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Introduction

Le meurtre d’un enfant au moment de sa naissance est appelé néonaticide et est presque toujours perpétré par la mère, après une grossesse niée ou cachée à son entourage, non suivie médicalement et un accouchement à domicile ou dans un lieu isolé, sans aucune aide professionnelle. Le délai dans lequel ce meurtre a lieu après la naissance le plus souvent retenu est de vingt-quatre heures, parfois étendu au délai légal pour la déclaration à l’état civil, soit par exemple trois jours en France.

Ce phénomène est aujourd’hui rarement décrit à l’échelle des pays industrialisés, à la fois en raison d’une faible prévalence, liée à sa quasi-disparition et parce qu’il est certainement sous-estimé, car en partie caché (Putkonen et al., 2007). Les estimations proposées par Tursz et al. à partir de données judiciaires sur trois régions françaises permettent de supposer que les infanticides sont fortement sous-évalués en France et que la proportion de néonaticides pourrait atteindre environ 2,1 pour 100 000 naissances (Tursz, Anne et al., 2010). Avec une moyenne de 800 000 naissances par an en France ces vingt dernières années, l’ordre de grandeur moyen des néonaticides découverts serait ainsi de 16 décès par an. Cette prévalence est retrouvée dans des données concernant d’autres pays (Simmat-Durand et Vellut, 2017).

La littérature relative aux néonaticides s’attache à décrire les mères ayant commis ce crime, soit parce que c’est le contexte judiciaire qui est envisagé et qu’elles sont mises en cause, soit parce que leur description se situe dans un contexte d’hospitalisation, en particulier pour des raisons de santé mentale. Le père de l’enfant, qu’il soit ou non le conjoint ou compagnon de la mère, n’est ainsi presque jamais concerné par la procédure judiciaire, sauf au moment du procès où il peut être appelé à comparaître comme témoin (Schaffhauser, 2009). De ce fait, le traitement judiciaire de ces affaires reste très traditionnel, seule la mère est mise en cause, dans l’immense majorité des cas. Dans le contexte psychiatrique, la place du père n’est pas non plus envisagée. La focalisation sur la mère et son refus de la maternité rend souvent inenvisageable qu’il y ait une place pour le père, parce que la femme efface le géniteur, mais aussi son propre père (Verschoot, 2007). La naissance qui aurait dû transformer l’homme en père s’est soldée par la mort de l’enfant, et « une mère n’a pas pu naître » (Marinopoulos, 2013), donc a fortiori un père.

Une étude précédente à partir de dossiers judiciaires nous avait déjà permis de constater le peu de données recueillies sur les pères et surtout leur absence quasi systématique dans les procédures, leur mise en cause comme complice du meurtre ou pour non-assistance à personne en danger étant rare (Simmat-Durand et al., 2012) Néanmoins, l’identification du père est un élément généralement recherché lors de la procédure judiciaire, bien souvent par des analyses ADN du ou des hommes désigné.s par la mère. De même, l’attitude du père, éventuellement présumée par la mère, face à une naissance, est souvent un élément de justification du passage à l’acte avancé par la femme. De ce fait, l’écart entre une littérature ne faisant que de rares allusions au père et les éléments dont sans doute on dispose sur lui est pour nous une source d’interrogation, nous ayant amenés à nous poser la question du père dans les cas de néonaticides.

À partir d’une analyse de la presse consacrée à ces « affaires », nous nous proposons ici de mettre au jour une typologie de la place ou du rôle du père dans les cas de néonaticides identifiés en France pour la période 1993-2012. Il s’agit ici des pères biologiques des nouveau-nés, car, toutes les femmes ayant caché leur grossesse, les liens affectifs ou sociaux des hommes avec ces enfants n’ont pas pu être envisagés, puisqu’ils n’ont appris l’existence des enfants que par la découverte de leur décès.

Un détour par la littérature portant sur les infanticides, dans l’acception légale du terme jusqu’en 1994, ou néonaticides, dans la définition actuelle, va nous permettre de poser quelques hypothèses sur cette absence de place accordée au père dans les études sur le sujet, avant d’envisager une explication plus récente, tenant à la santé mentale de la mère.

En utilisant un matériau issu de la presse, qui, par la période couverte, le nombre de cas explorés et une couverture nationale, élargit les perspectives, les débats issus des procès étant ajoutés aux données judiciaires de la phase d’enquête et d’instruction, une image de la paternité peut être dessinée dans le contexte des néonaticides. Cette paternité est extrêmement contrastée, comme le sont les portraits des mères et les affaires mobilisées. Le présent article s’attache à analyser ce qui est décrit de l’attitude du partenaire de la mère vis-à-vis de la paternité, et ce faisant les relations de couple qui y sont attachées au travers de trois grandes tendances issues de nos analyses : l’homme qui a conçu cet enfant, soit n’est pas envisagé dans ce rôle de père, car il est écarté de la paternité par la mère ou par la justice, soit ne veut pas être père, soit veut être père, mais en est empêché par la mère.

Méthode

Le recueil a porté sur les articles parus dans la presse française nationale (les six quotidiens nationaux plus deux quotidiens gratuits, des hebdomadaires ou mensuels susceptibles de consacrer un article à ce type de sujet[1]) ou régionale (61 quotidiens régionaux explorés via des bases d’articles ou leur site internet). Les articles ont été identifiés à partir de mots clés spécifiques comme infanticide ou néonaticide (quasi jamais employé dans la presse), découverte de cadavre de nouveau-né ou de nourrisson, « homicide et bébé » ou non spécifiques comme « bébé mort » dans les supports d’actualités. Les archives électroniques des quotidiens ont été interrogées ; les années disponibles sont assez variables, la période 1995-2000 étant plus difficile d’accès et ayant été complétée par des supports électroniques de base de presse présents en bibliothèque (CD-Rom). La base Factiva a également été utilisée, car elle contient les dépêches de l’AFP (Agence France Presse) permettant d’identifier les faits divers tels qu’ils parviennent aux rédactions des quotidiens, et ce depuis 1994 (et, plus ponctuellement, la base Europress).

Nous avons sélectionné tous les articles relatant le décès suspect ou violent d’un enfant de moins d’un an, exception faite des accidents de la circulation routière et des décès par maladie. Parmi ceux-ci, nous avons retenu ici tous les enfants décédés de mort suspecte de 1993 à 2012, dont il était mentionné qu’ils étaient âgés de quelques heures. Pour la période 1993-2012, nous disposons ainsi de 2 306 articles relatifs à des néonaticides présumés, en langue française, regroupés en 357 décès suspects d’un nouveau-né de quelques heures. Une analyse critique de ces sources a été développée par ailleurs, nous n’en reprendrons que quelques éléments selon les besoins de la présente analyse (Simmat-Durand et Vellut, 2017). En particulier, la comparaison entre les données obtenues à partir des articles et celles obtenues par le dépouillement des dossiers judiciaires, sur une trentaine de cas auxquels nous avons eu accès pour une enquête précédente (Simmat-Durand et al., 2012) permet d’affirmer que les principaux éléments figurant dans la presse sont le reflet des dossiers judiciaires, les sources d’information des journalistes étant toujours la police ou la justice, complétées par des éléments obtenus lors d’interviews ou en assistant aux procès. La presse décrit peu le père, sans doute principalement parce que le dossier judiciaire n’y fait que peu référence. Les éléments rapportés sont ainsi remarquablement stables d’un journal à l’autre, puisqu’ils se fondent sur les mêmes sources. Par contre, la façon de les présenter peut différer.

Les néonaticides étant des crimes rares et dont un certain nombre ne sont pas découverts, il est difficile d’affirmer que les sources disponibles permettent de disposer d’une base exhaustive. Le nombre de cas identifiés par ce dépouillement de la presse est totalement cohérent avec les estimations proposées par ailleurs, voire légèrement supérieur (Simmat-Durand, 2017). La probabilité qu’un néonaticide ne soit pas rapporté par la presse, en particulier locale, à un moment donné de l’enquête judiciaire et en particulier du procès, de l’un de ces « horribles faits divers » nous paraît assez faible, du moins quand la mère est identifiée. Pour notre propos ici, les découvertes d’un cadavre de nouveau-né dont la mère ne serait pas identifiée ont été écartées, car elles ne permettent en aucun cas de se poser la question du père, les articles ne reprenant alors que le lieu de découverte et éventuellement l’état du cadavre (Simmat-Durand et al., 2012).

Une base de données a été créée sous Nvivo9, collectant le texte de ces 2 306 articles. Une lecture très attentive et un recoupement des données ont permis de réunir les articles référant à une même mère ou un même enfant. L’unité de compte choisie (cas) est le nouveau-né, référencé par le nom de la commune et l’année de son décès : nous disposons de la description de 357 décès. Nous avons travaillé pour le présent article sur une sous-population composée de 143 mères jugées (12 acquittements et 131 condamnations). Beaucoup de ces affaires désignent nominativement la mère qui est condamnée, dévoilant son identité lors du procès (Simmat-Durand et Vellut, 2017), mais pour le présent article, nous désignons chaque affaire par la commune du décès ou de la découverte du corps et l’année de ce décès. Pour chaque affaire citée, le nombre de nouveau-nés tués, l’âge de la mère, la décision judiciaire la concernant et la décision judiciaire éventuelle concernant le père sont synthétisés dans le tableau 1 en annexe.

Une analyse thématique a été réalisée, identifiant tous les propos se rapportant au géniteur de l’enfant, père présumé, mari ou compagnon de la mère. Les différentes thématiques ont été regroupées en fin d’analyse de façon à proposer une typologie des affaires selon la place accordée au père ou son attitude vis-à-vis de cette naissance, construite de façon à intégrer la totalité des affaires examinées.

La place du père dans la littérature consacrée au néonaticide

Historiquement, la France fait partie des pays où la non-incrimination de l’homme est la règle, bien que d’autres comme l’Italie aient fait le choix contraire, en incriminant la séduction, donc le fait pour l’homme d’avoir eu des relations sexuelles hors mariage, tandis que la Bohême condamnait les auteurs des deux sexes (Tinkova, 2005). Deux préoccupations distinctes semblaient fonder l’action pénale, l’illégitimité des naissances avant mariage, donc l’incrimination des filles-mères, et la crainte de souiller la filiation par un enfant non conçu par le mari ou d’empêcher la lignée de se poursuivre par la suppression d’enfants légitimes. Dans le premier cas, la réparation est un élément essentiel dans les procès et le père pouvait échapper à la sanction en épousant la mère (et plus curieusement la mère échappait alors également à la sanction). Cela donnait un statut ambigu à ce crime puisqu’il pouvait être effacé par le mariage. Dans le second cas, le statut matrimonial de la femme est un aspect essentiel dans la description des cas d’infanticides, car les enfants des femmes mariées sont de par la loi les enfants du mari. Ainsi, Daniela Tinková indique : « les femmes mariées, les veuves…, les femmes ayant tué l’enfant né d’une liaison adultérine ou incestueuse étaient les plus rigoureusement châtiées » : en effet, la femme a privé un homme de sa descendance, ce qui aggrave le crime (Tinkova, 2005). La femme est alors poursuivie pour suppression de part (d’héritage) et non pour un crime contre l’enfant : la place sociale, dans la lignée familiale, de cet enfant est donc l’élément essentiel et non sa vie, en tant que personne. Les études de droit criminel relèvent de ce fait une attitude très différenciée vis-à-vis du géniteur de l’enfant : soit un séducteur qui doit secours à la mère, soit quelqu’un qui n’est pas mis en cause. Pour la Bretagne du XIXe siècle, Annick Tillier note « les hommes sont généralement remarquablement absents des dossiers. La loi en interdisant la recherche de paternité les dispense en effet de toute responsabilité à l’égard de leurs enfants naturels » (Tillier, 2001).

Pour le début du XXe siècle, cette absence du père semble se poursuivre, mais son rôle commence à être évoqué. Dans l’étude de Léauté à partir de différentes cours d’appel en France, la mère est décrite, mais rarement le père. Il est seulement mentionné comme une des causes de l’infanticide, l’isolement moral, dont une première description serait que la mère peut refuser l’enfant du fait de la personne du père, soit parce qu’elle le hait, soit suite à des abus, soit pour d’autres raisons (Léauté, 1968). Quelques données sont néanmoins collectées sur son âge ou sa situation professionnelle.

Plus récemment, les études internationales se fondent le plus souvent sur des données de médecine légale, donc l’examen du cadavre de l’enfant, ou des expertises dans ce cadre, ou sur des registres de décès, de procédures policières ou judiciaires. La place consacrée au père dans ces articles est toujours insignifiante. Seules les données émanant d’analyses approfondies de cas, par des psychologues, des psychiatres ou quelquefois des magistrats consacrent une partie, mais plus souvent un paragraphe, au partenaire de la mère ou à la question de la paternité, souvent pour poser des hypothèses quant à sa place. Les cas où le père serait l’auteur du néonaticide sont reconnus comme rarissimes dans la littérature sur le sujet. Quatre cas au total sont décrits (Kaye et al., 1990) dont les deux colligés par Resnick par une étude de la littérature mondiale de 1751 à 1968 (Resnick, 1970).

Dans les comparaisons internationales des quarante dernières années, les études portent généralement sur les caractéristiques du nouveau-né, du meurtre, du cadavre et de la mère. Le conjoint de celle-ci ne transparaît que parce que la mère se déclare mariée. Il peut être quelquefois mentionné dans les causes du meurtre qu’il s’agissait de relations extraconjugales, d’adultère ou d’inceste. Le père biologique de l’enfant n’est pas connu bien que la plupart des études se fondent sur des dossiers judiciaires dans lesquels il a pu être auditionné (Mendlowicz et al., 1998 ; Spinelli, 2001). Les progrès en matière d’identification du père, par les tests de paternité qui se sont vulgarisés, auraient pu faire disparaître une partie du débat, les dénis de paternité étant dorénavant vains, les affaires judiciaires identifiant le père avec certitude, sauf à ce que la mère se refuse à permettre cette identification. Néanmoins, la littérature retient que même si les pères peuvent participer aux néonaticides, la plupart des cas n’identifient que la mère comme auteur principal et la recherche s’est focalisée sur elle (Beyer et al., 2008). Cette absence de données sur le père est d’autant plus flagrante dans les études nord-américaines et britanniques où le jeune âge des mères fait qu’elles sont encore célibataires, sans emploi et vivant chez leurs parents. Le fait de ne pas s’interroger sur le père de l’enfant résulte peut-être de la difficulté dans ces pays à penser la sexualité adolescente comme complète et susceptible de déboucher sur une grossesse, ce qui amène d’ailleurs à ne pas prendre en charge l’information sur la contraception dès le début de la vie sexuelle (Portier, 2009).

Les articles des vingt dernières années continuent à ne donner que très peu, voire aucun élément sur le père de l’enfant victime de néonaticide, car ils s’intéressent plutôt au crime lui-même, à sa prévalence, à son mode de perpétration, ou aux aspects psychopathologiques de la description de la mère. Des études de médecine légale se focalisent sur la prévalence, le mode opératoire du meurtre, l’état du cadavre (Schulte et al., 2013), assortis éventuellement de variables telles que l’âge de la mère ou relative à la procédure judiciaire (Yamauchi et al., 2000). Une étude à partir de douze cas, si elle consacre un paragraphe aux pères, dit finalement que l’on ne sait rien sur ces pères, que deux d’entre eux ne sont pas connus, les femmes ayant refusé de donner leur identité en cours d’instruction (Viaux et Combaluzier, 2007). Dans l’étude en Caroline du Sud, 34 néonaticides sont décrits, majoritairement perpétrés par de jeunes mères célibataires. De fait, seules sept sont décrites comme mariées. Aucun renseignement ne figure sur le père dans 31 cas sur 34 (Herman-Giddens et al., 2003). Parmi 55 cas identifiés aux États-Unis à partir de différentes sources judiciaires, il est relevé que le plus souvent la relation avec le père de l’enfant a cessé pendant la grossesse ou qu’elle est en cours de dissolution et que la mère vit chez ses parents ou d’autres membres de sa famille ; le plus souvent le père a néanmoins été mis au courant de la grossesse, mais il n’est pas décrit dans la procédure ni mis en cause (Shelton et al., 2011). Dans l’étude comparative entre l’Autriche et la Finlande portant sur 28 cas, la plupart des femmes étaient engagées dans une relation, mais le partenaire n’avait que rarement connaissance de la grossesse, le principal motif pour que la mère cache sa grossesse étant la peur d’être abandonnée (Amon et al., 2012).

Pour la France, dans l’étude de A. Tursz et al. (2011) portant sur 34 dossiers judiciaires de néonaticide, il est noté « le père de l’enfant n’est pratiquement pas décrit dans les dossiers et il n’est pratiquement jamais mis en cause ou placé en détention provisoire. Son passé est peu enquêté et deux seulement ont fait l’objet d’une expertise psychiatrique ».

Un crime féminin ou une question de santé mentale

Cette absence du père peut intriguer et la plupart des études mentionnent, comme une évidence, que le néonaticide est un crime féminin. Un autre élément d’explication serait la place de la paternité dans la société actuelle et le fait qu’elle n’aille pas de soi, les études sur cette thématique montrant que l’indifférence vis-à-vis de la paternité est partagée par nombre d’hommes dans les sociétés modernes (Marks et Palkovitz, 2004), d’autant plus que la contraception moderne et efficace est l’apanage de la femme, surtout dans les pays européens et en particulier en France[2], ce qui a inversé les responsabilités dans la prise de précautions au sein du couple.

Par le néonaticide, l’enfant a été privé d’une existence sociale, qu’il ne va recouvrer qu’après que la justice ait ordonné son inscription à l’état civil et son inhumation (Simmat-Durand et Vellut, 2013). Non seulement le fœtus n’a pas d’existence légale, mais la mère ne le porte pas comme un projet de naissance et par là même exclut toute paternité (Boltanski, 2004). L’infanticide jusqu’au Code pénal de 1994 était ainsi mis à part, le meurtre sur l’enfant n’étant établi qu’après le délai de trois jours de déclaration à l’état civil. Dans de nombreux pays, le néonaticide est à peine considéré comme un crime, punissable de longues peines d’emprisonnement, mais comme une folie passagère nécessitant des soins et excluant l’incarcération, comme au Royaume-Uni (par l’Infanticide Act). Dès lors, l’implication du père n’est pas examinée par la justice pénale (Simmat-Durand et al., 2012).

Penser ce crime comme essentiellement féminin, alors même que la criminalité féminine est décrite comme atypique, rare et dérangeante (Cardi et Pruvost, 2011), paraît être un élément essentiel. La recherche d’explications pour ce crime impensable, car la femme est toujours supposée dotée d’instinct maternel de protection de ses enfants nouveau-nés, a régulièrement amené à se poser la question de sa santé mentale. Ont ainsi été évoqués la psychose puerpérale, puis le crime d’honneur, pour dans les années récentes aller vers une remarquable polarisation sur le déni de grossesse qui ne concerne pourtant qu’une faible part des néonaticides (Vellut et al., 2012). En effet, les développements autour du déni montrent que si la femme ignore sa grossesse, cette cécité est contagieuse et que son entourage familial, amical, professionnel, voire les soignants qui la côtoient sont happés dans cette grossesse non dite (Vellut et al., 2015). Par là même, le conjoint ne peut être concerné par une grossesse que tous ignorent, dont personne n’a conscience.

La place accordée au père dans la littérature sur le néonaticide est ainsi extrêmement réduite et on peut sans doute y voir le reflet de l’angle sous lequel se placent les études disponibles : soit l’angle pénal, la criminalisation de l’affaire cherchant un auteur à qui imputer l’acte et c’est très généralement la mère, soit l’angle de la santé mentale, pour comprendre ou évaluer les conditions du passage à l’acte et, là aussi, c’est la mère qui est principalement évaluée. Il est donc très difficile de faire une synthèse de ce qui pourrait concerner les pères dans les affaires de néonaticide, car ils sont rarement mis en cause par la justice et plutôt considérés comme absents dans les analyses psychologiques. L’utilisation de différentes sources de données, retranscrites par la presse, nous a paru un point de départ pertinent pour en savoir plus sur ce père, apparemment absent ou transparent.

Résultats

La collecte systématique des articles de presse et la classification de tous les éléments relatifs au père permettent de distinguer trois grandes tendances dans la description du père dans les affaires jugées, déclinées en différentes modalités. Quand la mère est identifiée et qu’une décision a été prise, ce n’est que dans 7 % des affaires qu’il n’est fait aucune mention du père. Les autres cas se répartissent en 33 % où le père n’existe pas dans le récit ou est écarté par la mère, 28 % des cas où le père ne voulait pas être père ou le projet du couple était autre, et 32 % des cas où le père voulait être père ou se montrait indifférent, mais que la mère en a décidé autrement. Ces trois axes d’analyse vont être détaillés.

Le père est écarté ou non désigné, par la mère ou par la justice

Une constante souvent décrite des mères néonaticides est qu’elles vivent dans une profonde solitude ou ne communiquent pas, indépendamment d’être en couple ou avec des enfants, entourées de leur famille, collègues. Ce crime solitaire, à l’issue d’une grossesse cachée, influence la procédure judiciaire puisque le père n’est jamais vraiment recherché ou mis en cause si la mère l’exclut de son propos dès son interpellation. L’identification du père passe par la parole de la mère, sauf si elle est mariée et que des analyses génétiques certifient que le mari est le géniteur. Dans les autres cas, l’attitude de la mère écarte la recherche de paternité.

Dans une partie des affaires, clairement le père est totalement absent, du discours de la mère, de la vie de la mère, du projet du couple, du crime, de la procédure, du procès. Le néonaticide reste un crime pensé comme féminin et le fait qu’il y ait forcément un géniteur n’est pas interrogé. Parce que la mère a détruit cet enfant, le fait qu’il soit issu d’un couple n’est pas débattu. La procédure judiciaire ne va pas instituer ce géniteur comme père de l’enfant et il n’aura donc jamais d’existence sociale, et ceci d’autant plus facilement si la mère n’est pas mariée.

Lorsque la femme qui a commis le néonaticide est identifiée, le plus souvent parce qu’elle est hospitalisée pour hémorragie ou parce qu’elle est dénoncée (par son conjoint ou par le voisinage), elle est interrogée pour désigner le géniteur de l’enfant retrouvé mort. Quand il s’agit d’une femme mariée ou vivant en couple, le conjoint est réputé être le père, sauf lorsqu’un doute quant à la paternité amène la justice à réclamer des tests génétiques. Quand la mère désigne plusieurs hommes, la procédure est la même.

La mère peut alors faire obstruction à l’identification en ne désignant pas le père, particulièrement lorsqu’elle vit seule. Dans une vingtaine des affaires examinées, aucune mention n’est faite du père, comme si cet enfant n’en avait pas. Il s’agit le plus souvent de jeunes femmes mineures et les efforts des enquêteurs se concentrent davantage sur le rôle de l’établissement scolaire ou de l’entourage familial que sur l’identification du géniteur.

Dans ces affaires, la mère reste évasive quant à l’identité du père de son enfant, soit en reconnaissant des liaisons de passage, soit en formalisant qu’elle ne sait pas qui est le père. Dans les articles de journaux, on retrouve souvent ce récit, sous la forme qu’elle a une liaison et qu’elle tombe enceinte : « Toujours célibataire à 34 ans, elle tombe enceinte après une courte aventure amoureuse lors de la fête » (Boulogne-sur-Gesse, 1998). Par cette attitude, la mère empêche toute implication du père ou même son identification : « La jeune mère, qui ne dévoilera jamais le nom du père, s'était débarrassée du bébé en le jetant dans une benne à ordures » (Les Clayes-sous-Bois, 1995).

Un autre contexte de cette non-désignation du père par la mère est qu’elle reconnaisse un mode de vie, rendant difficile l’identification du père, ou lui permettant de s’opposer à sa désignation. Le mode de vie de la mère est ainsi relevé, souvent dès le stade de l’enquête policière, comme cette femme qui ne voulait pas d’attaches, pas plus conjugales que filiales : « Je n'avais pas les moyens d'élever un enfant. Je ne voulais pas vivre avec le père. Je voulais rester libre, sans contrainte » (Cholet, 2004). La vision de la femme volage, voire de mauvaise vie est également bien présente, dans les débats devant les cours d’assises ou au moins dans les articles de journaux : l’histoire est alors présentée sur un plan moral et laisse supposer que la mère elle-même ne sait pas qui est le père, puisqu’elle a des relations avec plusieurs hommes : « Mais il y a la face cachée de la jeune fille qui connaît, entre septembre 2003 et mars 2004 "une période d'excitation sexuelle", selon l'expression du président. Elle a une réponse : "Le besoin de plaire aux hommes" » (Le Tourneur, 2004). L’incertitude sur l’identité du géniteur, dans le récit de la mère, s’impose ainsi à l’enquête judiciaire. Dans neuf affaires, la mère a explicitement reconnu que l’enfant était d’un autre homme que son conjoint actuel, raison pour laquelle elle n’avait pas vu d’autre issue que de s’en débarrasser : « elle a commencé à mentir en refusant d’en parler à son nouvel ami, de peur de le perdre ; elle ne voulait pas lui dire que l’enfant était d’un autre homme ; puis elle s’est peu à peu enferrée dans le mensonge » (Marcillac, 1996).

Dans les cas des néonaticides multiples, les différents enfants peuvent être issus de plusieurs pères, ce qui complexifie leur mise en cause. C’est d’ailleurs un argument évoqué par ce père, pour nier toute responsabilité dans l’affaire : « "C'est pas de ma faute si elle a fait ça (...) puisqu'elle l'a fait à quelqu'un d'autre", a estimé Pascal X, faisant allusion à Luc X, le second ex-compagnon de l'accusée avec qui elle a eu le sixième bébé, tué en 2007. "J'ai l'impression qu'on était des objets, des cobayes pour elle", dit-il aussi » (Yvetot, 2010).

La rupture de la relation conjugale est une autre circonstance utilisée par la mère pour justifier de son ignorance de l’identité du père ou du fait que celui-ci se soit retrouvé en dehors de l’histoire de cette grossesse. Le père semble ne pas exister quand la mère vit seule, indique s’être séparée de son précédent compagnon et ne le désigne pas explicitement comme pouvant être père : « son ami l’avait quittée il y a quelques mois et ne voulait pas entendre parler du bébé » (Lille, 1998) ou qu’elle indique que son mari n’est pas le père de l’enfant, sans pour autant révéler le nom du père. La mère peut également déclarer avoir été abandonnée par le père : « La jeune femme, employée de boulangerie, a dit à la barre qu’elle ne s’était rendu compte de sa grossesse qu’au bout du cinquième mois et que le père de l’enfant l’avait abandonnée à la suite de cette annonce » (Grenoble, 1998). Le recours à une description autour du compagnon parti, de l’ami de passage, d’une relation sans lendemain, d’une relation adultérine, de rapports non consentis, d’un viol dans la rue, implique qu’aucun homme n’est entendu, même comme simple témoin. Dans l’esprit de ces mères, le père biologique ne convenait pas dans un projet d’enfant, elles opèrent donc une dissociation des relations sexuelles et de leurs conséquences.

Ce mode de vie de la mère, même s’il est légitimé, contrevient au devoir de contraception, qui est une norme aujourd’hui pour les femmes qui ne souhaitent pas d’enfant. Elles sont alors interrogées sur cette absence de contraception ou sur le non-recours à une interruption de grossesse. Pour justifier son manque de maîtrise contraceptive, la mère peut évoquer une relation d’un soir non prévue, ou non consentie, voire un viol : « Elle leur a en outre expliqué que sa grossesse serait la conséquence d'un rapport non consenti avec une relation d'un soir, survenue en mars dernier » (Golbey, 2008).

Dans ce premier groupe d’affaires, la mère assume seule la grossesse et la suppression de l’enfant, et de ce fait le père est exclu de la procédure au sens où il n’est ni recherché ni entendu.

Le père refuse la paternité

La maternité de notre époque doit être voulue, désirée, et s’inscrire dans un projet de couple, le plus souvent préparé. L’absence de projet de couple, particulièrement quand l’homme refuse d’avoir des enfants est donc une modalité essentielle dans le second groupe d’affaires. Parmi nos affaires, une hiérarchie peut être esquissée autour du refus de l’enfant par le père : l’homme refuse la notion de couple ou de projet, l’homme refuse d’avoir des enfants, il refuse d’avoir des enfants supplémentaires à un contrat de couple, il est complice du meurtre de l’enfant ou enfin il a lui-même tué l’enfant (cas le plus rare, nous l’avons vu).

Pour certains hommes, tout d’abord, l’explication est qu’ils n’avaient même pas de projet de couple, mais voulaient « seulement » entretenir une relation avec la mère :

« Le couple s'est rencontré en mars 1991. Elle, alors âgée de 17 ans et demi. Unanimement décrite comme "discrète et gentille". Lui, qui entretient déjà une autre relation sentimentale dont naîtra une petite fille, fin 91. "Oui, je fréquentais d'autres femmes, explique l'homme, également papa d'un quatrième enfant en 1997. Il n'y avait rien d'attitré" ». (Saint-Brieuc, 1999).

Ou tout simplement, ne voulait pas d’enfant ; « elle avait caché sa grossesse à son compagnon de l’époque qui refusait d’avoir un enfant » (Morvillers, 2006).

Ces hommes témoignent qu’ils avaient refusé de s’engager dans une relation durable avec ces femmes et que leur intention n’était pas de poursuivre la liaison ou qu’ils avaient déjà plusieurs partenaires.

« "Au moment des faits, vous étiez séparé de SD depuis quelque temps déjà ; pourquoi vous étiez-vous quittés ?", interrogea le président Tignol. - "Parce que j'avais trouvé autre chose", répondit le témoin.- "Autre chose ? Que vous-vous dire par là", insista le président.- "Eh bien une autre femme", lança l'homme, avec un soupçon d'autosatisfaction dans la voix » (Lahontan, 1996).

Dans notre corpus, vingt-huit couples s’étaient formés sur un projet de vie n’impliquant pas d’enfants, explicitement ou implicitement. Certaines mères anticipent la réaction négative de leur compagnon en cachant la grossesse avant de tuer le nouveau-né, afin de préserver leur relation. D’autres pères sont très passifs, voire indifférents face à une perspective de grossesse, voire se prétendent non concernés. Cette vision est somme toute celle de la maternité moderne, l’enfant doit être un projet parental et sa survenue en dehors de ce contexte conduit ces femmes à une impasse. Un certain nombre de femmes mentionnent des avortements précédents traumatisants, des échecs contraceptifs, des dépassements du délai légal d’IVG, etc. La problématique est donc beaucoup plus complexe qu’un non-recours à la contraception. Ainsi certaines de ces femmes avaient déjà avorté, face à une grossesse non désirée par leur compagnon (Fougères, 1995 ; Chérier, 2008). À la barre, certains pères exposent ce fait : « Il a aussi confirmé qu’il aurait demandé à Audrey "d’avorter" s’il avait eu connaissance de sa grossesse » (Ambérieu, 2011).

Ces hommes qui n’ont pas de projets d’enfants semblent néanmoins s’en remettre totalement à leur compagne pour respecter ce contrat et « se débrouiller » pour qu’il n’y ait pas d’enfant. Dans une affaire de sextuple néonaticide, le conjoint reconnaît explicitement qu’il connaissait la présence des cadavres à la cave, mais qu’il pensait qu’il s’agissait d’avortements :

« Également placé en garde à vue, l'ex-compagnon de la jeune femme, Pascal, a été interrogé sur les maternités de Céline. Les cinq premières grossesses qui ont émaillé leurs dix ans de vie commune jusqu'en 2006. Il ressort de ses déclarations qu'il se serait voilé la face. "Je pensais qu'elle avait à chaque fois avorté", aurait-il d'abord déclaré aux gendarmes en faisant allusion à des avortements clandestins. Puis il aurait ajouté : "J'avais demandé à mon fils (un garçon de 11 ans qu'il a eu avec Céline) de ne pas descendre dans la cave." Pascal aurait avoué qu'il se doutait que des cadavres s'y trouvaient » (Valognes, 2007).

Il bénéficiera d’un non-lieu à l’issue de l’instruction.

Ensuite, quand il y a un projet de famille, un nombre d’enfants peut avoir été fixé. La mère a intégré ce choix et en cas d’échec contraceptif ou d’impossibilité de recourir à l’interruption de grossesse, elle se sent acculée à ne pas accepter cet enfant supplémentaire : « Le mari, entendu à son tour, expliquait aux policiers qu’ils avaient fait le choix de n’avoir que deux enfants, qu’il avait remarqué que sa femme grossissait, mais qu’elle avait contesté être enceinte » (Cherier, 2008). Si la mère n’utilise pas de contraception, ou mal, elle peut se retrouver dans la situation d’avoir peur de la réaction du conjoint face à une grossesse supplémentaire, ou avoir déjà dû avorter « Il me disait que si j’avais un troisième enfant, il partirait » (Saint-Brieuc, 1999). Dans les cas où le père est interrogé, il considère que la contraception était exclusivement une question féminine, voire considère cette question comme un tabou, la règle étant le silence dans le couple à ce propos. Ce partage de la responsabilité de la contraception dans le couple peut être évoqué lors du procès, comme cet avocat général « Vous l’avez mise enceinte trois fois ! Votre responsabilité c’était de mettre un préservatif ou d’exiger une contraception. Voilà où je la situe, votre responsabilité ! » (Limoux 2011).

Ce contrat dans le couple au sujet des enfants, peut avoir amené l’homme à demander une interruption des grossesses ultérieures. Ainsi, une femme mène à terme sa grossesse, alors même que son conjoint lui a demandé de l’interrompre : « Cette fois-ci, elle révèle sa grossesse à son ami quatre mois avant le terme. Il lui demande de pratiquer une IVG. Elle fait semblant d’accepter, mais ne passera jamais aux actes. » (Carentan, 2000).

Dans les deux situations, le projet du couple ne comporte pas ou plus d’enfants et la mère a peur de la réaction du conjoint ou de son départ. Placée dans cette impasse, elle cherche à éliminer l’enfant, comme susceptible de mettre en danger sa relation de couple.

Dans les cas extrêmes, le projet de couple va être de ne pas accepter le nouveau-né, de le faire disparaître. L’homme alors est complice du néonaticide, voire est le meurtrier. Certains pères ne veulent absolument pas l’être, au point d’aider leur femme à se débarrasser de l’enfant, à laisser le nouveau-né mourir par leur inaction, voire à le supprimer eux-mêmes, cas le plus rarissime. Le nombre d’affaires où le père est impliqué est néanmoins faible, à peine une vingtaine dont neuf seulement seront condamnés pour non-assistance à personne en danger ou recel de cadavre.

Ainsi, des hommes aident leur conjointe au moment du meurtre, soit activement en allant jeter le cadavre à la poubelle (Saint-Genis-de-Saintonge, 2009), soit passivement en faisant semblant d’ignorer ce qui se passe ou en pensant pudiquement que la femme a avorté (Valognes, 2007). Un d’entre eux conservera le cadavre pour exercer un chantage sur la mère afin qu’elle reste vivre avec lui. Dans une demi-douzaine de cas, la décision de supprimer l’enfant a été clairement prise à deux : « Mais pour l'avocat général, Jean-Philippe Récappé, la décision de tuer les bébés a bien "été prise en commun" par les deux parents, "c'est l'évidence dans ce dossier, c'est mon intime conviction" » (Saint-Loubouer, 2012 et 2013). Dans cette dernière affaire, le procureur général avait d’ailleurs requis 22 ans à l’encontre des deux parents. Finalement, le père sera condamné à cinq ans d’emprisonnement ferme dont un avec sursis et la mère à quinze ans de réclusion. Dans une affaire, le père a été renvoyé devant la cour d’assises pour meurtre, mais finalement acquitté et condamné pour non-assistance. Dans une deuxième affaire, l’enfant a été tué par le père, sans le consentement de la mère (Millau, 1994).

La mère peut également être décrite comme dépendant affectivement du père ou sous son influence : « L'avocate de Floriane X, Me Katy Mira a insisté sur la toute puissance de Romain X sur sa cliente : "c'est la bonne exécutante dans ce dossier, elle fait ce qu'il dit" » (Saint-Loubouer, 2012). 

Le père est également indirectement la cause du meurtre quand le mobile est la peur que la mère dit en avoir, ou parce qu’elle hyperbolise sa réaction et pense qu’il n’y a pas d’autre issue que de se débarrasser de l’enfant : « Aux enquêteurs, elle avait raconté que, se sachant enceinte, elle avait, par peur de la réaction de son compagnon, préféré cacher cette grossesse. Sentant des contractions, elle était partie accoucher dans les bois où elle avait, pour "l'empêcher de crier", mis sa main sur la bouche du bébé jusqu'à ce qu'il s'arrête de respirer » (Orgon, 2008).

On voit bien que dans cette deuxième catégorie d’affaires, le père a un rôle actif dans le néonaticide, même s’il n’avait en fait anticipé qu’une démarche contraceptive ou d’interruption de grossesse et non un meurtre. Seule une petite part d’entre eux iront jusqu’à aider leur conjointe dans cette démarche et ce sont les seuls qui seront effectivement poursuivis par la justice, même si, au final, cette complicité de meurtre se transforme au fil de la procédure en non-assistance à personne en danger.

Le père empêché de connaître la paternité

À l’opposé de ces affaires où le père ne voulait pas l’être, des hommes n’ont pas été interrogés sur leur projet de paternité parce que la femme a refusé la grossesse ou n’a pas eu conscience d’être enceinte et a tué le bébé dans le moment de sidération suivant l’accouchement. Nombre de grossesses entrent dans cette catégorie, tout simplement cachées au conjoint alors que rien dans son témoignage ou dans celui de son entourage, ne laisse supposer qu’une grossesse aurait pu être un enjeu de conflits dans le couple. Le père est tout simplement non impliqué dans la décision, alors même que la vie commune existe ou que le couple est marié. Contrairement aux cas évoqués en première partie, dans cette hypothèse la mère reconnaît immédiatement son partenaire comme père de l’enfant, même si elle l’a exclu du projet parental. « Je ne pensais pas avoir d’enfant. Alors quand vous apprenez du jour au lendemain que vous en avez trois et, en plus, qu’ils sont congelés, il n’y a pas de mots. Je suis détruit » (Albertville, 2006, déclaration du père à la presse).

La mère peut alors exclure le père non de fait, mais de ses pensées, construisant cette grossesse puis l’accouchement en secret, sans jamais penser à y associer son conjoint : « Elle a mis Jean-Pierre à l’écart de sa grossesse, de sa vie, elle voulait être seule maîtresse à bord, seule décisionnaire, elle est seule responsable » (avocat du mari, Carbon-Blanc, 2008). Tous les cas identifiés de déni de grossesse semblent pouvoir entrer dans cette catégorie. Le père n’a pas eu à se prononcer sur une grossesse éventuelle, le déni étant souvent présenté comme contagieux, mais surtout l’absence de signes reconnaissables écartant de facto le père. Le nombre de dénis de grossesse retenus par la justice comme circonstance atténuante est relativement faible (18 % des mères jugées), la majorité des cas pouvant plutôt être qualifiés de grossesses cachées.

Dans une partie des affaires entrant dans cette troisième catégorie, la mère aurait caché la grossesse au père parce ce qu’elle voulait protéger l’enfant : c’est le père qui serait lui-même le mobile ou la raison du meurtre. Cette responsabilité peut être seulement morale (Limoux, 2011), ou liée aux infidélités du mari (Riedisheim, 2005) ou encore en lien avec des violences conjugales. Dans dix-sept procès, le père est présenté comme un tyran domestique, violent, alcoolique ou souffrant de troubles psychiatriques et comme la cause indirecte du décès, soit parce que la mère a peur de lui, soit parce qu’elle tue les enfants par compassion, pour leur éviter d’avoir à vivre dans ce contexte familial : « Elle ne voulait pas que ses enfants, non désirés, supportent"le comportement agressif et violent de leur père". Alors, pour leur éviter une vie "infernale", MP a ôté la vie aux trois enfants auxquels elle a donné naissance, seule, dans sa salle de bains » (Contres, 2006). Si la mention que la femme vit dans la peur est abordée de façon récurrente à propos des néonaticides, le lien avec des violences conjugales n’est que rarement évoqué. Dans les affaires examinées, neuf seulement comportent cette notion de violence conjugale comme circonstance du meurtre de l’enfant.

Dans d’autres cas, la mère décide de ne pas garder l’enfant, car la naissance remettrait en cause son mode de vie, ou parce qu’elle pense que cette nouvelle ne serait pas bienvenue pour son conjoint, sans s’en assurer :

« Elle a pensé qu'un nouvel enfant allait contrarier son mari, lui faire perdre son emploi, faire basculer sa vie, a analysé le psychiatre » (Saint-Genis-d’Hiersac, 2004).

« Je l'ai quittée non pas parce qu'elle a eu un enfant, mais parce qu'elle l'a tué », soupire son compagnon qui regrette de ne pas s'être aperçu de sa grossesse. "Avec du recul, je me demande comment je n'ai rien vu. Si elle me l'avait dit, on l'aurait gardé". Pendant tous ces mois, il n'a pas cessé de l'interroger en voyant sa silhouette s'épaissir. "Elle me répondait par la négative. Elle me disait qu'elle prenait la pilule et qu'elle ne voulait pas d'enfants" » (La Capelle, 2009).

Cette inclairvoyance du conjoint le met parfois en état de choc, de sidération, comme le sont certaines femmes au moment de la naissance.

Des pères absents ou ne partageant plus la vie de la mère peuvent ainsi se déclarer a posteriori comme non hostiles à un projet parental, voire dans un cas, la grossesse a résulté d’un projet commun :

« Ils se fréquentent depuis quelques mois déjà lorsqu’il reçoit un texto. "Elle me disait qu’elle était enceinte. Je lui ai répondu que s’il était de moi, je voulais bien m’occuper de l’enfant" se souvient-il. "Elle n’a pas voulu faire de test de paternité, alors je suis parti", s’est-il justifié. Et pourtant, tous deux ont expliqué à la barre que cette grossesse était désirée, que l’enfant était attendu » (Limoux, 2011).

Dans des cas plus rarement mentionnés, les pères vont se sentir dépossédés et se positionner comme revendiquant une mortipaternité. Seuls quelques pères se sont portés partie civile dans les procès examinés, souvent par solidarité avec leur femme pour pouvoir être présents. Pour très peu d’entre eux, c’est parce qu’ils sont réellement meurtris de ce crime caché, révélant tout à la fois un manque de confiance dans le couple et la disparition d’un enfant. « En se constituant -partie civile-, il a voulu pouvoir accéder à tout le dossier et faire connaître toute la souffrance qu’il a pu ressentir, surtout après avoir appris. N’oubliez pas qu’il a passé plusieurs heures dans la maison avec cet enfant, le sien, dans la poubelle… Il est totalement ravagé de chagrin » (Ifs 2006, déclaration de l’avocate du mari).

Cette question du père qui se désolidarise de la mère a déjà été mise en lumière par l’analyse d’un cas par un magistrat :

« Son mari n’a rien perçu de sa détresse et, à l’audience, tout en lui manifestant de la tendresse, lui reprocha la perte de cet enfant à qui il donna, pour l’état civil, son prénom. Comme pour se désolidariser de l’acte, non seulement il divorça, mais il demanda réparation du préjudice subi par la perte de l’enfant, cette privation non consentie de paternité » (Schaffhauser, 2009).

Le fait que la grossesse soit restée cachée, y compris au partenaire de la mère, empêche l’action de celui-ci par la reconnaissance de la grossesse, au sens d’attester de son existence. La non-information du père peut ainsi apparaître dans certains procès comme une stratégie de la mère pour l’empêcher de vouloir l’enfant. Quelquefois, l’intervention du père à l’issue de la grossesse cachée va permettre la survie de l’enfant, mais pas forcément à chaque fois en cas de grossesses successives :

« Elle raconte une à une ses six grossesses : l'une "heureuse" en 2001, désirée et partagée avec son entourage, l'autre - la première, en 1996 -, "une surprise acceptée", cachée mais dévoilée au 6e mois au hasard d'un accident de la route, puis celle de sa fille - "mon moment à moi" sur laquelle elle avait gardé le silence jusqu'à l'accouchement dans sa douche, en 2002. Son compagnon, entendant un cri de chaton, l'avait surprise un doigt dans la bouche du bébé » (Orgon 2008).

Le procès peut également montrer que le père aurait pu sauver l’enfant, s’il avait eu conscience de la grossesse : « Il -le procureur général- poursuit : "Que ce serait-il passé si le père avait vu l'enfant à la naissance. Il lui aurait sauvé la vie" » (Coulgens, 2010).

La confirmation de la paternité, qui de fait est une mortipaternité, se fait au cours de la procédure, qui en donnant une place à l’enfant, laisse une place au père. Dans quelques affaires, le père reconnaît l’enfant, le nomme, s’occupe de son enterrement : « Aujourd’hui, le jeune père est parti vivre dans sa famille. Il récupérera le corps de son fils dans quelques semaines » (Morvillers, 2006). Un autre père distingue bien le projet d’enfant auquel il n’a pas été associé ce qui l’empêche de reconnaître l’enfant à l’état civil du corps de cet enfant qui s’est inscrit de manière clandestine dans sa lignée familiale : » Il a enfin rappelé que même s’il n’avait pas voulu "reconnaître les bébés puisqu’il ne les connaissait pas", il avait accompli un acte fort et symbolique : deux petits blocs déposés sur la tombe de son père » (Ambérieu 2011 et 2012).

Quand la solidarité continue d’exister dans le couple, le mari soutient sa femme lors du procès, ils revivent ensemble dès la fin de la détention provisoire, voire ont déjà un nouvel enfant, non caché cette fois-ci, avant le procès : « la cour d’assises l’a condamnée à cinq ans de prison entièrement assortis de sursis. Elle est repartie comme elle était arrivée : libre et soutenue par son compagnon » (Ifs, 2006). La maternité et la paternité deviennent possibles puisqu’il y a création d’un projet parental.

« Après l'énoncé du verdict rendu après 2 heures de délibéré, l'accusée, qui comparaissait libre sous contrôle judiciaire et encourait 30 ans de prison, est restée impassible alors que ses proches fondaient en larmes. Elle s'est ensuite jetée dans les bras de son compagnon, père du bébé mort et avec qui elle a eu un enfant en mai dernier, avant d'étreindre sa mère » (Buswiller, 2005). Cette mise en récit illustre bien ce nouveau projet parental possible, par inscription du nouvel enfant dans la lignée familiale.

Discussion

L’absence de référence au père a été constatée dans les études utilisant les dossiers judiciaires (Simmat-Durand et al., 2012), la mise en cause principale de la mère semble alors rendre secondaires les investigations des rapports entretenus dans le couple ou du rôle éventuel du partenaire de la mère. La non mise en cause du père, ou sa mise hors de cause immédiatement après la garde à vue est ainsi pratiquement la règle dans les affaires de néonaticide : « le manque de questionnement judiciaire qui permet un évitement en mettant le père "hors de cause", voire en l’autorisant à se considérer comme victime » (Viaux et Combaluzier, 2007). Ainsi, une étude systématique de toutes les expertises ordonnées dans 34 cas ouverts par la justice où 22 mères étaient identifiées n’a dénombré que 2 expertises des pères pour 17 expertises des mères. (Simmat-Durand et Vellut, 2013)

L’exclusion du père est également décrite dans les processus psychiques qui ont amené la femme à commettre le néonaticide, « le père peut ainsi représenter un rival de l’enfant ou être totalement exclu de tout processus de filiation » (Ducroix et Vacheron, 2016 : 207). Ces pères potentiels sont dès lors peu mentionnés dans la littérature sur le néonaticide, d’autant plus que la plupart des articles portent sur les cas nord-américains ou britanniques où les mères sont des adolescentes ayant eu des relations avant mariage. Si la littérature examine le désir de maternité de ces jeunes femmes, le désir de paternité n’est pas du tout évoqué. La vision de la fille-mère exclut totalement le rôle masculin, d’autant plus que la notion de « réparation » par le mariage a totalement disparu du couple contemporain.

Le refus de paternité, total ou pour un enfant supplémentaire au projet parental du couple, est retrouvé dans une affaire sur cinq. Dans ces cas, il est flagrant que ces pères se déchargent entièrement sur leur conjointe de la responsabilité de la contraception, refusent de discuter de son désir de grossesse éventuel, voire l’ont déjà obligée à avorter. Nous avons montré par ailleurs que cette grossesse est le résultat de processus beaucoup plus complexes qu’un simple non-recours à la contraception ou d’une mauvaise gestion de celle-ci (Simmat-Durand et al., 2012), ne serait-ce que parce qu’une partie de ces grossesses sont à la fois désirées et occultées, par différents processus psychiques liés au lien maternel de ces femmes ou à des angoisses de séparation (Verschoot, 2007 ; Viaux et Combaluzier, 2007). Si le déni de grossesse a eu un grand succès dans la presse comme explication à ce crime impensable, c’est parce qu’il convoque une explication simple, liée à l’individu et à sa santé mentale, comme l’était la psychose puerpérale à une autre époque (Vellut et al., 2012).

A contrario, beaucoup des hommes concernés sont apparus comme n’ayant pas été consultés sur le projet parental, puisqu’au final, une fois interrogés, ou mis en cause, il va s’avérer qu’ils n’auraient pas refusé l’enfant, voire qu’ils en désiraient un. La femme qui est largement responsable de la pratique contraceptive du couple, voire seule à prendre la décision dans les cas d’interruption de grossesse, choisit d’avoir ou non un enfant, même si nous examinons ici des cas extrêmes de refus de l’enfant, se terminant par son décès. Cette possibilité pour la femme de décider que son partenaire est la bonne personne pour le projet d’enfant est décrite dans les témoignages des femmes qui recourent à l’avortement : « elles développent alors des arguments qui justifient leur décision par le refus du père biologique d’assumer la paternité de l’enfant à naître ou par le fait qu’elles l’ont jugé inapte à cette tâche, au point de ne l’avoir pas même informé de leur grossesse (ou encore, dans certains cas, par une incertitude sur l’identité du père) » (Boltanski, 2004 : 131). Le parallèle peut ici être fait sur la question du projet d’enfant, le recours à l’interruption de grossesse étant lui légitime, alors que tuer le nouveau-né ou l’abandonner sans soins ne l’est pas, et qu’on peut y voir une pratique extrême du refus de l’enfant. Il faut néanmoins souligner que contrairement aux autres filicides, dans le cas du néonaticide, l’enfant n’est pas reconnu comme tel par la mère, ou alors seulement au cours du procès, et qu’il n’a pas encore d’existence légale. Ce statut intermédiaire, entre le fœtus et la personne inscrite à l’état civil, n’est plus reconnu par la législation française et le néonaticide est un meurtre sur mineur de quinze ans.

Dans les études historiques sur l’infanticide (devenu néonaticide), la vie désordonnée de la mère est considérée comme une circonstance aggravante. Ce qui est réprimé est alors bien souvent la suppression d’un enfant né hors mariage (Geoffroy-Poisson, 2005). L’évolution de la famille au XXe siècle a vu le caractère illégitime d’une naissance cesser d’être infamant, mais dans le récit qui est fait de ces affaires devant les cours d’assises, on perçoit encore cette notion de femme de mauvaise vie, ayant des amants de passage, ou des relations instables. De ce fait, l’existence même du père n’est pas questionnée dans les procès et, en tout cas, la responsabilité de ce père éphémère n’est pas engagée. C’est un argument de la recherche féministe sur la criminalité que d’estimer que les tribunaux jugent les femmes sur leur conformité aux standards des conduites féminines appropriées (Wilczynski, 1997). Ces visions stéréotypées du rôle des femmes seraient flagrantes dans la presse relatant les crimes contre les enfants, commis d’une part par les hommes et d’autre part par les femmes (Rapaport, 2006). Il est clair dans notre matériau que dans la majeure partie des affaires, la femme était tenue pour responsable de la maîtrise contraceptive pour le couple et par conséquent du respect des objectifs en termes d’enfants à naître. Peu de propos rapportés des procès interrogent le père sur sa propre responsabilité dans la prévention des grossesses qu’il ne désirait pas. Il serait intéressant de s’intéresser davantage à ces stéréotypes au cours des procès, par exemple en prenant en compte le genre des magistrats et avocats, comme la composition du jury, parfois mentionnée comme plus ou moins féminine.

L’exclusion du père par l’enfermement de la mère dans son silence, qui, nous l’avons vu, peut pousser à ce qu’il n’existe pas dans la procédure, peut également l’empêcher de devenir père alors même qu’il vit en couple avec la mère. Or, ces conjoints exclus, petit à petit, sortent de l’ombre, au fur et à mesure que la paternité est questionnée par l’époque moderne (Marks et Palkovitz, 2004). La manifestation la plus flagrante de cette évolution est le fait que le père se porte partie civile au procès, au côté des associations de protection de l’enfance, quelques-uns pour être présents et soutenir leur femme, d’autres aussi pour témoigner de leur révolte d’avoir été spoliés de leur paternité. Si deux d’entre eux dans notre corpus ont obtenu un euro symbolique de dommages-intérêts, un autre a obtenu 20 000 euros en réparation de son préjudice d’affection. Il est difficile de déterminer si ces cas isolés reflètent une nouvelle tendance, comme on l’a vu au travers des manifestations ou associations de pères divorcés, s’insurgeant contre la tendance de la justice française à considérer que les enfants sont prioritairement ceux de la mère.

Conclusion

Contrairement à la littérature sur la parentalité aujourd’hui, en particulier celle consacrée à l’analyse du nouveau devenir parent dans le contexte des nouvelles formes de procréation, les affaires de néonaticide mettent en scène une vision stéréotypée où la mère est seule à répondre du désir d’enfant. Selon Viaux et Combaluzier, dans ces affaires, « la passivité aveugle des pères est un renoncement à s’approprier la question du désir d’enfant » (2007). Le néonaticide est alors désigné comme un crime typiquement féminin, comme autrefois l’avortement, qui implique que la responsabilité du père ne soit pas recherchée. L’enfant dont il s’agit ici, sans existence sociale tant que le procès ne l’a pas désigné comme ayant été vivant puis mort (Simmat-Durand et Vellut, 2013), reste le « produit » exclusif de la mère. Il resterait alors un fœtus « tumoral », embryon accidentel et qui ne sera pas l’objet d’un projet de vie, car il n’aura pas été adopté par ses parents comme être nouveau (Boltanski, 2004).

Dans les poursuites judiciaires pour néonaticide, la présence du père est déniée, refusée, que le désir paternel existe ou non. Pourtant, dans une partie des descriptions des mères néonaticides, il est mentionné qu’elles étaient mariées ou vivaient avec le père de l’enfant. Par exemple, pour l’étude comparant la Finlande et l’Autriche, c’est le cas pour plus de la moitié des femmes (Amon et al., 2012).

La polarisation depuis moins de vingt ans sur le déni de grossesse, en lui assimilant le néonaticide, a rendu à ce crime une dimension totalement féminine, associée à la maladie mentale et donc individuelle, et il est de ce fait devenu presque évident que personne n’étant au courant, le père ne l’est pas non plus et par extension, l’existence même du père est passée sous silence.

Une dernière piste transversale qui mérite d’être mentionnée est la question des violences conjugales, retrouvée dans les trois types de paternité : exclue, refusée ou revendiquée. Cette question n’est toutefois mentionnée comme « cause » du néonaticide que dans 5 % des affaires, autant que l’adultère de la femme, un peu moins que l’alcoolisme du mari. Toute la procédure judiciaire peine à se positionner sur cette question. Ainsi, de ces femmes qui ont subi des avortements forcés par leur conjoint, preuves à l’appui devant la cour d’assises, dont la vie est un enfer comme en témoignent les voisins, la famille, leurs propres enfants et dont les conjoints ne seront pas mis en cause de ce chef, mais ne seront passibles que de réprobation morale pendant le procès ou auront été condamnés précédemment à quelques mois de prison. Ces questions autour de la paternité et les violences conjugales affleurent dans la littérature récente, alors que ces deux sujets paraissaient disjoints jusque-là (Labarre et Roy, 2015). Dans notre corpus, les affaires ayant mis au jour un mari tyran se sont soldées par des condamnations de la mère à des peines avec sursis, même pour des infanticides multiples, celle-ci ayant été reconnue comme bénéficiant de larges circonstances atténuantes et se situant dans un crime compassionnel vis-à-vis de l’enfant. A contrario, la question des violences conjugales en filigrane dans une affaire sur six, en laissant la femme généralement seule face à la cour d’assises alors que tous les témoignages convergent sur le fait que sa vie était un enfer et qu’elle a voulu éviter que de nouveaux enfants soient victimes de violences, est un autre fil conducteur qu’il faudrait approfondir. L’ambiguïté là aussi peut être relevée, soit la mère bénéficie de ce fait de circonstances atténuantes et est moins sévèrement condamnée, soit il lui est au contraire reproché d’être restée avec un homme violent, exposant ainsi ses enfants aux violences et s’exposant à de nouvelles grossesses. La comparaison des propos émanant de la police, des témoins, des jugements et des articles de presse, sur quelques dossiers pour lesquels nous disposons des différentes sources, serait également une piste prometteuse pour approfondir les représentations du père qui transparaissent dans ces procès pour meurtre de nouveau-nés.