Résumés
Résumé
Cette note de lecture s’intéresse à l’ouvrage Les médias et les journalistes, interprètes de la société (2018). Nadège Broustau réexpose dans ce livre les résultats de sa thèse de doctorat tout en les éclairant de réflexions théoriques et méthodologiques issues de travaux ultérieurs. L’auteure offre une nouvelle voie d’analyse du discours médiatique vu comme archive sociale : l’étude de l’évolution des représentations médiatiques.
Mots-clés :
- représentation,
- jurisprudence,
- communication publique,
- discours médiatique,
- archive sociale
Abstract
This book review focuses on the book Les médias et les journalistes, interprètes de la société (2018). In this book, Nadège Broustau sheds light on the results of her doctoral thesis by the means of ulterior theoretical and methodological works. The author proposes a new way of analyzing the media discourse, here considered as a social archive: the study of the evolution of the media representations.
Keywords:
- representation,
- jurisprudence,
- public communication,
- media discourse,
- social archive
Corps de l’article
Dans son livre Les médias et les journalistes, interprètes de la société, Nadège Broustau propose une nouvelle voie pour analyser les débats publics médiatisés : l’étude de l’évolution des représentations médiatiques.
L’objectif principal de la chercheuse est d’examiner « comment se forme la représentation médiatique d’événements en s’attachant à l’évolution du cadre argumentatif du débat qui prolonge un événement déclencheur » (p. 4). Pour ce faire, elle réexpose les résultats de sa thèse de doctorat (2007), lesquels sont présentés sous la perspective de réflexions issues de recherches ultérieures. Sa méthode consiste à étudier le discours des médias, qui se trouve à l’intersection de l’individu et de la société, pour observer l’inscription possible d’un événement dans l’histoire et, ainsi, examiner les idéologies produites par l’inscription de certains événements. L’auteure suggère de considérer les discours médiatiques comme des archives sociales permettant d’étudier les traces de coopération entre les individus et les organisations, mais aussi les représentations issues de ces traces. L’ouvrage, divisé de manière assez classique, compte cinq chapitres. On y retrouve successivement la problématique, le cadre théorique, deux chapitres sur la méthodologie et un dernier chapitre sur une étude de cas et sur la présentation des résultats.
Dans le premier chapitre, l’auteure situe sa démarche dans le large champ de la sociologie de la communication publique. Elle choisit deux paradigmes pour aborder sa recherche : l’influence « massive, directe et immédiate » des médias (Derville, 1997) et la construction sociale de la réalité.
Le premier paradigme explore l’interaction entre le pouvoir, les médias et les citoyens dans sa globalité. Cette approche, dans sa version critique, met en évidence le rôle idéologique des médias. Le deuxième paradigme cherche à cerner le rôle des médias dans la construction de la réalité. Le but est de mettre l’accent sur les représentations du réel présentes dans les médias et sur leurs effets sur les lecteurs. Les concepts phares de ce paradigme sont le cadrage des nouvelles (framing) et l’effet d’amorçage (priming). Si le premier concept permet aux médias de « construire une certaine réalité en fixant des contours reconnaissables à l’enjeu, au débat » (p. 22), le deuxième, lui, fait référence « au changement des standards sur lesquels la population s’appuie pour poser des jugements sur la politique » (p. 22). Le framing permet de fixer le débat et le priming, d’en modeler les critères d’évaluation.
Dans le deuxième chapitre, Broustau déploie le cadre théorique qui sous-tend son travail en partant du postulat selon lequel l’écriture de presse témoigne d’un effort de choix. Le discours de presse est vu comme un lieu de reconnaissance plutôt que comme un lieu d’invention. En ce sens, l’auteur suggère le concept de jurisprudence médiatique pour évoquer « la tendance des textes médiatiques à proposer des solutions ou des situations réglées dans le passé pour définir un problème ou un événement nouveau » (p. 36). C’est à travers cette pratique que les publications médiatiques peuvent être considérées comme des archives à la fois sociales et rhétoriques qui rassemblent des traces d’éléments pour définir une situation.
Toutefois, l’étude du discours médiatique demande à être située. Ainsi, l’auteure suggère de bâtir l’étude du discours médiatique à partir d’une situation ou d’une conjoncture en détaillant le fait ou les faits saillants qui servent de pivot aux débats sociaux. Dans le cas d’une représentation médiatique, il faudrait d’abord cibler un événement qui suscite un débat. D’où l’idée centrale de la chercheuse de pister les trajectoires de représentations médiatiques au fil de la reproduction d’un événement dans les médias : « Ce qui va ressortir du filtre médiatique – et de son étude –, ce sont les raisonnements ou les logiques données à retenir, qui s’affrontent le plus et sont les plus marquants; bref, le procédé de synthèse des idées » (p. 38). C’est l’analyse de l’argumentation apparaissant dans le traitement médiatique d’un événement qui permettra de comprendre le processus de (re)production des représentations.
Les troisième et quatrième chapitres se concentrent sur la méthodologie. Puisque l’auteure veut étudier les représentations et les procédés argumentatifs qui structurent la réalité, elle a constitué un corpus composé d’éditoriaux et de chroniques de journaux comme ces textes révèlent d’efforts rhétoriques et argumentatifs plus marqués que ceux mis en œuvre dans des articles d’actualité. Sa méthode consiste à « étudier l’efficacité de la parole dans ses dimensions institutionnelles, sociales et culturelles » (p. 52), le but étant de mettre au jour les prises de position, les anticipations, les adaptations et les représentations.
Analyser l’argumentation permet d’accéder à l’idéologie, ce dernier mot étant caractérisé par la définition d’une situation en vue d’une action et par un système de pensée générateur de représentations sociales (Dumont, 1963). On parle ici d’idéologie tant interne – comment résoudre une affaire – qu’externe – profiter d’une affaire pour formuler une critique sociale plus large.
Concrètement, la méthode de l’auteure consiste à produire un résumé argumentatif de chaque texte analysé et d’en extraire les éléments idéologiques sur la base de la typologie suivante : D : Données; P : Proposition (donc); G : Garantie (puisque); CA : Caution (parce que); CO : Concession (même s’il est vrai que); et O : Objection (alors que). Par exemple, (P) l’embargo américain est inefficace parce qu’un (G) embargo ne fait pas chuter un régime, la preuve étant (CA) que Castro est encore au pouvoir après 40 ans d’embargo même si (O), au final, la mauvaise politique marxiste est responsable des problèmes (p. 76).
Dans le chapitre cinq, l’auteure présente l’étude de cas retenue pour la démonstration, soit la couverture de l’affaire Elian Gonzalez dans la presse américaine. En 1999-2000, à l’issue d’un naufrage de Cubains tentant de rejoindre Miami, un enfant, Elian Gonzalez, est recueilli. Ce sauvetage provoque une crise politique et médiatique, car une partie de la famille de l’enfant habite aux États-Unis et l’autre, à Cuba. Ce sujet est jugé idéal pour l’application du modèle théorique, car il soulève des enjeux de positionnement idéologique entre pays rivaux (capitaliste versus communiste). Trois médias sont retenus, considérant les critères de proximité du lieu où s’est produit l’incident déclencheur : le Miami Herald, le Washington Post et le New York Times. Le premier média est choisi pour sa proximité avec les événements et les acteurs principaux et les deux autres, pour leur proximité avec les centres décisionnels du débat.
Après plusieurs pages réservées à la description du contexte de l’événement, l’auteure en vient à ses conclusions. Dix positions thématiques communes aux éditoriaux et aux chroniques des trois journaux sont identifiées (p. 152-166). On y retrouve, par exemple, la plaidoirie contre l’exploitation des enfants ou contre l’exploitation de la sphère privée de la victime. La chercheuse fait également émerger une ligne éditoriale spécifique aux trois médias : le Miami Herald comme grand frère conseil de la communauté cubaine à Miami; le Washington Post comme critique politique rationnel défenseur de la démocratie et des droits du père d’Elian; et le New York Times comme nuancier d’opinions s’affichant en faveur de l’action du gouvernement américain tout en appelant à un examen de conscience collective.
Les riches et nombreux tableaux de synthèse présentés au chapitre cinq méritent d’y porter attention. Il s’agit, selon nous, de la contribution la plus significative de ce livre : une trace vivante et inspirante d’un travail méthodologique rigoureux, constant, fiable et inspirant.
On peut cependant déplorer que l’auteure ne mentionne pas les limites de son travail. En effet, la dichotomie ami/ennemi dans les médias de masse n’oppose plus les idéologies capitaliste et communiste présentes dans l’affaire Elian Gonzalez, mais beaucoup plus les alliés et les rivaux dans la guerre contre le terrorisme (Shaw, 2016). Le choix d’étudier un pays communiste comme Cuba, sans doute inspiré des premiers travaux d’Herman et Chomsky (1988), ne semble plus adapté à la géopolitique du « choc des civilisations » du 21e siècle. Nous croyons qu’une mention sur l’évolution des représentations médiatiques aurait été indispensable.
Si l’ouvrage de Broustau ouvre la voie à des recherches portant sur le cadrage médiatique en communication publique, il faut rappeler que son travail s’inscrit dans une conception libérale des médias, où ceux-ci sont considérés comme des espaces neutres, à l’interface de l’État et de la société, où peuvent apparaître des débats d’intérêt public : « Les médias, en constituant un espace d’information et de débats publics, participent ainsi d’une forme de consensus » (p. 5). Or cette conception libérale des médias de masse a été largement remise en question depuis plusieurs années par les recherches critiques en études médiatiques (Davis, 2000; Ouellet, 2016; Thompson, 2010). Si l’auteure prend en considération certaines approches critiques analysant l’idéologie des médias (Hall et al., 1978; Herman et Chomsky, 1988), elle reste cantonnée dans l’analyse des messages médiatiques. La chercheuse ne semble s’intéresser ni à la production ni à la réception des textes, en dépit du fait que ces aspects soient abordés dans un ouvrage qu’elle a codirigé avec Chantal Francoeur (Broustau et Francoeur, 2017).
Nous croyons que l’ouvrage aurait été plus solide s’il avait intégré certaines approches critiques de l’économie politique de la communication (par exemple Hardy, 2014; Mosco, 2009; Shaw, 2016). Les chercheurs qui s’inscrivent dans cette perspective démontrent depuis un moment déjà que les médias de masse, loin d’être un espace neutre entre l’État et la société civile, participent pleinement au développement du capitalisme et même à l’accumulation de la valeur[1]. Cette lacune n’enlève cependant rien à l’impressionnant travail de codage effectué par l’auteure dans ce livre.
Parties annexes
Note
-
[1]
Le développement des médias occidentaux a par exemple contribué à l’expansion des marchés financiers, à l’efficacité de la concurrence, à la baisse des coûts de production et à l’extension du système de prix (Shaw, 2016).
Bibliographie
- Les médias et les journalistes, interprètes de la société 2018 Broustau, N. (2018). Les médias et les journalistes, interprètes de la société . Québec, Québec : Presses de l’Université du Québec.
- Broustau, N. et Francoeur, C. (dir.). (2017). Relations publiques et journalisme à l’ère numérique : dynamiques de collaboration, de conflit et de consentement. Québec, Québec : Presses de l’Université du Québec.
- Davis, A. (2000). Public relations, business news and the reproduction of corporate elite power. Journalism, 1(3), 282-304.
- Derville, D. (1997). Le pouvoir des médias. Mythes et réalités. Grenoble, France : Presses universitaires de Grenoble.
- Dumont, F. (1963). Idéologie et savoir historique. Cahiers internationaux de sociologie, 35, 43-60.
- Hall, S., Critcher, C., Jefferson, T., Clarke, J. et Roberts, B. (1978). Policing the Crisis: Mugging, the State and Law and Order. Londres, Royaume-Uni : McMillan.
- Hardy, J. (2014). Critical political economy of the media: An introduction. New York, NY : Routledge.
- Herman, E. S. et Chomsky, N. (1988). Manufacturing consent: The Political Economy of the Mass Media. New York, NY : Pantheon Books.
- Mosco, V. (2009). The political economy of communication: Rethinking and renewal. Londres, Royaume-Uni : Sage Publications.
- Ouellet, M. (2016). La révolution culturelle du capital. Montréal, Québec : Les Éditions Écosociété.
- Shaw, I. S. (2016). Business journalism: A critical political economy approach. Londres, Royaume-Uni/New York, NY : Routledge.
- Thompson, P. (2010). Convenient fictions? A critical communicative perspective on financial accumulation, autopoiesis and crisis in the wake of the credit crunch. Communication présentée lors de la Annual conference of the International Association for Media and Communication Research, Braga, Portugal.