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Introduction

De nombreux comptes rendus de recherche démontrent que la victimisation sexuelle pendant l’enfance est associée à un risque plus élevé de subir une revictimisation sexuelle durant cette période ou à l’âge adulte. Dans une revue exhaustive de deux douzaines d’études, il a été estimé que le risque de victimisation sexuelle est de deux à trois fois plus important si la personne a vécu une victimisation sexuelle auparavant (Arata, 2002). Divers mécanismes ont été suggérés et étudiés afin d’expliquer ce risque, y compris l’instabilité et le désavantage familial, l’apparition précoce de comportements sexuels, les symptômes post-traumatiques, une faible estime de soi, l’hyperféminité et un haut degré de sensibilité au rejet (Fergusson et al., 1997 ; Gold et al., 1999 ; Young & Furnman, 2008).

Toutefois, cette littérature néglige la probabilité que la victimisation sexuelle soit le reflet d’une exposition généralisée à la victimisation et que la revictimisation sexuelle constitue un reflet supplémentaire de ce facteur. En effet, des recherches récentes confirment que la victimisation sexuelle a tendance à se produire dans un contexte d’exposition à de nombreuses autres formes de victimisation. Par exemple, les données tirées d’une enquête longitudinale nationale révèlent que les jeunes qui avaient subi une victimisation sexuelle dans la dernière année étaient trois fois plus susceptibles d’avoir subi une agression physique, quatre fois plus susceptible d’avoir été victimes d’un crime conventionnel ou de maltraitance, et six fois plus susceptibles d’avoir été témoins de violence au cours de la même période (Finkelhor et al., 2007b). La plupart des effets de la victimisation sexuelle sur la santé mentale peuvent également être expliqués par cette exposition générale à la victimisation, aussi appelée polyvictimisation (Finkelhor et al., 2007a). De façon similaire, en analysant des données longitudinales recueillies sur une période de 40 ans à partir de l’enfance, Widom et al. (2008) ont trouvé qu’on pouvait prédire les épisodes ultérieurs de plusieurs types de victimisation – incluant la victimisation sexuelle – non seulement par la violence sexuelle durant l’enfance, mais aussi par l’abus physique et la négligence. D’autres recherches indiquent que la violence physique, de pair avec la violence sexuelle, prédit également la victimisation sexuelle subséquente (Chu & Dill, 1990 ; Wind & Silvern, 1992 ; Cloitre et al., 1996 ; Raghavan et al., 2004). Ces recherches suggèrent qu’un processus plus général entre en jeu lors de la revictimisation sexuelle, plutôt que quelque chose spécifiquement associé à une vulnérabilité aux crimes sexuels en soi.

Il existe une littérature plus générale sur la revictimisation criminelle qui démontre une propension marquée des victimes d’un type de crime à être également victimes d’autres types (Hope et al., 2001). Or, très peu de ces recherches ont été menées auprès d’enfants. Parmi les principaux mécanismes habituellement mentionnés dans cette littérature figurent les variables sur le style de vie et les comportements, à savoir habiter dans des quartiers dangereux, s’associer à des individus violents et disposer de moins de soutien social protecteur. Une recension des écrits sur la revictimisation sexuelle conclut d’ailleurs que de telles théories d’exposition au crime et du style de vie étaient davantage appuyées par les données que les explications psychologiques associées à des mécanismes tels les symptômes traumatiques et l’estime de soi (Arata, 2002).

Bon nombre d’études pourraient avoir négligé le contexte de l’exposition générale à la victimisation, car les écrits sur la revictimisation sexuelle se sont généralement seulement consacrés au lien entre les victimisations sexuelles passées et ultérieures.

Le présent rapport veut aborder l’hypothèse selon laquelle l’exposition générale à la victimisation pourrait mieux expliquer la revictimisation sexuelle que le fait d’avoir précédemment vécu de la victimisation sexuelle, spécifiquement. En outre, il jette un regard sur l’enjeu en employant des données longitudinales beaucoup plus précises que celles habituellement disponibles pour ce genre d’analyse.

Méthodes

Participants

Les analyses sont réalisées à partir des données tirées de la NatSCEV, une étude longitudinale à deux phases menée auprès d’un échantillon représentatif d’enfants et d’adolescents états-uniens. La NatSCEV a été conçue pour obtenir des estimations sur l’incidence et la prévalence d’un large éventail de victimisations vécues par les jeunes. La Phase 1 a été réalisée entre janvier et mai 2008, auprès d’un échantillon représentatif de 4549 enfants de 0 à 17 ans vivant aux États-Unis. L’enquête de la Phase 2 a été réalisée environ deux ans plus tard, de janvier à novembre 2010. Les entretiens téléphoniques auprès des parents et des jeunes ont été réalisés par les employés d’une firme de recherche chevronnée.

L’échantillon de la Phase 1 a été obtenu à partir d’une génération aléatoire de numéros de téléphone résidentiels à l’échelle nationale. Cette méthode a rapporté 3053 des 4549 interviews complétés lors de la Phase 1. Afin de s’assurer que l’étude comprend une proportion suffisante de minorités et de répondants à faible revenu pour obtenir des analyses plus précises des sous-groupes, un suréchantillonnage a été réalisé dans les circonscriptions états-uniennes comprenant une population d’au moins 70 % de Noirs américains, d’Hispaniques ou de ménages à faible revenu. Grâce à la génération aléatoire de numéros employée pour ce deuxième « suréchantillon »,1496 interviews ont été réalisés. L’échantillon a été pondéré pour la Phase 1, afin d’ajuster la probabilité de sélection différentielle due : a) à la méthodologie de l’étude ; b) aux variations démographiques associées à la non-réponse ; c) aux variations de l’admissibilité des ménages.

Des efforts ont été déployés pour recontacter et inciter les répondants de la Phase 1 à participer à la Phase 2. Dans le cadre de la seconde phase, 2497 enfants ont été interviewés à nouveau (54,9 % de l’échantillon de la Phase 1). La présente analyse porte sur les 1186 enfants qui ont participé aux deux phases et qui étaient âgés de 10 à 17 ans lors de la Phase 1.

Procédure

Durant la Phase 1, une courte entrevue a été menée avec un tuteur adulte (habituellement un parent), dans chaque ménage, afin d’obtenir des données démographiques sur la famille. Lorsque plusieurs enfants admissibles composaient le ménage, un enfant était sélectionné aléatoirement en prenant celui dont l’anniversaire était le plus récent. Si l’enfant sélectionné était âgé de 10 à 17 ans, il répondait lui-même à l’entrevue téléphonique. Par contre, si l’enfant avait moins de 10 ans, c’est le tuteur « qui connaît le mieux le quotidien et les expériences de l’enfant » qui prenait part à l’entrevue. Le même protocole a été employé pour la Phase 2. Au moment de la Phase 1, c’est le tuteur qui répondait à l’entrevue si l’enfant était âgé de 0 à 9 ans (ou de 2 à 12 ans durant la Phase 2). Si l’enfant était âgé de 10 à 17 ans lors de la Phase 1 (ou de 12 à 20 ans au cours de la Phase 2), les parents participaient à une courte entrevue et l’enfant au reste. Dans les deux phases, les répondants recevaient 20 $ pour leur participation. Les entrevues de chacune des phases, menées en anglais ou en espagnol, duraient environ 45 minutes.

Analyse du taux de réponse et de non-réponse

Le taux de collaboration durant la Phase 1, mesuré à partir d’une portion de l’échantillon représentatif de l’enquête par génération aléatoire automatique de numéros, était de 71 % - calculé selon la formule no 3 de l’American Association for Public Opinion Research (AAPOR) alors que le taux de réponse (formule no 3) était de 54 % (AAPOR, 2004). Les taux associés au suréchantillon de moindre taille étaient légèrement inférieurs, soit 63 % et 43 % respectivement. Comme mentionné, l’échantillon de la Phase 1 regroupait 4549 répondants. De ce nombre, 2497 ont répondu à l’entrevue de la Phase 2, ce qui correspond à 54,9 % de l’échantillon de départ. Les cas d’attrition étaient plus élevés chez les répondants hispaniques et noirs ; chez ceux dont le statut socioéconomique était inférieur ; chez ceux qui habitaient dans des familles monoparentales et recomposées ; et chez ceux qui vivaient dans des grandes villes (300 000 habitants ou plus) lors de la Phase 1. Les taux d’attrition étaient également supérieurs chez les répondants qui présentaient un niveau plus élevé de symptômes traumatiques et chez ceux qui avaient subi de la maltraitance ou avaient été témoins de violence familiale lors de la première vague.

Certains des facteurs associés à l’attrition, notamment la structure familiale, les symptômes traumatiques, la maltraitance et le fait d’être témoin de violence familiale, ont été associés à certains résultats d’intérêt dans des recherches antérieures (Turner et al., 2006 ; 2007). Pour éviter tout biais possible, une nouvelle pondération de l’échantillon a été calculée pour la Phase 2. Pour y parvenir, nous avons employé les poids de l’échantillon de la Phase 1 (mentionnés ci-dessus) ainsi qu’une nouvelle pondération calculée à partir de la vraisemblance de participation de chaque cas de la Phase 1 à la Phase 2. Cette méthode d’ajustement à la non-réponse est décrite dans l’ouvrage de Wun et al. (2005). Afin de réduire l’influence des poids particulièrement élevés ou bas, les poids résultant de cette méthode ont été restreints à une valeur minimale de 0,5 et à une valeur maximale de 2. Ces poids restreints ont été appliqués aux analyses présentées dans le présent article.

Mesures

Victimisation

Pour les deux phases de cette enquête, une version améliorée du Juvenile Victimization Questionnaire (JVQ), comprenant un vaste éventail de victimisations vécues par les enfants, a été employée (Hamby et al., 2004 ; Finkelhor et al., 2005, 2005a). Le JVQ permet d’obtenir des données concernant 48 formes de victimisation chez les jeunes, couvrant cinq domaines d’intérêt général : les crimes conventionnels ; la maltraitance ; la victimisation de la part des pairs et de la fratrie ; la victimisation sexuelle ; l’exposition à la violence et le fait d’être témoin de violence (Finkelhor et al., 2005b). Les « filtres » réfèrent aux questions concernant chaque forme spécifique de victimisation. Des questions de suivi pour chacun des filtres permettaient de recueillir des renseignements supplémentaires concernant chaque forme de victimisation – incluant les caractéristiques sur la personne responsable de la victimisation, si l’évènement avait eu lieu au cours des 12 derniers mois et si l’enfant avait subi des blessures. Les filtres du JVQ peuvent être regroupés en types agrégés de victimisation. Par exemple, l’agression ou voies de fait armées ou sans arme, la tentative d’agression ou de voies de fait, l’enlèvement et l’agression motivée par la haine sont tous considérés comme une forme d’agression physique.

Cette étude porte sur l’expérience d’agression sexuelle vécue par l’enfant au cours des 12 mois précédant la Phase 2, et sur la victimisation subie (y compris l’agression sexuelle) au cours des 12 mois précédant la Phase 1. On considère qu’un enfant a vécu une expérience d’agression sexuelle s’il répond « oui » à n’importe lequel des quatre filtres concernant la victimisation sexuelle. En outre, une question subséquente demande s’il y a eu pénétration ou tentative de pénétration pendant l’agression. Les quatre filtres sur l’agression sexuelle sont présentés à l’annexe A. Les questions concernant la victimisation sexuelle, contrairement à l’agression sexuelle, comprenaient aussi des questions supplémentaires à propos du harcèlement sexuel et de l’exhibitionnisme (pour plus de détails, consulter Finkelhor et al., 2009). Les types agrégés de victimisation de la Phase 1 dont il est question dans ces analyses incluent l’occurrence des événements suivants au cours de l’année précédant l’enquête : l’agression physique ou voies de fait ; la maltraitance ; la victimisation commise par un pair ou la fratrie ; le fait d’être témoin de violence familiale ; et l’exposition à la violence dans la communauté ou le voisinage.

Le fardeau total de la victimisation subie par les jeunes au cours des 12 mois précédant la Phase 1 a été mesuré à l’aide de deux variables. La première résulte du nombre total de types de victimisation (filtres) vécus, à l’exception des filtres concernant l’agression sexuelle. La deuxième est une variable nominale chiffrée « 1 » pour les enfants considérés comme étant des « polyvictimes » durant l’année précédant la Phase 1. Ces enfants polyvictimisés ont rapporté avoir vécu sept différents types de victimisation ou plus durant l’année précédant la Phase 1 (Turner et al., 2010).

Adversité

Deux mesures d’adversité ont été employées afin de mesurer des événements aversifs de la vie ayant pu survenir dans l’année précédant la Phase 1. Les problèmes de la famille sont la somme du nombre d’adversités vécues au cours des 12 derniers mois, parmi les six éléments suivants : l’itinérance de la famille ; la perte d’emploi ou le chômage d’un parent ; l’incarcération d’un parent ; les problèmes de dépendance à l’alcool ou à la drogue d’un membre de la famille ; les querelles et disputes continuelles entre les parents ; un parent ayant été déployé dans une zone de guerre. L’adversité générale est la somme du nombre d’adversités vécues au cours des 12 derniers mois, qui ne sont pas nécessairement liées aux parents ou à la famille immédiate de l’enfant. Ces adversités sont : une catastrophe naturelle ; un accident, ou une maladie grave, vécu par l’enfant ou par une personne qui lui est proche ; l’échec scolaire ; le fait que l’enfant est retiré de son milieu familial ; la mort d’un proche de l’enfant par maladie ou par accident ; et la tentative de suicide d’un proche.

Délinquance

La délinquance a été mesurée à l’aide de 15 questions qui interrogeaient les jeunes au sujet de leur participation à des actes délinquants spécifiques au cours des 12 derniers mois. Ces questions ont été adaptées de la Frequency of Delinquent Behavior Scale (l’échelle de fréquence du comportement délinquant), élaborée par Loeber et Dishion (1983). L’analyse des composantes principales a révélé que ces 15 variables pouvaient être divisées en trois sous-échelles de cinq variables mesurant trois différents types de délinquance. D’abord, l’échelle de délinquance avec violence inclut des items qui mesurent : les dommages aux biens ; le fait de frapper, pousser ou gifler un adulte ou un autre jeune ; le port d’armes ; et l’agression physique assez grave pour blesser quelqu’un. Ensuite, les items inclus dans l’échelle de délinquance contre les biens sont : le vol de biens à l’école, le vol d’argent à la maison, le vol à l’étalage dans un magasin, le non-paiement pour l’entrée au cinéma, pour un passage d’autobus, etc. ; et le vandalisme de biens au moyen de graffitis. Enfin, les items de l’échelle de délinquance mineure/liée à la drogue sont : la tricherie dans les examens scolaires ; l’absentéisme scolaire ; l’usage de tabac ; la consommation de marijuana ; et l’usage d’autres médicaments sans ordonnance.

Symptômes traumatiques

L’état de santé mentale à la Phase 1 a été mesuré à l’aide d’une version raccourcie des échelles sur la colère ; la dépression ; l’anxiété ; la dissociation ; et le stress post-traumatique, de la Trauma Symptom Checklist for Children (TSCC) (Briere, 1996). Les répondants devaient indiquer à quelle fréquence ils (ou leurs enfants) avaient manifesté chacun des symptômes au cours du dernier mois. Les choix de réponse figuraient sur une échelle en quatre points, où 1 signifiait « pas du tout » et 4 « très souvent ». Chacune des échelles a été créée en calculant la somme des réponses. Les résultats bruts ont été utilisés, puisque aucune normalisation n’est disponible pour cette version. Le nombre de variables et le coefficient alpha de Cronbach des échelles utilisées dans cette étude étaient les suivants : dépression : 8 variables, alpha = 0,82 ; colère : 6 variables, alpha = 0,79 ; anxiété : 4 variables, alpha = 0,69 ; dissociation : 5 variables, alpha = 0,76 ; stress post-traumatique : 6 variables, alpha = 0,8.

Données démographiques

Les données démographiques ont été obtenues lors de la première entrevue menée auprès des parents. Ces données incluent le sexe de l’enfant ; son âge (en années) ; son origine ethnique (catégorisée en quatre groupes : Blanc non hispanique, Noir non hispanique, autre origine non hispanique, et Hispanique de toute origine) ; son statut socioéconomique (SSE) ; et la taille de la ville de résidence de l’enfant. Le SSE a été calculé en combinant la somme de l’indice du revenu normalisé du ménage et le niveau de scolarité normalisé des parents (pour le parent qui détient le plus haut degré d’études), puis en le normalisant à nouveau. La structure familiale, qui est définie par la composition du ménage, a été classée dans quatre groupes : les enfants qui habitent avec : 1) deux parents biologiques ou adoptifs ; 2) un parent biologique et le conjoint du parent (marié ou non) ; 3) un parent biologique monoparental ; 4) autre tuteur. Les répondants indiquaient, parmi six catégories, la taille de la ville dans laquelle ils résidaient. Les résultats étaient alors répartis dans deux catégories : milieu de vie urbain (population de 20 000 personnes ou plus) ou rural (population de moins de 20 000 personnes).

Les caractéristiques démographiques incluses dans cette analyse pour les 1186 enfants lors de la Phase 1 sont les suivantes : Sexe : masculin, 50,4 % ; féminin, 49,6 %. Âge moyen : 13,4 ans. Origine ethnique : Blanc non hispanique, 62,1 % ; Noir non hispanique, 15,6 % ; autre non hispanique, 5,2 % ; Hispanique de toute origine, 17,2 %. Structure familiale : deux parents, 63,3 % ; parent avec conjoint, 11,1 % ; un parent monoparental, 20,6 % ; autre tuteur d’âge adulte, 5 %. Taille du lieu de résidence : milieu urbain, 65,6 % ; milieu rural, 34,4 %.

Résultats

Au cours de l’année précédant l’entrevue de la Phase 2, 37 jeunes ont été victimes d’agression sexuelle, dont 8 garçons et 29 filles (voir tableau 1). Les victimes étaient âgées de 12 à 19 ans lors de la Phase 2, les victimes âgées de 15 ans formant le groupe le plus important (n = 14), et l’âge moyen du groupe étant de 15,5 ans. Les adultes représentaient 11 % des agresseurs et les jeunes, 88 %, les autres ignoraient l’identité de l’agresseur. Seulement 16 % des agressions comportaient une pénétration, et une seule victime a rapporté avoir été blessée.

Tableau 1

Données sur les cas d’agression sexuelle au cours des 12 derniers mois de la Phase 2

Non pondérées (n = 37)

Données sur les cas d’agression sexuelle au cours des 12 derniers mois de la Phase 2

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Mis à part le sexe de la victime, aucune variable démographique n’était significativement associée à la victimisation de la Phase 2 (voir tableau 2). Toutefois, une variété de problèmes survenus lors de la Phase 1 y étaient associés (voir tableau 3). Les victimes d’agression sexuelle de la Phase 2 avaient des niveaux de victimisation plus élevés lors de la Phase 1, y compris le score total de victimisations et chacun des types spécifiques de victimisation (hormis l’exposition à la violence dans la communauté, pour laquelle la différence était faible et non significative). L’agression sexuelle pour laquelle la différence était importante (rapport de cotes ou « odds ratio » de 1,7 ; intervalle de confiance = entre 0,4 et 7,2) n’était pas significative à cause du petit nombre de cas, mais la victimisation sexuelle lors la Phase 1 était significative. Les victimes d’agression sexuelle de la Phase 2 avaient également des niveaux de délinquance supérieurs lors la Phase 1 ; cependant, la différence concernant la délinquance contre les biens n’était pas significative. Lors de la Phase 1, elles avaient des niveaux plus élevés de problèmes familiaux et manifestaient également davantage de symptômes traumatiques (seules les différences pour la dépression, la dissociation et le stress post-traumatique étaient significatives).

Tableau 2

Caractéristiques de la Phase 1 des victimes d’agression sexuelle dans l’année précédant la Phase 2

Non pondérées (n = 1186)

Caractéristiques de la Phase 1 des victimes d’agression sexuelle dans l’année précédant la Phase 2

** p <0,01.

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Une régression logistique multiple (voir tableau 4) a démontré que les cas de victimisation sexuelle lors de la Phase 1 étaient prédictives de l’agression sexuelle de la Phase 2, lors de l’analyse bivariée. Cependant, à l’étape 2, lorsque le nombre de victimisations non sexuelles de la Phase 1 a été ajouté à la régression, l’apport des cas de victimisation sexuelle est devenu non significatif. Lorsque toutes les variables sont considérées dans l’équation, seules les variables « féminin » et « victimisation non sexuelle » de la Phase 1 étaient prédictives de l’agression sexuelle de la Phase 2. La victimisation sexuelle n’apportait pas de contribution indépendante au modèle prédictif de l’agression sexuelle de la Phase 2. Il en est de même pour les symptômes psychologiques et la délinquance.

Tableau 3

Délinquance, symptômes traumatiques et victimisations de la Phase 1 chez les victimes d’agression sexuelle de la Phase 2

Délinquance, symptômes traumatiques et victimisations de la Phase 1 chez les victimes d’agression sexuelle de la Phase 2

La différence entre victimes et non-victimes est significative à : * p> 0,05 ; ** p <0,01 ; *** p <0,001.

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Tableau 4

Régression logistique des cas d’agression sexuelle de la Phase 2 sur les variables prédictives de la Phase 1

Régression logistique des cas d’agression sexuelle de la Phase 2 sur les variables prédictives de la Phase 1

* p> 0,05 ; ** p <0,01 ; *** p <0,001.

a Erreur-type.

b Catégorie de référence : Blanc non hispanique.

c Catégorie de référence : deux parents (adoptifs ou biologiques).

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Discussion

Les résultats de cette étude suggèrent que l’agression sexuelle n’est pas spécifiquement liée à la victimisation sexuelle antérieure, mais plutôt au fait d’avoir été exposé à de multiples formes de victimisation. Ces victimisations multiples comprennent une variété d’expositions, dont les agressions, les crimes contre les biens, l’exposition à la violence dans la communauté et la violence familiale. La conclusion voulant qu’une victimisation sexuelle en entraîne une autre est largement diffusée dans la littérature. Cette hypothèse peut être vraie principalement parce que plusieurs victimes d’agression sexuelle subissent également plusieurs autres formes de victimisation. Cela ne signifie pas nécessairement que la victimisation sexuelle antérieure ne joue aucun rôle dans la prédiction de la victimisation sexuelle subséquente, mais qu’elle est influente au même titre que d’autres types de victimisation, et non de manière spécifique. Il est également possible que la victimisation sexuelle joue un rôle en créant une vulnérabilité générale à la victimisation. Si tel est le cas, son influence sur la revictimisation sexuelle est probablement indirecte, la vulnérabilité générale jouant le rôle de médiateur entre les deux. Cela suggère aussi que dans les cas isolés de victimisation sexuelle, en absence d’exposition générale à la victimisation, les risques ultérieurs ne sont probablement pas beaucoup plus élevés.

Cette étude n’a pas été conçue pour tester tous les facteurs de risque possiblement associés à l’agression sexuelle et à la revictimisation sexuelle. Néanmoins, il est intéressant de noter que les variables qui avaient un pouvoir prédictif dans d’autres études comme l’adversité familiale, la délinquance et les symptômes traumatiques et qui se sont avérées significatives dans nos analyses bivariées, sont devenues non significatives lorsque l’exposition générale à la victimisation a été introduite. De tels résultats suggèrent que, dans la mesure où ces facteurs accroissent le risque d’agression sexuelle, le risque pourrait être accru à travers une vulnérabilité générale à la victimisation, plutôt que par un élément particulier à l’agression sexuelle.

Or, cette étude présente certaines limites. Elle évalue les cas de victimisation et de revictimisation dans un court laps de temps. La méthodologie employée diffère de la plupart des autres études sur la revictimisation sexuelle qui, de façon générale, ont évalué les tendances pendant de longues périodes de temps, incluant fréquemment tant l’enfance que l’âge adulte. Par contre, un des avantages de notre approche est qu’elle permet de mesurer le nombre de victimisations, ce qui serait plus difficile à évaluer dans le cadre d’une étude de longue durée, en raison des difficultés liées au rappel. Néanmoins, cette méthodologie réduit le nombre de cas d’agression sexuelle et, par conséquent, limite la puissance statistique. Elle rend aussi la comparaison avec les autres études moins directement possible.

L’étude connaît une autre limite : il est impossible de tester l’influence de types précis d’agression sexuelle, notamment l’agression intrafamiliale, dont l’impact pourrait être particulièrement considérable. On ne peut pas non plus ignorer la possibilité que certaines victimes d’agression sexuelle aient été victimisées par la même personne lors des deux phases.

Implications

Les études qui cherchent à évaluer les risques de victimisation sexuelle doivent aussi considérer d’autres types de victimisation. Malheureusement, à ce jour, peu d’études portant sur le risque sexuel et la revictimisation sexuelle en ont fait autant. Même si d’autres facteurs de risque associés aux cas de victimisation sexuelle sont souvent inclus, tels que les caractéristiques familiales, les résultats de la présente étude suggèrent qu’ils pourraient ne pas être de bons prédicteurs proximaux. Il faut donc considérer un large éventail d’exposition à la victimisation.

Ces conclusions semblent également encourager la recherche d’explications plus générales sur le style de vie et les comportements à l’égard de la revictimisation dans l’enfance, tel que cela est fait dans la littérature sur la victimisation criminelle générale. La littérature sur la revictimisation sexuelle met majoritairement l’accent sur des aspects psychologiques, tels le trouble de stress post-traumatique (TSPT) et l’estime de soi. Cependant, il se pourrait que ce soient des caractéristiques de l’environnement, notamment les communautés dangereuses, l’absence de tuteurs ou de gardiens compétents et la présence de contrevenants motivés, certains des facteurs présentés dans la théorie des activités routinières, qui soient des facteurs plus importants et méritent plus d’attention.