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L’ouvrage nous plonge au coeur d’une recherche participative menée par les auteures portant sur la relation sociopédagogique dans l’accompagnement à l’autodétermination des personnes ayant une déficience intellectuelle (DI). D’entrée de jeu, l’introduction de l’ouvrage pose une question fondamentale quant à la vision de l’être humain que suppose l’accent mis sur le développement de son autodétermination. Les auteures suggèrent notamment que le paradigme dominant qui sous-tend la conceptualisation et les études menées sur l’autodétermination et la DI mettent de l’avant certaines valeurs qui font écho au modèle néolibéral actuel. Dès lors, le développement de l’autodétermination des personnes ayant une DI comme stratégie visant son émancipation peut rapidement devenir un argument justifiant le désengagement de l’état et la réduction des coûts liés à l’accompagnement. Autrement dit, le développement de l’autodétermination ne serait-il pas qu’une stratégie visant à accroître l’indépendance et la performance de la personne ayant une DI, afin de réduire la dépendance de cette dernière à quelque forme de soutien et la rendre ainsi plus performante? Pour éviter de nourrir cette vision, les auteures privilégient plutôt l’adoption d’un paradigme interactionniste qui leur permet, tout au long de l’ouvrage, d’explorer la relation sociopédagogique et ses multiples ajustements qui interviennent entre les professionnels de l’accompagnement et les personnes accompagnées, dans un contexte institutionnel. Cette relation est l’objet investigué pour comprendre comment elle transforme la personne accompagnée, l’accompagnateur et l’environnement dans lequel ils évoluent.
Le premier chapitre de l’ouvrage présente la construction de la méthodologie employée aux fins de l’étude. Cette méthodologie est qualifiée de participative et inductive étant donné l’enracinement fort des auteures de l’étude dans leur terrain de recherche et la place importante qu’elles ont laissée aux participants. De la sollicitation des participants jusqu’à la mise en place du dispositif de recherche, les auteures présentent de façon très détaillée les différents défis qu’elles ont eu à relever, autant éthiques que techniques. Ainsi, dix dyades ont été formées composées d’une personne avec une DI et d’un professionnel qui l’accompagne au quotidien dans un contexte institutionnel. Ces dyades se rencontraient sur une base hebdomadaire autour de la thématique de l’autodétermination, pendant une période de 10 mois. Parallèlement, des focus groups, ou groupes de discussion, ont été menés avec les participants afin d’aborder notamment les représentations des différents participants de l’autodétermination, des situations quotidiennes représentant un enjeu sur le plan de l’autodétermination et les stratégies d’accompagnement favorisant l’autodétermination. Différentes stratégies ont facilité l’expression des participants, notamment le photolangage. Cette approche utilise différentes photographies comme moyen intermédiaire entre les auteures et les participants, soutenant ces derniers dans l’expression, la discussion et l’échange de leurs idées et vécus. La stratégie de recueil des données et d’analyse du matériel complète ce chapitre.
Le deuxième chapitre présente les résultats de l’étude, soit les conceptions et les mises en oeuvre de l’autodétermination dans la relation sociopédagogique. Ce chapitre est d’un grand intérêt, car il décrit avec de nombreux verbatim à l’appui, comment les représentations de l’autodétermination ont évolué tout au cours de l’étude. Il illustre également comment la vie quotidienne facilite ou entrave l’expression de l’autodétermination. Pour y parvenir, les auteures nous plongent dans des scènes de la vie quotidienne, qui feront certainement écho pour plusieurs lecteurs. L’autodétermination y est abordée par le prisme de la relation sociopédagogique, ce qui permet de comprendre les différentes dynamiques relationnelles et leur évolution. D’ailleurs, la description des différentes postures adoptées par les personnes ayant une DI, de même que des réponses apportées par les professionnels à celles-ci, constitue certainement l’élément qui suscitera le plus d’intérêt pour les praticiens qui auront l’occasion de lire cet ouvrage.
Le troisième chapitre est une discussion de la méthodologie participative choisie pour l’étude quant à son apport pour la pratique. Les auteures y décrivent comment, à travers leur étude, l’approche phénoménologique adoptée a permis aux participants de transformer leurs représentations de l’autodétermination, d’améliorer leurs pratiques et d’accroître leur pouvoir d’agir. Cet apport a été possible par l’ancrage du concept d’autodétermination dans la réalité concrète des participants. Toujours en mettant au premier plan la relation sociopédagogique, les auteures relatent l’appropriation rapide de la méthodologie par les participants, ces derniers l’ayant même transformée tout au cours de l’étude. L’analyse qui en découle permet aux auteures de formuler des recommandations aux praticiens afin de réinvestir les apprentissages tirés de la mise en place de cette méthodologie.
Le quatrième chapitre renforce la place du partenariat dans l’accompagnement à l’autodétermination. S’appuyant sur les résultats de l’étude, les auteurs soulèvent les enjeux individuels, relationnels et institutionnels du partenariat et proposent des stratégies pour le renforcer. Fidèles à leur objet d’étude, ces stratégies passent par la considération des besoins relationnels et la capacité des professionnels de l’accompagnement à y répondre de façon adéquate. Pour y parvenir, les auteures rappellent l’importante de considérer les enjeux systémiques qui peuvent favoriser ou entraver une véritable relation de partenariat. Avec justesse, les auteures concluent en rappelant la nécessité de revoir le paradigme dominant de l’accompagnement des personnes ayant une DI, trop souvent synonyme de prise en charge des accompagnés. Elles suggèrent plutôt de miser sur des notions comme la co-construction, l’adaptation mutuelle et l’incertitude, alors que les modèles actuels prônent davantage la maîtrise et la rationalisation des processus.
Cet ouvrage, dont nous venons de présenter la synthèse, en est un d’une grande valeur dans le champ de la DI et de l’autodétermination. En effet, il nous permet de plonger au coeur de l’expérience de recherche des trois chercheuses, ce qu’un article scientifique ne nous permet pas de faire. La rigueur apparaît entre autres par la capacité des auteures à faire la critique de leur travail — parfois même de façon un peu excessive — et par leur capacité à nous plonger dans cette expérience de recherche par le recours à de nombreux verbatim.
Les chercheurs qui s’intéressent à l’autodétermination et à la DI trouveront dans cet ouvrage une réflexion très riche et approfondie sur l’autodétermination. En effet, les auteures ne font pas l’économie d’une remise en question du paradigme dominant derrière les différentes études portant sur l’autodétermination. Elles ne s’insèrent pas dans un modèle théorique déjà préétabli, mais elles cherchent plutôt à faire émerger, par l’adoption d’une approche phénoménologique, le sens que revêt l’autodétermination pour les participants de l’étude. Il s’agit d’une posture audacieuse, car elle exige une conscience de ses propres aprioris et une capacité de se remettre en question. D’ailleurs, on sent tout au cours de l’ouvrage qu’elles ont aussi fait le pari de se transformer elle-même, comme chercheuses, à travers ce projet. La flexibilité de leur méthodologie n’est qu’une illustration de la capacité qu’elles ont eue à adopter une véritable relation de partenariat avec les participants de leur étude, tout en assurant la rigueur exigée en science. Les chercheurs qui souhaitent adopter une perspective de recherche participative trouveront donc dans cet ouvrage une illustration éloquente.
Les praticiens trouveront aussi dans cet ouvrage des réflexions, mais aussi des réponses importantes aux enjeux liés à l’autodétermination des personnes qu’ils accompagnent. Alors que l’autodétermination se pose de plus en plus comme une injonction dans l’accompagnement des personnes ayant une DI au sein des institutions, ces derniers sont confrontés à de nombreux paradoxes et enjeux éthiques que les auteures arrivent habilement à relayer. La méthodologie de leur étude en devient une qui, en quelque sorte, peut être répliquée par les praticiens afin de progresser sur cette question au sein de leur propre environnement. Or, les auteures rappellent que les changements dans la relation sociopédagogique nécessitent aussi des transformations systémiques. Ainsi, elles ne responsabilisent pas à outrance les praticiens, mais elles invitent plutôt à une réflexion et à une transformation collectives pour lever les entraves à l’autodétermination des personnes ayant une DI dans la relation sociopédagogique.
Le seul bémol que nous nous permettons de soulever est l’absence d’un chapitre préalable au premier qui aurait permis de faire l’état actuel des connaissances sur l’autodétermination et la DI. Même si, à différents moments, les auteures mettent en perspective les résultats de leur étude avec la littérature existante, un chapitre supplémentaire aurait probablement permis de mieux comprendre l’apport de leur étude aux connaissances actuelles. Les néophytes sentiront probablement le besoin d’enrichir leur connaissance de l’autodétermination en se référant à d’autres ouvrages.
Pour conclure, l’ouvrage de Cudré-Mauroux, Piérart et Vaucher est un apport important tant pour la recherche que pour la pratique. Il répond à un besoin criant de références sur l’autodétermination et la DI. Pertinent, rigoureux, accessible, souhaitons que cet ouvrage inspire la publication d’autres écrits sur le même thème.