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Introduction

Depuis la première utilisation du terme en 1943 pour désigner un syndrome spécifique de l’enfant, l’autisme[1] est passé d’une « maladie rare » à un trouble du spectre autistique (TSA) regroupant des profils hétérogènes et des trajectoires développementales multiples. Les taux de prévalence ont augmenté considérablement avec l’élargissement des critères diagnostiques dans les classifications des maladies (Delobel et al., 2013), et aujourd’hui l’autisme concernerait un enfant sur cent cinquante (Fombonne, 2009).

Dans la littérature médicale, les troubles autistiques sont caractérisés par un « déficit de la communication sociale » ainsi que par la présence de « comportements stéréotypés et d’intérêts restreints » (APA, 2013). Ils s’accompagnent d’autres manifestations décrites comme non spécifiques : par exemple des phobies, des troubles du sommeil, des crises de colère et des perturbations de l’alimentation ou encore, sur le plan clinique, des comorbidités telles que le retard mental, les troubles du comportement, etc. (HAS, 2010). De plus, pour la première fois en 2013, la classification a inclus dans les critères diagnostiques la « sensibilité inhabituelle aux stimuli sensoriels » (Stanciu et Delvenne, 2016) dont l’importance clinique est illustrée par les nombreux travaux réalisés depuis les années 2000, mais également par les témoignages des personnes présentant des troubles autistiques ou leurs parents. Ainsi, les pratiques alimentaires atypiques sont considérées comme la conséquence des anomalies du traitement des informations sensorielles, et le refus alimentaire comme un comportement adaptatif. Plus largement, d’autres cadres d’analyses tels que les intérêts restreints, les routines ou la ritualisation permettent d’expliquer la problématique alimentaire. Néanmoins, la question de l’alimentation est saisie scientifiquement dans sa dimension biologique, nutritionnelle et psychologique. Toutefois, elle n’est pas abordée objectivement dans sa dimension sociale alors même, et c’est là tout le paradoxe, que les professionnels de santé et les familles désignent cette question comme « essentielle » (Rochedy, 2017).

D’un point de vue historique, les « problèmes alimentaires » dans cette population ont été mis en avant très tôt (Kanner, 1943), mais il faut attendre les années 1990 pour que les chercheurs analysent leur nature ou leur fréquence. À l’international, les études sont aujourd’hui nombreuses (Ledford et Gast, 2006 ; Nadon et al., 2008 ; Cermak et al., 2010 ; Marí-Bauset et al., 2014 ; Sharp et al., 2013), mais aucune définition de la notion de eating problem n’est donnée. Cette dernière renvoie à des problèmes différents d’un individu à l’autre en matière de nature – la sélectivité alimentaire, les vomissements, les vols alimentaires, les manières de table, etc. –, mais également en matière d’intensité et d’évolution. C’est pourquoi leur fréquence est variable selon les études (Nadon et al., 2008), et elle l’est davantage chez les enfants avec un TSA que chez les enfants ayant une Trisomie 21 ou un trouble de langage ainsi que chez les enfants au développement typique (Dominick et al., 2007).

Pour l’autisme, l’analyse de la construction du répertoire alimentaire[2] de l’enfance à l’adolescence permet de dépasser l’approche à l’égard de problème et de sélectivité alimentaires et favorise l’utilisation de la notion de particularités alimentaires (Rochedy, 2018). En effet, ce qui distingue les enfants avec autisme de ceux avec un développement typique, c’est : la précocité des particularités alimentaires, leur intensité, leur cumul aux différentes étapes de la socialisation alimentaire, et le fait qu’elles s’ajoutent à d’autres problèmes dans le développement tels que le sommeil, la communication ou encore la motricité. L’accumulation et l’intensification cristallisent les regards parentaux et professionnels sur le domaine alimentaire d’autant plus quand il s’agit du refus de manger qui pose des problèmes de socialisation alimentaire.

Une double gestion au carrefour du travail domestique, parental et de care

La famille est pensée comme un ensemble de relations en constantes évolutions (Singly de, 1993 ; Déchaux, 2006). Chaque étape du cycle de la vie – mise en couple, accès à la parentalité, séparation, arrêt d’activité professionnelle, expérience de la maladie, etc. – transforme et réorganise les relations sociales et domestiques (Duvall, 1957) et, par prolongement, les pratiques alimentaires familiales. Or, la présence d’un enfant avec autisme perturbe et complique le mode d’organisation des activités quotidiennes. Les particularités alimentaires cumulées aux troubles autistiques ont des répercussions sur la vie sociale, la santé et la socialisation de l’enfant, ainsi que sur l’entourage familial et social. Elles sont ressenties comme « cruciales » (Williams et al., 2000 ; Piette, 2006), « préoccupantes » (Williams et Wright, 2010) et entrainent une série de conséquences majeures et évolutives dans la sphère quotidienne familiale au carrefour du travail domestique, parental et de soin. Le travail domestique regroupe un ensemble d’activités dont l’alimentation constitue le « noyau dur » et qui comprend une imbrication de « tâches variées, complexes et potentiellement chronophages » (Fournier et al., 2015, p. 27) comme l’approvisionnement, le stockage, l’anticipation, la préparation culinaire, le service, le nettoyage, la gestion des restes, etc. Quant au travail alimentaire des parents, il rassemble les activités de « donner à manger aux enfants » et de « s’occuper des enfants à table » (Dupuy, 2013). Sous-jacent à ces deux types de tâches : le ‬‬soin, c’est-à-dire le besoin et le souci de bien nourrir son enfant‬‬. Dans les années 2000 apparaît le travail de « care »[3] considéré comme une notion « polysémique » et un « champ immense » (Tronto, 1993). Ce concept désigne les « activités spécialisées où le souci des autres est explicitement au centre » (Molinier, 2011, p. 162). Cependant, il n’est pas seulement « une histoire de sentiments, ni un travail de l’amour, mais un processus qui se déploie comme un enchaînement complexe d’activités dont l’organisation varie (…) » (Damamme et Paperman, 2009, p. 4). Cette approche des activités de soins par rapport à l’attention, le souci, l’organisation et le soutien permet de les percevoir comme un processus et ainsi de mettre en avant plusieurs phases : 1) identifier l’existence de besoins, care about ; 2) prendre les mesures pour y répondre, care for ; 3) les réaliser, care giving ; et 4) les recevoir, care receiving (Tronto, 1993, 2001). Ces phases se prolongent et se diversifient tout au long de la vie. Depuis quelques années, « les éthiques du care affirment l’importance des soins et de l’attention portés aux autres, en particulier ceux dont la vie et le bien-être dépendent d’une attention particularisée, continue, quotidienne » (Laugier, 2010, p. 113). ‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬Autrement dit, les familles constituent une sphère importante permettant de préserver la bonne santé de l’enfant, (Burton-Jeangros, 2006)‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬ particulièrement, dans le cas de l’autisme où l'enfant présente des besoins particuliers. Dans le prolongement de travaux plus généraux sur la maladie (Cresson, 1995, 2000 ; Mougel, 2009 ; Keppens, 2010 ; Fainzang, 2015) et le handicap (Longo et Bond, 1984 ; Bungener, 1995 ; Eideliman, 2008, 2009), nous souhaitons montrer comment les troubles autistiques cumulés aux particularités alimentaires contraignent les parents à modifier leur organisation pour y « faire face ».

En ébranlant les repères et en modifiant les pratiques familiales, les particularités alimentaires augmentent la charge mentale des aidants. Cette dernière est une notion issue de la sociologie, de la psychologie et de l’ergonomie. Elle est le produit de la mise en relation des exigences de travail – physique, cognitif, organisationnel – auxquelles doit répondre l’activité (Leplat, 1977 ; Leplat et Cuny, 1977 ; Chanquoy et al., 2007). ‬‬‬‬En important le concept de l’ergonomie, le travail de Haicault (1984) utilise la notion de charge mentale pour rendre compte de la superposition de la gestion des espaces-temps de toute une famille. Dans l’immédiat, à court et à long terme, cela consiste à « organiser donc à faire tenir ensemble, les successions de charge de travail, de les imbriquer, de fabriquer des continuités : sortes de fondus enchaînés, de jouer sans cesse sur ce qui marche ensemble et ce qui est incompatible » (Haicault, 1984, p. 272). La conception de la charge mentale mise en avant dans la gestion de l’alimentation des enfants avec autisme comprend l’idée d’organisation, de planification et de coordination permanentes et incontournables des temps sociaux alimentaires de l’enfant et de la famille ayant comme fin la satisfaction des besoins nutritionnels, alimentaires et sociaux de chacun. À son tour, cette charge ou surcharge de travail entraine des processus de régulation comme la modification, la redistribution ou la délégation des tâches au sein de la famille et la recherche de ressources mobilisables. Cependant, il semblerait que malgré des ajustements, le travail parental reste relativement du ressort des mères de ces enfants. En effet, malgré certains changements en matière de rapports sociaux de sexe (Haicault, 2000) dans le domaine de la santé, de nombreuses études ont décrit l’investissement spécifiquement « féminin » dans la gestion des soins de l’enfant dans la sphère domestique (Ehrenreich et English, 1982 ; cité par Burton-Jeangros, 2006) et le « métier de mère » (Gojard, 2010) dans les dispensations des soins familiaux et l’assurance de la bonne santé affective et relationnelle (Graham, 1984 ; Méda et Périvier, 2007). Dans le domaine de l’alimentation, la littérature souligne aussi le rôle et les fonctions sociales des « mères nourricières » (Ferrand, 1983) et le maintien d’une forte division sexuelle des tâches en défaveur des femmes (Fournier et al., 2015). Ce qui touche à l’alimentation de l’enfant et à l’organisation domestique dans la famille serait strictement du ressort des femmes : « de l’unanimité qui se dégage sur les devoirs nourriciers de la mère vis-à-vis de son nourrisson découlera la définition de son rôle plus large de mère nourricière de la famille » (Ferrand, 1983, p. 1279).

Il paraît alors intéressant de saisir les tensions et les dynamiques à l’œuvre dans les familles avec des enfants demandant une double gestion : autisme et spécificités alimentaires. En quoi cela amplifie-t-il les charges physiques et mentales ? Comment s’organise la redistribution des rôles de chacun à l’intérieur du système familial ? Dans quelles circonstances les aidants de la famille élargie vont-ils devenir un soutien dans cette double gestion ? ‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬Après avoir présenté le dispositif méthodologique, nous analyserons l’amplification du travail parental, domestique et de care engendré par les particularités alimentaires des enfants avec autisme. Par la suite, nous explorerons la redéfinition des rôles et les enjeux sexués provoqués par la gestion alimentaire spécifique de ces enfants. Enfin, nous considérerons d’un point de vue longitudinal comment les mères répondent aux particularités alimentaires de l’enfant en cherchant du soutien dans la sphère familiale.

L’étude de la gestion des particularités alimentaires : positionnement méthodologique

Les données de cet article sont issues d’un travail de thèse portant sur la construction des pratiques alimentaires des enfants présentant un TSA. Ce terrain offre une clé de lecture supplémentaire pour appréhender la diversité à la fois des processus de construction des registres du « mangeable » et des socialisations alimentaires des enfants avec autisme (Rochedy et Poulain, 2015 ; Rochedy, 2017 ; Rochedy, 2018). En appréhendant la socialisation alimentaire de cette population, ce travail analyse comment l’entourage familial (principalement les parents), gère et fait face aux singularités alimentaires de l’enfant. C’est ainsi que sont analysés les « savoirs indigènes » (Bertaux, 1980) et plus particulièrement les « savoirs expérientiels » (Lochart, 2007) parentaux dans la double gestion de l’« autisme » et l’« alimentation ». Ce dernier cadre d’analyse permet d’appréhender les perturbations et les réaménagements à la fois quotidiens et à court ou moyen terme à travers « le point de vue des personnes concernées, pour identifier les ressources et les stratégies adoptées face à la maladie dans un contexte social, politique et médical donné » (Pierret, 2006, p. 4-5).

L’appréhension des pratiques alimentaires des enfants avec TSA a impliqué l’articulation d’une approche qualitative et une approche quantitative. Aujourd’hui, nombreux sont les protocoles mettant en place des approches spécifiques pour enquêter auprès des enfants, car l’« inventivité reste à l’ordre du jour » (Sirota, 2010, p. 38). Dans cette enquête en population autistique, l’investigation sociologique auprès des parents nous a paru légitime en vue de reconstruire l’histoire personnelle des goûts et des dégoûts de l’enfant depuis sa naissance, mais également d’appréhender les représentations et les attitudes relatives au manger de ces enfants et de leur famille. En effet, la présence de déficience intellectuelle, le déficit langagier ainsi que d’autres symptômes associés à l’autisme ne permettaient pas de réaliser des entretiens avec l’ensemble des enfants avec un TSA. Ainsi, la méthodologie de cette enquête repose essentiellement sur le regard parental. Des entretiens semi-directifs (n =21) ont été réalisés auprès de parents d’enfant avec un trouble autistique. Ils nous ont donné accès à des données sur leurs pratiques et leurs représentations, mais également celles de leur(s) enfant(s) et cela de la naissance à l’adolescence. Néanmoins, nous ne pouvons pas ignorer certaines limites. Notamment, les données sont issues de pratiques déclarées qui correspondent « à ce que les sujets prétendent faire ou avoir fait » (Poulain, 2012, p. 524). Elles peuvent faire l’objet de transformations ou de déformations liées aux normes sociales alimentaires c’est-à-dire aux règles émises par un groupe ou une société s’exprimant dans les discours à travers « ce qu’il convient de faire », « ce qui est bien de faire » dans l’alimentation (Demeulenaere, 2003).

Les entretiens se sont appuyés sur l’analyse de témoignages (n =29) publiés sous forme d’ouvrage en français entre 2008 et 2013 par des parents d’enfant ayant un TSA (Tableau 1).

Tableau. 1 : Informations sur la population étudiée lors des témoignages

Tableau. 1 : Informations sur la population étudiée lors des témoignages

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Pour repérer ces ouvrages, nous avons eu recours à nos connaissances personnelles, aux recensions réalisées par le Centre Ressources Autisme Midi-Pyrénées et leurs collaborateurs et aux moteurs de recherche électroniques généralistes, avec comme principaux mots-clés : « autisme », « troubles envahissants du développement », « troubles du spectre autistique », « témoignages », « parents ». Nous avons retenu comme critères d’exclusion : les témoignages publiés par la fratrie des enfants avec autisme, les témoignages de grands-parents, les récits à deux voix – par exemple, parents et enfant avec syndrome d’Asperger ou parents et professionnels suivant l’enfant avec autisme –, les guides de parents partant d’une expérience vécue et les bandes dessinées racontant le quotidien d’une famille avec un enfant présentant des troubles autistiques. Pour les chercheurs, les spécialistes et les professionnels de l’autisme, les témoignages de personnes avec autisme représentent un matériau d’une grande richesse pour saisir les troubles autistiques, aussi bien pour confirmer des intuitions cliniques que pour apporter des faits nouveaux. Par exemple, le psychiatre Gepner (2014) s’en sert pour appréhender la perception de l’environnement à l’aide des informations fournies dans ces sources et de manière plus générale la sensorialité des personnes avec autisme. Ainsi les témoignages de parents, qui se sont multipliés ces dernières années, sont considérés comme des sources sur lesquelles les professionnels et les chercheurs peuvent s’appuyer pour avoir une meilleure connaissance du quotidien et des pratiques alimentaires des familles avec un ou des enfants présentant un TSA (Rochedy, 2014).

En parallèle, une enquête par questionnaires dans cinq Centres Ressources Autisme – Alsace, Aquitaine, Auvergne, Midi-Pyrénées et Nord-Pas-de-Calais – a été réalisée auprès de familles (n =322) avec un ou plusieurs adolescents avec des troubles autistiques. Dans une démarche compréhensive, la collecte de ces données avait pour objectif de prendre en compte l’ensemble des TSA (avec ou sans déficience intellectuelle ; déficit langagier verbal et/ou non verbal ; des comorbidités avec d’autres troubles neurodéveloppementaux, mais également des lieux de prise en charge hétérogènes) afin de comparer les spécificités alimentaires de chacun ainsi que leur gestion entre eux. Dans une perspective interactionniste, nous souhaitions également rendre compte du caractère dynamique et évolutif des expériences alimentaires des enfants et des familles. Ainsi, l’âge des enfants dans les entretiens et les témoignages parentaux a constitué une variable permettant d’identifier la construction du répertoire alimentaire de la naissance à l’adolescence. La phase quantitative, qui était basée sur l’inclusion de parents d’adolescents âgés de douze à seize ans, a permis de reconstruire rétrospectivement l’évolution des pratiques alimentaires et des modalités de gestion parentale. Les différents lieux de recrutement ont aussi participé à la diversification des profils parentaux : situation familiale, position sociale, nombre d’enfants, style éducatif, activité professionnelle et recul sur le diagnostic.

Ainsi, aucune des méthodes d’enquête n’est meilleure qu’une autre : chacune « voile » et « dévoile » une partie du phénomène social étudié et leur complémentarité appréhende le questionnement dans sa complexité et sa globalité.

Les ajustements parentaux liés aux pratiques alimentaires des enfants ayant un TSA

La double gestion – autisme et alimentation – rend visible la juxtaposition des tâches parentales et domestiques à celles du soin. Ce travail et cette préoccupation pour les parents sont à la fois quotidiens, répétitifs, difficilement dissociables et continus, mais évoluent au cours du temps et en fonction des spécificités de l’enfant. Pour rendre compte de l’articulation des dimensions domestique, parental et de santé, le concept de « care alimentaire » est proposé. Il inscrit simultanément la gestion parentale de l’alimentation par la capacité de prendre soin d’autrui et le travail parental et domestique dans la vie ordinaire (Rochedy, 2018). Cependant, Cresson pense que la notion de care, pour être saisie, doit « différencier davantage le travail matériel et la qualité morale de la prise en charge des besoins (…), dissocier orientation ou disposition morale et activité » (Cresson, 2011, p. 197) afin de pouvoir saisir, d’une part, une sociologie des valeurs et, d’autre part, une sociologie de l’action.

Une augmentation de la charge physique avant, pendant et après le repas

Dans notre enquête quantitative, les parents ont en majorité une perception négative de l’alimentation de leur enfant avec autisme. En effet, lorsque nous avons demandé aux parents d’associer spontanément un mot pour définir, d’une part, « l’alimentation » en générale et, d’autre part, « l’alimentation de leur enfant, » deux répertoires lexicaux apparaissent. Alors que pour l’alimentation générale, les notions mises en avant sont le plaisir (26,1 %), les temps du repas (23,6 %), puis la convivialité (10,9 %) et le bon et le sain (10,6 %), les dimensions qui ressortent avant tout pour l’alimentation de leur enfant avec autisme sont les difficultés (32,0 %), un aliment ou un plat spécifique (12,1 %) et trop vite ou trop grande quantité (10,9 %). Dans le modèle alimentaire des enfants ayant un TSA, l’idée de difficultés est prégnante comme l’illustre cette série non exhaustive de mots délivrés par les parents de notre étude : « aïe », « angoissant », » casse-tête », « cauchemar », « conflit », « contrainte », « dur », « enfer », « ennui », « impossible », « ingérable », « pénible », « souci », « stress ». La gestion alimentaire des enfants avec autisme prend une place importante dans la vie quotidienne des familles. La chronicité des troubles autistiques et des particularités alimentaires entraine une série d’ajustements à la fois social, familial et individuel, et demande aux familles de « vivre avec » (Mulot, 2011). En analysant les tâches du care alimentaire à travers l’« itinéraire alimentaire »[4] (Desjeux, 1996), nous pouvons étudier la charge physique associée à chacune des actions enchevêtrées autour du repas.

À la lumière des données issues de la phase quantitative de notre travail, 40,1 % des parents interrogés affirment que le fait d’avoir un enfant diagnostiqué avec des troubles autistiques a changé leur façon de s’approvisionner. Cela est d’autant plus vrai si l’enfant n’est pas scolarisé ou pris en charge par une institution, s’il présente un retard mental sévère et s’il suit un régime alimentaire spécifique tel que le régime sans gluten et sans caséine. Pour les parents, ces modifications sont liées principalement au fait que l’enfant ne supporte pas les bruits, les nombreux individus, le non-familier, mais elles peuvent aussi être la conséquence de remarques désagréables, de regards dérangeants ou du fait que le diagnostic a modifié l’emploi du temps de l’ensemble de la famille et donc du temps d’approvisionnement. Toujours est-il que malgré le fait que l’enfant rencontre des difficultés sur les modes d’approvisionnement, plus de la moitié des parents interrogés (54,5 %) affirment avoir envie de familiariser leur enfant à ces lieux d’approvisionnement tel que le marché, le supermarché, l’épicerie ou la boulangerie. Cette ambivalence est également visible dans les entretiens : « Les journées sont vraiment en fonction d’Ethan. Par exemple aujourd’hui, il ne va pas à l’école, car il n’a pas dormi de la nuit, donc il faut que je m’en occupe et je ne pourrai pas aller faire les courses. Donc tout est programmé en fonction de lui ». Quelques minutes après dans l’entretien, cette mère ajoute : « En fait, j’essaye qu’il vienne aussi avec moi, car j’aime bien qu’il comprenne que l’on fait les courses. C’est pour qu’il reste dans le quotidien, pour lui montrer comment se passe la vie, pour qu’il voie du monde et qu’il reste dans le circuit du monde » (Entretien 3, mère de deux enfants, en couple et sans activité professionnelle - Ethan, 5 ans, autisme infantile)[5].

En ce qui concerne la préparation des repas, les parents mentionnent également une augmentation de la charge physique. L’enquête quantitative montre qu’une famille sur cinq considère actuellement que le temps de préparation, quand leur adolescent est présent au domicile, est un moment compliqué à gérer et cela d’autant plus s’il présente une déficience intellectuelle associée au diagnostic d’autisme. Cette attention permanente est signalée par le témoignage de la mère de Yurre et Breda : « En préparant le repas, je faisais au moins cinq fois les aller-retour de la cuisine au "living" pour voir ce qu’il se passait » (Wieken, 2010 : 45 - mère de deux enfants avec autisme, séparée et professeure des écoles à temps complet - Yurre et Breda, autismes sans et avec déficience intellectuelle). Cette charge physique lors de la préparation est aussi liée au fait que l’enfant ne mange pas ni « comme » ni « avec » la famille. En effet, lorsque l’enfant ne mange pas « comme » le reste de la famille, cela nécessite la préparation de deux plats séparés ou au mieux un ajustement entre le plat de la famille et celui de l’enfant. À cet effet, une évolution est perceptible dans l’enquête quantitative. Avec l’avancée en âge, la préparation alimentaire spécifique à l’enfant se réduit : 65,2 % des enfants mangent le même plat que le reste de la famille au moment de la passation du questionnaire alors qu’ils étaient 39,1 % à 3 ans, 48,0 % entre 3 à 7 ans et 55,6 % entre 7 à 11 ans. De plus, les parents ont une charge supplémentaire du fait que l’enfant ne mange pas « avec » la famille. Ils doivent faire chauffer les repas, mettre la table, faire le service, débarrasser plusieurs fois, et ce, à chacun des repas. Là aussi nous pouvons noter une différence de +19,5 % dans le fait de « manger tous en famille » entre l’âge de 3 ans et le moment de l’enquête, c’est-à-dire lorsque les enfants avec TSA sont âgés de 12 à 16 ans. La charge physique augmente en fonction des spécificités alimentaires de l’enfant, du besoin d’aide pour manger ou encore si l’enfant ne peut pas prendre de repas en dehors de la famille : par exemple à la cantine scolaire ou sur le lieu de prise en charge. À l’échelle qualitative, ces données sont confirmées : « Je dois être là pour faire (…) Vous voyez, je viens de l’amener au collège il y a deux minutes parce qu’il ne mange pas à la cantine à cause du bruit principalement. (…) Mais c’est impossible pour lui, il y a toujours le stress autour de la cantine » (Entretien 9, mère de deux enfants, en couple et aide-soignante à mi-temps - Victor, 12 ans, Syndrome d’Asperger).

Dans le même sens, la charge physique est aussi plus importante après les repas et notamment pour les parents des enfants qui consomment une très grande quantité d’aliments et ceux qui volent des aliments dans les placards et dans les réfrigérateurs. Ces deux comportements sont fortement corrélés entre eux et avec le retard mental sévère. Cette préoccupation prégnante pour la nourriture demande un contrôle, une vigilance permanente pour l’entourage qui doit fermer à clé la cuisine, les placards et le réfrigérateur pour que l’enfant n’y ait pas accès. Une mère raconte ce qu’elle vit avec son fils lorsqu’il rentre le soir à la maison : « Il se jette sur le frigo, il veut son Kiri®, son pain donc il en a un. Après, il en demande un deuxième et il est arrivé que si on ne fait pas attention, il pouvait vider une boite de Kiri® sans problème, un lot de yaourts. (…) On a fini par mettre un cadenas au frigo, car c’est trop difficile d’être toujours derrière lui » (Entretien 8, père de deux enfants, en couple et cadre technique à temps plein - Antoine, 5 ans, autisme infantile).

De nombreux parents mentionnent les contraintes spécifiques et multiples de la gestion du domaine alimentaire des enfants avec autisme qui ne sont pas présentes avec le reste de la fratrie, lorsqu’elle existe, ou qu’ils n’avaient pas envisagées avant d’être parents. Ainsi, l’organisation alimentaire quotidienne de la famille se construit autour des spécificités de l’enfant dans ce domaine, mais également d’autres temporalités (scolaire, médicale, etc.) dans lesquels nous retrouvons les soins dans le sens de « cure ».

Une « charge mentale » qui en découle

En plus du « faire », la gestion de l’alimentation passe à la fois par des dimensions immatérielles telles que le souci et l’attention portés à l’enfant ainsi que la responsabilité en matière de santé, d’équilibre et d’éducation alimentaires. Des éléments auxquels doit être ajoutée la dimension « organisationnelle » pour les parents avec le travail d’intendance, de coordination, de planification et d’anticipation.

La charge mentale dans la gestion du care alimentaire des enfants avec autisme est fortement liée aux singularités dans la construction du répertoire alimentaire. En effet, lors des entretiens, les parents des enfants ayant un fort refus des aliments soulignent les exigences qu’entraine la gestion des alimentations particulières de l’enfant en matière de contraintes de travail et de complexité de gestion : « Le matin ce n’est pas un enfant qui aime manger. On pourrait penser que c’est plus simple, car c’est du sucré et que les enfants aiment ces moments comme celui du goûter, mais avec Louis, il faut toujours lui demander ce qu’il veut, mais... Si je ne m’en occupais pas le matin et bien il partirait le ventre vide. Alors je dois être derrière lui, en lui pressant une orange, il finit par la boire. Puis pareil avec la tartine, je n’arrête pas de lui demander ce qu’il veut dessus : miel, beurre, Nutella®, confiture » (Entretien 11, mère d’un enfant, en couple et employée à temps plein - Louis, 10 ans, trouble envahissant du développement non spécifié). Dans les données quantitatives, l’influence de la charge physique sur la charge mentale est très nette. En effet, ces données montrent une corrélation positive entre la charge mentale et les modalités du repas : la charge mentale du care alimentaire est plus prégnante chez les parents quand l’enfant ne mange pas « comme » et « avec » le reste de la famille.

De plus, dans les fratries, l’intensité de la charge mentale est moins élevée dans les familles où l’enfant avec autisme est l’ainé. Cette charge mentale moindre, dans ces familles, pourrait s’expliquer par le fait que les parents qui viennent d’avoir le premier enfant n’ont pas de repères dans la gestion du care alimentaire. Ils ne savent pas si la gestion de l’alimentation d’un enfant avec autisme demande plus qu’un enfant typique. Leurs seules références sont les enfants de leur entourage proche. Quant à la position sociale, les parents les plus aisés sont ici sous-représentés parmi ceux ayant une charge mentale forte. Ainsi, ce phénomène pourrait confirmer que les parents des positions sociales supérieures sont préservés de la charge mentale de la gestion du care alimentaire. Un prolongement dans le questionnement serait nécessaire pour savoir si ces familles externalisent les tâches en les déléguant à d’autres personnes. Ces résultats nourrissent néanmoins la question des inégalités de santé se répercutant sur la qualité de vie non pas des personnes en situation de maladie ou handicap, mais sur celle des aidants. Cet aspect devra être discuté au regard d’autres facteurs tels que l’activité professionnelle, le soutien dans la gestion de l’autisme et des particularités alimentaires, mais aussi de l’expérience parentale des troubles.

De nombreux parents s’accordent à dire qu’ils vivent l’autisme 24h sur 24 : « On est envahi ! On pense autisme, on vit autisme, on réagit autisme, on cauchemarde autisme, on respire autisme, on étouffe autisme » (Perrin et Perrin, 2012 : 95 - père de trois enfants, en couple et comédien - Louis, autiste). L’accumulation des particularités alimentaires et des troubles autistiques augmente considérablement la charge physique et, par conséquent, la charge mentale des parents. Les spécificités alimentaires cumulées aux troubles autistiques ont donc des répercussions sur l'entourage familial et social (Williams et al., 2000 ; Piette, 2006 ; Williams et Wright, 2010). In fine, la notion de care met en avant la permanence, l’imprévisibilité et l’évolution de ce travail matériel, cognitif, relationnel et sentimental de l’alimentation liées à l’évolution du développement de l’enfant, de ses goûts et de ses dégoûts. Ce raisonnement pourrait être transposable à d’autres populations enfantines avec des spécificités ou troubles alimentaires – anorexie, cancer, diabète, obésité, syndrome de Prader-Willi, etc. –, mais également en population générale. À présent, nous souhaitons dépasser les grilles de lecture de la sociologie de la famille en nous intéressant aux inégalités « produites au sein de l’institution familiale » (Ferrand, 2004 ; cité par Fournier et al., 2015, p. 20), afin d’élargir la compréhension sociale de la division sexuelle du travail domestique (Singly de, 1992)‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬ et plus largement celle du care alimentaire. ‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬

La redéfinition des rôles à l’épreuve de l’autisme

Le croisement des champs du genre et de l’alimentation a été récemment problématisé (Fournier et al., 2015). En parallèle, des études relèvent, dans sa dimension quotidienne, la place qu’occupent les femmes dans le « travail domestique de santé » (Ferrand, 1983 ; Singly de, 1993 ; Cresson, 1991, 1995, 2000 ; Fournier, 2012), femmes que de Singly et Maunaye (1995) définissent comme la « mère soignante ». Ainsi, nous allons étudier la réorganisation parentale quotidienne du care alimentaire au sein de cette population. ‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬

En pratique : de la « mère nourricière » à la « mère soignante »

Dans les familles ayant un adolescent présentant un TSA interrogées par questionnaire, les tâches – domestiques, parentales et de soin – sont essentiellement réalisées par les mères. En moyenne, 53,2 % des mères s’occupent seules des tâches du care alimentaire, contre seulement 6,2 % des pères. La tâche la plus dévolue seulement aux mères est la conduite de l’enfant chez le médecin ou les spécialistes (68,3 %), suivie de la préparation du repas la semaine (67,4 %) et de la réalisation des courses alimentaires (63,0 %). À l’inverse, la tâche la moins fréquente est de mettre ou de débarrasser la table (22,7 %). Comme nous avons vu précédemment, la gestion alimentaire des enfants avec autisme ne s’arrête pas aux tâches matérielles. Les entretiens soulignent le travail mental de la gestion des particularités alimentaires qui incombe aux femmes. Dans une approche goffmanienne, les mères ont le rôle de « tampon » sur les temps alimentaires entre l’enfant et le monde social : c’est-à-dire qu’à travers leurs expériences, elles pénètrent, comprennent et ont un rôle essentiel auprès de leur enfant. En effet, elles sont les garantes de la bonne alimentation et donc de la bonne santé comme le dit la mère de Louis : « Mon couple commençait à s’effondrer, car moi je me consacrais exclusivement sur Louis et plus rien ne comptait, plus rien. Donc j’étais capable de me mettre dans une bulle avec mon fils et oublier tout ce qu’il y avait autour, laisser tomber tout ce qu’il y avait autour pour que Louis soit en bonne santé, que Louis progresse, que Louis mange bien, que Louis soit bien quoi » (Entretien 11, mère d’un enfant, en couple et employée à temps plein - Louis, 10 ans, trouble envahissant du développement non spécifié). ‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬

En outre, ce « travail d’élevage » (Ferrand, 2005 ; Gojard, 2010) permet de faire le lien avec l’estime de soi ou la double culpabilité. Cette dernière provient, d’une part, du fait d’avoir un enfant différent et, d’autre part, de ne pas réussir à endosser parfaitement ce rôle « nourricier » en apportant à l’enfant une alimentation variée, assurance de l’équilibre alimentaire, d’éducation au goût et de la bonne santé de l’enfant. La recherche d’équilibre alimentaire par les parents n’est pas spécifique à notre population, mais l’intensité et la durée des particularités alimentaires des enfants avec autisme accentuent cette préoccupation : « Pour l’alimentation, on essaye d’équilibrer au mieux, mais ce n’est pas toujours facile. Si on l’écoutait, il prendrait toujours la même chose : des pâtes. Puis c’est comme cela depuis longtemps, ce n’est pas une crise passagère (…) Comment équilibrer quand votre enfant refuse encore à cet âge de manger la plupart des fruits et des légumes » (Entretien 7, mère de deux enfants, divorcée et prothésiste ongulaire à mi-temps - Jules, 11 ans, autisme typique). Pour de nombreuses mères, ne pas arriver à nourrir « correctement » son enfant, c’est ne pas être une bonne mère. Autrement dit, le refus de manger de leur enfant devient « angoissant » et « honteux » du fait que la gestion de l’alimentation se trouve au carrefour « du travail et de l’amour » pour reprendre le titre de l’ouvrage collectif de Vandelac, Belisle, Gauthier et Pinard (1985). ‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬

Ainsi, la charge physique liée aux besoins spécifiques à l’autisme dans les domaines alimentaires et du soin est du ressort des femmes, comme pour les jeunes enfants (Dupuy, 2013), les enfants malades (Singly de, 1992), les personnes hypercholestérolémiques (Fournier, 2012), les jeunes séniors (Poulain, 1998) ou les personnes vieillissantes (Billaud, 2010 ; Béliard et al., 2013 ; Cardon et Gojard, 2009 ; Cardon, 2015)‬‬. De plus, la problématique autistique est un amplificateur de la culpabilité maternelle et accentue au quotidien les différences entre pratiques masculines et féminines. ‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬

Plus qu’une gestion maternelle, un engagement au quotidien

Au-delà de l’aspect alimentaire, deux aspects sociaux – l’activité professionnelle et la situation familiale – font émerger l’engagement maternel dans l’adaptation de la vie quotidienne familiale.

Dans notre enquête, 59,7 % des répondantes contre 4,8 % des répondants ont modifié leur temps d’activité professionnelle du fait de l’annonce du diagnostic. En ce qui concerne les répondantes, 30,6 % ont mis entre parenthèses leur vie professionnelle en arrêtant totalement leur activité, 17,2 % travaillent à mi-temps ou moins, 24,3 % sont entre 60 et 80 % de la pleine charge professionnelle et 28,0 % ont une activité à temps plein. Pour leur part, 82,1 % des répondants travaillent à temps plein[6]. La conciliation « maternité » et « carrière professionnelle » est très difficile comme le soulignent ces mères : « Donc là, moi, j’ai arrêté de travailler net quand on nous a dit que ça n’allait pas du tout (…) il ne pouvait pas aller à l’école. Il était toujours chez nous » (Entretien 1, mère d’un enfant, en couple et gestion des ressources humaines à temps partiel de 80 % - Arthur, 12 ans, syndrome d’Asperger). Ou encore : « J’ai arrêté de travailler pendant un temps. Melvin devait avoir 5 ans. Je n’en pouvais plus, il ne dormait pas, il ne mangeait pas, il ne faisait rien tout seul. Je n’arrivais pas à gérer les tâches à la maison, les enfants et mon travail professionnel » (Entretien 18, mère de trois enfants, séparée et employée de service à temps plein - Melvin, 10 ans, trouble envahissant du développement non spécifié). En effet, pour certaines mères, la gestion quotidienne et notamment le domaine alimentaire les poussent à abandonner ou à aménager leur carrière professionnelle. Pour d’autres, le cumul des deux activités – domestique et professionnelle – entraine des conséquences sur leur santé, qui à leur tour les contraint à modifier leur temps de travail. Pourtant ces changements dans les pratiques professionnelles ne sont pas sans conséquence pour ces parents. La charge mentale du care alimentaire est liée aux modifications de l’activité professionnelle et au temps de travail du répondant. Les mères qui ont modifié leur temps d’activité professionnelle du fait de l’annonce du diagnostic d’autisme et celles actuellement inactives ont une charge mentale élevée. Malgré la double activité, la conciliation activité professionnelle et activité maternelle « préserverait » d’une charge mentale forte comme l’explique la mère d’Ethan : « Cela fait quand même quatre ans que j’ai arrêté de travailler et avant j’avais toujours travaillé. À un moment, on est quand même fatigué de rester toujours à la maison, de s’occuper des enfants, des repas des enfants. Alors on a besoin de reprendre, c’est important de retrouver une vie individuelle » (Entretien 3, mère de deux enfants, en couple et sans activité professionnelle - Ethan, 5 ans, autisme infantile). Cette mère, comme d’autres, souligne le fait que l’activité professionnelle permet l’épanouissement personnel et est paradoxalement une source de répit. Pour les parents d’enfants avec autisme, le maintien d’une activité professionnelle permet de ne pas réduire l’identité de l’individu à la dimension pathologique et lui confère « un statut social souvent essentiel à leur inscription dans des relations sociales » (Mulot, 2011, p. 110). Cependant, pour les mères d’enfants avec autisme, le maintien de l’activité professionnelle n’est pas toujours envisageable.

L’engagement maternel se manifeste aussi quand les parents divorcent[7]. La juxtaposition des troubles autistiques et des particularités alimentaires déstabilise, monopolise, sollicite en permanence et laisse peu de place à la vie de couple. Les parents déclarent que les pratiques alimentaires de leur enfant génèrent des conflits au sein du couple. Lorsque les parents se séparent, la loi privilégie le partage de la garde entre les deux domiciles parentaux, mais en pratique, le mode le plus courant reste la résidence chez l’un des parents et plus particulièrement la mère. L’analyse des témoignages indique que l’enfant avec des besoins spécifiques entrainerait plus facilement une garde majoritaire, voire exclusive, chez la mère malgré le fait que la « responsabilité partagée » préserve de la charge physique et mentale. Suite à la séparation, des mères élevant principalement leur(s) enfant(s) seules se retrouvent dans des situations de détresse affective, relationnelle et financière, puisqu’isolées et épuisées : « Je ne savais pas si je vais tenir le coup très longtemps ! » (Entretien 18, mère de trois enfants, séparée et employée de service à temps plein - Melvin, 10 ans, trouble envahissant du développement non spécifié). La gestion de l’alimentation et de la santé, et plus généralement l’intendance du quotidien qui repose sur la mère, engendre une surcharge de travail et une diminution de la vie sociale : « Parfois, je faisais appel aux services de baby-sitters, mais ce n’était pas facile. Certaines personnes n’osaient même pas s’occuper de Yurre ! Je restais donc de plus en plus souvent à la maison et ma vie sociale s’amenuisait. Je commençais à me sentir seule et sombrais peu à peu dans la dépression » (Wieken, 2010 : 71 - mère de deux enfants avec autisme, séparée et professeure des écoles à temps complet - Yurre et Breda, autismes sans et avec déficience intellectuelle). La mère doit passer la plupart de son temps avec l’enfant présentant des troubles autistiques et le reste de la fratrie, semaine comme week-end, et d’autant plus si l’enfant n’a pas de prise en charge institutionnelle ou si elle est partielle.

La garde majoritaire ou exclusive et l’arrêt complet ou partiel de l’activité professionnelle amplifient le travail des mères et engendrent une absence de répit mental et physique. Dans ces deux situations, l’identité maternelle prend le dessus sur l’identité professionnelle, conjugale et individuelle. De plus, la vie sociale de ces mères aidantes s’amoindrit avec la gestion des troubles autistiques et des particularités alimentaires de l’enfant. L’analyse de gestion du care alimentaire permet d’illustrer l’accentuation des différences entre pratiques masculines et féminines. Ces données confirment que les femmes vivent la maternité et le travail sur le mode du cumul, avec toutes les difficultés que cela engendre au quotidien (Lapeyre et LeFeuvre, 2004 ; Jarty, 2013). Pour ces mères rencontrées, ce « choix de vie » répond plus à un aspect pragmatique qu’à un souhait (Courcy et Des Rivières-Pigeon, 2013) et que ce travail « nécessite clairement beaucoup de temps et d’énergie et comporte des défis particulièrement importants » (Des Rivières-Pigeon et al., 2012, p. 126).

Des ressources nécessaires à la gestion mentale et physique des spécificités alimentaires

Au fil des années, les troubles autistiques et les particularités alimentaires poussent les parents à s’organiser différemment, expérimenter, se socialiser aux troubles et aux logiques de leur enfant. Ces changements dans la gestion du care alimentaire conduit notamment les mères à rechercher des soutiens sociaux.

Des pères qui s’investissent dans le domaine alimentaire avec l’augmentation de la charge de travail

L’investissement principal des mères en « première ligne » (Eideliman, 2009 ; Mougel, 2009) et le fait que la vie de couple ne préserve pas de la charge mentale ne veulent pas dire que les pères ne sont pas présents en appui dans la gestion pratique du quotidien.

Dans les tâches domestiques, parentales et de care, la modalité de réponse « autant l’enquêté(e)s que leur conjoint(e) » ou la modalité « tâche réalisée en couple », arrive en deuxième position. En comparaison au travail de Dupuy (2013) portant sur des enfants et des adolescents âgés de 7 à 17 ans et leurs parents, nos données quantitatives montrent un partage des tâches plus important : +8,2 % pour les tâches domestiques alimentaires (course, préparation, service, etc.) et +15,6 % pour les tâches alimentaires parentales (aider l’enfant à manger), alors même que le taux d’activité professionnelle des femmes est deux fois moins important dans notre échantillon. En parallèle, la comparaison des résultats (toujours par rapport à l’enquête réalisée par Dupuy) montre clairement que les enfants avec autisme ne réalisent pas seuls les activités : manger, se coucher, mettre la table, etc. Dans les familles interrogées, 40,7 % des enfants à table sont aidés, 36,0 % des enfants sont couchés et 34,5 % sont amenés aux activités sportives ou de loisirs autant par la mère que par le père. Quant aux domaines où les pères interviennent le plus souvent seuls, nous retrouvons les tâches largement valorisées telles que la préparation du repas le week-end (12,4 %) suivies de la préparation des repas la semaine (9,9 %). L’aide ponctuelle et extraquotidienne a déjà été mise en avant en population générale (Poulain, 1998 ; Dupuy, 2013). Ces familles, face au diagnostic, doivent tenter de résoudre ces différentes tâches développementales au fil de leur évolution afin d’assurer un fonctionnement familial optimal. Par conséquent, lors du diagnostic de l’enfant comme lors de l’arrivée d’un enfant dans la famille, les parents réorganisent l’exercice des rôles parentaux afin d’assurer un équilibre entre leur vie conjugale et familiale.

En plus d’être en renfort de la mère pour l’enfant avec autisme, les pères peuvent également s’investir davantage auprès des autres enfants : « Pour ne pas pénaliser les deux autres garçons, nous réalisons souvent les activités séparées. Je reste avec Henni pendant que leur père fait des choses avec les deux autres. (…) C’est par exemple pour aller au cinéma, faire du vélo, manger une crêpe à la fête foraine » (Entretien 15, mère de trois enfants, en couple et institutrice à mi-temps - Henni, 9 ans, syndrome d’Asperger). Ainsi, les tâches de care alimentaire sont d’autant plus partagées par les deux parents lorsqu’il y a une augmentation de la charge de travail et que le couple ne se sépare pas. Autrement dit, l’aide apportée par le père est davantage visible, mais celle-ci est ciblée sur quelques activités. Si nous analysons les deux domaines – la préparation des repas la semaine comme le week-end – les plus investis par les pères des enfants présentant des troubles, nous notons que l’investissement n’est pas tributaire de la position sociale des parents, mais de l’activité professionnelle de la mère. Les données statistiques laissent apparaître que la répartition sexuée des activités de care alimentaire est d’autant plus importante quand la mère a une activité professionnelle à temps plein. Ainsi, si la charge mentale incombe d’autant plus aux mères sans activité professionnelle, elle s’explique par l’investissement plus faible des pères dans la gestion du care alimentaire. Cette gestion constitue l’un des freins à la réalisation de l’égalité hommes-femmes sur le marché du travail. Ce « désengagement » professionnel des mères entraine un moindre investissement des pères qui devient problématique pour les mères qui ont besoin de relais dans la vie de tous les jours.

La gestion des particularités alimentaires au quotidien entraine des perturbations qui nécessitent une réorganisation et une redéfinition parentale dans l’alimentation « pratique » et dans l’alimentation » pensée ». Malgré des évolutions en matière de rapports sociaux de sexe, l’étude en population autistique montre que l’alimentation et la santé restent l’affaire des mères. Un investissement qui à son tour renforce le rôle des mères auprès d’un enfant ayant besoin d’immuabilité. Néanmoins, au-delà de ces rapports de pouvoir bien connus et des inégalités sociales de sexe, les résultats laissent entendre que l’augmentation de la charge de travail engendre un investissement paternel ou que les pères se mêleraient au travail de care alimentaire en appui lorsque la charge de travail est trop lourde. Par conséquent, la participation des pères semble être contingente et s’expliquerait par la concomitance de la multiplication des tâches et par une indisponibilité des mères. Des questions subsistent et des investigations complémentaires seraient nécessaires. Il n’en demeure pas moins que dans la perspective longitudinale, les parents apprennent de leurs expériences et acquièrent des compétences qui permettent d’anticiper et de gérer les particularités alimentaires de leur enfant.

Les grands-parents : une aide affective et matérielle importante

Sous la « seconde modernité » (Singly de, 1996), les modes d’organisation familiaux ont fortement évolué et ils accompagnent l’émergence de ces nouvelles familles et les relations inter et intragénérationnelles. L’annonce du diagnostic d’autisme bouleverse l’ensemble de la famille élargie comme l’écrit la mère de Jake dans son témoignage : « Une fois qu’un diagnostic d’autisme est posé, un horrible nuage plane sur chaque membre de la famille. Vous mangez, vous respirez, vous dormez avec l’autisme » (Barnett, 2013 : 52-53 - mère de trois enfants, en couple et fondatrice ainsi que directrice à temps plein d’une garderie - Jake, syndrome d’Asperger).

Les difficultés quotidiennes activent et construisent un réseau d’entraide familial. Pour reprendre l’expression d’une mère : « La famille s’organise ensemble » (Entretien 6, mère de trois enfants, en couple et sans activité professionnelle - Jean, 4 ans, autisme atypique). La famille élargie est une source d’écoute et joue un rôle dans l’aide et les conseils pour gérer les pratiques alimentaires de l’enfant (43,9 %). Les personnes de la famille peuvent intervenir pour soulager et épauler les parents qui s’occupent de l’enfant notamment dans deux formes d’aide autour de l’alimentation. D’une part, le soutien peut être de l’ordre de l’affectif. En effet, les parents de l’enfant sont reconnaissants de la présence, du soutien et de l’encouragement dans les moments plus difficiles ou encore de l’écoute et du réconfort lorsqu’il y a des interrogations. « Je sais que je peux compter sur ma belle-famille comme sur ma famille. (…) La sœur de mon mari, elle m’appelle souvent pour prendre des nouvelles de Henni, mais aussi des miennes. Dans ces moments-là, je peux me confier et, par exemple, c’était la première à m’appeler pour prendre des nouvelles à la suite du rendez-vous chez la nutritionniste » (Entretien 15, mère de trois enfants, en couple et institutrice à mi-temps - Henni, 9 ans, syndrome d’Asperger). D’autre part, l’entourage familial peut être une ressource matérielle dans le sens où il peut agir « pour » ou « avec » les parents. Une aide importante peut se mettre en place pour récupérer l’enfant après l’école ou sa prise en charge et faire le goûter ou encore soutenir les parents dans les tâches domestiques. D’autant plus qu’il est souvent difficile pour les familles de déléguer les temps alimentaires de l’enfant à une tierce personne, par exemple une assistante maternelle, du fait des difficultés de socialisation et de communication, mais aussi du besoin d’immuabilité que rencontrent les enfants avec TSA. Les parents peuvent faire appel aux grands-parents ou aux oncles et tantes de l’enfant pour se charger des temps alimentaires. Les parents peuvent déléguer ou être secondés dans le travail de care alimentaire tout en supervisant, organisant et gardant la responsabilité. C’est le cas pour la mère de Maxime : « Quand ses troubles étaient à son maximum, il passait du temps avec ma mère [grand-mère maternelle de l’enfant]. Quand, avec mon mari, on avait besoin de prendre un peu de temps, on appelait ma mère et on lui demandait si elle pouvait venir garder les enfants. Elle gérait de A à Z » (Entretien 4, mère de deux enfants, en couple et secrétaire de direction à mi-temps- Maxime, 7 ans, trouble envahissant du développement non spécifié). Dans le réseau d’entraide autour des familles ayant un enfant présentant des TSA, la grand-mère occupe une place de choix en façonnant les liens entre générations et en prolongeant la fonction parentale (Attias-Donfut et Segalen, 1998 ; Hummel, 2008 ; Hummel et Perrenoud, 2009). « Je n’oublierais jamais ce qu’elle [ma mère] a fait » (Entretien 21, mère de deux enfants, en couple et médecin à temps plein - Sarah, 7 ans, trouble envahissant du développement non spécifié), ou encore « Toute cette période difficile [mère de l’enfant hospitalisée], j’ai été épaulé par la maman de Gersende, qui assurait la sortie de l’école, le goûter, les bains, le dîner et le coucher de ses petits-enfants. Elle a été exemplaire » (Perrin et Perrin, 2012 : 153 - père de trois enfants, en couple et comédien - Louis, autiste). Ces parents d’enfant avec autisme affirment que leurs propres parents, qui ne connaissent souvent rien à l’autisme, ont « tout compris », mais ils signalent que cette présence peut être moins forte du fait de l’éloignement géographique ou de la fatigue, car ce soutien demande une force morale et physique qui diminue avec l’âge. La double gestion du handicap et des particularités alimentaires confirme, d’une part, que le soutien social familial est plus important lorsque la maladie enfantine est de longue durée (Singly de, 1992) et, d’autre part, la latéralisation du côté maternel dans les relations d’entraide (Pitrou, 1992 ; Coenen-Huther et al., 1994 ; Déchaux, 2006).

En plus de la mise en place de routines parentales, la mobilisation de soutien dans la famille élargie permet également de diminuer les charges physiques et mentales. Le rôle de ces « aidants d’aidants » à travers un soutien affectif et matériel est important dans les périodes difficiles, mais il n’est pas clairement défini. Il se construit avec les singularités de l’enfant et devient essentiel dans la quotidienneté et dans la durée aux difficultés rencontrées. Cependant, notre analyse montre que les familles élargies ne contribuent pas toutes au soutien des parents d’enfants avec autisme. Alors que François de Singly (1992) a montré que les petites maladies ne déréglaient pas les relations familiales, l’autisme – trouble présent de l’enfance à l’âge adulte –, au contraire, peut provoquer des tensions, des incompréhensions et des conflits au sein des familles. De plus, les particularités alimentaires des enfants peuvent réduire considérablement la participation des parents aux activités alimentaires, comme les repas de famille, qui maintiennent et créent du lien social (Sénéchal et Des Rivières-Pigeon, 2009).

Conclusion

À l’intersection de la sociologie de l’alimentation, de la santé, du handicap, de la famille et du genre, cette étude décrit et analyse les logiques de gestion familiale des particularités alimentaires des enfants avec autisme. Aujourd’hui, dans le système de soin, les parents sont reconnus pour leurs expertises et la gestion des particularités alimentaires en population autistique en est un exemple supplémentaire. Au quotidien, les troubles autistiques cumulés aux singularités alimentaires engendrent un travail physique et mental supplémentaire et des conséquences au niveau individuel, conjugal et parental dans ces familles. Les dimensions à la fois parentales, domestique et de care sont intriquées et sont difficilement dissociables. Les pratiques alimentaires évolutives et imprévisibles ainsi que le soutien entraineront « des jours "avec" et des jours "sans" » (Entretien 4, mère de deux enfants, en couple et secrétaire de direction à mi-temps - Maxime, 7 ans, trouble envahissant du développement non spécifié). Dans ces perspectives « matérielles » et « idéelles », les résultats montrent sans surprise que les femmes sont les plus investies dans ces activités de care alimentaire, mais elles sont aussi les « victimes » des TSA de leur enfant. Les résultats montrent comment la cessation ou la diminution de leur activité professionnelle, la limitation de leurs activités sociales, le désinvestissement des activités de plaisir et le recentrement de leurs préoccupations autour de l’enfant constituent les ajustements des mères. Ces dernières doivent aussi gérer l’éventuelle défection d’un conjoint qui ne résiste pas à l’épreuve du handicap de leur enfant. Dans leurs discours, ces mères laissent paraître leur culpabilité, leur responsabilité et leur peur d’être considérées comme de mauvaises mères « nourricières » et de mauvaises mères « soignantes ». La naturalisation usuelle de leur fonction soignante redouble l’injonction qui leur est faite de s’occuper pleinement de l’enfant et se nier elles-mêmes, et constitue le terrain propice à la reproduction des inégalités de genre dans le travail de care et de cure, en situation de handicap. Ces éléments qui nourrissent l’accompagnement au quotidien, la souffrance et les interrogations de ces aidants de première ligne ou familiaux du quotidien récemment et sont partiellement reconnus dans le troisième plan autisme (2013-2017)[8]. Il n’en demeure pas moins que dans la perspective longitudinale, les parents apprennent de leurs expériences et acquièrent des compétences qui permettent d’anticiper et de gérer les singularités de leur enfant. Au fil du temps, les parents vont mettre en place des démarches et mobiliser du soutien social au-delà de la famille avec les professionnels de santé ainsi que leurs pairs pour comprendre et gérer les spécificités de leur enfant.