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Julie Ruiz et Gérald Domon sont tous deux professeurs d’université. Julie Ruiz est également titulaire de la chaire de recherche en écologie du paysage et aménagement de l’Université du Québec à Trois-Rivières et Gérald Domon est directeur scientifique de la chaire en paysage et environnement de l’Université de Montréal. Ils ont publié ensemble plusieurs articles et ont apporté une contribution remarquée à la commission Pronovost, concernant le défi considérable que représentait la reconnaissance de la multifonctionnalité des territoires dans un Québec marqué par une tradition d’exploitation des ressources agricoles et forestières.
Cet ouvrage, qui rassemble les contributions de 26 auteurs, revient sur cette question de la multifonctionnalité des territoires ruraux du Québec en se centrant sur une de ses composantes : le paysage. On pourrait résumer ainsi la thèse générale de l’ouvrage : à l’heure où, dans de nombreux pays, les préoccupations concernant la durabilité du développement amènent à poser de nouvelles questions sur les relations entre pratiques productives et enjeux sociaux et environnementaux, les paysages, longtemps parents pauvres des politiques d’aménagement, deviennent d’incontournables ressources pour les communautés rurales. Il convient alors d’examiner, dans le contexte québécois, comment peut se construire un cadre d’analyse permettant de comprendre l’interdépendance entre agriculture et paysages.
L’ouvrage est composé de trois parties regroupant chacune quatre chapitres et quelques études de cas ou témoignages. Dans la première partie, les auteurs s’intéressent aux différents facteurs qui influent sur l’évolution des paysages créés par l’agriculture. Ces facteurs sont nombreux, allant de la perception que l’agriculteur – comme individu – a du paysage qui l’entoure, aux dynamiques des marchés mondiaux, en passant par les politiques agricoles, les caractéristiques régionales et les spécificités structurelles de chaque exploitation. Même si ces facteurs ne sont pas hiérarchisés, dans l’ouvrage, le poids des politiques agricoles apparaît tout de même prégnant dans les différentes contributions. Peu pris en compte jusqu’à présent par les politiques sectorielles, le paysage suscite pourtant des attentes sociales auprès des résidants ruraux, que peuvent révéler diverses méthodes d’analyse.
La seconde partie s’intéresse aux pratiques agricoles susceptibles de transformer les paysages dans une direction qui soit en accord avec une demande sociale, pourtant multiforme. Les auteurs parlent ici de « réinvention » plutôt que de « restauration », dans la mesure où il est illusoire de penser que le retour d’anciennes pratiques, en vigueur à une époque où les fermes étaient nombreuses, diversifiées et de petite taille, puisse faire consensus. Sont successivement évoquées l’agroforesterie, la foresterie à couvert continu (alternative à la coupe « à blanc ») et les pratiques, à l’échelle des fermes, visant à contrôler les ravageurs au moyen d’aménagements paysagers abritant de précieux auxiliaires. Ces nouvelles pratiques peuvent-elles trouver grâce aux yeux des agriculteurs ? Même diverses, les conceptions esthétiques de ces agriculteurs peuvent constituer un frein à ne pas négliger, tant elles sont liées aux représentations de ce qu’est l’excellence professionnelle.
La troisième partie est consacrée aux moyens d’agir sur les paysages agricoles. Il y a des lieux où le dialogue est plus facile. Là où l’agriculture est en déprise, c’est sa disparition qu’on craint, plus que ses pratiques. Son rôle sur le pouvoir de l’attraction du territoire est reconnu. En revanche, dans les zones d’agriculture intensive, là où les paysages sont plus ordinaires et où la vocation productive agricole semble dominer tout le reste, de nouveaux outils sont nécessaires. Plusieurs contributions dans cette dernière partie s’intéressent donc aux démarches territoriales de concertation et de coconstruction de projets paysagers prenant en compte les spécificités locales.
Au final, les auteurs nous offrent un livre dense, mais qui deviendra sans conteste un ouvrage de référence, tant pour les chercheurs que pour les aménageurs. Certains trouveront peut-être que l’approche adoptée, plutôt compréhensive vis-à-vis de l’agriculture contemporaine, masque les rapports de force, parfois durs, entre les divers usagers des espaces ruraux. À ceux-là, on conseillera de bien analyser la multiplicité des facteurs influençant les pratiques agricoles (donc l’évolution des paysages) qui vient rappeler la diversité des leviers que peuvent actionner gouvernements et acteurs territoriaux.