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Introduction

La reconnaissance d’un droit fondamental à la connaissance des origines s’impose de plus en plus dans le monde. Des instruments internationaux de protection des droits de la personne, qui sont applicables en droit interne ou qui peuvent servir à l’interpréter, en font la promotion (voir par exemple Cheskes, 2007 ; Pratten, 2012 ; Giroux et Milne, 2017). La Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH)[1] a progressivement dégagé un droit d’accès aux origines, en considérant que le droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH) contenait le « droit pour chacun d’établir les détails de son identité d’être humain » (Gaskin c/Royaume-Uni, 1989 : 39)[2]. La Cour précisa même que « l’intérêt que peut avoir un individu à connaître son ascendance [biologique] ne cesse nullement avec l’âge, bien au contraire » (Jäggi c/Suisse, 2006 : 40). Les cas appréciés par la Cour EDH avaient presque toujours pour enjeu l’établissement ou la contestation d’un lien de filiation, dans le cadre de contentieux privés où s’affrontaient des individus. En une occasion néanmoins, la Cour s’est prononcée sur l’accès aux origines dans un contexte de secret organisé et garanti par l’État : dans une affaire qui opposait les services sociaux français à une personne adoptée recherchant l’identité de sa génitrice, elle a considéré que « la naissance, et singulièrement les circonstances de celle-ci, relève de la vie privée de l’enfant, puis de l’adulte, garantie par l’article 8 » (Odièvre c/France : 29). Si, dans cette décision, la Cour EDH cherche à concilier les intérêts contradictoires entre la mère biologique voulant demeurer anonyme et ceux de l’enfant qui veut accéder à son identité, il s’en dégage toutefois un intérêt juridiquement protégé à connaître ses origines biologiques, dissocié de toute conséquence sur la filiation.

La Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant (CIRDE) invite également à une telle reconnaissance en établissant, à ses articles 7 et 8, le droit de l’enfant de connaître ses parents dans la mesure du possible et le droit de l’enfant à la préservation de son identité (Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, 1989). Malgré des divergences dans l’interprétation de la CIRDE ayant parfois limité sa portée, une analyse contemporaine de la CIRDE permet de constater que le droit à la connaissance des origines biologiques ou génétiques progresse (Giroux et de Lorenzi, 2011 ; Lavallée et Giroux, 2013 ; Giroux et Milne, 2017). L’article 7 de la CIRDE a été maintes fois évoqué au soutien d’un droit fondamental à la connaissance des origines (voir par exemple en France, Civ. 1re, 2006 « affaire Benjamin » et au Canada, D. [L.] c. P. [A.], 2000 ; Pratten, 2012.). Dans le contexte médical et social actuel, il est raisonnable d’affirmer que l’identité biologique ou génétique fait désormais partie du droit à la préservation de l’identité comme le prévoit l’article 8 de la CIRDE (Cerda, 1990). D’ailleurs, plusieurs pays, dont le Canada[3], ont fait l’objet de critiques de la part du Comité des droits de l’enfant qui a jugé que leurs lois nationales relatives à l’adoption ou à la procréation assistée n’étaient pas suffisamment conformes à la CIRDE (Nations Unies, Comité des droits de l’enfant, 2003). Ainsi, le droit à la connaissance des origines peut être compris comme le droit pour un individu de connaître l’identité des personnes ayant contribué à sa conception ou à sa naissance et potentiellement d’entrer en contact avec elles.

En 2017, le Québec a adopté la Loi modifiant le Code civil et dautres dispositions législatives en matière dadoption et de communication de renseignements (LQ 2017, c 12). Cette réforme marque un tournant significatif dans la libéralisation de l’accès aux origines des personnes adoptées. Ce texte propose une analyse du dispositif français, datant du 22 janvier 2002, et de celui récemment réformé au Québec qui tous deux prévoient expressément pour les personnes adoptées la possibilité d’accéder à l’identité de leurs parents d’origine. Dès lors que deux systèmes juridiques sont comparables, dans certaines limites tout du moins, la confrontation de leurs différences permet de rendre saillantes les avancées et lacunes inhérentes à chacun d’entre eux au regard de l’objectif affiché.

L’adoption au Québec est de tradition civiliste, comme en droit français. Un cadre fixé par la loi, s’articulant entre une phase administrative et une phase judiciaire, est commun aux deux pays. De plus, l’adoption française et l’adoption québécoise « reposent [généralement] sur la même base : l’intérêt de l’enfant » (Lavallée, 2005) : il s’agit bien de donner des parents à des enfants sans filiation ou abandonnés et ayant besoin de protection. En France comme au Québec, l’adoption peut être associée au secret sur la filiation biologique. Même si cette spécificité française rend la comparaison plus ardue, d’autant que les enfants nés sous X sont en France particulièrement recherchés par ceux qui désirent adopter un enfant, il n’en reste pas moins qu’en France et au Québec les enfants adoptés ou recueillis par les services sociaux se sont longtemps heurtés au silence sur leurs origines ou à des informations parcellaires sur l’histoire de leur abandon ou de leur adoption. Pour tenter de répondre aux questionnements de ces personnes sur leurs origines, chacune des juridictions sous étude a cherché, d’un côté, à limiter la possibilité pour les parents d’origine de demander à ce que leur identité reste secrète au moment de l’abandon de l’enfant, et de l’autre, lorsque les origines sont restées secrètes à rendre un tel secret réversible. Dans cette entreprise, les réformes au Québec comme en France se sont heurtées aux mêmes limites : imposer aux parents d’origine un accès forcé à leur identité n’est guère une politique concevable dès lors qu’une confidentialité pérenne avait pu leur être garantie par l’État au moment de la remise de l’enfant aux services sociaux en vue de son adoption.

On s’intéressera ici exclusivement à l’adoption nationale, qui concerne des enfants nés sur les territoires faisant l’objet de l’étude. On présentera dans un premier temps les dispositifs par lesquels la France comme le Québec ont entrepris de promouvoir l’accès aux origines de l’enfant en restreignant l’empire du secret susceptible de sceller les origines de l’enfant (I). Dans un second temps, on analysera comment, dans le cas où le secret sur les origines a été mis en œuvre, ces deux juridictions ont été conduites à rechercher un équilibre délicat entre les intérêts, possiblement contradictoires, des personnes adoptées en quête de leurs origines, d’une part, et ceux de leurs ascendants biologiques qui souhaitent rester anonymes, d’autre part (II).

Promotion d’un accès aux origines pour les enfants adoptés ou recueillis par les services sociaux

En France et au Québec, lorsqu’un enfant a été retiré de sa famille d’origine, incapable d’assumer ses responsabilités parentales, ou lorsqu’il a été directement remis par ses parents aux services sociaux étatiques en vue de sa prise en charge, il peut être ensuite proposé à l’adoption. Cette orientation vers l’adoption a longtemps été associée à l’idée qu’il fallait donner à l’enfant un nouveau départ, dans une nouvelle famille et l’effacement des traces de l’état civil initial participait d’une telle dynamique. Dans les deux juridictions, il a été mis en œuvre, avec une ampleur variable, avant qu’une tendance inverse, favorable à une plus grande transparence des origines, gagne du terrain. Elles se sont engagées progressivement, et selon un agenda décalé, à intégrer des dispositions qui bornent le champ du secret opposable à l’enfant, sur l’identité de ses parents d’origine. Pour les unes, ces nouvelles dispositions limitent le secret ab initio, concomitamment à la séparation de l’enfant avec ses parents d’origine ou à son adoption (A). Pour les autres, elles aménagent rétrospectivement, lorsque le secret a été mis en œuvre, une procédure pour le lever (B).

La transparence des origines ab initio

La France a rétréci le domaine du secret autorisé au moment où l’enfant est remis aux services de l’aide sociale à l’enfance en vue de son adoption (1), là où le Québec a conservé au secret lié à la procédure d’adoption son caractère de principe tout en y imposant de significatives dérogations (2).

En France, pas de secret sur les origines pour les adoptés et pupilles de l’État sauf en cas d’accouchement sous X

Le système français de déplacement des enfants d’une famille à l’autre s’articule autour d’un large principe de transparence des origines, même quand l’enfant en danger ou délaissé est directement pris en charge par les services sociaux (a), assortis d’une exception de taille (b).

Le principe : l’absence de secret des origines pour les pupilles de l’État et les adoptés

L’adoption, qui peut revêtir deux formes – simple ou plénière – n’est pas en France synonyme de secret sur les origines. Le principe est connu pour l’adoption simple où la filiation d’origine ne se substitue pas à celle établie à la naissance, mais s’y ajoute. L’adopté reste dans sa famille d’origine et y conserve tous ses droits héréditaires (art. 364 c. civ ; Belmokhtar, 2020)[4]. L’acte de naissance originaire de l’enfant est mis à jour par l’ajout d’une mention marginale avec le nom des adoptants et la référence au jugement d’adoption simple (Ministre de la justice et des libertés, 2011). Même en cas d’adoption plénière d’un enfant, l’occultation de l’histoire antérieure n’est pas totale. Certes l’adoption plénière entraîne une rupture complète du lien de filiation antérieur, l’acte de naissance originaire est tenu pour nul et un nouvel acte de naissance est dressé (art. 354 c. civ), mais le statut d’adopté n’est pas pour autant secret. Depuis 1966, l’acte de naissance de l’enfant adopté en la forme plénière se présente formellement comme une transcription du jugement d’adoption, dont les références sont nécessairement mentionnées (art. 354 c. civ). Une personne pourra à l’occasion d’une demande de copie intégrale de son acte de naissance – très rarement exigée – découvrir qu’elle a été adoptée, si ses parents le lui ont caché et pourra consulter son jugement d’adoption et y apprendre possiblement le nom de ses parents d’origine[5].

Ce n’est donc pas l’adoption, qu’elle soit en la forme simple ou même plénière, qui érige un barrage à l’accès à ses origines, ni même l’admission en qualité de pupille de l’État, préalable souvent nécessaire à l’adoption de l’enfant (art. 347 c. civ). Sauf s’il existe un lien de parenté ou d’alliance avec l’adoptant, tout enfant de moins de deux ans doit être remis au service de l’aide sociale – et admis comme pupille de l’État – ou à un organisme autorisé pour l’adoption avant de pouvoir être éventuellement adopté (art. 348-5 c. civ). Le consentement des parents ou « des personnes qui ont qualité pour consentir à l’adoption » est recueilli en même temps que l’enfant (art. L. 224-5 Code de l’action sociale et des familles [CASF]). L’occultation des origines est antérieure à l’étape de la reconnaissance de l’adoptabilité de l’enfant et à celle de son adoption ; elle est intrinsèquement liée à l’anonymat que peut avoir choisi la « mère de naissance »[6] au moment de son accouchement.

L’accouchement sous X est aujourd’hui la seule situation en France où le secret sur les origines est autorisé[7]. La loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’État a supprimé la possibilité pour les deux parents de naissance de demander le secret de leur identité lorsqu’ils remettaient leur enfant à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) si celui-ci était âgé de moins d’un an[8] et alors même que la filiation avait été établie (voir ancien art. L. 224-5 CASF). L’acte d’état civil initial était en conséquence annulé pour rendre secrète l’identité des parents et un acte d’état civil provisoire était rédigé (Granet, 2001 ; Dekeuwer- Defossez, 1999 ; Lavallée, 2005 ; Larribau-Terneyre et Azavant, 2019). Cette procédure était très peu utilisée, car largement ignorée, mais sa disparition a été critiquée par certains auteurs (Neirinck, 2002).

Ainsi à part les enfants nés sous X – ou ceux qui ont été trouvés (Observatoire national de la protection de l’enfance [ONPE], 2020)[9], tous les enfants admis comme pupilles de l’État, potentiellement adoptables, connaissent leur famille d’origine, même si dès leur très jeune âge certains ont fait l’objet d’une prise en charge par l’ASE (ONPE, 2020)[10]. Qu’ils aient vécu en famille d’accueil ou en établissement, en alternance ou à plein temps, avant d’être admis comme pupilles de l’État à la suite d’une décision judiciaire (art. L. 224-4, 5° et 6° CASF ; ONPE, 2020 ; Chapon et al., 2018)[11], ou bien qu’ils aient été volontairement remis par leurs parents à l’ASE en vue de leur adoption (art. L. 224-4, 2° et 3° CASF)[12], tous ces mineurs ont une filiation connue et établie à l’égard de parents légaux. Le projet de vie de l’enfant, tel que défini par les instances de tutelle, ne sera une adoption que si l’intérêt de ce dernier l’exige (art. L. 225-1 CASF), ce qui n’est pas forcément le cas compte tenu de l’âge de l’enfant, de son histoire, de l’existence d’une fratrie ou du temps déjà passé dans une famille d’accueil. Peu d’enfants dont la filiation est connue sont en réalité adoptés (ONPE, 2019)[13], et cette adoption, quelle qu’en soit la forme, ne pourra occulter la connaissance que les enfants peuvent avoir de leur filiation d’origine.

L’exception : l’organisation du secret des origines dans le cadre de l’accouchement sous X

L’accouchement dans le secret est une pratique très ancienne en France qui a été progressivement légalisée jusqu’à sa consécration dans le Code civil en 1993 (Dreifuss-Netter, 1994 ; Lefaucheur, 2001 ; Ensellem, 2004). Le nombre d’accouchements signalés dans le secret est stable depuis plusieurs années, entre 500 et 600 par an (ONPE, 2020) pour environ 750 000 naissances chaque année en France. Les enfants nés dans ces conditions, encore appelés « nés sous X », n’ont donc pas de filiation établie et sont très rapidement recueillis par le service de l’ASE et admis comme pupilles de l’État (ONPE, 2020)[14]. Âgés de quelques mois seulement, ils trouvent souvent aisément une famille qui désire les adopter et sont donc placés en vue de leur adoption de manière précoce (ONPE, 2020)[15].

La demande d’accouchement dans le secret est un droit appartenant à toute femme, qu’elle soit majeure, mineure ou qu’elle fasse l’objet d’une protection juridique. Sa décision n’est soumise à aucune formalité préalable particulière (art. L. 222-6 CASF) et aucune pièce d’identité n’est exigée (Ministre des affaires sociales et de la santé, 2016). La femme peut aussi arriver à l’établissement de santé sous son identité puis décider de demander le secret de son identité avant la déclaration de l’enfant à l’état civil.

Le Conseil national pour l’accès aux origines (CNAOP) (art. L. 147-1 et s. et art. L. 223-7 CASF)[16], créé par la loi du 22 janvier 2002, a contribué à l’élaboration d’outils conventionnels permettant le respect de cette faculté (CNAOP, 2017). Lorsqu’une femme décide d’accoucher en demandant la préservation de son identité, elle est invitée par le correspondant départemental du CNAOP (art. R. 147-22 et 147-23 CASF ; Ministre des affaires sociales et de la santé, 2016 : protocole d’accord) à laisser des informations non identifiantes (sur sa santé, celle du père, sur ses origines, les raisons et les circonstances qui la conduisent à remettre l’enfant au service de l’ASE ou à un organisme autorisé pour l’adoption (OAA) (Ministre des affaires sociales et de la santé, 2016 : guide de bonnes pratiques). Elle est informée sur l’importance de ces éléments pour l’enfant à naître, sans toutefois être contrainte à en donner (Ministre des affaires sociales et de la santé, 2016 : guide de bonnes pratiques)[17]. Elle peut aussi accepter de transmettre des éléments identifiants (nom, prénom, date et lieu de naissance et éventuellement adresse, numéro d’assurée sociale, etc.) qui seront, selon son souhait, soit directement accessibles à l’enfant (dans le formulaire destiné à cet effet ou dans tout autre document écrit), soit placés dans une enveloppe cachetée. Sur ce pli fermé figureront les prénoms qu’elle pourra avoir choisis pour l’enfant, ainsi que le sexe, la date, l’heure et le lieu de naissance de l’enfant (CNAOP, 2019b). Elle peut en outre confier des courriers et objets à destination de l’enfant qui seront recueillis par le correspondant du CNAOP. À tout moment, ensuite, la mère de naissance peut s’adresser au CNAOP pour compléter les éléments laissés au moment de la naissance, lever le secret ou déclarer son identité. Elle a enfin la possibilité d’envoyer plus tard au CNAOP un pli fermé contenant son identité (Art. L. 222-6 CASF).

La femme qui a accouché dans le secret peut également faire établir sa filiation par simple déclaration – dans les deux mois de la naissance – et soit garder l’enfant, soit consentir à son adoption en le remettant l’ASE ou à un OAA.

Protégé et réglementé en France, l’accouchement dans le secret n’en est pas moins aujourd’hui l’objet d’une attention particulière de la part des autorités publiques qui cherchent à inciter les femmes concernées à laisser le plus d’informations possible sur les origines et l’histoire de l’enfant. Cette préoccupation s’inscrit dans l’orientation plus générale du droit français à réduire la marge du secret autorisé sur les origines d’un enfant.

Un personnage est souvent occulté dans le tableau de l’organisation de l’accouchement sous X : c’est le géniteur. Qu’en est-il s’il souhaite se rattacher l’enfant ? (Hilt, 2020).

Depuis la loi du 22 janvier 2002, le père de naissance n’a plus le droit de demander le secret de son identité (art. L. 147-2 CAFS). Il peut par ailleurs être en désaccord avec le choix de la mère de naissance d’accoucher sous X et de laisser l’enfant à l’ASE. S’il est au courant de la grossesse puis de l’accouchement – notamment par la mère de naissance, et qu’il manifeste un intérêt pour l’enfant, quelle qu’en soit la forme (Ministère des solidarités et de la santé, 2018), l’arrêté d’admission de l’enfant comme pupille de l’État devra obligatoirement lui être notifié et il disposera alors d’un mois pour le contester. Si le tribunal juge sa demande conforme à l’intérêt de l’enfant, il prononcera l’annulation de l’arrêté d’admission et confiera l’enfant à son père de naissance (Art. L. 224-8 CASF). Afin de protéger la volonté de la mère de rester anonyme, le guide de bonnes pratiques élaboré à l’initiative du CNAOP recommande néanmoins au personnel médical de rappeler à cette dernière que « les appels téléphoniques ou les visites ne sont pas interdits, mais qu’ils sont contradictoires avec sa volonté de ne pas décliner son identité » (Ministre des affaires sociales et de la santé, 2016 : guide de bonnes pratiques, 7). De plus, le protocole d’accord pour l’accompagnement des femmes accouchant dans le secret enjoint le personnel hospitalier à ne répondre à « aucune demande relative à la mère de naissance ou à l’enfant » et d’informer le correspondant départemental de l’intervention « d’une personne qui pose des questions » (Ministre des affaires sociales et de la santé, 2016 : guide de bonnes pratiques, 5). L’organisation des pratiques est donc peu propice à ce que le père de naissance ait le temps de se manifester auprès de son enfant, d’être informé de son arrêté d’admission en qualité de pupille de l’État et de pouvoir le contester.

Certes, si le géniteur n’a pas pu être destinataire de la notification de l’arrêté d’admission de l’enfant comme pupille de l’État, il pourra toujours reconnaître l’enfant, y compris par reconnaissance anténatale, du moins s’il n’était pas marié avec la mère de naissance. En cas de mariage, l’établissement de sa paternité contrarierait la volonté de son épouse d’avoir accouché dans le secret puisque la filiation est établie de manière indivisible à l’égard de la mère et du père. Il faudra encore au père de naissance retrouver l’enfant et faire la preuve de son identité avec celui qu’il a reconnu (Fulchiron, 2020a ; Vial, 2009). La loi du 22 janvier 2002 est venue lui apporter l’aide du ministère public qui, si la transcription de la reconnaissance paternelle s’avère impossible, procèdera à la recherche des date et lieu d’établissement de l’acte de naissance (art. 62-1 c. civ). Il reste que le géniteur risque alors de se heurter à la règle selon laquelle le placement de l’enfant en vue de l’adoption fait échec à toute déclaration de filiation et à toute reconnaissance (art. 352 c. civ ; Civ. 1re, 2018 ; Cons. Constit., 2020 ; Fulchiron, 2020b).

Il résulte de cette analyse que la réglementation en vigueur, sa mise œuvre par le CNAOP et son interprétation par les tribunaux convergent vers une application restrictive des droits du père de naissance à obtenir la restitution de l’enfant dont la mère de naissance a accouché en demandant le secret sur son identité (Civ. 1re, 2021). À l’évidence une préoccupation sous-tend une telle rigueur à l’endroit du père de naissance : si le père obtenait la restitution de l’enfant, que resterait-il du droit de la mère de naissance à accoucher dans le secret ? Il ne serait plus qu’un trompe-l’œil.

L’accouchement sous X reste en droit français un véritable territoire d’exception au regard de la préoccupation générale des pouvoirs publics de restreindre le domaine du secret sur les origines : l’anonymat choisi par la mère y est protégé par des remparts juridiques difficilement franchissables, même pour le géniteur. Le Québec, de son côté, a lui aussi cherché à limiter l’empire du secret qui peut recouvrir les origines d’un enfant, mais selon une dynamique inverse. La confidentialité sur l’identité des parents d’origine reste très largement le principe pour les enfants adoptés bien que des dérogations importantes y ont été apportées.

Au Québec, la transparence n’existe pas sauf pour certaines formes d’adoption

Un rappel s’impose ici avant de poursuivre l’analyse : comme on l’a dit en introduction, au Québec la procédure d’accouchement dans le secret n’existe pas. Il ne doit donc pas être fait de distinction entre la mère et le père de naissance ; les deux parents d’origine doivent être appréhendés de concert.

Si au Québec le secret des données sur l’adoption est confirmé par la réforme de 2017, un plus grand accès à l’information sur les origines est néanmoins rendu possible.

Le principe : le secret des origines atténué

Les adoptions au Québec sont prises en charge par le Directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) œuvrant au sein de Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) ou de Centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS). Ces organismes détiennent et gèrent entre autres les informations relatives à l’identité des personnes concernées par l’adoption. Celle-ci requiert le consentement des parents, ou à défaut, une déclaration judiciaire d’admissibilité à l’adoption, qui peut notamment être rendue si l’enfant orphelin, abandonné ou dont les parents sont déchus de l’autorité parentale est placé sous le suivi du DJP (art.559 C.c.Q.). Le consentement à l’adoption peut être spécial ou général (art. 555 C.c.Q.)[18]. Lorsque l’adoption a lieu par consentement général, le DPJ effectuera un placement de l’enfant dans une famille d’accueil en vue de son adoption régulière ou dans le cadre du programme Banque mixte.

Sur le plan de l’état civil, à la suite d’un jugement d’adoption, un nouvel acte de naissance, qui se substitue à l’acte primitif, est dressé (art. 132 C.c.Q.). L’acte de naissance de l’enfant adopté au Québec ne mentionne pas l’adoption, mais il fait état de la nouvelle filiation et des nouveaux noms choisis par les parents adoptifs (art. 576 C.c.Q.). Alors que le secret de l’adoption n’existe pas en France lors de la délivrance de copies intégrales d’actes de naissance, la situation est plus restrictive au Québec, qui en principe ne permet pas la délivrance de ces copies (art. 149 C.c.Q.).

Le principe du caractère confidentiel des dossiers judiciaires et administratifs d’adoption est affirmé à l’article 582 du C.c.Q. Dès 1960, vu le contexte social québécois, il allait de soi que l’adoption plénière soit accompagnée de ce caractère confidentiel, le secret visant à protéger la mère et l’enfant contre l’opprobre de l’illégitimité vécue à l’époque (Ouellette et Lavallée, 2015 ; Lavallée, 2015 ; Ouellette et Lavallée, 2017). Il peut être noté ici des effets comparables avec la situation prévalant en France dans le cadre particulier de l’accouchement sous X. Toutefois, il faut bien souligner que le secret est instauré automatiquement en France, à l’initiative des autorités publiques, sans demande explicite des parents de naissance et pour tous les enfants faisant l’objet d’une adoption.

La pratique en matière d’adoption au Québec a, depuis 1988, évolué en porte-à-faux du principe du secret pour ce qui est des adoptions mises en place par le programme Banque mixte. Dans ce cadre, la famille prend l’enfant en charge, alors qu’il n’est pas adoptable, d’abord comme famille d’accueil dans le cadre d’une intervention du DPJ. En accueillant ainsi l’enfant, ils ont espoir de devenir famille adoptive vue l’improbabilité que ses parents d’origine puissent en récupérer la garde (Ouellette, 2005 ; Roy, 2006 ; Lavallée, 2005). L’adoption de l’enfant sera possible si son intérêt le commande et selon le cas, parce que les parents auront consenti à l’adoption ou le tribunal l’aura déclaré admissible (art. 543 C.c.Q.) Les enfants y sont donc plus âgés (deux ans et plus) et connaissent leurs parents d’origine, qui peuvent vouloir conserver des relations avec eux. Dans ce contexte, il était difficile de respecter le secret de l’adoption et une pratique d’adoption ouverte s’est développée. Ainsi, des ententes n’ayant pas de valeur légale pouvaient être conclues entre les parents d’origine et les parents d’adoption pour conserver le contact de l’enfant avec sa famille d’origine. Dans l’objectif de faciliter la connaissance des origines et le maintien des liens avec les parents d’origine, la loi de 2017 codifie cette pratique d’adoption ouverte si l’intérêt de l’enfant commande la mise en œuvre d’une telle entente (art. 579 C.c.Q.). C’est une modalité qui s’apparente en France à l’adoption par sa famille d’accueil de l’enfant admis comme pupille de l’État à la suite d’une déclaration judiciaire de délaissement parental (ONPE, 2020).

D’autres dispositions dans la réforme de 2017 témoignent encore d’une volonté du législateur québécois de restreindre le domaine du secret qui entoure traditionnellement l’adoption.

L’exception : la transparence organisée ab initio 

Le législateur québécois a renoncé à introduire d’autres formes d’adoption, comme l’adoption simple, existant en France, qui maintient les liens de filiation de l’enfant avec sa famille d’origine (Groupe de travail sur le régime québécois de l’adoption, 2007). En dépit de la réforme de 2017, le droit québécois continue de n’admettre qu’une seule forme d’adoption, l’adoption plénière, rompant les liens de filiation entre l’adopté et sa famille d’origine (art. 577.1 C.c.Q.).

En revanche, afin de faciliter la connaissance des origines, la loi de 2017 opte pour l’ouverture d’une nouvelle modalité à l’adoption plénière : celle de la possibilité de reconnaître une « filiation qui succède à ses filiations préexistantes » (art. 577 C.c.Q.). Cette modalité est mise en œuvre lorsque les parents d’origine y consentent et s’il s’avère dans l’intérêt de l’enfant de procéder ainsi (art. 544.1 C.c.Q.). L’enfant peut se voir attribuer un nom composé incluant celui de ses parents d’origine ce qui peut révéler l’adoption (Roy, 2017).

Le DPJ doit informer les parties d’une telle option au moment de recueillir le consentement général à l’adoption, qui peut être donné avec ou sans reconnaissance d’un lien de filiation préexistant. Le parent peut aussi fournir un consentement général « indifféremment » de la reconnaissance ou non de ce lien (art. 544.1 C.c.Q.). La reconnaissance de liens de filiation préexistants sera envisagée uniquement si une « identification significative » entre l’enfant et ses parents d’origine existe et doit être protégée (voir notamment art. 568.1 C.c.Q).

Avant de rendre sa décision sur l’adoption avec reconnaissance de liens préexistants de filiation, le tribunal recueillera l’avis du DPJ sur l’intérêt de l’enfant de procéder de la sorte (art. 71.3.5 Loi sur la protection de la jeunesse). Si l’enfant de 10 ans ou plus n’est pas d’accord ou s’il n’est pas dans son intérêt de maintenir des liens de filiation préexistants, le DPJ devra opter pour la voie de la déclaration d’admissibilité à l’adoption pour passer outre le consentement parental à l’adoption avec reconnaissance d’un lien de filiation préexistant.

Que l’adoption puisse ainsi être assortie d’une reconnaissance des liens préexistants de filiation ne modifie aucunement la règle qui met fin aux liens juridiques de filiation préexistants. Cette modalité permettra néanmoins à l’enfant d’accéder à l’information concernant ses parents d’origine automatiquement (Roy, 2017), sans avoir à passer par le nouveau processus de demandes d’antécédents ou de retrouvailles (art. 583 C.c.Q.) et sans avoir à subir les délais administratifs ou les refus potentiels à la communication de l’identité ou au contact[19]. Dans une telle hypothèse, le nouvel acte reprendra les énonciations et les mentions relatives au lien préexistant en précisant leur antériorité (art. 132 C.c.Q.), ainsi que les noms des parents adoptants et des parents d’origine.

Depuis l’entrée en vigueur de cette règle en 2017, très peu de décisions ont permis l’adoption avec reconnaissance de liens de filiation préexistants (voir notamment Adoption 18683, 2018 ; Adoption 19485, 2019 ; Adoption 20165, 2020). La loi est encore très récente et il est difficile d’en dégager le bilan, mais cette possibilité semble être envisagée de façon exceptionnelle.

Par ailleurs, l’adoption coutumière autochtone est reconnue pour la première fois dans le Code civil, bien qu’attendue depuis longtemps par les communautés autochtones. En respect du pluralisme juridique, une autorité compétente autochtone désignée pour la communauté ou la nation autochtone de l’enfant ou de l’adoptant sera responsable de cette nouvelle forme d’adoption (art. 543.1 C.c.Q.). Ces nouvelles règles permettront une plus grande observance de la coutume autochtone en matière d’adoption qui n’entraînait pas toujours (cela peut varier d’une nation à l’autre) la rupture des liens antérieurs de filiation, alors que le droit étatique rendait cette rupture obligatoire sans aucun tempérament possible (art. 149.1 et 577.1 C.c.Q. ; Groupe de travail sur l’adoption coutumière en milieu autochtone, 2012 ; Grammond et Guay, 2016 ; Leckey, 2018)[20].

Aux modalités favorisant la transparence sur les origines, il faut encore ajouter l’adoption par consentement spécial, qui autorise des ascendants ou autres personnes expressément mentionnées à l’article 555 C.c.Q. d’adopter un enfant avec moins de formalités, mais toujours avec l’intermédiaire du DPJ. L’adoption de l’enfant du conjoint procède notamment par consentement spécial. Dans ce cas, les parties à l’adoption se connaissent et sont identifiées dès le départ.

La loi de 2017 a donc taillé diverses brèches dans le principe de la confidentialité de l’adoption plénière, même si les amendes prévues par la Loi sur la protection de la jeunesse sont maintenues en cas de divulgation illégale de renseignements confidentiels.

Alors que le droit français fait de la connaissance de l’identité des parents de naissance la règle, tout en y réservant une large exception, le droit québécois continue de poser la confidentialité comme un principe, tout en y ménageant des dérogations de plus en plus importantes. Si les moyens diffèrent, les objectifs semblent se rejoindre dans les deux pays. Les préoccupations communes sont encore plus visibles quand il s’agit d’organiser la réversibilité du secret qui a été initialement institué.

La réversibilité du secret

Le droit français comme le droit québécois a prévu des dispositions spécifiques pour aménager la levée du secret : des institutions dédiées ont été mises en place. Le Québec s’est toutefois engagé plus avant dans une logique de révélation des origines, en inversant certains principes antérieurs qui gouvernaient l’adoption.

L’organisation de la réversibilité du secret de l’accouchement sous X en France

L’accouchement sous X a toujours suscité de fortes contestations qui se sont renforcées dans les années 1980-1990 (Dekeuwer-Défossez, 1999). La loi du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines personnelles des personnes adoptées et pupilles de l’État (art. L. 147-1 et s. et L. 222-6 CASF) a alors tenté de trouver un délicat équilibre entre les intérêts divergents de la mère de naissance et celui de l’enfant dont elle a accouché dans le secret et qui cherche à l’identifier. Pour la première fois, il est en effet prévu que ce secret de l’identité de la mère de naissance puisse être réversible. La mise en œuvre de cette réversibilité est confiée au CNAOP[21], qui ajoute cette mission à celle d’organiser l’accueil des femmes qui veulent accoucher sous X.

L’enfant peut s’adresser au CNAOP pour rechercher ses origines dès lors qu’il est majeur ou, s’il est mineur, qu’il a atteint l’âge du discernement[22] et que ses représentants légaux ont donné leur accord (CNAOP, 2019a)[23]. S’il est décédé, ses descendants en ligne directe peuvent introduire une demande au CNAOP (art. 147-2 CASF). Cette instance a vocation à intervenir lorsque le dossier conservé à l’ASE est vide ou ne contient pas d’informations suffisantes.

Le CNAOP est compétent même lorsque la demande d’accès aux origines personnelles émane d’enfants qui sont nés avant l’entrée en vigueur de la loi de 2002. L’application rétroactive du dispositif d’accès aux origines a été l’un des enjeux – resté souterrain au cours des débats parlementaires – de la loi de 2002, en réponse aux pressions d’associations d’enfants nés sous X en quête de leurs origines (Neirinck, 2002). La principale tâche du CNAOP consiste donc aujourd’hui à traiter des demandes de ceux qui sont nés il y a vingt, trente, quarante ans et même plus, et à essayer de retrouver des mères de naissance qui n’imaginaient pas pouvoir être identifiées un jour (Le Boursicot, 2003 ; Brunet, 2010).

Il faut souligner que la mission du CNAOP n’a d’autre finalité que la recherche de l’identité de la mère de naissance et l’éventuelle communication de cette information matérielle à l’enfant en quête de ses origines. La découverte de l’identité de sa génitrice, et possiblement de son géniteur, est « sans effet sur l’état civil et la filiation » de l’enfant et n’emporte aucune conséquence juridique « au profit ou à la charge de qui que ce soit » (art. L. 147-7 du CASF). Pour la première fois, on admet que l’origine biologique puisse avoir une valeur en tant que telle, digne de protection, sans devoir être absorbée dans la catégorie juridique de la filiation. En pratique cette distinction a peu d’effet. La majorité des enfants nés sous X étant rapidement adoptée après leur naissance, la découverte de leurs origines ne peut en aucune façon conduire à une modification de la filiation adoptive prononcée par le juge (art. 352 et art. 359 c. civ).

La frontière entre la notion d’origines et celle de filiation s’est néanmoins brouillée. L’interdiction, formulée en 1993, de faire établir, au moyen d’une action en justice, la filiation maternelle de la femme qui avait demandé le secret de son accouchement a été discrètement supprimée par la loi du 16 janvier 2009 (art. 326 c. civ)[24]. Aucune disposition transitoire n’ayant été prévue, l’ouverture de l’action en recherche de maternité s’applique aux femmes ayant accouché anonymement avant 2009 (Carayon, 2017 ; Gründler, 2013 ; Leroyer, 2009). En conséquence, l’enfant qui aurait réussi à retrouver l’identité de sa génitrice pourra agir en justice pour faire reconnaître sa maternité légale, si le délai de prescription court encore (dix ans à compter de sa majorité) et s’il est surtout dépourvu de tout lien de filiation (Vial, 2009 ; Fenouillet, 2020). Or, les enfants nés dans le secret ne sont pas tous adoptés, notamment ceux « présentant une situation particulière du point de vue de leur santé » (ONPE, 2019 : 34)[25]. Une telle brèche dans la distinction entre origine et filiation sape les efforts du législateur pour encourager, comme on l’a vu, la femme qui accouche sous X à dévoiler volontairement son identité. La meilleure protection de la génitrice, contre une éventuelle action judiciaire de l’enfant pour faire établir de manière forcée sa filiation maternelle, résidera donc dans le maintien pérenne d’un secret absolu sur son identité.

Le Québec a aussi entrepris d’organiser la réversibilité du secret sur les origines. Cette procédure est d’autant plus importante, qu’elle concerne l’ensemble des enfants adoptés pour lesquels la connaissance des origines n’a pas été assurée au moment même du prononcé de l’adoption. Ce n’est pas là toutefois la seule innovation du droit québécois en faveur de la transparence.

Le passage d’un principe de secret à un principe de divulgation au Québec

Généralement, tant pour l’adopté que pour les parents d’origine, le principe de la fermeture des dossiers qui prévalait jusqu’à la réforme est inversé. En effet, la divulgation de l’information contenue dans les dossiers d’adoption devient le principe, tout en permettant, au nom de la règle de la confidentialité trouvant toujours application (art. 582 C.c.Q.), d’en refuser l’accès.

La loi de 2017 introduit un changement important en prévoyant le droit de l’enfant adopté d’être informé de son adoption. Les parents adoptifs doivent dorénavant informer leur enfant du fait qu’il a été adopté (art. 583.11 C.c.Q.) et des règles relatives à la communication de l’identité et à la prise de contact. Le Comité consultatif sur le droit de la famille avait fait une recommandation en ce sens (CCDF, 2015). Avant la loi de 2017, au nom du respect des prérogatives parentales de décider ce qui est dans l’intérêt de l’enfant de connaître ou non, aucune obligation n’était imposée aux parents (Giroux et De Lorenzi, 2011). La loi de 2017 l’oblige désormais, sans prévoir de sanction si les parents ne s’y conforment pas. Il reste à voir si cette nouvelle règle sera effective. La sensibilisation, voire l’éducation, des parents à l’importance de cette nouvelle obligation seront vraisemblablement utiles en ce sens.

Il reste que si l’enfant a un doute sur le fait qu’il ait été adopté et que ses parents ne le lui ont pas révélé, il pourra le demander auprès du CISSS ou du CIUSSS responsable, qui agit à titre d’intermédiaire entre l’adopté, les parents d’origine et, dans certaines situations, les adoptants. Ainsi, ces organismes doivent informer l’enfant de 14 ans et plus qui leur en fait la demande qu’il a été adopté ou non et, le cas échéant, ils doivent également lui communiquer les règles pertinentes quant à la recherche des origines (art. 71.3.12 Loi sur la protection de la jeunesse).

En effet, les CISSS et CIUSSS sont responsables des recherches d’antécédents sociobiologiques et de retrouvailles depuis 1982 et conservent cette responsabilité avec la réforme de 2017. En principe, depuis le 16 juin 2018 (date de l’entrée en vigueur d’une majorité des dispositions de la réforme), l’adopté québécois a le droit d’obtenir de l’autorité compétente des renseignements (tels que ses noms et prénoms d’origine, ceux de ses parents d’origine) lui permettant d’entrer en contact avec ces derniers (art. 583 C.c.Q.). Depuis 1994, l’enfant de 14 ans et plus peut faire cette demande seul et l’enfant de moins de 14 ans peut le faire avec l’accord de ses parents adoptifs. Le contact entre l’adopté et sa famille d’origine est cependant conditionnel à l’accord de cette dernière[26].

Le rôle des organismes chargés des retrouvailles demeure le même, mais depuis 2017, ils n’opèrent plus selon la même logique. Le principe de l’accès aux origines s’étant imposé depuis la réforme (art. 583 C.c.Q.), ils n’ont plus, en théorie, qu’à vérifier s’il y a eu des oppositions ou vétos à la communication de l’information ou à la divulgation de l’identité des parents d’origine.

Pour toute demande d’antécédents sociobiologiques ou de retrouvailles, les personnes doivent contacter l’équipe centralisée des services offerts aux personnes adoptées et aux parents biologiques du CISSS ou du CIUSSS de la région ou du territoire où le jugement d’adoption a été prononcé (Fortin, 2020)[27]. La demande peut être faite par écrit ou oralement.

De plus, la loi prévoit que « des services d’accompagnement psychosocial » sont offerts à « toute personne qui [entreprend] une telle démarche ou [qui est] visée par elle » (art.71.3.14 Loi sur la protection de la jeunesse). L’effectivité de ce type de services est inévitablement liée aux ressources en place et celles-ci n’ont malheureusement pas été adaptées (art. 13 Loi sur les services de santé et services sociaux). Au surplus, malgré les promesses qui avaient accompagné la réforme, aucun guide clinique n’est à ce jour venu encadrer les nouvelles procédures mises en place par la loi de 2017 ; seul un guide pour les gestionnaires existe. Des études s’avèrent nécessaires afin de mesurer si le soutien psychosocial et la formation en éthique sont suffisants dans le cadre actuel. La réforme de 2017 était attendue depuis longtemps et elle a été généralement bien accueillie, quoique déjà, certaines difficultés d’application de la loi sont décriées (Fortin, 2020).

Avec la réforme de 2017, le législateur québécois a aménagé de manière beaucoup plus avantageuse qu’auparavant l’accès aux origines des enfants adoptés. Si la pratique de l’adoption reste couverte par la confidentialité, le Québec favorise la transparence sur le fait de l’adoption, en enjoignant aux parents de le dire à l’enfant, là où la France s’en remet frileusement à la consultation de la copie intégrale de l’acte de naissance. La France et le Québec ont chargé des autorités administratives de traiter des demandes d’accès à l’identité des parents de naissance. À quelles limites se heurte la recherche rétrospective de ses origines en France ou au Québec ? Quel bilan se dégage, dans chacune de ces deux juridictions, des nouvelles dispositions aménageant une réversibilité sous condition du secret ?

La recherche d’un équilibre entre la protection des ascendants et l’intérêt de l’enfant à la connaissance de ses origines

Les procédures de réversibilité du secret sont comparables dans leur principe entre le Québec et la France, même si leur domaine d’application diffère. En outre, il est possible de prolonger la comparaison sur le terrain des conditions de réversibilité du secret : des mécanismes de sauvegarde pour les parents de naissance qui ne souhaitent pas divulguer leur identité à l’enfant en quête de ses origines sont-ils prévus ? Le Québec comme la France ont pris des précautions de façon à assurer une conciliation entre les intérêts des parents d’origine au maintien de leur anonymat et ceux de l’enfant qui veut accéder à leur identité. Là encore des logiques similaires se dégagent tant qu’il s’agit de respecter la volonté des parents d’origine de leur vivant (A) ; après leur mort apparaît en revanche une nette divergence dans les solutions retenues par chacun de ces deux pays (B).

Une réversibilité du secret sous condition

Dans les deux pays, c’est le même guichet unique qui conduit à l’accès aux origines : il faut vérifier l’assentiment des auteurs de l’enfant dont le secret de l’identité a été garanti par l’État.

L’indispensable accord de la mère de naissance en France

L’analyse qui suit sera centrée sur le pouvoir accordé à la mère qui a accouché sous X dans le processus de réversibilité du secret. Pour les situations antérieures à la réforme de 2002, elle doit néanmoins être étendue aux deux parents de naissance, père et mère, qui pouvaient demander le secret de leur identité en remettant leur enfant à l’ASE si celui-ci avait moins d’un an.

Dès lors que la femme ayant accouché sous X n’a pas laissé son identité ou l’a consignée dans un pli fermé, toute communication de son identité est subordonnée à son consentement. Si le CNAOP parvient à la retrouver, soit après avoir ouvert le pli fermé (Neirinck, 2012), soit au terme d’une enquête menée par ses services[28], il devra la contacter confidentiellement, dans le respect de sa vie privée (CNAOP, 2019a)[29], et s’assurer de son consentement exprès avant de pouvoir transmettre son identité à l’enfant (art. 147-6 CASF). Une fois le contact établi, les échanges se font par entretiens téléphoniques le plus souvent. Le CNAOP ne peut passer outre le refus de la mère de naissance, quelles qu’en soient les raisons (CE, 2007). La personne en quête de ses origines personnelles ne se voit donc pas reconnaître un droit à accéder à l’identité de son parent de naissance, mais seulement le droit de solliciter du CNAOP des investigations sur ses origines (Neirinck, 2012 ; CNAOP, 2019a)[30].

Si le droit accorde une protection forte à la volonté de la mère de naissance de demeurer inconnue, il a pour contrepartie de bloquer tout accès de cette femme à des informations sur le devenir de l’enfant dès lors que celui-ci, au terme d’un délai de deux mois (art. L. 224-4 CASF ; Kearns c/France, 2008), a été admis de manière définitive comme pupille de l’État puis placé en adoption[31]. La mère de naissance ne peut déclencher des recherches en saisissant le CNAOP : elle ne peut imposer à l’enfant qui ne l’a pas demandé la communication de son identité si elle se décidait spontanément à lever le secret (art. L. 147-3 CASF) ; elle ne peut non plus mener sa propre enquête pour retrouver l’enfant (CE, 2012). Il est donc impossible à une femme de retrouver l’enfant dont elle a accouché dans le secret si celui-ci n’a pas introduit de demande d’accès à ses origines auprès du CNAOP (Carayon, 2017).

Un tel système qui fait dépendre l’accès aux origines de l’enfant de l’accord discrétionnaire de la mère de naissance n’en a pas moins été jugé satisfaisant par la Cour EDH dans l’arrêt du 13 février 2003 (Odièvre c/France, 2003). La Cour a en effet considéré que la législation française tentait d’atteindre « un équilibre et une proportionnalité suffisante » entre la protection de la mère de naissance et l’intérêt légitime de l’enfant à la connaissance de ses origines. Il est remarquable que l’application immédiate de la loi de 2002 à des situations antérieures ait été un argument de poids dans la validation par la Cour EDH du dispositif français[32]. L’étroit dispositif français de réversibilité du secret sur les origines a ainsi reçu un brevet de conformité à la Conv. EDH. Il est confirmé au plus haut de la hiérarchie judiciaire européenne que le droit de savoir de l’enfant n’entraîne pas pour la mère ayant demandé le secret de son accouchement une obligation de lui divulguer son identité.

La conciliation des intérêts divergents des mère et père de naissance tourne souvent en droit français à l’avantage de la première, par le simple jeu combiné de délais de contestation. Au Québec, bien que le secret des origines ait été aménagé de façon à permettre une plus grande divulgation des informations, il n’en demeure pas moins que la non-opposition des parents d’origine reste une condition nécessaire.

La vérification de l’absence de veto du parent de naissance au Québec

Les CISSS ou les CIUSSS sont responsables de l’enregistrement des refus à la communication de l’identité ou au contact, qui « doivent être inscrits […] au moyen du formulaire prescrit par le ministre » (art. 71.3.15 Loi sur la protection de la jeunesse). En dépit du principe de l’ouverture des dossiers d’adoption, le mécanisme de l’enregistrement d’un « véto », appelé « refus », permet aux parents d’origine – sans distinction, rappelons-le encore, par différence avec le droit français – de refuser à l’enfant adopté la communication de leur identité (art. 583 C.c.Q.), ainsi que la prise de contact (art. 583 C.c.Q.). Des sanctions existent sous la forme de dommages et intérêts punitifs en cas de non-respect des refus (art. 583.2, al. 2 C.c.Q.). La loi ne précise pas si le veto doit nécessairement être conjoint. Comment le secret pourrait-il alors être maintenu pour l’un si l’autre parent ne le souhaite pas ?

Le parent peut inscrire un véto de communication de l’identité dans l’année qui suit la naissance de l’enfant (art. 583.4, al. 1 C.c.Q.). L’objectif du législateur québécois étant similaire ici à ceux du législateur français dans le contexte de l’accouchement sous X, c’est-à-dire « d’assurer la protection et l’intégrité des parents d’origine et de leur nouveau-né » (Roy, 2018). Dès lors que le parent d’origine refuse la communication de son identité, celle de l’enfant est protégée de plein droit ; le parent n’aura accès à aucune information concernant l’enfant (art. 583.4, al.1 C.c.Q.).

Au moment de la première demande de renseignements le concernant, si le parent a déjà exprimé un refus, il pourra décider de le maintenir ou de le retirer (art. 583.4, al. 2 C.c.Q.).

Si le parent d’origine n’a pas enregistré de refus à la communication de son identité dans l’année suivant la naissance de l’enfant, il pourra toujours inscrire un refus au contact, ce qui empêchera l’enfant de le rencontrer. Cette opposition à toute rencontre, à la différence de celle sur la divulgation de l’identité, peut être enregistrée à n’importe quel moment avant la communication de son identité (art. 583.6 C.c.Q.) ou au plus tard, au moment où le CISSS ou le CIUSSS l’informe d’une demande de communication de son identité (art. 583.7 C.c.Q.). Dans ces deux hypothèses, l’enfant a théoriquement accès à l’identité de son parent d’origine. Cependant, l’organisme aura peut-être tendance en pratique à restreindre l’accès aux origines, en offrant au parent l’occasion d’enregistrer tardivement un refus à la communication de son identité (qui aurait dû être enregistré dans l’année suivant la naissance de l’enfant) et non pas simplement un refus au contact.

Par ailleurs, le refus du parent d’origine à la communication de l’identité ou au contact pourra être retiré en tout temps (art. 583.9 C.c.Q.), favorisant un meilleur accès aux origines.

À la différence du droit français, le parent d’origine peut obtenir des informations facilitant le contact avec l’enfant adopté au Québec – les nom et prénoms donnés à celui-ci et les renseignements lui permettant de le joindre, mais une fois seulement que ce dernier a atteint l’âge de la majorité (art. 583, al. 2 C.c.Q.). En revanche, un enfant mineur ne peut être informé de la demande de retrouvailles présentée par l’un ou l’autre de ses parents d’origine. Le droit québécois semble vouloir éviter que l’enfant apprenne qu’il a été adopté alors que ses parents adoptifs ne le lui ont pas dit[33]. Il reste que l’enfant majeur dispose à son tour d’un droit d’opposition et les informations concernant son identité ou permettant la prise de contact ne pourront pas être révélées s’il le refuse (art. 583, al. 3 C.c.Q.).

La communication des renseignements concernant la fratrie et la possibilité d’entrer en contact avec elle est également possible à la demande de l’adopté, de son frère ou de sa sœur d’origine. Les CISSS ou CIUSSS ne peuvent accéder à cette demande si « la communication de ces renseignements permet de révéler l’identité du parent d’origine [qui bénéficierait] d’un refus à la communication de son identité. » (art. 583.10 C.c.Q.).

En ce qui a trait aux adoptions antérieures au 16 juin 2018, des règles transitoires s’appliquent (art. 583.5 C.c.Q.). L’identité du parent d’origine était protégée jusqu’au 16 juin 2018. Après cette date, elle n’est plus supposée l’être, sauf si un refus à la communication de l’identité a été enregistré de sa part, dans un délai de 12 mois, après le 16 juin 2018 (loi de 2017, art. 102).

Si l’équilibre semble pencher en pratique plutôt en faveur des parents d’origine que de l’enfant adopté, il restera à voir comment les tribunaux articuleront le droit aux origines et le maintien de la confidentialité sur leur identité souhaitée par les parents d’origine dans ces situations, en particulier s’ils l’expriment hors du délai légal. Le soutien des juges, tant nationaux qu’européens, a permis en France de consolider, tout en l’ajustant, l’équilibre délicat entre les droits des mères, ceux des pères et des enfants, modifié par la loi de 2002. Il est encore trop tôt pour dire si le même scénario se présentera au Québec dans le cadre de la réforme de 2017.

Le décès des parents de naissance : tremplin de l’intérêt de l’enfant ?

La mort peut favoriser l’accès aux origines, mais selon un équilibre différent en France et au Québec.

La volonté de secret post mortem du parent de naissance en France

La loi du 22 janvier 2002 prévoit qu’au moment où il est contacté par le CNAOP, le parent refusant de lever le secret de son identité devra être informé que, sauf opposition de sa part, son identité sera communiquée après son décès (art. L. 147-6 CASF). Dans l’hypothèse où l’auteur de l’enfant ne s’y est pas opposé expressément de son vivant, la communication post mortem de son identité est permise[34]. En ce cas, le CNAOP « prévient la famille » du parent de naissance décédé et « lui propose un accompagnement » (art. L. 147-6 CASF). Dans le cas contraire, le secret est à jamais scellé.

Si au moment où il est contacté par le CNAOP, le parent refuse de lever le secret de son identité, il faudra que l’agent du CNAOP l’interroge activement sur sa volonté de maintenir ou non le secret de son identité après son décès (CNAOP, 2019a : 17). Dès lors que le parent de naissance a refusé que le secret soit levé après sa mort, il sera impossible de le contacter une seconde fois (CNAOP, 2019a). Une réponse orale recueillie par l’un des agents du CNAOP au cours du premier entretien suffit à établir ce refus définitif[35]. Une telle modalité a été validée par la Cour administrative d’appel de Paris dans un arrêt récent (CAA Paris 8e, 2018).

Cette procédure de réversibilité du secret laissée à la discrétion de la mère de naissance, autorisée à exprimer un refus ad infinitum que son identité soit révélée à l’enfant, a reçu l’approbation du Conseil constitutionnel (Cons. Const., 2012) : cette juridiction a en effet considéré qu’aucun droit garanti par la Constitution n’était atteint et qu’« il ne lui appartenait donc pas de substituer son appréciation à celle du législateur sur l’équilibre ainsi défini entre les intérêts de la mère de naissance et ceux de l’enfant ».

Ce système de présomption post mortem de révocation du secret conditionnée à l’absence de précision contraire lors d’une vérification de volonté menée par le CNAOP produit un effet pervers : « il amène les personnes nées sous X à devoir attendre le décès pour éviter de se voir opposer un refus » (Comité consultatif d’éthique, 2005 : 10)[36]. L’écoulement du temps augmente les chances de découvrir l’identité du ou des parents de naissance, mais il accroit les risques de ne plus pouvoir rencontrer qu’une tombe (Neirinck, 2002).

Confronté en matière de levée du secret sur les origines de l’enfant à une succession d’arbitrages difficiles entre l’intérêt de l’enfant à connaître ses origines et celui garanti initialement à la mère de naissance de demeurer anonyme, le droit français a privilégié celui de la seconde : la réversibilité du secret de son identité dépend pleinement de son accord, même après sa mort si elle a expressément manifesté de son vivant la volonté de demeurer inconnue (CNAOP, 2019a)[37].

La mort libère le secret sur les origines au Québec

La loi de 2017 permet dorénavant l’accès aux origines même lorsque la personne recherchée est décédée, une situation qui entraînait définitivement la fermeture du dossier avant la réforme. Le refus à la communication de l’identité cesse d’avoir effet au premier anniversaire du décès de la personne ayant refusé la communication (art. 583.9, al. 2 C.c.Q.). La communication de l’identité des parents d’origine à l’enfant est possible.

Après le premier anniversaire du décès du parent d’origine, il est également permis d’obtenir communication des renseignements concernant la fratrie si l’adopté ou son frère ou sa sœur d’origine le demande et de prendre contact entre elle (art. 583.10 C.c.Q.).

À la suite de la mort des parents d’origine, l’équilibre maintenu par les systèmes français et québécois est comparable à une différence près. Si la communication de l’identité du ou des parents d’origine à l’enfant est de droit dans les deux cas, celle-ci peut être empêchée en France par le refus, exprimé par le parent d’origine auprès du CNAOP, de la divulgation post mortem de son identité. Le compromis recherché par la loi entre l’intérêt de l’enfant et celui des parents d’origine penche donc plus sensiblement en faveur de l’enfant en droit québécois qu’en droit français.

Conclusion

L’analyse démontre que la consécration d’un droit à l’identité (incluant un droit aux origines) dans la Conv. EDH et la CIRDE peine à trouver une mise en œuvre effective dans le champ de l’adoption, aussi bien France qu’au Québec. Dans l’un et l’autre système juridique une même faveur se constate à l’égard de la protection du secret des parents d’origine, même si au Québec il n’y a pas eu de parole donnée à une femme qu’elle pourrait rester toute sa vie inconnue de l’enfant qu’elle a mis au monde. Le droit québécois sur la question de l’accès aux origines est moins individualisé en ce qui concerne les droits de la mère et du père. On y traite des droits des parents d’origine sur le même plan et en opposition à ceux de l’enfant adopté et éventuellement des parents adoptifs. Cette distinction est liée à l’existence de l’accouchement sous X en France dont on ne retrouve pas l’équivalent au Québec.

Il n’en reste pas moins que les deux juridictions ont cherché à reconsidérer la place de l’histoire de l’enfant dans l’équation du placement et de l’adoption : au principe du secret initialement institué sur les origines s’est substituée une logique favorisant la transparence. C’est dans l’intérêt de l’enfant que les aménagements ont été ainsi apportés, selon des voies différentes, pour faire reculer l’étendue du secret, tant sur l’histoire de son adoption que sur l’identité de ses parents d’origine. Il faut saluer ce pas dans la bonne direction, même si l’étude détaillée des dispositifs mis en place dans ces deux pays pour organiser après coup la réversibilité du secret révèle que l’équilibre entre l’intérêt de l’enfant et la protection des parents d’origine penche du côté de ces derniers : l’un et l’autre système demeurent articulés – suivant des modalités variables – autour du droit de veto du parent de naissance, d’autant plus qu’au Québec la possibilité pour les parents d’origine de verrouiller l’accès à leur identité peut s’exercer jusqu’à un an après la naissance, alors qu’une prérogative similaire a disparu en France. Le parent de naissance fût-il mort, seul le droit civil québécois permet de libérer complètement le secret, quand en France la mère ayant accouché sous X peut en imposer le maintien. Le droit aux origines de l’enfant ou de l’adulte qu’il est devenu est loin d’être pleinement reconnu (Mallet-Bricout, 2002; Lavallée et Giroux, 2013 ; Groupe de travail sur le régime québécois de l’adoption, 2007 ; CCDF, 2015).

Les dispositifs français et québécois sur l’accès aux origines des enfants adoptés qui, par-delà leurs différences, demeurent subordonnés à l’accord du parent de naissance au moment où est introduite la demande d’accès à son identité sont-ils transposables aux enfants nés d’un don de gamètes anonyme ?

La question est d’une actualité brûlante en France. Après bien des atermoiements (Brunet, 2016 ; Debet, 2020), le législateur français a entrepris d’organiser l’accès à l’identité des personnes ayant fait un don anonyme de gamètes à l’origine de la naissance d’un enfant, à l’occasion de la révision de la loi de bioéthique (Assemblée nationale, 2019). Le dispositif final constitue un panachage entre le modèle éprouvé de l’accès aux origines des enfants nés sous X et un mécanisme sui generis propre aux dons de gamètes qui ferait de l’accord préalable à la divulgation de son identité une condition pour être donneur : la communication serait automatique dès lors que l’enfant issu du don, une fois majeur, le demanderait (Assemblée nationale, 2020). L’Assemblée nationale s’est opposée à la transposition aux enfants issus de dons de gamètes du dispositif d’accès aux origines existant pour les personnes pupilles de l’État et adoptées, au motif de la différence entre l’accouchement sous X et le don anonyme de gamètes ; au contraire, s’appuyant sur une forme de similarité entre les deux situations, le Sénat avait choisi d’en étendre l’application. Aux yeux des sénateurs, la communication de l’identité du donneur exigeait que son accord soit recueilli au moment même où la personne issue du don en fait la demande. Au final, pour ce qui concerne les dons de gamètes postérieurs à la nouvelle loi, c’est la formule préférée par l’Assemblée nationale qui va s’appliquer : l’accord du donneur à l’accès à son identité est désormais une condition du don, et cette identité sera automatiquement transmise à l’enfant majeur issu du don, s’il en exprime le souhait. En revanche, pour les dons antérieurs à la nouvelle loi réformant le régime de l’anonymat absolu, la solution défendue par le Sénat a été considérée comme le compromis le plus acceptable et a été adoptée. Il est donc indéniable que l’accès aux origines, dans son principe comme dans ses modalités, a progressé par capillarité, des personnes nées de femmes ayant souhaité rester anonymes aux personnes issues de donneurs de gamètes obligatoirement anonymisés.

Comme en France, la révision du principe de l’anonymat semble inévitable au Québec, où les données en matière de procréation assistée demeurent confidentielles (art. 542 C.c.Q.). Une réforme est annoncée, mais elle tarde à venir. Le CCDF a fait des recommandations visant à reconnaître le droit aux origines des enfants tant dans le contexte de l’adoption que de la procréation médicalement assistée. À sa recommandation no 3.33, il préconise « […] de consacrer dans la Charte québécoise des droits et libertés le “droit de toute personne à la connaissance de ses origines”, et d’en préciser la portée dans le Code civil au Titre portant sur les “droits de la personnalité”. » (CCDF, 2015 : 195). Il recommande également d’établir dans le Code civil le principe suivant lequel il appartient aux parents de l’enfant de lui transmettre l’ensemble des données facilitant la connaissance de ses origines, de même que le droit de l’enfant d’obtenir communication de tout renseignement personnel lié à ses origines auprès des organismes ou instances, publics ou privés, qui en seraient dépositaires, d’une manière ou d’une autre (CCDF, 2015 : 197, Recommandation 3.33.1). Cette recommandation rejoint ce qui a été adopté par la loi de 2017 en ce qui a trait à l’adoption. Ainsi, il faudra voir si le nouveau gouvernement québécois choisira d’aller plus loin sur cette question en reconnaissant dans la réforme annoncée un droit aux origines dans la Charte québécoise. À défaut de suivre cette voix, il devra minimalement élargir les règles en matière d’adoption à la procréation médicalement assistée, par souci d’égalité entre les enfants, peu importe le moyen avec lequel il a été conçu.

Toutefois, tout bien considéré, les tentatives du droit pour aménager les intérêts contradictoires des parents d’origine et des enfants, sans permettre la véritable reconnaissance d’un droit aux origines, ne sont-elles pas aujourd’hui dépassées ? D’ores et déjà, les tests d’ascendance sont accessibles en ligne et encouragés sur les réseaux sociaux. De gré ou de force, les parents d’origine risquent d’être retrouvés (Assemblée nationale, 2019 ; Neyroud et al., 2020 ; Viville, 2020). La seule solution pour les États n’est-elle pas de reconnaître pleinement un droit fondamental aux origines et de mieux organiser l’accompagnement des familles impliquées ?