de pair avec une certaine culpabilité, puisqu’elle provient de personnes relativement bien insérées, comme le montre cette jeune salariée montréalaise qui a pu conserver son emploi dans l’édition : « Mais j’ai pas le droit de me sentir mal, parce que j’suis bien entourée ». Après avoir évoqué sa solitude, une doctorante de 25 ans la tempère : « Mais j’suis vraiment chanceuse, tsé bien entourée, tsé j’ai mon chien, mon conjoint ». Il faut souligner que ces jeunes déploient des stratégies d’action des plus actives pour contrer cette solitude relationnelle. Ces démarches visent à créer de nouveaux « liens de prise » au quotidien dans le voisinage ou le quartier. Les récits révèlent à cet égard le rôle fondamental des animaux domestiques, comme l’exprime cette même doctorante, qui souligne que son chien « l’a énormément aidée à tenir ». Enfin, ces jeunes adultes ont le réflexe d’aller chercher plus souvent de l’aide active en santé mentale, que ce soit dans le système privé ou public.
Se retrouver : la solitude comme « ressource »
Enfin, un troisième type de récit fait part d’un ressenti prononcé de solitude, mais globalement codé comme positif, et associé à des émotions telles que l’espoir, la joie et la nouveauté. Dans ce type d’expérience, la solitude, pourtant difficile au quotidien, peut être transformée en une expérience fondamentalement régénératrice sur le moyen et long terme. La rhétorique associée au sentiment de solitude est celle d’une « ressource » inespérée, puisqu’elle offre un temps de respiration et de décélération salutaire. La solitude est très présente dans leurs récits, mais liée à la possibilité de réinvestir sa vie et d’envisager autrement l’avenir. Même si l’expérience revêt pour ces jeunes adultes quelques aspects négatifs, on retrouve un élément central des solitudes « choisies », qui répondent prioritairement à des besoins existentiels et à la nécessité de se réinventer (Schurmans, 2003). Les jeunes adultes qui font cette expérience ne sont pas les plus privilégié.es socialement de notre échantillon. Au contraire, ils ou elles ont souvent une trajectoire préalable marquée par de multiples emplois précaires et une forte pression financière, ou une trajectoire d’études difficile ou peu satisfaisante. Or, ces jeunes ont pu recevoir soit la Prestation canadienne d’urgence ou un soutien familial financier pour affronter cette période pandémique. Même pour les jeunes vivant seul.es, cette sécurisation permet à la fois de garder des liens de prise et de se libérer des logiques de survie, et d’initier un temps propice à la redéfinition de leurs priorités.
L’exemple d’une jeune salariée de Toronto de 27 ans, vivant seule, éclaire cette expérience. Confrontée à l’arrêt soudain des deux emplois à temps partiel qu’elle occupait comme serveuse et assistante, elle a reçu l’aide financière de l’État et se dit pour la première fois de sa vie « payée à dormir », ce qui lui offre une pause libératrice et la désaliène du temps « robotique » vécu auparavant dans ce douloureux cumul d’emplois. Elle qualifie cette expérience de « bénédiction ». Même si elle affirme ressentir de la solitude, elle l’associe à ces mots « croissance, équilibre, nouveauté », puisqu’elle lui donne l’opportunité de réfléchir à une nouvelle orientation de vie. Les trajectoires des jeunes faisant l’expérience d’une solitude « positive » étaient initialement marquées par une forte pression temporelle ou sociale. Avec la pandémie, l’obligation de passer du temps seul.e tout en étant sécurisé.e financièrement leur octroie le temps de réfléchir nécessaire pour amorcer une bifurcation positive. Alors qu’il déclare souffrir « parfois » de l’isolement physique, un étudiant montréalais en informatique, âgé de 20 ans, associe sa solitude à une « bulle » où il a enfin sa place : « J’ai pas de problème… J’veux dire au contraire, j’ai besoin d’être dans ma bulle, j’suis très capable d’être dans ma bulle…. Ouais c’est ça, j’ai ma place là ». La solitude est ici vécue comme des « retrouvailles avec soi », une « lune de miel » avec lui-même.
Dans les récits, cette solitude ouvre un espace de distance critique par rapport à leur parcours antérieur considéré comme inaccompli et se réapproprier le « sens » perdu de leur trajectoire. La frustration face à l’isolement est réelle, mais elle peut être relativisée au regard de ce qui est vécu sur le plan existentiel, à savoir un temps de réappropriation de soi, délivrée des pressions extérieures et des liens superficiels. « La solitude c’est correct, ça donne l’espace nécessaire à prendre du temps pour soi », confirme un étudiant de 19 ans. Cette phase de solitude lui a offert l’opportunité de reconnecter à « sa vraie passion », celle de la musique, et de prendre la décision de renoncer à son choix d’études initial qu’il a choisi « pour faire plaisir à ses parents ». Cette expérience va de pair avec un sentiment accru d’interdépendance citoyenne : le fait d’avoir été sécurisé.e socialement, que ce soit par la famille ou par l’État, est ici essentiel, car cela permet de relativiser l’expérience d’isolement et accentue le sentiment du « vivre ensemble », exprimé avec la rhétorique du « tous dans le même bateau ».
Discussion
La pandémie a ainsi révélé la multiplicité des sources potentielles de solitude juvénile. Dans notre enquête, les jeunes adultes ont pu être touché.es par différents types de solitude –relationnelle, mais aussi et surtout, existentielle et politique, ce qui contribue à éclairer les niveaux particulièrement élevés de solitude juvénile durant la pandémie. Nous soulignons aussi comment la précarité sociale tend à créer ce processus de « cumul des solitudes » chez les jeunes les plus fragilisé.es, pouvant conduire à l’expérience d’une solitude extrême, associée de façon chronique à certaines émotions négatives, telles que l’angoisse ou le désespoir.
La multiplicité des sources de solitude chez les jeunes adultes
D’une part, notre recherche invite à ne pas réduire la solitude des jeunes à la souffrance de l’isolement, et à explorer au contraire la multiplicité des sources actuelles de solitude chez les jeunes adultes. Plus encore que le manque de liens, nous montrons qu’une solitude « existentielle » domine leurs récits pendant la pandémie. Cette centralité d’une solitude existentielle prend sa source dans la responsabilité qui incombe à ces jeunes adultes d’ajuster rapidement leurs choix de vie en contexte d’incertitude radicale, ce qui entraine une surmobilisation de soi. Nous pouvons faire l’hypothèse que cette dimension de la solitude était déjà solidement ancrée dans le « devenir adulte », période de construction de soi marquée par une forte incertitude sociale et économique (Van de Velde, 2018), mais qu’elle a été radicalisée par la pandémie. Nous invitons les chercheur.es à explorer encore davantage ce concept de « solitude existentielle » (Hemberg et al., 2019) et les formes qu’il peut revêtir au cours de la jeunesse. Au-delà de cette solitude existentielle, l’enquête révèle des formes aiguës de solitude pandémique liée à l’isolement et au manque de rencontres en personne, étant presque exclusivement associée à des situations de migration nationale ou internationale, et posant une incertitude sur la temporalité des retrouvailles. Dans la plupart des autres cas, les médias sociaux et le maintien de liens de prise au quotidien ont pu jouer un rôle, certes partiel, mais compensateur. Nous soulignons aussi l’existence, dans les récits, d’une « solitude politique », en particulier chez les jeunes plus précaires, éloigné.es des grands centres ou en situation de migration. Celle-ci va de pair avec un sentiment d’abandon ou de mépris par la société, les institutions ou l’État. Cette solitude politique se rapproche du concept de « structural isolation » ou « isolement structurel » développé par Erik Klinenberg et Jenny K. Leigh dans leur enquête sur la solitude pandémique (2023), qu’ils définissent par le fait de se sentir abandonné.e ou marginalisé.e par la société au sens large. Dans les recherches futures, nous invitons à explorer la façon dont ces différentes sources de solitude juvénile peuvent s’articuler entre elles.
Le haut niveau de solitude des jeunes pendant la pandémie ne peut donc être compris exclusivement à l’aide de facteurs psychologiques tels que le manque d’expérience des situations de crise ou une difficulté de régulation des émotions, comme certains travaux le suggèrent. Sans nier l’existence de ces facteurs, nous soulignons qu’il faut prendre en compte les caractéristiques sociales et structurelles du « devenir adulte » et l’impact particulièrement disruptif que la pandémie a eu sur les parcours de jeunesse. Le « pic » de solitude ressentie par les jeunes adultes est indissociable du choc d’incertitude induit à cet âge de la vie. Il prend sens dans les multiples bifurcations subies, à la fois aux niveaux social, professionnel et affectif, qui peuvent entraîner une perte de « pouvoir » sur sa trajectoire (Gabriel et al., 2021). La solitude se loge dans les transitions de vie importantes et les événements critiques (Pan Ke Shon et Duthé, 2013 ; Lippke et al., 2021) : dans le cas des jeunes adultes étudié.es, les hauts niveaux de solitude apparaissent partiellement liés à l’anxiété sociale, au sentiment d’impuissance et à la réflexivité imposés par cette rupture des trajectoires de construction du « devenir adulte ». Nous confirmons que les perspectives temporelles négatives tendent à favoriser un sentiment de solitude chez les jeunes adultes (Nowakowska, 2020).
Conditions d’existence et cumul des solitudes
De plus, notre enquête souligne l’intérêt, pour comprendre les expériences juvéniles de solitude, de prendre en compte les conditions concrètes d’existence et leurs inégalités structurantes. Si les jeunes adultes ont fait part à l’unanimité d’un sentiment de solitude pendant la pandémie, son intensité, sa durée, et le sens qui lui a été donné se sont révélés fortement dépendants des conditions matérielles de vie, tout comme de la possibilité de préserver un filet de sécurité familiale ou sociale. Alors que les enquêtes existantes ont souligné la hausse marquée de la solitude chez les jeunes issu.es de milieux défavorisés et chez les jeunes des minorités (Bu et al., 2020 ; Shah et al., 2020), nous montrons que la précarité économique et sociale tend effectivement à créer un processus de « cumul des solitudes », puisqu’elle vient affaiblir dans le même temps la possibilité de se projeter dans l’avenir, le sentiment d’être soutenu.e et celui de se sentir intégré.e socialement. Elle concerne surtout les jeunes en situation de migration et des jeunes précaires ne bénéficiant pas de soutien financier, familial ou étatique. Ces jeunes se voient affecté.es à la fois par le cumul d’une angoisse existentielle, d’une absence de soutien social, et d’un sentiment d’abandon de l’État.
À partir de cette enquête qualitative, nous n’avons pas pu relever de différences marquées en fonction des deux villes étudiées, Montréal et Toronto, caractérisées toutes les deux par la fréquence des jeunes adultes en situation de migration internationale – les plus fortement affecté.es par les problématiques de solitude, mais aussi par la présence de jeunes adultes qualifié.es et stabilisé.es ayant pu poursuivre leurs trajectoires d’études et d’emploi en ligne, plus souvent touché.es par un sentiment de solitude partiel et oscillatoire. De leur côté, les jeunes originaires de Gaspésie se sont distingué.es par une tendance à exprimer un sentiment de solitude politique et d’abandon de l’État, tout en échappant aux solitudes les plus extrêmes du fait du maintien de certains liens quotidiens. Il faut noter que dans notre enquête, le clivage du genre s’est avéré difficile à saisir – ce qui fait écho aux enquêtes statistiques, relativement divergentes sur le sujet. D’autres clivages sont apparus plus structurants : le fait de pouvoir conserver son emploi, même en ligne ; le fait d’être en situation de migration ; le fait de recevoir une aide financière d’urgence.
Politiques publiques et solitudes juvéniles
Notre enquête souligne l’importance déterminante des leviers institutionnels et étatiques dans la lutte contre la solitude. Nous avons vu que le soutien de l’État s’est avéré déterminant dans les expériences de la solitude. Il a permis à certain.es jeunes adultes initialement précarisé.es par la crise sanitaire de s’émanciper des seules logiques de survie et de faire l’expérience d’une solitude positive et transformatrice, tandis que les jeunes qui n’ont pu en bénéficier ont été confronté.es à un processus de cumul des solitudes, avec des conséquences marquées en termes de santé mentale. Une des leçons de cette enquête est que la lutte contre la solitude des jeunes ne doit pas se jouer uniquement sur des ressorts relationnels, ou prendre comme référence exclusive la problématique de l’isolement. Les leviers relationnels apparaissent, même en contexte pandémique, de peu de pertinence face à certaines formes de solitudes extrêmes, parce que d’autres facteurs peuvent jouer de façon bien plus structurante, tels que le sentiment de perte d’un avenir, le sentiment d’abandon social ou celui d’indifférence politique. De plus, notre enquête soulève la question de l’inégalité d’accès aux ressources en santé mentale pour faire face aux besoins posés par les problématiques de solitude. Les jeunes adultes placé.es dans des situations d’urgence (les jeunes en situation de migration ou en grande précarité économique) n’ont pas pu avoir accès aisément à une aide en termes de santé mentale, ce qui n’a pas été le cas pour des jeunes faisant part de problématiques moins aiguës.
Ainsi, au-delà des actions sur la sociabilité et sur la démocratisation des soins en santé mentale (Masi et al., 2010), la lutte contre la solitude des jeunes passe aussi par une sécurisation financière minimale des existences et un soutien aux bifurcations de vie. Ces deux leviers permettraient aux jeunes précarisé.es de retrouver un sentiment de contrôle sur leurs parcours, de préserver les liens existants et de restaurer la capacité de projection dans l’avenir.
Conclusion
Étant donné que ces expériences de solitude sont structurées par de profonds facteurs culturels et sociaux (Heu et al., 2019), il serait intéressant de mobiliser des comparaisons internationales, afin de pouvoir saisir leur portée et de vérifier dans quelle mesure ces types de récits se retrouvent dans d’autres contextes que la configuration canadienne. Cette enquête ouvre, de façon plus générale, de nouveaux axes d’analyse pour la recherche sur la solitude des jeunes dans un monde post-pandémique : elle propose d’explorer plus avant la multiplicité et le cumul potentiels des formes de solitude – existentielle, sociale et politique – chez les jeunes adultes, et à aller au-delà du seul paradigme relationnel issu de la recherche sur la solitude des ainé.es. Elle encourage à analyser les liens entre le sentiment de solitude et différentes émotions sociales et politiques, telles que l’angoisse, le sentiment d’abandon, ou la projection de soi dans l’avenir. Enfin, elle invite à s’émanciper d’approches exclusivement négatives sur les liens numériques et les médias sociaux, souvent considérés comme vecteurs de solitude, pour en saisir plus finement les nuances et les potentiels dans la lutte contre la solitude juvénile.
Parties annexes
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