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L’institutionnalisation d’une formation pour une profession qui ne l’est pas est sans doute l’un des grands apports du champ d’études et de pratique en communication humaine à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Cette institutionnalisation s’est avérée le vecteur d’une théorisation de la pratique qui, en retour, a orienté l’action professionnelle. Ce va-et-vient entre théories et pratiques d’intervention a nourri les cours et les stages au premier cycle et les développements ultérieurs aux cycles supérieurs, ainsi que les réalisations en recherche et en intervention des professeures et professeurs.

À l’UQAM, les origines de cette institutionnalisation remontent aux toutes premières années de l’institution, avec la création d’un programme de baccalauréat en relations humaines, dans une université encore en gestation, où l’invention des « modules » et des « familles » de programmes visait un arrimage fort avec la société plutôt qu’avec les champs disciplinaires traditionnels. Très tôt, les personnes diplômées du baccalauréat en relations humaines occupent une multitude de postes aux libellés parfois inattendus : agent.e de développement ou de gestion de personnel, analyste-conseil, concepteur.trice, formateur.trice, conseiller.ère en gestion du personnel, responsable de la formation de la main d’œuvre, gestionnaire de projet, organisateur.trice communautaire, etc. (Bureau du recrutement, 2008; Dubé et Tessier, 2001; Mongeau, 2002). Il n’y a pas de postes en « communication humaine » dans les organisations qu’elles soient privées ou publiques. Il y a plutôt une multitude de postes dont l’assise principale réside dans le savoir-faire avec les humains en interaction et en relation. La formation prépare donc à des professions se logeant dans les interstices laissés vacants par les formations traditionnelles et répond aux besoins des organisations à l’égard de la gestion des interactions entre les personnes.

L’histoire de la communication humaine à l’UQAM que nous racontons ici se dessine sur la toile de fond d’un champ de la communication compris comme « un champ du discours sur le discours ayant des conséquences pour la pratique de la communication » (Craig, 2009, p. 3). Comme toute histoire, elle est une trame reconstituée à partir d’artefacts historiques, de la mémoire des personnes et du sens a posteriori qu’on lui accole. Le regard posé sur l’histoire est forcément tributaire de la posture de celle ou de celui qui la raconte. Johanne Saint-Charles est un « produit » de cette histoire. Elle a fait toutes ses études universitaires en communication à l’UQAM. À l’image des diplômé.e.s du programme en communication humaine[1], son parcours professionnel après le baccalauréat est diversifié et ancré dans la pratique en communication. Devenue professeure au Département des communications, elle a assumé la direction de l’unité de programmes en communication sociale puis de différentes unités de recherche interdisciplinaire en santé et environnement. Ses réalisations scientifiques impliquent aujourd’hui des collaborations avec des personnes dans plus de 25 pays et de plus de disciplines encore. Pierre Mongeau a été formé auprès de précurseurs du mouvement des relations humaines au Québec, dont Yves St-Arnaud à l’Université de Sherbrooke, et il a travaillé avec Roger Tessier, alors professeur au Département des communications. Il a implanté le programme uqamien à l’Université du Québec à Rimouski alors qu’il y était professeur. À l’UQAM, il a été directeur de l’unité de programmes en communication sociale, puis du Département des communications. Il a été parmi les acteurs centraux qui ont permis la création de la Faculté de communication et a pris la direction du Département de communication sociale et publique nouvellement créé, pour enfin devenir doyen de la Faculté de communication de 2012 à 2017.

Un peu de l’histoire de la communication à l’UQAM

L’histoire de la communication à l’UQAM, qui conduira à la naissance, en 2005, de la Faculté de communication, remonte aux premières années de la création de l’UQAM. Nous en présentons ici quelques jalons marquants. Outre notre propre mémoire, nous nous sommes appuyés sur des documents d’archive et de nombreuses discussions avec des collègues des premières heures, dont Jean-Paul Lafrance, cofondateur du Département des communications, Enrico Carontini, longtemps directeur du même département, cofondateur et premier doyen de la Faculté de communication, et Jacques Rhéaume, professeur émérite au Département de communication sociale et publique.

La Faculté de communication, telle que nous la connaissons aujourd’hui, prend racine dans la rencontre et la réunion de professeur.e.s lié.e.s aux relations humaines et aux sciences de l’information. En 1969 et durant les années suivantes, dans cette université naissante, plusieurs cours étaient donnés par des professeur.e.s dits « orphelins », parce sans rattachement départemental, notamment dans des domaines liés à la culture (animation culturelle, éducation culturelle, information culturelle, recherche culturelle) et à celui de la formation en relations humaines. Le premier groupe de professeur.e.s, qui offraient un éventail de cours liés à la culture et aux sciences de l’information, a donné lieu à la création du module d’information culturelle au début des années 1970. À l’initiative du professeur Jean-Paul Lafrance et de la professeure Marquita Riel, ce groupe s’est associé aux professeur.e.s enseignant dans le domaine de la communication humaine. Ensemble, ils ont donné naissance au Département des communications en réunissant tous ces professeur.e.s au sein d’une même unité (Lafrance, 2020). Ce nouveau département s’est depuis développé autour de deux grands axes : l’un articulé autour de la communication entre les personnes dans les milieux organisés et l’autre autour de la communication médiatisée. Ce fut le début d’une grande aventure qui nous a menés jusqu’à la Faculté de communication que nous connaissons aujourd’hui, avec le Département de communication sociale et publique, l’École des médias et l’École de langues.

Dans les années 1980, des programmes de cycles supérieurs sont venus chapeauter l’ensemble de la programmation. Le programme de maîtrise en communication démarre en 1980 et le doctorat, en 1987. Le doctorat fut créé conjointement avec l’Université de Montréal et l’Université Concordia. Depuis 2017, la Faculté de communication offre son propre programme de doctorat. La population étudiante inscrite dans l’ensemble de ses programmes au premier cycle et aux cycles supérieurs a constamment cru, pour atteindre environ 8 000 personnes en 2000. Elle est estimée à près de 20 000 en 2020 (Conseil académique, 2005; Service de planification académique et de recherche institutionnelle, 2020). Ce succès est sans doute en partie lié à la constante volonté, inscrite en filigrane de l’évolution et de la transformation des programmes, d’offrir des formations universitaires ancrées dans leurs contextes sociaux, économiques, politiques, culturels et organisationnels.

Les publications collectives

Vingt-cinq ans après sa création, le Département des communications est devenu l’une des plus importantes, sinon la plus importante, institution d’enseignement et de recherche en communication du monde francophone, tant pour la taille de son corps professoral que pour l’attrait que représentent ses programmes (Saint-Charles et Mongeau, 2005). Une première publication collective, Communication : horizons de pratiques et de recherches, dirigée par les auteurs du présent texte, est venue souligner cet état de fait, puis un deuxième volume est paru l’année suivante. Le titre de ces recueils souligne l’importance accordée au lien étroit entre la pratique et la théorie en communication à l’UQAM.

Cette double publication a conduit, dans la mouvance de la création de la Faculté de communication et du Département de communication sociale et publique en 2005, au lancement d’une revue scientifique dédiée aux publications en français dans le domaine de la communication sociale et publique : la Revue internationale de communication sociale et publique, aujourd’hui appelée Communiquer. Revue de communication sociale et publique. Lors de sa création, les professeures Danielle Maisonneuve et Florence Millerand se sont jointes à Pierre Mongeau et Johanne Saint-Charles pour développer ce projet, qui a reçu alors un modeste financement du Département de communication sociale et publique. Dans le premier numéro de la revue, la publication de la version française du texte de Robert T. Craig, « La communication en tant que champ d’études » (Craig, 2009), vient illustrer l’importance accordée à la pratique, mais aussi à l’enchevêtrement de la communication humaine et de la communication médiatique.

Communication humaine et communication médiatique : des parcours entrecroisés

Si l’histoire de la rencontre entre la communication humaine et la communication médiatique peut paraître anecdotique et circonstancielle à l’UQAM, force est de constater que ce cheminement ne lui est pas particulier. On observe des cheminements similaires dans des universités nord-américaines (Craig, 2009; Donsbach, 2015), latino-américaines (Capriles, 1982) et européennes (Jeanneret et Ollivier, 2004; Phillips, 2016), là où les études en communication ont été institutionnalisées.

Ainsi, il apparaît que ces deux grands « champs » de la communication – dont on pourrait penser qu’ils se développent en parallèle –, se constituent plutôt l’un contre l’autre (dans le double sens de s’appuyer l’un sur l’autre et de s’opposer l’un à l’autre) en se nourrissant et en s’émulant mutuellement par le développement de théories et de pratiques qui leur sont tantôt spécifiques et tantôt communes (Chung et al., 2013).

Localement à l’UQAM, ces deux champs entrecroisés, qui ont conduit à l’origine à la naissance du Département des communications, ont donné lieu à la formation de deux départements distincts lors de la création de la Faculté de communication en 2005. Cette division en unités administratives formellement séparées et autonomes a suscité nombre de discussions quant à la ligne de partage et à la manière de nommer les départements. Sur les plans théorique, pratique et interpersonnel, cette division n’allait pas de soi. Devait-on tracer la ligne de démarcation selon le pôle « théorie/pratique » ou selon le pôle « communication humaine/communication médiatique »? Ces polarisations ne risquaient-elles pas de faire perdre le terreau fertile qu’offrait le « mélange des genres » propre au Département des communications? Dans ce contexte mouvant, les discussions ont notamment été abondantes pour la définition des objets d’études respectifs des deux unités ainsi que pour la détermination du nom des unités.

À terme,

le domaine de la communication organisationnelle (incluant les relations publiques, la communication publicitaire, la communication marketing, la communication politique), de la communication interpersonnelle et de groupe, de la communication interculturelle et internationale a été défini comme le champ d’études du « Département de communication sociale et publique ». Dans une approche intégrant à la fois les études interdisciplinaires et l’impact pratique de ces études, le département entend aborder, du point de vue de la communication, les thématiques cruciales de nos sociétés, notamment les relations multiculturelles, la santé, les relations de pouvoir, les médiations des savoirs et des productions culturelles, le rôle des médiations technologiques dans la reconfiguration de l’espace public et privé, et les multiples enjeux éthiques reliés à ces thématiques (Conseil académique, 2005, p. 13).

Tandis que le domaine de

la communication médiatique (cinéma, journalisme, médias interactifs, radio, stratégies de production, télévision) a été défini comme le champ d’études de l’École des médias. L’École, tant au niveau de l’enseignement que de la recherche et de la création, tout en mettant l’accent sur le processus de création et de production, privilégie une approche communicationnelle globale des médias intégrant l’étude des contextes de création, de production et de réception, les analyses de contenu, les stratégies de production et les usages sociaux des médias. (Conseil académique, 2005, p. 12).

Dès lors, le champ de la communication humaine s’est inscrit dans le Département de communication sociale et publique.

La communication humaine, son créneau, son apport

Pourquoi la communication humaine en communication? Quel est son apport? Comment se distingue-t-elle de disciplines qui l’ont beaucoup influencée, notamment de la psychologie sociale?

La communication humaine a pour objet d’étude (et lieu d’intervention) la communication entre les personnes et ce qui naît de cette communication : le sens des échanges, l’histoire qui est racontée, les entités qui naissent des interactions (dyades, triades, groupes, la réunion comme phénomène en soi, etc.). Elle réfère donc aussi à des expressions telles que « communication interpersonnelle », « communication en groupe » ou « communication organisationnelle ». Le regard de la personne chercheuse ou intervenante en communication humaine se porte sur les interactions entre les personnes. L’accent sur l’« entre » la distingue notamment de la psychologie sociale, laquelle porte sur les effets des déterminants sociaux et contextuels sur la personne, ses perceptions et ses réactions (Bègue, 2002).

Par exemple, une approche narrative de la communication conduit à concevoir l’être humain comme un raconteur d’histoire qui donne un sens au monde et l’organise (Bormann, Cragan et Shields, 2001; Fisher, 1987); la communication interpersonnelle examine les interactions, l’établissement et la nature des relations entre les personnes (Knapp et Daly, 2011; Smith et Wilson, 2010), ses aspects non verbaux (Burgoon Guerrero et Floyd, 2010); la communication dans le groupe examine l’entité groupe qui naît des interactions entre les membres (Arrow, McGrath et Berdahl, 2000; Frey, 2006; Mongeau et Saint-Charles, 2019) ou la spécificité des interventions de facilitation des réunions (Allen, Lehmann-Willenbrock et Rogelberg, 2015), dans une perspective similaire, on regarde les organisations comme émergent de la communication (Ashcraft, Kuhn et Cooren, 2009; Monge et Contractor, 2003; Vásquez et Schoeneborn, 2018).

Dans beaucoup de disciplines des sciences humaines et sociales occidentales, le lien social, l’« entre », est présenté comme le liant entre deux individus ou plus, entre des groupes ou même entre des organisations. On y examine comment, dans quelles conditions et selon quels contextes des individus établiront tels types de liens ayant telles caractéristiques. Cette approche place l’individu au cœur ou à la base d’une interprétation du monde et des interactions entre les individus, les groupes ou les organisations. Par exemple, la psychanalyse et la psychologie humaniste mettent en exergue des causes intrapsychiques aux manières d’être des personnes. La psychologie expérimentale examine le lien social en tant que variable dépendante de variables personnelles (âge, sexe, traits, style d’attribution, motivations, etc.). La psychologie sociale montre comment certains attributs du contexte peuvent influer sur les manières d’interagir de la personne. La sociologie, dans son ensemble, renverse la proposition et met en évidence l’impact des déterminants sociaux sur les individus. D’autres ont tenté de montrer comment les relations entre les individus, les groupes et les organisations et les structures sociales se déterminent mutuellement (Giddens, 1984). Toutes ces perspectives tendent à être égocentrées en ce que l’individu y est considéré comme l’acteur à comprendre. Il est tantôt en amont, tantôt en aval, tantôt déterminant, tantôt déterminé, ou encore, de façon un peu plus complexe, à la fois en amont et en aval, c’est-à-dire qu’il serait limité par les contraintes qu’il participe à définir.

A contrario, la contribution du champ d’études de la communication humaine est d’inviter à placer le lien social au centre de l’attention. Cette vision, nouvelle par le retournement qu’elle exige, est centrée sur le lien de communication, sur l’interaction. Le lien social devient l’objet, l’entité à comprendre. L’individu y est secondaire. Il n’est plus ni la source ni la cause. Il est le support, l’environnement qui permet au lien d’exister, une mémoire, une niche, qui permettent à certains schèmes d’interaction et mèmes d’exister et de se manifester (Blackmore, 2006; Mongeau et Tremblay, 2002). Ainsi, un rapport de domination n’est plus interprété comme un individu qui en domine un autre, mais considéré comme un objet social en soi qui existe dans l’environnement créé par l’interaction de ces individus. Ce n’est plus un individu qui joue de manière compulsive, qui est une vedette, qui est généreux, qui prie, ce sont des manières d’être au monde, d’interagir avec son environnement qui existent et perdurent grâce à ces individus. Cette vision du monde conduit à intervenir non pas sur les personnes, mais sur les interactions, sur la manière dont les individus interagissent.

La communication humaine à l’UQAM

La communication humaine à l’UQAM est d’abord l’affaire du baccalauréat en communication humaine. Offert dès les premières années de l’UQAM, au début des années 1970 sous l’appellation « baccalauréat en relations humaines », ce programme a connu, au rythme des différentes réformes, trois autres dénominations : baccalauréat en psychosociologie de la communication, puis baccalauréat en communication (relations humaines) et, enfin, baccalauréat en communication humaine et organisationnelle, dénomination actuellement en vigueur. Ces différentes appellations reflètent et jalonnent le processus sous-jacent d’institutionnalisation d’une formation pour une profession qui ne l’est pas. On a vu en introduction que les titres de profession des diplômé.e.s sont diversifiés. Une analyse des contacts LinkedIn conduite auprès d’ancien.ne.s du programme réalisée à la fin de 2019 montre que cette tendance se maintient : sur un peu plus de 300 contacts, c’est près d’une centaine de titres d’emploi différents que l’on retrouve (Saint-Charles, 2019).

Résilient, ce programme a traversé les différentes époques et crises qui ont façonné le développement de la programmation à l’UQAM. Il admet annuellement une centaine d’étudiant.e.s depuis près de cinquante ans. Les réformes ont tour à tour précisé et défini les bases épistémologiques et professionnelles de la formation offerte aux étudiant.e.s.

Le programme est d’abord marqué par le mouvement américain des relations humaines (Lewin, 1951; Roethlisberger et Dickson, 1939), qui montre comment le groupe est un médiateur de l’adaptation des travailleur.euse.s dans une organisation. Cet intérêt pour le courant des relations humaines, pour l’étude des groupes et de l’intervention dans et par le groupe s’inscrit dans une époque où l’intérêt pour ces approches est grand au Québec. Par exemple, dès le début des années 1960, des entreprises privées offrant des formations dans le domaine voient le jour : Société canadienne de dynamique des groupes, Institut de formation par le groupe, Centre d’étude des communications, Centre interdisciplinaire de Montréal. Plusieurs des intervenant.e.s dans ces boîtes deviendront professeur.e.s à l’UQAM et dans d’autres universités québécoises (notamment à l’Université de Montréal et à l’Université de Sherbrooke) (Landry, 1987a). L’intervention organisationnelle s’invite alors dans le développement du programme sous l’appellation « développement organisationnel » (Tessier et Tellier, 1973).

Trois réformes viendront ensuite enrichir cette base. La première, conduite par Jacques Rhéaume en 1980, intégrera les apports de la psychosociologie française concernant la pratique d’intervention (praxis) comme élément déterminant du domaine d’études et de pratique (Maisonneuve, 1982; Moscovici, 1982). La réforme de 1999, conduite par Pierre Mongeau dans un contexte de réorganisation de la gestion des programmes en communication, a consacré l’intégration du champ de la communication humaine aux domaines des études et des pratiques professionnelles en communication en apposant le nom d’origine à celui plus générique de « communication » pour devenir « communication (relations humaines) ». La dernière réforme, amorcée par Chantal Aurousseau et menée à terme par Nathalie Lafranchise, poussera plus loin cette intégration en adoptant le nom de « communication humaine et organisationnelle », appellation qui met en évidence le champ d’études et d’intervention du programme, à savoir la communication humaine dans les organisations comprises comme « milieux organisés » : organisations formalisées des secteurs publics, privés ou communautaires, communautés de pratique, groupes d’action citoyenne, communautés de vie ou comités de gestion, etc.

Nous interprétons cette évolution nominative des intitulés du programme comme des balises qui ont jalonné l’émergence d’un domaine. À l’instar de l’évolution du large champ d’études et de pratique désigné par « communication », dont l’institutionnalisation dans des structures universitaires a précédé l’émergence d’un consensus quant à sa définition, laquelle reste sujette à débats, l’institutionnalisation du programme en communication humaine dans une structure universitaire a soutenu son offre de formation bien avant qu’en soient précisés les contours. Elle a favorisé son affranchissement de ses champs d’études d’origine : la psychologie des relations humaines, la psychologie sociale et la psychosociologie.

Rien n’est plus pratique… qu’un éventail de contributions théoriques

Le développement du champ de la communication humaine à l’UQAM s’est réalisé à partir d’une volonté manifeste de ses professeur.e.s d’arrimer théories et pratiques d’intervention. Ils et elles ont conçu des cours, des ateliers et des stages à partir d’un ancrage fort dans la pratique et d’une théorisation apte à orienter l’action d’un.e intervenant.e sur les communications entre les personnes dans des milieux organisés. En cela, on reconnaît certaines des origines théoriques du programme, notamment l’apport de l’un des contributeurs marquants de l’étude des groupes, Kurt Lewin (1943), dont la fameuse citation « Il n’y a rien de plus pratique qu’une bonne théorie » (p. 118) a été maintes fois reprise.

Le parcours de plusieurs professeur.e.s s’inscrit en continuité avec une expérience professionnelle antérieure à leur carrière universitaire et en parallèle de programmes de recherche souvent réalisés avec des partenaires des milieux de pratique, notamment en collaboration avec le Service aux collectivités de l’UQAM[2].

Le programme, par l’intermédiaire des professeur.e.s y enseignant, a été le lieu d’émergence de nouveaux secteurs d’études visant à répondre aux besoins de la société au sein de laquelle les personnes diplômées étaient appelées à intervenir. Il a été l’un des premiers, sinon le premier programme à l’UQAM à offrir un stage à l’international, lequel a ouvert la voie à un large développement de tout un secteur d’études consacrées à la communication internationale et interculturelle (Agbobli, 2009, 2015, 2018; Agbobli et Hsab, 2011; Agbobli et Rico de Sotelo, 2005; Bouchard, Bourassa-Dansereau et le Gallo, 2018; Hsab, 2002; Hsab et Stoiciu, 2011; Kane, 2011; Kane, Agbobli et Hsab, 2013; Landry et al., 1991; Montgomery et Bourassa-Dansereau, 2017; Montgomery et Tamouro, 2018; Stoiciu et Stoiciu, 2011).‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬

De même, il a été parmi les premiers programmes à offrir des cours intégrant une approche féministe. Plusieurs professeures ont contribué par leurs productions à intégrer les préoccupations de genre en communication (Aurousseau, Landry et Comité conjoint UQAM-CSN-FTQ, 1991; Bourassa-Dansereau, 2014; Landry, 1990a, 1990b, 1991; Saint-Charles et al., 2012), les pionnières du domaine ayant aussi joué un rôle dans la création du Centre de recherche féministe de l’UQAM, ancêtre de l’Institut d’études et de recherches féministes de l’UQAM.

Nombre de contributions concernent des secteurs ayant été au cœur du programme dès ses origines. C’est le cas de l’étude des groupes restreints ou des équipes de travail qui, à l’image de l’évolution de ce domaine dans le monde occidental, a lentement vu les approches théoriques se déplacer de leurs origines en psychologie sociale vers la communication (Frey, 2002; Landry, 1977, 2007; Mongeau et Saint-Charles, 2011, 2019b; Mongeau et Tremblay, 1995, 2014; Mongeau, Saint-Charles et Tremblay, 2006; St-Cyr Bouchard et Saint-Charles, 2018). La communication interpersonnelle, notamment comprise dans une perspective systémique, a toujours été présente dans la programmation des cours et dans des publications (Cormier, 1995; Landry, 2012; Mongeau et Tremblay, 2002, 2011; Saint-Charles et Mongeau, 2002, 2009), entre autres en rapport avec les conflits et la violence (Aurousseau et al., 1996; Bourassa-Dansereau, 2015; Cormier, 2004; Rhéaume, 2010).

Le large domaine de l’intervention en milieu organisé a été et continue d’être alimenté par les professeur.e.s en communication humaine, qu’il s’agisse de l’animation et de la conduite de réunions (Brouillet et Dolbec, 1994; Landry, 1977, 1987b; Mongeau et Saint-Charles, soumis; Tellier et Tessier, 1968), dont les micros-interventions constituent la base d’interventions plus larges, de l’accompagnement des personnes et du mentorat (Aurousseau, Chantal et Ledoux, 2011; Houde, 1996, 2005; Lafranchise, Lafortune et Rousseau, 2014), ou de théorisations sur le changement et l’intervention organisationnels. Celles-ci se sont d’abord développées sous l’angle de ce qu’on appelait alors le « changement planifié » (Tessier et Tellier, 1973, 1990a) ou « intentionnel » (Tessier, 1991) pour se déployer selon différentes perspectives pragmatiques, réflexives et créatives (Carle, 1998; Cordelier, 2012; Cordelier, Vásquez et Mahy, 2011;Cormier, 1995; Mahy, 2008a, 2008b, 2012a, 2012b; Mahy et Carle, 2012; Rhéaume et al., 1991; Schoeneborn et Vásquez, 2017; Tessier, 1991, 1996; Tessier et Tellier, 1973, 1990b; Vásquez, Brummans et Gloreau, 2012; Vásquez et Cooren, 2013; Vásquez et Schoeneborn, 2018; Vásquez, Schoeneborn et Sergi, 2016; Wener et Cormier, 2006). Soulignons qu’un numéro spécial de la revue Communiquer portant sur les fondements et les enjeux communicationnels de l’intervention en milieux organisés est prévu pour l’automne 2020.

Quel que soit l’angle adopté, on y retrouve fréquemment une préoccupation pour la participation et la prise en compte des savoirs autres qu’universitaires, tant dans l’intervention que dans les méthodes de recherche favorisées (Lafranchise et al., 2017; Mertens et al., 2005; Millerand, 2012; Mongeau, 2011; Rhéaume, 2008; Tanguay, Saint-Charles et Grosbois, 2014; Tessier, 1991; Vásquez, 2013; Wener, 1986; Yates et al., 2018). La recherche-action a d’ailleurs été enseignée dès les premières années d’existence du programme, bien avant qu’elle ne devienne l’approche prisée qu’elle est aujourd’hui.

La recherche et l’intervention en communication pour la santé a amené au programme un nouveau champ d’études qui s’est déployé à la Faculté, laquelle compte maintenant deux centres de recherche institutionnels en santé (Brouillet et Bujold, 2000; Laquerre, 2003, 2013; Renaud, Rico de Sotelo et Kane, 2006; Renaud et Rico de Sotelo, 2007; Renaud et Thoër, 2007; Saint-Charles, 2012; Saint-Charles, Surette et Bouchard, 2014). De même, l’éthique en intervention, notamment en santé (Farmer, Bouthillier et Roigt, 2013; Hudon et al., 2016; Montgomery, Cognet et Centre de santé et de services sociaux de la Montagne, 2007), y a pris racine. Se sont ajoutées des considérations pour la prise en compte de l’effet du numérique dans les relations humaines (Aurousseau, 2015; Cordelier et Breduillieard, 2012; Harvey, 2005, 2014; Millerand, 1998, 2003).

Les premiers cours en analyse des réseaux sociaux offerts au programme ont favorisé l’émergence et le développement de cette approche à Montréal, principalement à travers l’organisation de colloques sur le sujet à l’ACFAS et d’une communauté de pratique. La contribution à l’émergence du nouveau champ de recherche en analyse des réseaux sociosémantiques (Mongeau et Saint-Charles, 2014a, 2014b; Saint-Charles et Mongeau, 2018) est aussi à souligner.

Finalement, un bon nombre de publications et d’études se rapportent au programme lui-même et au parcours de ses diplômé.e.s (Carle, 1999a, 1999b; Dubé et Tessier, 2001; Mongeau, 2001). Ainsi, par l’implication dans divers cours et leurs nombreuses publications, la majorité des professeur.e.s du Département de communication sociale et publique a été amenée à contribuer au programme.‬

Pour terminer, mentionnons que l’UQAM a été, à l’initiative de professeur.e.s du Département de communication sociale et publique, l’hôte de trois grands colloques internationaux réunissant chacun de 600 à plus de 1 000 personnes : IAMCR. International Association for Media and Communication Research (2015)[3], EcoHealth, 5th Biennal Conference of the International Association for Ecology and Health (2014) et INSNA, XXXIXth Conference of the International Network for Social Network Analysis (2019).

Les contributions citées dans ce qui précède visent à illustrer, s’il en est encore besoin, l’arrimage entre théorie et pratique en communication humaine, qui se manifeste dans des publications des professeur.e.s ayant contribué à ce programme. On notera qu’un bon nombre de ces publications sont en français et que certaines sont des documents destinés à des publics professionnels. Il s’agit là d’un autre témoignage de l’investissement dans la pratique, cette fois par une considération des publics pour qui ces publications seront utiles.

Conclusion

En quelques pages, nous avons mis en récit le développement de la communication humaine à la Faculté de communication de l’UQAM tissée autour d’une formation que Dubé et Tessier (2001) nommaient déjà une « profession aux multiples visages », une profession articulée autour de l’« entre-les-personnes ». Nous avons montré comment ce programme a directement contribué à l’institutionnalisation du champ de la communication. Partie d’une position épistémologique et professionnelle ni en psychologie ni en sociologie, mais qui se réclamait un peu des deux avec la psychosociologie de la communication, ce programme de formation universitaire a été le terreau de consolidation d’une position véritablement communicationnelle. Après cinquante ans d’existence, de redéfinition et de résilience, il a conduit à un regard spécifiquement communicationnel sur certains phénomènes en milieux organisés. Avec le temps, son objet s’est précisé comme étant l’interaction entre les personnes et ce qui en émerge (dyade, réunion, groupe, organisation) ainsi que les pratiques d’interventions portant sur celle-ci.

Cette articulation du champ autour d’un objet unique n’a toutefois pas conduit à des études et à des pratiques univoques. Au contraire, à partir des publications des professeur.e.s, force est de constater que leurs contributions continuent à se déployer dans de multiples secteurs et domaines (communications internationale, interculturelle, organisationnelle, dans les groupes, etc.). Rien ne laisse présager un renversement de cette tendance. En effet, la diversité des lieux de pratiques et d’intervention où une réflexion sur l’entre-les-personnes contribue à orienter l’action est telle que tous les possibles n’ont pas encore été explorés.

Si on a pu constater que quelques grandes thématiques présentes dans la programmation se sont maintenues au fil du temps, tout en se transformant pour tenir compte des réalités contemporaines, on peut par ailleurs observer qu’une certaine approche critique de l’intervention a peut-être été délaissée au profit d’un plus grand pragmatisme. Par exemple, les approches d’Alinsky (1976) ou de Freire (1974, 1978) ne sont plus à l’agenda, remplacées par des approches de savoir-faire, plus pragmatiques et apolitiques, centrées sur l’efficacité et la pertinence de l’action, par exemple les guides d’intervention de Laure (2018) et de Lescarbeau et al.(2003).

Finalement, considérant l’importance historique de ce programme pour le Département de communication sociale et publique et la Faculté de communication, tant sur les plans de l’organisation universitaire qu’épistémologique, nous ne pouvons qu’espérer qu’il continue à être une source d’inspiration, de fierté et d’investissement en recherche et en développement de pratiques d’intervention spécifiques. Rappelons-le, sans ce programme, ni le Département ni la Faculté n’aurait vu le jour. Sans lui, tout un pan des études en communication serait vraisemblablement toujours dans l’ombre.