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Selon les époques, certains groupes sociaux retiennent l’attention des pouvoirs publics et du système de production de connaissances qui les appuie. Peut-être en raison de leur plus grande rareté ou, encore, parce que la philosophie du développement durable les met en cause, les enfants font l’objet depuis quelques années d’une attention renouvelée. Cet atlas illustre bien l’intérêt d’une démarche de géographie sociale visant à produire des connaissances utiles pour la formulation de politiques publiques à l’égard des très jeunes enfants. Il est le produit d’un réseau comprenant des membres des six universités de la Colombie-Britannique, ainsi que des partenaires gouvernementaux et provenant des communautés locales. Il vise une compréhension élargie des interrelations entre les divers aspects du développement des enfants de moins de cinq ans, incluant l’éducation, la santé, le bien-être et la justice sociale.
L’atlas montre que les valeurs des indicateurs associés à ces divers aspects varient considérablement parmi les 59 districts scolaires de la province, ces districts constituant le découpage géographique retenu pour l’ensemble de l’ouvrage. Le fait de retenir un découpage administratif de l’espace facilite peut-être l’utilisation des connaissances produites par les pouvoirs publics. Ceci pose cependant un problème de taille : le plus petit district, Stikine, compte 122 jeunes enfants ; le plus grand, Vancouver, en compte 27 306. Les auteurs remédient à ce problème, du moins en ce qui concerne la représentation cartographique, en utilisant de façon judicieuse la technique des cartogrammes, et en présentant des indicateurs à l’échelle des quartiers dans certains grands districts choisis. Une qualité majeure de l’atlas porte sur la nature des indicateurs inclus. Plusieurs indicateurs sociodémographiques classiques sont cartographiés : fécondité, faible poids à la naissance, appartenance à une minorité visible. D’autres, portant sur le développement personnel des jeunes enfants sont, selon les auteurs, cartographiés pour la première fois dans le monde. Ils proviennent des réponses à un test, le Early Development Instrument (EDI) mis au point par un groupe de chercheurs canadiens. L’EDI permet de donner un score aux enfants sur cinq échelles de mesure : le bien-être physique, la compétence sociale, la maturité émotionnelle, le langage et le développement cognitif, et la communication et les connaissances générales. Cette approche permet d’évaluer des seuils de vulnérabilité des populations locales d’enfants sur les cinq dimensions. Les valeurs moyennes obtenues sur les échelles par les enfants de chaque district sont cartographiées selon les quintiles. Chaque carte est accompagnée de toutes les valeurs prises par l’indicateur, ce qui permet des comparaisons détaillées. Un chapitre entier est consacré à la mise en relation des dimensions de l’EDI avec des variables de recensement qui mesurent plusieurs aspects du statut socioéconomique des communautés locales. Les auteurs réussissent à bien interpréter et présenter de façon élégante une masse de corrélations écologiques en s’inspirant à la base du proverbe africain selon lequel It takes a village to raise a child (p. 57). Une place majeure est faite aux jeunes enfants issus des premières nations, importantes en Colombie-Britannique. Un dernier chapitre offre des suggestions sur l’utilisation de l’atlas dans l’élaboration de politiques publiques et dans l’action communautaire. En somme, cet atlas illustre d’excellente façon une pratique de géographie sociale débouchant sur l’intervention, ce que Pierre George appelait la « géographie active ».