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Sylvie Poirier : Merci aux quatre conférenciers. Les organisateurs me disent que nous avons une dizaine de minutes pour les questions.

Innu de Mashteuiatsh : [Phrases en innu.] Kuei ! Je suis un Pekuakamiulnuatsh. Apu ataueian, apu ataueian Tshikauinu assi [On n’achète pas, on n’achète pas la Terre-Mère]. Je suis de Mashteuiatsh. Des commentaires et une question à monsieur Jean-Olivier Roy, concernant Mashteuiatsh. Moi, je suis né dans la communauté et je tiendrais à dire que souvent on mentionne que les négociations sont menées par la nation. Moi, je vais rectifier quelque chose. D’abord, les négociations sont menées par le conseil de bande et j’aimerais spécifier quelque chose d’important. C’est qu’aux dernières élections pour désigner les Chefs, il y a 21 % de toute la population qui a participé. Donc, moi, ce que je tiens à dire, c’est qu’il y a une voix aussi qui est opposée du peuple, et que cette voix-là n’est pas représentative actuellement. Il y a une voix du peuple qui dit : « apu ataueian ». Il y a des aînés qui ont déposé une lettre en 2003, avant le dépôt de l’entente de principes d’ordre général en 2004, signée par plusieurs aînés qui désignait le principe apu ataueian. Apu ataueian, ça signifie en innu, selon nos aînés, que la terre, Tshikauinnu assi, n’est pas négociable, n’est pas vendable dans le terme innu, donc en tant que tel que la négociation était illégitime. C’est ça que je tenais à amener comme point, donc que ce n’était pas représentatif. Puis, moi, je pense que si on a quelque chose à travailler, c’est important de travailler avec l’ensemble du peuple, la voix du peuple et avec tous les acteurs du peuple, donc il ne faut pas oublier ça non plus. C’est ça que j’avais à dire. Merci !

Jean-Olivier Roy : Bien, merci beaucoup pour votre commentaire : tshi nashkumitinau [je vous remercie]. Ça va exactement dans le sens de ce que je disais, que, justement, il y a une négociation qui se fait. L’ouverture peut être justement discutable ; moi, je ne m’aventure pas trop dans ces questions-là parce que je ne suis pas Innu moi-même, donc je ne veux pas. Puis, je pense qu’il y a des belles choses qui se font aussi. Mais il y a des questionnements qui sont tout à fait légitimes et puis il y a eu une coalition qui s’était formée à un moment donné – je ne sais pas si elle est encore active – mais contre, justement, l’Approche commune au sein même de Mashteuiatsh. Il y avait de l’opposition par rapport aux minicentrales électriques, donc je pense qu’il ne faut pas effectivement voir la voix des élites comme la seule voix d’une nation ou même d’une communauté. Merci !

Homme dans l’assistance : Bonjour ! Je suis ici en rapport avec la commission Viens ; je tiens à le dire par souci de transparence. Je suis aussi, en dehors de ça, un philosophe, et c’est peut-être plus cette partie-là de moi qui va parler présentement. Mais j’ai des questions à vous poser ou des réflexions à vous lancer pour que vous me disiez ce que vous en pensez, particulièrement Michael Asch. On a tourné autour du pot aujourd’hui avec le mot « colon » ; je suis né en Abitibi, j’ai grandi à Québec, je suis le fatiguant de la ville qui revient en Abitibi les achaler avec les droits autochtones quand je passe dans le coin parce que j’ai été sensibilisé à ça au cours de mon parcours d’études, tout simplement. Et je me rappelle qu’il a été une époque où les gens étaient colons et en étaient fiers, et ça a un sens aussi. Il y a des questions que je me pose, parce qu’on passe souvent d’« Autochtone » à « allochtone », « Autochtone », « non-Autochtone », « colon », « colonisé ». Il y a aussi Albert Memmi qui parlait de colonisateur colonisé, plus dans le cadre de la colonisation française dans le nord de l’Afrique. Et moi, j’ai vu aller [Alain] Deneault ici dire tout simplement « les Québécois », parce que Sartre avait adressé la question — les Québécois sont-ils des colonisateurs ou des colonisés ? — et Deneault avait répondu très simplement. Je ne sais pas pourquoi on n’y avait pas pensé avant ; moi, je n’y avais pas pensé ; mais non, les Québécois sont principalement les colons, entre les deux, en quelque sorte. Vous voyez brièvement ce que je suis en train de dire : c’est que, quand on parle de systèmes qui sont proches de l’apartheid, il y a plusieurs couches. Il y a le colonisateur, il y a le colonisé, mais il y a aussi les colons et les métis entre les deux.

Sylvie Poirier : Avez-vous une question ? Nous avons peu de temps et beaucoup de mains sont levées.

Homme dans l’assistance : D’accord, je vais essayer d’accélérer. Donc, ma question, c’est : il y a une question de réconciliation et je me demande tout simplement dans quelle mesure il faut connaître l’histoire des Autochtones du passé, des nations et tout ça ? Je me demande aussi si les colons mêmes ne devraient pas connaître leur propre histoire, savoir d’où ils viennent, savoir pourquoi ils sont partis, pourquoi ils sont arrivés ici. Bref, il y a des blessures qui ont été vécues là-dedans aussi et, parfois, à force de faire les braves les uns face aux autres, à se cacher nos propres vulnérabilités, je me demande – mais c’est politique aussi, je comprends – si on n’empêche pas une certaine réconciliation. C’est un peu ma question : est-ce que ça ressemble un peu à une question ? J’ose espérer que oui !

Constant Awashish : Pour répondre à la question, tu as tout à fait raison : quand on parle de colons, de colonisés, on peut dire toutes sortes de termes. Quelque part, je pense comme tu dis : les non-Autochtones – moi, j’aime mieux dire « non-Autochtones » – ont besoin de connaître leur histoire et, souvent, nous, les Autochtones, on connaît l’histoire, on connaît ce qui est arrivé, ce qui nous est arrivé, et on raconte l’histoire telle qu’elle est ; mais, souvent, c’est l’autruche qu’on rencontre de l’autre bord. À ce moment-là, il n’y a pas d’écoute, il n’y a pas de développement. Je comprends aussi, si je me mets à leur place – je me mets dans leur peau : c’est dur, souvent, d’avouer. Même moi, dans ma vie personnelle de tous les jours, c’est dur. L’être humain est orgueilleux et il a de la misère à avouer qu’il a fait des erreurs et l’orgueil, il y en a partout dans les institutions des gens orgueilleux. Et ça se transforme en un orgueil institutionnel et ça devient difficile pour nous, les Autochtones, de « dealer » avec ça. C’est pour ça qu’on parle de ça tous les jours, on essaie. Nous, notre travail, c’est de sensibiliser, c’est de faire prendre conscience et c’est là-dessus qu’on travaille. On ne veut pas nécessairement renvoyer tout le monde – c’est ça que je voulais dire tantôt : je ne veux pas renvoyer tout le monde en Europe, il faut vivre avec la réalité. Mais on veut avoir notre place, on veut avoir notre mot à dire et je veux avoir un meilleur avenir pour mes enfants. Je veux avoir un meilleur avenir pour vos enfants ; comment on fait ça ? C’est ça que je veux. Ce n’est pas en ignorant ce qui s’est passé, ce n’est pas toujours en mettant de côté nos nations ou en essayant d’écraser notre identité, notre langue et notre connaissance, notre territoire. Ce n’est pas en essayant également de nous « tasser » de notre territoire ; notre territoire, c’est à nous. Oui, peut-être que dans un traité, ça a des drôles de connotations, mais quelqu’un peut l’interpréter d’une certaine façon, c’est subjectif ; on peut l’interpréter comme une location, une vente, un dutyfree à long terme. Pour nous, le territoire va toujours être là et on va toujours être dessus, sur notre territoire ; c’est ça qui est important. Puis, on va se donner les moyens d’être sur notre territoire pendant des millénaires encore. Mais pour répondre à la question, oui, je pense que c’est important de connaître votre histoire, parce que nous autres, on la connaît.

Pierrot Ross-Tremblay : Bon, tout le monde veut de la réconciliation, mais un peu moins la vérité. Je pense sérieusement qu’il y a un problème ici. Il y a un problème au Québec en général quand il est question de la condition des Premiers Peuples. Un phénomène plus présent ici qu’ailleurs, c’est de se permettre encore de parler au nom des Autochtones. Quand je viens au Québec, je le vois et ça me choque. Je le vois moins ailleurs, je le vois plus ici. Les gens se permettent de parler au nom des Autochtones quand ils ne le sont pas ; c’est très problématique, surtout dans le monde universitaire où les gens issus des Premiers Peuples sont très peu nombreux. Je n’apprendrai rien à personne en rappelant qu’y a un malaise identitaire profond au Québec – on ne se le cachera pas. Ça, ce n’est pas notre problème à nous comme Premiers Peuples. Quand on parle des Premiers Peuples, de ce qu’on vit, il y a cette mauvaise habitude, surtout chez les nationalistes et souverainistes, de tout le temps retourner l’attention vers le Québec et essayer de faire pitié et de démontrer que les Québécois sont meilleurs que les Anglais, moins colonialistes. Le malaise identitaire québécois est très lourd à porter pour ceux qui ne sont pas Québécois. Je ne sais pas si les Québécois le réalisent bien. Nous avons déjà nos problèmes, il faut arrêter de nous en ajouter encore plus en nous imposant vos questions, vos crises existentielles, en ramenant tout à votre fragilité de colonisateur colonisé et à vos angoisses identitaires. Ça devient très lourd, ça devient insupportable, ça devient problématique.

Alors, la question du colonialisme québécois, il faut la poser. Ce n’est pas par mépris et ce n’est pas : « Ah bien, ça veut dire que les Canadiens sont bons ». Non. Le colonialisme canadien, on le dénonce, on le déconstruit ; toute son architecture, le génocide, on en parle. Je ne fais aucun cadeau au colonialisme canadien ; pourquoi en faire au colonialisme québécois, surtout quand il reproduit sur les Premiers Peuples ce que plusieurs Québécois reprochent au Canada ? Il faut donc parler aussi du colonialisme québécois qui est une autre couche qui se rajoute quand on est Autochtone au Québec. Ce colonialisme qui s’articule en français est tout aussi détestable que le colonialisme qui s’exprime en anglais. Puis, il faut que les Québécois cessent de projeter leur malaise existentiel, le sentiment de voir « leur culture » et leur existence collective menacées par les femmes voilées ou par les nouveaux arrivants. Parce que c’est une autre façon d’échapper à la question de la colonialité à la sauce québécoise : faire disparaître les questions territoriales, fuir les causes du malaise identitaire et de la faillite des initiatives de « souveraineté », et projeter sa peur et sa déception sur les autres en disant : « Tout le monde est Autochtone ! », par exemple. Plus facile de trouver la cause de son malheur à l’extérieur de soi ou de fuir son propre héritage de colonisateur… Voilà l’autre problème : l’autoautochtonisation des Québécois, l’affirmation frauduleuse : « On est tous des Autochtones ». Vous rendez-vous compte de la violence de tels propos ? À quel point les discours sur le « sang indien » et l’utilisation de la « génétique » à des fins de légitimation collective sont racistes et oppressants ? Et je dis que si vous voulez nous aider, arrêtez de nous transférer vos problèmes, vos crises d’identité, s’il vous plaît, et regardez-vous dans le miroir. Et pour les chercheurs non autochtones, questionnez-vous, s’il vous plaît, sur les avantages que vous tirez d’étudier les Autochtones et sur le rôle de « mercenaire » que certains d’entre vous jouent. Je ne dis pas ça avec du mépris, mais par souci de vérité. Certainement pas pour se faire des amis. Soyez conscients qu’il est déjà lourd d’être Autochtone avec tout l’héritage de colonialité et le système avec lequel on se débat au quotidien, et que les besoins identitaires des Québécois, et de ne pas les froisser en faisant semblant que tout va bien dans nos relations, ne sont pas prioritaires pour nous.

Michael Asch : Je voudrais dire quelques mots parce que je ne suis pas sûr d’avoir vraiment compris la question, mais certaines choses me trottent dans la tête depuis une séance précédente et je pense qu’elles s’apparentent à cela. Mais si ce n’est pas le cas, je serai bref. Alors, Marie-Pierre Bousquet parlait du mot « settler » et se demandait si on pouvait l’utiliser en français et quelle serait sa relation avec le mot « colon » au Québec et, vous savez, la façon dont ils se correspondent. Et elle argumentait contre le mot « settler » (qui évoque une colonie de peuplement [settlement]) pour des raisons valables.

J’ai passé pas mal de temps à penser à la façon dont nous nous identifions nous-mêmes, c’est-à-dire à la façon de le faire. Et il n’y a pas de bonne réponse à cela, mais il est certain que « non-Autochtone » ne convient pas parce que cela revient à dire : « Nous sommes le peuple et là, il y a ces gens à qui nous devons donner un nom. » Alors, cela ne nous donne pas une identité, cela ne dit pas qui nous sommes. Dans le colonialisme anglais, on faisait clairement une distinction entre deux types de colonies, et nous sommes une colonie de peuplement. Alors, « settler » paraît avoir un sens seulement de ce point de vue – au sens où nous entrons dans cette catégorie. Et en France. Je comprends qu’il y a les différences entre le direct rule et l’indirect rule tel qu’appliqué en Afrique [par les Britanniques]. Le direct rule était comparable à une colonie de peuplement : ils importaient leur loi, c’est comme ça que ça marchait. Et en Afrique française, tout était sous le direct rule, donc le terme « colon » signifiait la même chose, quel que soit l’endroit où on se trouvait. J’ai fini par dire « settler », mais je l’ai défini vraiment très sommairement et je vais juste dire ce que j’en pense. La chose essentielle à laquelle nous devons penser lorsque nous parlons d’identité est la suivante : lorsqu’on en arrive aux négociations, sommes-nous représentés par la Couronne ? Ces gens qui disent : « Nous sommes représentés par la Couronne, nous sommes de la même équipe. » Et c’est ce que je suis, je suis la personne qui dit : « Je serai représenté par la Couronne dans ces négociations. » Et je présume que vous, vous ne seriez pas représentés par la Couronne dans ces négociations. C’est la chose fondamentale au sujet de ces négociations.

Une autre complication, au Québec, qui, comme vous le savez, est un très gros problème, ce sont les gens qui s’auto-identifient de part et d’autre de la frontière – vous savez, la parenté qu’on se découvre et les relations qui en sortent. Là, ils arrivent à rendre la situation encore plus ambiguë. Au Canada anglais, il y a très peu de gens qui disent : « Vous savez, j’ai de la parenté autochtone, et par conséquent je suis Autochtone. » Ce n’est pas commun là-bas ; ça l’est plus ici. Et je crois que c’est une question pour laquelle je ne peux rien et que vous devez affronter. Pour ce qui est de savoir ce que je veux dire, parce que c’est sérieux – je veux dire, au coeur de la question, c’est vraiment sérieux. Et vous devez réussir à comprendre, à accepter. Comment gérer ça ? Qui est inclus ? Qui est exclu ? Quelle est la logique qui vous guide, vous ? Et il n’y a pas qu’ici. L’Amérique du Sud est pleine de ce genre de choses, comme le gouvernement mexicain qui déclare que ça, c’est autochtone, même quand ça ne l’est pas, parce qu’il suit le même genre de logique. Voilà, c’est tout ce que je voulais ajouter. Mais le Canada anglais ne peut pas vraiment apporter d’aide pour ce genre de choses, parce que nous n’avons pas le même problème. Exactement comme on ne peut pas vous aider avec le terme que vous allez utiliser, parce que nous, nous avons « settler » [coupé par manque de temps].

Pierrot Ross-Tremblay : En ce qui concerne les phénomènes néocoloniaux d’autoautochtonisation des francodescendants, des films comme Québékoisie (2013) et L’empreinte (2015) ont malheureusement rattaché l’identité avec la génétique et ont influencé la culture populaire. Les gens ont beaucoup écouté ces films et en ont été influencés. Moi, j’ai un grand problème avec ces films-là : réduire nos civilisations aux philosophies profondes, complexes et millénaires à des tests génétiques bidons contribue à renforcer la fiction de notre absence, à nous effacer à nouveau comme Premiers Peuples, à nous cannibaliser. C’est un problème qui a rapport au Québec avec lui-même. Et, s’il y a un travail à faire, c’est d’entrer dans une critique culturelle radicale pour retourner aux fondements des représentations dans la culture même que les Québécois se font des Premiers Peuples et puis de faire un vrai travail de déconstruction. Et se questionner sur cette idée-là, que « nous autres aussi on a du sang indien », et sur l’origine de ce désir. Ensuite, il faut arrêter cette violence parce que ça réduit nos cultures très anciennes qui sont fondées sur des philosophies à des fictions génétiques. Et je pense qu’on est au coeur du problème que les Québécois ont de la difficulté à voir en face.

Sylvie Poirier : Il y a encore beaucoup de mains levées. Je suis désolée, mais c’est tout le temps dont nous disposions. Encore merci !