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Introduction

Le Nouveau-Brunswick, la seule province officiellement bilingue au Canada, a un profil démographique défavorable. Son taux de natalité (8,3 naissances vivantes pour 1000 personnes) est plus petit que la moyenne canadienne (10,1) et son faible taux de fécondité (1,48) est en deçà du seuil de renouvellement (2,10). De plus, sa population est vieillissante[1] et relativement dispersée sur le territoire de la province, une forte proportion (47,5 %) vivant dans les régions rurales. Le vieillissement et la faible densité de la population (surtout dans les régions rurales) posent de nombreux défis dans la prestation de la plupart des services publics, notamment l’augmentation des coûts des soins de santé et des services sociaux. Aussi, la dualité linguistique, avec la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, complique la mise en œuvre des politiques publiques, notamment la disponibilité et l’offre de certains services, surtout pour la minorité francophone qui habite majoritairement les régions rurales au nord de la province.

Par ailleurs, même si, selon la Constitution canadienne, le Nouveau-Brunswick élabore et met en œuvre ses politiques en matière de santé et de bien-être social, il reçoit des transferts du gouvernement fédéral pour les financer. Par conséquent, avec une situation économique et financière peu reluisante (taux de chômage élevé, accumulation des déficits et augmentation rapide de la dette), la province est dépendante et vulnérable aux changements dans les transferts fédéraux. Ceux-ci sont, en outre, payés selon une formule par habitant et non par rapport aux besoins. De plus, la province se classe parmi les plus pauvres au Canada avec un revenu médian après impôt de 54 900 $ (8e rang sur 10) inférieur à la moyenne canadienne de 61 400 $ (voir le tableau 1 en annexe). En fait, le Nouveau-Brunswick est l’une des deux provinces canadiennes ayant le taux le plus élevé (17 %) de personnes à faible revenu. La fréquence de faible revenu est encore plus élevée parmi les enfants, avec un taux de 22 % pour les enfants de 0 à 17 ans et de 25 % pour ceux de 0 à 5 ans[2].

C’est dans ce contexte que le gouvernement provincial a publié deux plans d’action faisant référence aux familles : le Plan du Nouveau-Brunswick pour les familles en mai 2017 et le Plan d’action pour les services de garde éducatifs en janvier 2018. Le premier s’appuie sur les objectifs et les réalisations de deux programmes préexistants : le Plan de croissance économique et les Plans d’éducation de 10 ans. Ces trois plans, interreliés et conçus pour fonctionner ensemble, ont pour finalité « […] de faire du Nouveau-Brunswick le meilleur endroit où vivre, travailler et élever une famille » (Gouvernement du Nouveau-Brunswick, 2017a : 2). Le second découle du rapport final déposé en 2016 par la Commission d’étude chargée de l’examen des services de garderie du Nouveau-Brunswick. Ce rapport avait alors recommandé une transformation du système de services de garderie éducatifs, soutenue par un cadre de politiques publiques, pour refléter la réalité des familles d’aujourd’hui (Gouvernement du Nouveau-Brunswick, 2016).

La problématique de cet article est de comprendre comment les objectifs reliés aux familles sont pris en compte dans la nouvelle approche intégrée des politiques sociales et économiques du Nouveau-Brunswick. Plus précisément, l'article présente un portrait analytique de la politique familiale du Nouveau-Brunswick et poursuit deux objectifs principaux : (i) décrire les trois piliers (allocations familiales, congés parentaux et services de garde) de la politique familiale du Nouveau-Brunswick et (ii) examiner les impacts des dispositions actuelles de la politique familiale sur les familles du Nouveau-Brunswick en mettant en évidence certains facteurs susceptibles de favoriser ou de nuire à l’atteinte des résultats escomptés, notamment la transformation du réseau de services de garde dans la province.

La littérature sur les politiques familiales est abondante et très diversifiée. La plupart des travaux ont analysé l’évolution, dans le temps et dans l’espace, du contenu et des objectifs des politiques familiales (Mätzke et Ostner, 2010 ; Ferragina et Seeleib-Kaiser, 2014 ; Daly et Ferragina, 2018) tout en mettant en évidence les différences ou ressemblances entre les pays (Thévenon, 2011). Quoique la politique familiale soit en constante évolution, Daly et Ferragina (2018) identifient deux principales phases dans son développement : une phase de base, « foundational phase », caractérisée par un soutien financier et des avantages fiscaux accordés aux familles, ainsi que des congés de maternité ; et une phase de consolidation, « consolidation phase », caractérisée par une expansion des politiques familiales (Ferragina et Seeleib-Kaiser, 2014), notamment l’ajout des congés parentaux et l’augmentation des services de garde.

Par ailleurs, la comparaison entre les politiques familiales des différents pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a permis de distinguer deux grands groupes de pays : les pays nordiques et tous les autres, y compris l’ensemble des pays du sud de l’Europe et des pays anglo-saxons. Dans les pays nordiques, l’offre des services de garde est largement disponible et les conditions et prestations des congés parentaux sont relativement généreuses, alors que dans les pays anglo-saxons, les prestations pour les congés parentaux sont relativement modestes, les coûts des services de garde sont élevés pour les parents (en raison de la faiblesse de l’offre des services publics de garde) et les transferts monétaires ciblent prioritairement les familles pauvres, notamment les familles monoparentales (Thévenon, 2011).

Au Canada, les études ont essentiellement comparé le Québec, dont la politique familiale se compare favorablement au modèle nordique, et le reste du Canada qui a plutôt opté pour un modèle anglo-saxon. Il en ressort, par exemple, que l’existence au Québec d’un programme universel des services de garde à tarif réduit et des congés parentaux avec des conditions très généreuses aurait contribué à l’amélioration de l’indice synthétique de fécondité et à l’emploi rémunéré des femmes, mais aurait eu un moindre effet sur le développement des enfants (Rose, 2010 ; Beaujot et al., 2013). Aussi, les conditions d’admissibilité assez souples au Québec favorisent l’accès aux congés et prestations parentales, contrairement au reste du Canada où les critères d’admissibilité plus strictes limitent leur accès, surtout pour les familles à bas revenu (McKay et al., 2016).

Bien que la différence entre le Québec et le reste du Canada soit mise en évidence maintes fois, la situation dans les autres provinces est toutefois loin d’être homogène. Pourtant, très peu d’études ont porté sur le cas spécifique de chacune de ces provinces, notamment celui du Nouveau-Brunswick[3]. Relevons tout de même les travaux de Christine C. Paulin (2016) qui, par l’étude des processus de formulation des politiques sociales et familiales au Nouveau-Brunswick, ont montré comment deux démarches délibératives quasi identiques impliquant des citoyens, dont une association des parents, ont conduit à des résultats opposés, l’une s’étant concrétisée par une élaboration de politique, et l’autre pas.

Cependant, au meilleur de nos connaissances, aucune étude n’a spécifiquement examiné l’évolution du contenu de la politique familiale au Nouveau-Brunswick. Cet article comble donc ce vide. Pour cela, il s’inscrit, entre autres, dans la continuité des travaux de Rose (2010) qui offrent un portrait historique des trois volets de la politique familiale au Québec et mettent en évidence la dualité des politiques fédérales et des politiques québécoises. Ainsi, il va enrichir les écrits sur la politique familiale en permettant de comprendre les dispositions actuelles de la politique familiale néo-brunswickoise, ainsi que leurs impacts sur les familles.

Notre analyse descriptive est fondée sur une méthodologie mixte. Tout d’abord, une analyse qualitative des documents pertinents des gouvernements du Nouveau-Brunswick et du Canada permet de saisir l’évolution et les modifications récentes de la politique familiale dans la province. Ensuite, la recension de la littérature scientifique examinant l’évolution dans le temps et dans l’espace du contenu, des objectifs et des effets des politiques familiales permet de saisir comment les nouvelles dispositions de la politique familiale du Nouveau-Brunswick sont susceptibles d’affecter les familles. En outre, les résultats obtenus dans d’autres contextes territoriaux permettent d’identifier les facteurs susceptibles de favoriser ou de nuire à l’atteinte de certains objectifs poursuivis. Enfin, nous illustrons certains faits avec des données quantitatives obtenues, entre autres, de Statistique Canada, du Recensement canadien de 2016, et de rapports de recherche publiés par des organismes publics et privés.

Nous décrivons d’abord le Plan du Nouveau-Brunswick pour les familles pour mettre en évidence les dispositions liées à la politique familiale. Ensuite, nous présentons les piliers de la politique familiale du Nouveau-Brunswick en précisant, le cas échéant, les modifications récentes. Par exemple, nous expliquons en détail la désignation « Centre de la petite enfance du Nouveau-Brunswick » (CPENB), le nouveau dispositif au cœur de la transformation du système de services de garde dans la province, en évoquant ses principes, ses acteurs et ses objectifs. Avant de conclure, nous analysons les implications possibles de la politique familiale du Nouveau-Brunswick et mettons en évidence certains facteurs susceptibles de favoriser ou de nuire à l’atteinte des résultats escomptés.

Le Plan du Nouveau-Brunswick pour les familles

Le Plan du Nouveau-Brunswick pour les familles s’inscrit dans une stratégie provinciale qui vise à associer les différentes initiatives du gouvernement et, ainsi, coordonner l’élaboration des programmes et la prestation des services « […] pour améliorer la santé et le bien-être des Néo-Brunswickois à chaque étape de la vie » (Gouvernement du Nouveau-Brunswick, 2017 a : 4). Il est axé sur sept domaines d’action prioritaires :

  1. Faire progresser l’égalité des femmes

  2. Réduire la pauvreté

  3. Améliorer l’accès aux soins primaires et aux soins de courte durée

  4. Promouvoir le mieux-être

  5. Soutenir les personnes ayant des dépendances et des problèmes de santé mentale

  6. Faciliter le vieillissement en santé et le soutien aux aînés

  7. Fournir un soutien aux personnes ayant un handicap

Comme l’illustre clairement cette liste, le Plan du Nouveau-Brunswick pour les familles, même s’il contient le mot famille, englobe une panoplie d’objectifs sanitaires et sociaux. Or, les politiques familiales sont avant tout conçues pour faciliter la conciliation vie professionnelle-vie familiale et favoriser le bien-être des familles (St-Amour, 2011 ; Thévenon, 2011 ; Ferragina et Seeleib-Kaiser, 2014). En effet, même si elles semblent adopter de plus en plus des objectifs de développement de l’économie et de participation au marché du travail (Mätzke et Ostner, 2010), les politiques de soutien à la famille sont traditionnellement et globalement associées à six objectifs principaux (Thévenon, 2011) :

  1. Améliorer l’équité entre les sexes

  2. Réduire la pauvreté et maintenir le revenu

  3. Compenser directement le coût économique des enfants

  4. Favoriser l’emploi [des femmes]

  5. Soutenir le développement de la petite enfance

  6. Augmenter le taux de natalité

Au regard des deux listes ci-dessus, il ressort que seuls deux des piliers du Plan du Nouveau-Brunswick pour les familles peuvent être associés aux objectifs des politiques de soutien à la famille : « Faire progresser l’égalité des femmes » et « Réduire la pauvreté »[4]. Toutefois, précisons que, dans le contexte des politiques familiales, ces libellés réfèrent à des mesures spécifiques ciblant exclusivement les familles, alors que dans le contexte du Plan du Nouveau-Brunswick pour les familles, ils renvoient plutôt à des mesures sanitaires et sociales qui concernent une plus large portion de la population (au-delà du cadre de référence de la famille). Par exemple, le plan d’action du Nouveau-Brunswick pour faire progresser l’égalité des femmes décrit

« [l]es buts et les mesures [qui] permettront de s’attaquer aux inégalités qui persistent dans la main-d’œuvre, notamment la représentation des femmes dans les postes de direction, ainsi qu’aux défis qui compromettent la sécurité personnelle, économique et sociale des femmes. Cela passe par des initiatives visant à renforcer l’accès à l’éducation et à la formation, l’indépendance financière et le droit à une vie exempte de violence » (Gouvernement du Nouveau-Brunswick, 2017b : 4).

Ainsi, l’enjeu de l’égalité des femmes dans le contexte du Plan du Nouveau-Brunswick pour les familles se situe davantage à l’interface des politiques féministes d’égalité de genre visant principalement « […] l’atteinte de l’égalité entre les sexes dans le marché de l’emploi et dans les secteurs du pouvoir et de l’économie » (St-Amour, 2011 : 288). En revanche, l’enjeu de l’équité entre les sexes dans le contexte de la politique familiale vise essentiellement à encourager un partage des responsabilités professionnelles et domestiques entre conjoints, en incitant la participation des hommes dans les tâches ménagères et parentales et celle des femmes dans les tâches rémunérées (St-Amour, 2011 ; Thévenon, 2011 ; Ferragina et Seeleib-Kaiser, 2014 ; Daly et Ferragina, 2018).

De même, le plan d’action du Nouveau-Brunswick pour réduire la pauvreté « […] définit des mesures visant à favoriser l’inclusion économique et sociale [en général]. « (Gouvernement du Nouveau-Brunswick, 2017c : 3). Évidemment, ces mesures concernent globalement l’ensemble des personnes les plus vulnérables et aucune d’elles ne cible explicitement les familles. Du moins, c’est ce qui transparait à la lecture des domaines d’intervention ciblés et décrits dans le plan d’action : améliorer les résultats sur le marché du travail des personnes ayant des besoins en éducation et en formation, habiliter les personnes et les groupes de personnes vivant dans la pauvreté, réduire les obstacles à une pleine participation des gens dans leur collectivité, faciliter l’accès aux programmes et services pour améliorer la qualité de vie de toutes les personnes au Nouveau-Brunswick.

À la lumière de ce qui précède, nous pouvons conclure que le Plan du Nouveau-Brunswick pour les familles, même s’il contient le mot famille, n’est pas une nouvelle politique familiale en soi, mais plutôt un cadre de référence définissant le plan d’action du gouvernement pour atteindre un ensemble disparate d’objectifs sociosanitaires. En fait, sur l’ensemble des initiatives identifiées dans les documents de référence (Gouvernement du Nouveau-Brunswick, 2017b ; 2017c) comme ayant une incidence globale sur l’égalité des femmes et la réduction de la pauvreté, une seule semble en adéquation avec le cadre de référence familial. Il s’agit précisément de la mesure visant l’amélioration de la disponibilité des services de garderie abordables et de qualité dans la province. Il est donc nécessaire de comprendre comment les objectifs reliés aux familles sont pris en compte dans la nouvelle approche intégrée des politiques sociales et économiques du Nouveau-Brunswick. De façon explicite, il y a un intérêt certain à examiner les axes essentiels de l’orientation actuelle de la politique familiale du Nouveau-Brunswick, notamment la transformation en cours dans le développement de l’accueil de la petite enfance.

Les piliers de la politique familiale du Nouveau-Brunswick

Au Nouveau-Brunswick, comme dans la plupart des provinces du Canada, les politiques de soutien à la famille sont essentiellement articulées autour de trois principales mesures : les allocations familiales, les congés parentaux et les services de garde. Au Canada, les politiques sociales sont, en principe, une responsabilité provinciale. Toutefois, dans les faits, avec un pouvoir de taxation plus élargi, le gouvernement fédéral accorde un soutien financier aux familles. En fait, « […] le gouvernement fédéral a été le premier à agir en matière de soutien financier aux familles, en introduisant des exemptions fiscales pour enfants en 1918 et des allocations familiales universelles en 1944 » (Rose, 2010 : 32). Ainsi, les politiques en matière familiale au Canada sont aujourd’hui une responsabilité partagée entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Par exemple, la plupart des provinces versent des prestations pour enfants et familles simultanément avec l’allocation canadienne pour enfants, versée par le gouvernement fédéral aux familles admissibles ayant des enfants de moins de 18 ans. Néanmoins, les politiques familiales dans les provinces canadiennes sont loin d’être homogènes, et même en isolant le Québec, où les politiques sont plus développées et plus généreuses, les politiques familiales demeurent variées dans le reste du Canada (Gouvernement du Québec, 2011). Nous décrivons ci-dessous les mesures qui sont de la compétence du gouvernement du Nouveau-Brunswick en précisant, le cas échéant, ce qui est de la responsabilité du gouvernement fédéral.

La prestation fiscale pour enfants du Nouveau-Brunswick (PFENB)

La prestation fiscale pour enfants du Nouveau-Brunswick (PFENB), introduite au Nouveau-Brunswick en 1997, est un montant non imposable versé mensuellement aux familles admissibles ayant des enfants de moins de 18 ans. Elle peut inclure un montant additionnel correspondant au supplément du revenu gagné du Nouveau-Brunswick (SRGNB) qui est versé aux familles admissibles qui ont un revenu gagné et des enfants de moins de 18 ans. La PFENB varie en fonction du revenu familial, le montant versé diminuant au fur et à mesure que le revenu familial augmente. Par exemple, en 2019, les familles ayant un ou deux enfants étaient admissibles si le revenu familial net était inférieur à 30 000 $. Pour les familles ayant plus de deux enfants, le seuil du revenu pour être admissible est augmenté de 5 000 $ pour chaque enfant additionnel. Quant au SRGNB, seules les familles ayant gagné un revenu dépassant 3 750 $ et ayant un revenu familial net inférieur à 25 921 $ étaient admissibles en 2019.

La prestation de base (250 $ par an pour chaque enfant) est réduite de 2,5 % du revenu familial net excédant 20 000 $ pour les familles ayant un seul enfant et de 5 % du revenu familial net excédant 20 000 $ pour les familles ayant plusieurs enfants. Le SRGNB correspond à 4 % du revenu familial gagné excédant 3 750 $ (jusqu’à un maximum de 250 $ par année par famille) moins 5 % du revenu familial net excédant 20 921 $ (Gouvernement du Nouveau-Brunswick, 2019). Par ailleurs, les familles gagnant 20 000 $ ou moins reçoivent le supplément scolaire du Nouveau-Brunswick (pour chaque enfant) pour couvrir le coût des fournitures scolaires. Enfin, un crédit d’impôt remboursable pour la taxe de vente harmonisée accorde un montant maximum de 100 $ par enfant âgé de moins de 19 ans (300 $ pour le premier enfant d’une famille monoparentale). Le crédit est réduit de 2 % du montant du revenu familial net qui dépasse 35 000 $.

Tous ces programmes sont entièrement financés par le gouvernement provincial, mais administrés par l'Agence du revenu du Canada. La PFENB vise à compenser les coûts liés à la présence des enfants et à inciter au travail dans les familles à très faible revenu. C’est donc une allocation sous condition de ressources ciblant très nettement les familles démunies pour réduire l’intensité de la pauvreté, ce qui est caractéristique d’un modèle anglo-saxon (Thévenon, 2011). C’est également le cas de la plupart des provinces du Canada (sauf le Québec), même si les montants des aides financières et/ou les seuils de revenu pour être admissibles y sont relativement plus élevés. En fait, le Québec est la seule province au Canada où le soutien financier aux familles a un caractère universel et où les montants sont les plus élevés.

Les congés parentaux et les prestations parentales

La Loi sur les normes d’emploi du Nouveau-Brunswick prévoit des congés parentaux (congé de maternité et congé parental) sans solde pour les travailleurs après la naissance ou l’adoption d’un enfant. Bien que les congés parentaux soient sans solde, l’employeur peut offrir plus d’avantages que ceux prévus dans la Loi sur les normes d’emploi. De plus, les travailleurs qui prennent des congés parentaux peuvent bénéficier des indemnités selon les dispositions du programme fédéral de l’assurance-emploi. En décembre 2017, le gouvernement fédéral a apporté des changements au programme d’assurance-emploi en bonifiant les prestations de maternité et les prestations parentales. À la suite de ces changements, le Nouveau-Brunswick a modifié sa Loi sur les normes d’emploi pour augmenter la durée des congés parentaux. Le congé de maternité peut maintenant débuter à partir de la 13e semaine (et non plus la 8e comme avant) précédant la date prévue d’accouchement et peut durer jusqu’à un maximum de 17 semaines. De même, le congé parental (aussi appelé congé pour soins des enfants au Nouveau-Brunswick) peut maintenant durer jusqu’à 62 semaines (au lieu de 52 semaines avant) pouvant être partagées entre les deux parents. Néanmoins, la durée maximale combinée du congé de maternité et du congé parental est de 78 semaines (environ 18 mois). Même si la durée des congés parentaux est légiférée par le gouvernement provincial, les prestations de maternité et les prestations parentales associées à ces congés sont régies par le gouvernement fédéral.

Ainsi, pour être admissible, il faut travailler au moins 600 heures ou, pour un pêcheur indépendant (une activité très importante au Nouveau-Brunswick), avoir tiré un revenu de 3 760 $ de la pêche pendant la période de référence de 31 semaines précédant immédiatement le début de sa période de prestations. De plus, il faut observer une période d'attente d’une semaine par famille pour commencer à recevoir les prestations. Le taux de remplacement de la rémunération pour les prestations de maternité (maximum de 15 semaines) et les prestations parentales standards (maximum de 35 semaines à réclamer dans les 12 mois suivant la naissance ou l'adoption de l'enfant) est de 55 %, jusqu’à un revenu maximal de 53 135 $, équivalent à une prestation maximale de 562 $ par semaine ou 29 224 $ par an en 2019. Le taux de remplacement pour les prestations parentales prolongées (maximum de 61 semaines à réclamer dans les 18 mois suivant la naissance ou l'adoption de l'enfant) est de 33 %, jusqu’à un revenu maximal de 53 103 $, équivalent à une prestation maximale de 337 $ par semaine ou 17 524 $ par an en 2019. Précisons qu’un supplément familial est disponible pour les familles ayant un revenu net égal ou inférieur à 25 921 $, si bien que le taux de remplacement du revenu peut atteindre 80 %. L’ajout de l’option des prestations parentales prolongées offre aux parents une certaine flexibilité sur le nombre de semaines de congé qu’ils désirent prendre (Gouvernement du Canada, 2020 a).

De toute évidence, le financement des prestations parentales au Nouveau-Brunswick dépend quasi totalement du gouvernement fédéral. Aussi, les conditions des congés parentaux au Nouveau-Brunswick sont relativement modestes comparées par exemple à celles du Québec, où il n’y a pas de temps d’attente, où le taux effectif moyen de remplacement du revenu varie de 63 à 75 % et où le congé de maternité peut durer jusqu’à 18 semaines. En outre, il faut gagner au moins 2 000 $ de revenu assurable pour être admissible au Québec (Gouvernement du Québec, 2011), soit environ 171 heures au salaire minimum du Nouveau-Brunswick, ce qui est nettement moins exigeant que 600 heures ou 3 760 $ requis pour les pêcheurs indépendants. Il est donc raisonnable de dire que le régime du Nouveau-Brunswick se rapproche du modèle anglo-saxon, alors que le Québec se compare favorablement au modèle nordique (Thévenon, 2011).

Les Centres de la petite enfance au cœur de la transformation des services de garde

Les services de garde sont réglementés au niveau provincial, mais sont en partie financés par les subventions que le Nouveau-Brunswick reçoit du gouvernement fédéral. L’amélioration de l’accès à des services de garderie éducatifs abordables et de grande qualité est devenue une priorité majeure pour le gouvernement du Nouveau-Brunswick. Celui-ci ambitionne de transformer le système de services de garderie éducatifs de la province en une infrastructure sociale soutenue par un cadre de politiques publiques robustes (Gouvernement du Nouveau-Brunswick, 2016). À cet effet, un plan d’action pour les services de garderie éducatifs, intitulé Donnons à nos enfants une longueur d’avance... dès le départ, a été publié en janvier 2018. Cette orientation prioritaire de la politique familiale du Nouveau-Brunswick invite à se pencher sur les conditions d’émergence de ce plan d’action, ainsi que sur les acteurs, les principes et les objectifs au cœur de cette nouvelle disposition.

Contexte socioéconomique et politique

Plusieurs études (Heckman, 2008 ; The Centre for Spatial Economics, 2009 ; Beaujot et al., 2010) démontrent les avantages pédagogiques et économiques, à court et à long terme, qu’ont les investissements considérables dans les services de garderie éducatifs autant pour les enfants, les familles que la société en général. Par exemple, s’occuper des enfants à bas âge est un coût d’opportunité pour la participation des femmes au marché du travail. Donc, réduire ce coût d’opportunité, en subventionnant et en augmentant la disponibilité des services de garde, favoriserait l’emploi des femmes (Beaujot et al., 2010). Aussi, des rapports canadiens (Ferns et Friendly, 2014 ; Ivanova, 2015) montrent que l’investissement effectué par le Canada (excepté le Québec) dans l’éducation préscolaire et les soins à la petite enfance demeure inférieur à l’investissement public minimum préconisé par l’OCDE et le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF).

Ainsi, la recherche et l’expérience d’autres territoires, notamment le Québec, ont modifié la perception des services de garde au Nouveau-Brunswick. Jadis considérés comme une « marchandise » et donc soumis à une pure logique de marché, les services de garde sont dorénavant vus, dans la province, comme un élément essentiel de l’infrastructure sociale nécessitant un accroissement soutenu du financement public. En 2010, pour répondre à ce changement de perspective sociétale, le gouvernement provincial a transféré le secteur de la petite enfance du ministère du Développement social pour le regrouper avec le secteur de l’éducation au sein du ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance (MEDPE) nouvellement créé. Ce regroupement a abouti à la création des « programmes éducatifs du Nouveau-Brunswick » pour les garderies, marquant de ce fait un point tournant décisif dans la transformation de l’accueil de la petite enfance dans la province. Ainsi, de simple « service de gardiennage », l’accueil de la petite enfance a graduellement évolué pour offrir des services de garde éducatifs.

Par ailleurs, des démarches délibératives organisées dans la province, à l’initiative, entre autres, de groupes de citoyens et de parents, ont permis d’influencer, dans une certaine mesure, le processus de formulation des politiques sociales et familiales au Nouveau-Brunswick (Paulin, 2016). Néanmoins, en dépit d’une hausse du financement public dans les services de bien-être à l’enfance et de développement de la petite enfance au cours des dernières années[5], les coûts des services de garde sont demeurés très élevés au Nouveau-Brunswick. D’une part, les tarifs proposés sont inabordables pour la plupart des familles et d’autre part la viabilité et la pérennité de l’offre des services représentent encore un défi majeur pour les opérateurs du secteur des garderies. Paradoxalement, les salaires des éducateurs et éducatrices de services de garde d’enfants sont généralement parmi les plus bas, toutes professions confondues.

C’est dans ce contexte qu’en juin 2015, le MEDPE a confié à la Commission d’étude chargée de l’examen des services de garderie du Nouveau-Brunswick le mandat de « […] dresser un plan visant à créer les conditions propices à l’établissement de services de garderie éducatifs agréés de qualité qui sont accessibles, abordables et inclusifs et qui soutiennent la participation des parents au marché du travail » (Gouvernement du Nouveau-Brunswick, 2016 : 5). Le plan d’action pour les services de garderie éducatifs du Nouveau-Brunswick résulte donc des travaux de la Commission et des recommandations formulées dans son rapport publié en août 2016. Ces recommandations établissent le cadre à suivre pour transformer le système de garderies de la province et

« […] mener à l’établissement d’un réseau de services de garderie éducatifs agréés de qualité, abordables, accessibles et inclusifs pour les familles, un réseau viable pour les futures générations, en faisant la transition vers un réseau géré par le gouvernement et soutenu par un investissement public qui augmenterait progressivement au fil du temps. » (Gouvernement du Nouveau-Brunswick, 2016 : 6)

Les acteurs et les principes

Les recommandations formulées par la Commission pour transformer le système des garderies éducatives du Nouveau-Brunswick sont regroupées autour de cinq principes fondamentaux : la gouvernance, l’investissement public, les pratiques éducatives, l’éducation à la petite enfance comme domaine professionnel et les droits des enfants. La gouvernance et l’investissement public réfèrent à une augmentation soutenue du financement public et à la gestion publique des services de garderie éducatifs, ceux-ci devant être considérés comme une infrastructure sociale. L’idéal est que le système s’éloigne d’une approche axée sur le marché et soit administré pour répondre aux besoins des collectivités, de manière à rendre les services abordables pour les familles. Les pratiques éducatives renvoient à la nécessité d’améliorer le perfectionnement professionnel pour soutenir continuellement le personnel éducatif et les responsables dans le respect des deux curriculums (anglais et français) éducatifs provinciaux. L’éducation à la petite enfance comme domaine professionnel signifie essentiellement la création d’un ordre professionnel établi par la loi pour veiller à ce que les compétences et les salaires du personnel des services de garde augmentent avec le temps. Le nouveau réseau de services de garderie éducatifs devra prioritairement protéger l’intérêt supérieur et les droits de chaque enfant, ainsi que favoriser l’engagement des parents sur des sujets se rattachant à leurs enfants.

Plusieurs acteurs sont au cœur du plan d’action pour les services de garderie éducatifs du Nouveau-Brunswick. Premièrement, ce plan bénéficie d’un important soutien financier des gouvernements du Canada et du Nouveau-Brunswick. En effet, l’Accord Canada – Nouveau-Brunswick sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants comporte un engagement de financement de 71 millions de dollars (environ 40 % du fédéral), en sus du financement provincial récurrent, pour améliorer les services d’apprentissage et de garde destinés aux enfants d’âge préscolaire au Nouveau-Brunswick[6]. Deuxièmement, le plan d’action pour les services de garderie éducatifs est fondé sur la désignation « Centre de la petite enfance du Nouveau-Brunswick » (CPENB) découlant d’une conception partagée entre le gouvernement, les opérateurs du secteur des garderies éducatives et les parents. La désignation CPENB est décernée aux établissements agréés d'apprentissage et de garde des jeunes enfants qui en font volontairement la demande et qui satisfont les critères d’admissibilité établis par le gouvernement.

Les CPENB désignés devront travailler avec le gouvernement du Nouveau-Brunswick pour assurer l’accessibilité, l’abordabilité, l’inclusivité et la grande qualité des services de garderie éducatifs dans l’ensemble de la province. À cet effet, les CPENB désignés sont tenus de respecter entre autres exigences une politique de faible coût pour rendre les services plus abordables pour les familles à faible ou moyen revenu ayant des enfants d’âge préscolaire.

S’il est vrai que les tarifs de garderie au Nouveau-Brunswick vont continuer d’être assujettis aux règles du marché, la politique de faible coût est dotée d’un mécanisme de seuil des frais du marché qui permet aux parents d’avoir un barème de tarifs prévisibles et stables, tout en accordant aux CPENB désignés de la souplesse pour ajuster leurs frais et maintenir leur viabilité économique (voir le tableau 2 en annexe). Ainsi, un centre désigné pourra augmenter son tarif de 1 % à la date anniversaire de son permis annuel s’il est inférieur au seuil des frais du marché dans son type de collectivité. Un centre ayant des frais supérieurs au seuil des frais du marché ou souhaitant une augmentation plus grande (maximum de 3 %) en raison de circonstances extrêmes devra faire la demande officielle au MEDPE lors du renouvellement de son permis. Un centre désigné ayant des frais égaux ou supérieurs aux frais du marché maximaux (10 % de plus que le seuil des frais du marché) n’a pas le droit d’augmenter son tarif.

Les objectifs

Trois subventions du gouvernement provincial permettent de soutenir la politique de faible coût. Les CPENB désignés vont recevoir une subvention de fonctionnement pour l’accueil des nourrissons (10 $ par jour par place) et une autre (2,5 $ par jour par place) pour accroître la qualité et la durabilité des services selon des critères de qualité conformes à un plan d’amélioration préétabli annuellement. De plus, une subvention pour frais de garde sera accordée aux parents admissibles dont les enfants fréquentent un CPENB désigné. En fait, entre autres objectifs, la désignation CPENB vise principalement à réduire les tarifs des services de garderie éducatifs pour les rendre plus abordables pour les familles partout dans la province. En fin de compte, l'objectif est d'encourager les parents à participer au marché du travail. Concrètement, la politique de faible coût signifie que les services de garderie éducatifs sont gratuits pour les enfants d’âge préscolaire (moins de 5 ans) fréquentant un CPENB désigné si le revenu familial annuel brut (avant impôt) est égal ou inférieur à 37 500 $. Par la suite, la subvention accordée diminue au fur et à mesure que le revenu familial annuel brut augmente entre 37 500 $ et 80 000 $. Dans tous les cas, la disposition de la politique de faible coût est telle qu’aucune famille au Nouveau-Brunswick ne devrait, en principe, payer plus de 20 % de son revenu annuel brut en frais de services de garde.

Certes, la politique de faible coût vise à réduire les frais de garde pour les familles, mais deux points importants sont à relever. Premièrement, la désignation CPENB est accordée seulement aux établissements agréés qui en font volontairement la demande. Ce qui signifie que certains établissements agréés pourraient ne pas obtenir la désignation, malgré l’ambition affirmée du gouvernement de l’attribuer à tous les établissements agréés. Deuxièmement, la politique de faible coût des centres désignés ne s’applique pas aux enfants d’âge scolaire (5 à 12 ans). Par conséquent, les familles qui ont des enfants d’âge scolaire ou qui utilisent les services d’un centre non désigné vont continuer d’avoir accès au programme préexistant d’assistance aux garderies. Ce programme, moins généreux, permet de verser une subvention maximale (28,5 $ par jour par place) pour les familles dont le revenu familial annuel net est inférieur à 30 000 $. Le montant de la subvention diminue au fur et à mesure que le revenu familial annuel net augmente entre 30 000 $ et 55 000 $[7].

Le Nouveau-Brunswick est au tout début de la transformation et de la structuration de son système de services de garde, et se trouve sûrement très loin de la phase de consolidation (Daly et Ferragina, 2018) de cet axe de sa politique familiale. En fait, l’ambition du gouvernement est d’établir au Nouveau-Brunswick un réseau de services de garde de grande qualité, universellement accessibles et abordables. Cependant, la réussite de la mise en œuvre du plan d’action pour les services de garderie éducatifs va dépendre de l’engagement continu des pouvoirs publics à assurer un financement soutenu. Le défi du financement public est encore plus décisif dans un contexte provincial de rigueur budgétaire et de dépendance accrue à l'égard du financement fédéral, lui-même soumis à l’évolution de la conjoncture économique et politique. Au demeurant, le succès de la transformation du système de garderies éducatives au Nouveau-Brunswick va aussi se mesurer à l’aune de ses incidences, notamment son impact sur les familles.

Les implications de la politique familiale du Nouveau-Brunswick

Certes, il est trop tôt pour mesurer l’impact des nouvelles dispositions de la politique familiale du Nouveau-Brunswick, notamment celles liées à la transformation en cours du système des garderies éducatives. Cependant, la littérature et l'expérience d'autres territoires peuvent nous permettre d'anticiper certains résultats. Ceux-ci suggèrent que les nouvelles dispositions de la politique familiale du Nouveau-Brunswick seront certainement favorables aux familles. Néanmoins, son impact sera limité, et ce, même parmi les familles à faible et moyen revenu qui sont les principales cibles des mesures proposées. Par exemple, selon des données du dernier recensement de la population de 2016, environ 16 % des familles ayant 1 ou 2 enfants de moins de 18 ans seraient admissibles à la PFENB et seulement 8 % environ recevraient le plein montant. De plus, une part non négligeable (environ 8 %) des familles à faible revenu ne recevraient aucun montant (voir le tableau 3 en annexe)[8]. Il convient de préciser qu’en sus de la PFENB, les familles admissibles ayant des enfants de moins de 18 ans reçoivent l’allocation canadienne pour enfants versée par le gouvernement fédéral. En outre, même si les montants versés diminuent à mesure que le revenu familial augmente, la prestation fédérale est assez généreuse si bien que même des familles ayant des revenus annuels supérieurs à 150 000 $ reçoivent des versements.

Les congés parentaux ont des effets positifs sur l’économie, la santé et le bien-être des familles. Plus précisément, ils peuvent potentiellement avoir un impact sur trois des six principaux objectifs des politiques de soutien à la famille, à savoir la promotion de l’emploi à travers la participation des femmes sur le marché du travail, l’amélioration de l’équité entre les sexes et le soutien au développement de la petite enfance (Thévenon, 2011). Néanmoins, cet impact dépend de l’utilisation et du partage des prestations parentales associées à ces congés. Cinq facteurs sont susceptibles d’influencer l'utilisation et le partage du congé parental : les critères d'admissibilité, le nombre de semaines de congé à partager entre les parents, l’existence d’une période de congé de paternité non transférable, le taux de remplacement de la rémunération et le plafond de revenu (Margolis et al., 2019). En fait, ces auteurs analysent l’effet de la modification de ces cinq facteurs sur l’utilisation et le partage des prestations parentales au Canada, ainsi que la manière dont cet effet varie selon le revenu familial. Ainsi, en utilisant les données du Québec et du reste du Canada, ils montrent par exemple que l’allègement des critères d'admissibilité (réduction du nombre d’heures de travail ou du seuil de revenu requis) favorise l’utilisation des congés parentaux, surtout dans les familles ayant un faible revenu, alors que la générosité des prestations (taux de remplacement de la rémunération et plafond de revenu élevés) favorise le partage des congés entre les mères et les pères, surtout dans les familles ayant un revenu moyen ou élevé.

Au cours des cinq dernières années (exercices fiscaux 2014-2015 à 2018-2019), la durée moyenne effective des demandes de prestations de maternité au Nouveau-Brunswick était de 14,6 semaines, soit la quasi-totalité des semaines disponibles. La durée moyenne effective des demandes de prestations parentales était de 29,8 semaines, alors que 35 semaines étaient disponibles (Gouvernement du Canada, 2020c : 474 et 478). Le seul facteur récemment modifié dans le congé parental au Nouveau-Brunswick est le nombre de semaines de congé à partager entre les deux parents, qui est passé de 52 à 62 semaines. D’ailleurs, cette modification a été faite pour permettre aux parents dans la province de pouvoir bénéficier de deux amendements apportés au programme fédéral de l’assurance-emploi en décembre 2017, notamment l’ajout d’une option supplémentaire des prestations parentales prolongées (offrant plus de semaines de prestations parentales avec un taux réduit de remplacement de revenu), et le rallongement des semaines de prestations (5 de plus pour les prestations standards et 8 de plus pour les prestations prolongées) si les deux parents partagent le congé. Comme le montrent les durées moyennes ci-dessus, les congés sont demandés seulement lorsque des prestations sont versées. On peut donc raisonnablement dire que le seul facteur modifié dans le congé parental au Nouveau-Brunswick et qui est susceptible d’influencer sa demande est la disponibilité des semaines additionnelles de prestations parentales lorsqu’elles sont partagées, ce qui est semblable à un congé de paternité non transférable.

L’augmentation de la durée des prestations parentales et l’existence d’un congé de paternité non transférable sont censées favoriser le partage du congé et augmenter son utilisation par les pères. Toutefois, des études menées dans plusieurs pays, incluant le Canada, suggèrent que, dans les faits, cela se fait très rarement et la volonté de le faire est surtout présente dans les familles à revenu élevé (Margolis et al., 2019). Aussi, l’expérience du Québec, où l’utilisation et le partage des prestations parentales sont plus élevés que dans le reste du Canada, suggère que la réforme du congé parental au Nouveau-Brunswick (ajout des semaines additionnelles de prestations lorsqu’elles sont partagées) est très modeste et aura vraisemblablement très peu d’effet sur l’utilisation et le partage du congé parental par les familles, en particulier les familles à faible revenu. En effet, pour augmenter son taux d’utilisation et encourager son partage, le Québec a dû modifier, non pas un seul, mais plusieurs facteurs du programme de congé parental, y compris l’assouplissement des critères d'admissibilité (inclusion du travail indépendant, suppression de l’exigence d’un nombre minimal d’heures de travail), l’augmentation du taux de remplacement (de 55 % à 70 % ou 75 % selon le plan choisi), élimination des deux semaines de la période d’attente (Beaujot et al, 2013 ; Margolis et al., 2019). En fait, les critères d’admissibilité plus souples au Québec ont favorisé l’utilisation des congés et prestations parentales, comparativement au reste du Canada où des critères plus strictes limitent l’accès aux congés et prestations parentaux, notamment pour les familles à faible revenu (McKay et al., 2016). Rappelons que le Nouveau-Brunswick n’a actuellement aucune marge de manœuvre sur les prestations parentales qui sont régies par les dispositions du programme d’assurance-emploi géré par le gouvernement fédéral.

La désignation CPENB est au cœur de la transformation du système des services de garde au Nouveau-Brunswick. Incontestablement, la politique de faible coût et son mécanisme de seuil des frais du marché vont contribuer à réduire les tarifs, en les couvrant totalement ou partiellement, et ainsi rendre les services abordables pour les parents. Par exemple, selon les données du dernier recensement de la population de 2016, 57 % des familles ayant des enfants âgés de 0 à 5 ans seraient admissibles aux subventions du gouvernement avec l’instauration des centres désignés, contre 48 % sans celle-ci. Le taux d’admissibilité augmente à 97 % si on considère uniquement les familles monoparentales dont le parent est de sexe féminin. De plus, 75 % des familles monoparentales auraient accès à des services de garde gratuits dans les centres désignés. Toutefois, l’impact de cette mesure sera limité pour la plupart des familles composées d’un couple (voir tableau 3 en annexe).

En effet, toujours selon les données du dernier recensement de la population de 2016, 55 % des familles comptant un couple et ayant des enfants de 0 à 5 ans ne seraient pas admissibles aux subventions gouvernementales et 11 % seulement pourraient obtenir gratuitement les services de garde avec la politique de faible coût des centres désignés. En outre, même avec une telle mesure, jusqu’à 32 % des couples dans les familles à faible revenu devraient continuer de payer, quoique partiellement, pour obtenir des services de garde dans les centres désignés (voir tableau 3 en annexe). Pour de tels couples, surtout ceux avec un double revenu, la conciliation vie professionnelle-vie familiale serait certainement plus difficile à réaliser. Rappelons aussi que la politique de faible coût ne s’applique pas aux enfants d’âge scolaire, ni à ceux inscrits dans un centre non désigné, ce qui signifie qu’un très grand nombre de familles devraient continuer à faire face aux défis de la conciliation famille-travail.

Un autre objectif visé par la désignation CPENB est la disponibilité des services de garde de grande qualité pour les enfants d’âge non scolaire (moins de 5 ans) partout dans la province. Cependant, à moins d’une création de places additionnelles, la simple transformation des établissements actuellement agréés en centres désignés ne pourra pas garantir l’accessibilité des services de qualité à tous les enfants dans la province. D’abord, la demande pour obtenir la désignation CPENB est volontaire. Ce qui signifie que certains établissements pourraient simplement choisir de ne pas devenir un centre désigné, surtout si les coûts financiers, logistiques et administratifs liés à la demande de désignation sont jugés exorbitants. De plus, le taux moyen de couverture des services de garde pour les enfants de moins de 5 ans est actuellement de 40 % au Nouveau-Brunswick, ce qui veut dire que la province compte en moyenne 4 places en services de garde agréés pour 10 enfants d’âge non scolaire. Ainsi, même si toutes les garderies agréées étaient transformées en centres désignés, cela contribuerait à l’amélioration de la qualité des services existants, sans pour autant résoudre le problème de pénurie. Le problème d’accessibilité va être surtout préoccupant dans les régions rurales où vivent plus de la moitié (58 %) des enfants d’âge non scolaire et où actuellement, le taux moyen de couverture est seulement de 30 % (Macdonald, 2018)[9].

Conclusion

La politique familiale du Nouveau-Brunswick s’appuie sur trois piliers (allocations familiales, congés et prestations parentaux, services de garde) et son orientation actuelle vise principalement à compenser le coût économique des enfants, inciter au travail et faciliter la conciliation entre travail et vie familiale. Le financement public pour soutenir les familles et le développement de la petite enfance cible prioritairement les familles à faible revenu, notamment les familles monoparentales. Évidemment, les programmes ayant des dispositifs universels, surtout ceux qui rendent les services éducatifs de garde universellement disponibles et abordables, sont nettement plus avantageux et plus efficaces. Néanmoins, les politiques ciblées procurent aussi des avantages en consacrant plus d’efforts et de ressources vers les familles qui en ont le plus besoin et auprès desquelles l’intervention est susceptible de générer plus de bénéfices, surtout lorsqu’il s’agit d’assurer le développement des enfants (Beaujot et al., 2013). Aussi, les programmes universels nécessitent un plus grand financement public, un luxe que la province ne peut se permettre avec sa situation financière peu reluisante et de nombreux autres défis à relever, notamment la hausse des dépenses en santé due au vieillissement de la population. Ainsi, le choix d’un programme non universel, ciblant principalement les familles défavorisées, peut se justifier dans le contexte du Nouveau-Brunswick et s’y impose presque naturellement.

Par ailleurs, dressant un long portrait historique des politiques familiales dans les pays de l’OCDE, Olivetti et Petrongolo (2017) mentionnent que le développement de l’accueil de la petite enfance à travers la subvention des services de garde est la disposition la plus susceptible de générer de meilleurs résultats pour le développement des enfants et la conciliation emploi/famille comparativement à celles des prestations fiscales pour enfants ou des prestations liées au congé parental et de maternité, surtout lorsque les frais de garde sont initialement très élevés. Il semble donc approprié, surtout dans un contexte de contrainte budgétaire, que le Nouveau-Brunswick oriente sa politique familiale vers le développement de l’accueil de la petite enfance. Le processus en cours de la désignation CPENB, qui permet de subventionner partiellement ou totalement les frais de service, est sûrement un pas dans la bonne direction.

Toutefois, au-delà de la subvention des places dans les centres désignés, le plus grand défi sera d’accroître leur disponibilité partout dans la province, surtout dans les régions rurales où vivent plus de la moitié des enfants d’âge non scolaire. L’offre des services de garde étant toujours dominée par une logique de marché, le gouvernement devra multiplier les mesures incitatives, augmenter son financement et accroître progressivement sa participation dans la gestion de cette offre pour espérer augmenter le taux de couverture des services de garde dans la province. Des indices d’une telle orientation sont perceptibles dans l’annonce par le gouvernement de l’objectif de créer un réseau de services de grande qualité, universellement accessibles et abordables pour toutes les familles et enfants à l’horizon 2030. L’évaluation des résultats du processus en cours de la désignation CPENB sera sans doute utile pour orienter les futures actions du gouvernement dans le domaine des politiques de soutien aux familles et du développement de la petite enfance.

Annexe

Tableau 1

Profil statistique du Nouveau-Brunswick et du Canada, 2009 et 2018

Profil statistique du Nouveau-Brunswick et du Canada, 2009 et 2018

a Le taux de croissance moyen annuel correspond à la période 2009-2013 pour 2009 et 2014-2018 pour 2018. b Le taux de pauvreté est calculé selon la mesure du panier de consommation (MPC) de l’année de base 2008. Toutefois, selon la MPC de l’année de base 2018 qui est maintenant en vigueur, le taux de pauvreté en 2018 serait 10 % pour le Nouveau-Brunswick et 11 % pour le Canada (Statistique Canada, 2020). c Pour les données budgétaires, le Canada représente le total des 10 provinces.

Source : Nos calculs selon les données de Statistique Canada (Tableaux : 11-10-0135-01, 11-10-0190-01, 13-10-0418-01, 14-10-0327-01, 17-10-0005-01, 36-10-0612-01) et de Finances Canada (Tableaux de référence financiers 2019)

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Tableau 2

Gamme actuelle des seuils des frais du marché (en vigueur jusqu’en 2020-2021)

Gamme actuelle des seuils des frais du marché (en vigueur jusqu’en 2020-2021)
Source : Gouvernement du Nouveau-Brunswick

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Tableau 3

Répartition des familles ayant des enfant selon les tranches de revenu

Répartition des familles ayant des enfant selon les tranches de revenu
Source : Statistique Canada, Recensement de la population de 2016, produits numéros 98-400-X2016104, 98-400-X2016105, 98-400-X2016132 au catalogue

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