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Par une expression laconique, le législateur de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) a conféré aux dispositions des articles 101, 102, 103, 107, 110, 111, 117, 123, 124, 125, 126, 127, 130 et 133 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général (AUDCG)[1], le caractère d’ordre public. Il a également décidé de revêtir de ce caractère particulier les règles juridiques contenues dans l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique (AUSCGIE)[2], ainsi que celles qui sont réunies dans l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives (AUSCoop)[3]. Dans ces deux actes uniformes, les termes de l’article 2 sont clairs[4] : « Les dispositions du présent Acte uniforme sont d’ordre public, sauf dans les cas où il autorise expressément l’associé unique ou les associés, soit à substituer les dispositions dont ils sont convenus à celles du présent Acte uniforme, soit à compléter par leurs dispositions celles du présent Acte uniforme. » Le législateur OHADA en a décidé ainsi, tant pour l’AUSCGIE que pour l’AUSCoop dans leur ensemble, et un peu moins s’agissant de l’AUDCG, pour quelques dispositions seulement. Les deux premiers textes — dont l’un comporte 920 articles dans sa version révisée du 30 janvier 2014, et l’autre, qui a été adopté le 15 décembre 2010, compte 397 articles — sont d’ordre public. L’AUDCG, enfin, ne dispose que de 14 articles revêtus du caractère d’ordre public. Si le déphasage de la prégnance de l’ordre public dans les actes uniformes mentionnés plus haut pourrait se justifier au regard des intérêts que le législateur OHADA chercherait à protéger, en revanche, la généralisation du caractère d’ordre public au travers des dispositions normatives contenues dans certains actes uniformes montre quand même qu’une attention particulière devrait y être accordée. À vrai dire, la force impérative découlant ainsi des règles juridiques appelle nécessairement à s’interroger sur ce qu’est véritablement l’ordre public, la façon dont il se présente dans le droit des affaires de l’OHADA et, dans une moindre mesure, les rapports que cet ordre public entretiendrait avec les actes uniformes de l’OHADA.

En effet, l’étude notionnelle concernant l’ordre public ne semble pas avoir permis à ce jour de parvenir à une conception unifiée, voire unique. Les auteurs s’accordent d’ailleurs pour reconnaître que l’ordre public brille généralement et se distingue par son caractère flou, paradoxal[5], incertain et même fuyant[6]. En réalité, l’ordre public donne très souvent lieu à des difficultés d’appréhension et de précision. Son évocation dans le droit des affaires de l’OHADA ne ferait pas l’objet d’un consensus dans l’esprit du législateur OHADA, selon notre examen de la question. L’article 31 al. 4 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage (AUA)[7] dispose que « [l]a reconnaissance et l’exequatur sont refusés si la sentence est manifestement contraire à une règle d’ordre public international ». Dans le même temps, les actes uniformes relatifs au droit des sociétés commerciales et des sociétés coopératives parlent des règles d’ordre public tout simplement. Devrait-on alors considérer ces dernières dispositions comme des règles d’ordre public international ? Il ne nous paraît pas évident de donner très rapidement une réponse affirmative, ou alors une réponse infirmative.

Nous pensons d’ailleurs que la doctrine est divisée sur la perception de la notion d’ordre public international dans le droit des affaires. Pour une partie, c’est un « ordre public international des États-parties à l’OHADA » qui est vu tel cet ordre public qu’il appartient à la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA), en tant juridiction supranationale, de définir[8]. Pour une autre partie, l’ordre public international en droit des affaires serait un « ordre public international commun aux États-parties à l’OHADA[9] », c’est-à-dire un ordre public constitué de l’ensemble du droit OHADA (divers actes uniformes et règlements adoptés par le Conseil des ministres de l’OHADA) ainsi que des règles extérieures à l’OHADA mais largement reconnues par la communauté internationale[10]. Toutes choses qui montrent que la notion d’ordre public en droit des affaires de l’OHADA aurait besoin d’une clarification ou d’une précision ; à défaut de l’avoir sur le plan textuel, on pourrait l’obtenir tout au moins sur le plan jurisprudentiel.

Il n’est pas superflu de signaler que l’étude des règles considérées comme d’ordre public n’est pas nouvelle dans le droit des affaires de l’OHADA. Elle a été menée notamment par Joseph Issa Sayegh. Selon lui, le caractère d’ordre public conféré à l’ensemble des règles contenues dans l’AUSCGIE doit être perçu en tant qu’ « exemple rare, voire unique, du législateur OHADA qui décide que toutes les dispositions d’un texte sont d’ordre public[11] ». Une autre étude a été menée, cette fois-ci par Pascal Nguihe Kante. Pour cet auteur, le caractère d’ordre public des règles juridiques du droit des sociétés commerciales de l’OHADA doit être appréhendé dans sa dimension hautement impérative, celle qui fait échec à l’expression de la volonté individuelle et qui se traduit simplement à la manière d’une « exigence qui interdit d’y déroger et rend nulles ou non écrites toutes dispositions législatives, réglementaires ou contractuelles contraires[12] ».

Il y aurait lieu de se demander si toutes les normes dites d’ordre public sont uniquement celles auxquelles le législateur OHADA a décidé de conférer ce caractère particulier. Autant on ne saurait dire que toutes les règles juridiques sont d’ordre public, autant on ne saurait soutenir que le caractère d’ordre public des règles juridiques procède de la même démarche. En effet, il est important de savoir que ce caractère est conféré aux normes juridiques selon deux démarches : d’une part, les règles dont le caractère d’ordre public est déterminé par un texte[13] et, d’autre part, les règles dont le caractère d’ordre public est fixé par la jurisprudence. Dans la première catégorie, il faudrait faire un distinguo entre les règles dites impératives, que les parties sont incapables d’écarter par conventions contraires[14], et les règles supplétives, auxquelles les sujets de droit peuvent déroger par l’application d’une clause insérée dans leur contrat[15]. L’intérêt de la distinction se trouve dans la force obligatoire absolue que la loi confère à la norme impérative et la force obligatoire relative qui est reconnue à la norme supplétive. Dans la seconde catégorie, l’analyse de la jurisprudence montre que l’ordre public s’exprime également dans les décisions rendues par le juge. En cas de silence ou d’obscurité de la loi, c’est bien au juge que revient la délicate tâche de conférer à une disposition normative le caractère d’ordre public dès lors qu’il estime que la règle qu’il est appelé à appliquer a pour objet de protéger un intérêt général auquel la volonté individuelle ne saurait porter atteinte. C’est souvent le cas lorsque le juge se prononce pour frapper de nullité ou d’inopposabilité les actes accomplis par une partie ou encore pour réputer non écrite ou non avenue l’une des stipulations insérées dans un contrat ou, enfin, pour déclarer la déchéance. En tout état de cause, il est important de retenir qu’une disposition dite d’ordre public s’entend de « toute disposition dont le respect est impératif et dont l’inobservation est rigoureusement et formellement sanctionnée[16] ».

Nous pourrions alors nous demander si l’élaboration des actes uniformes se traduirait par l’adoption des règles juridiques revêtues d’un caractère particulièrement impératif et dont le rôle est d’empêcher la volonté individuelle de s’exprimer librement. Tel semble être le cas à la lumière des actes uniformes relatifs au droit des sociétés commerciales et des sociétés coopératives. Et quand bien même le législateur OHADA aurait prévu des exceptions au caractère d’ordre public de ces règles, nous nous rendons à l’évidence que lesdites exceptions sont elles-mêmes enfermées dans des conditions particulières[17]. Le texte de l’article 2 de l’AUSCGIE et de l’AUSCoop en est la parfaite illustration lorsqu’il précise ceci : « sauf dans les cas où il autorise expressément l’associé unique ou les associés, soit à substituer les dispositions dont ils sont convenus à celles du présent Acte uniforme, soit à compléter par leurs dispositions celles du présent Acte uniforme ».

Or, la démarche juridique qui gouverne la mise en place des actes uniformes réside dans l’esprit et la lettre de l’article 1er du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, fondateur de l’OHADA, signé à Port-Louis le 17 octobre 1993[18] : « Le présent Traité a pour objet l’harmonisation du droit des affaires dans les États parties par l’élaboration et l’adoption de règles communes simples, modernes et adaptées à la situation de leurs économies, par la mise en oeuvre de procédures judiciaires appropriées, et par l’encouragement au recours à l’arbitrage pour le règlement des différends contractuels. » Certains penseraient donc que la simplification qui sous-tend le processus d’élaboration et d’adoption des actes uniformes signifierait que les règles juridiques communes qui y sont contenues sont dépourvues de toute réglementation contraignante, superfétatoire et contraire aux objectifs poursuivis par l’OHADA. En effet, les actes uniformes sont pris pour l’adoption des règles communes conformément à l’article 5 du Traité fondateur de l’OHADA, il y a lieu de reconnaître avec la doctrine que « les actes uniformes ont pour but de supprimer les divergences législatives entre les États membres par l’édiction de règles qui, en principe, sont identiques en tout point[19] ». Le but poursuivi est d’éviter les conflits de lois, d’alléger la charge de l’interprétation des lois qui pèse généralement sur le juge et qui parfois conduit à des décisions contradictoires.

Cet état de choses — qui présente, d’une part, l’impérativité découlant de l’ordre public et, d’autre part, la simplification qui est préconisée pour l’acte uniforme — suscite tout naturellement un questionnement, à savoir si la présence des dispositions d’ordre public dans les actes uniformes ne serait pas incompatible avec ces derniers. Cette préoccupation principale qui sous-tend et structure la présente recherche nous invite à lire l’ordre juridique de l’OHADA à travers le prisme de la hiérarchie des normes juridiques. Au sommet de la hiérarchie se trouvent le Traité, en tant que norme fondamentale de l’OHADA, et les actes uniformes considérés comme les normes matérielles du droit des affaires. Il y aurait donc une inadéquation des dispositions d’ordre public avec les actes uniformes (partie 1), dès lors que ceux-ci ne sont pas en conformité avec le Traité. Il devient alors urgent de rechercher les mécanismes permettant une adaptation des dispositions avec les actes uniformes (partie 2).

1 L’inadéquation des dispositions d’ordre public avec les Actes uniformes

De manière générale, l’inadéquation se caractérise par le fait qu’une chose ne correspond pas à l’autre ou ne lui convient pas. Il semble que ce soit le cas des rapports qu’entretiendrait l’ordre public avec les actes uniformes de l’OHADA. En raison de son caractère incertain, voire lacunaire (1.1), l’ordre public serait incompatible avec l’approche juridique de l’acte uniforme (1.2).

1.1 Le caractère lacunaire de l’ordre public des affaires de l’OHADA

L’ordre public des affaires de l’OHADA est lacunaire, parce que ses contours ne sont pas précisés par le législateur communautaire (1.1.1) ni par la jurisprudence (1.1.2).

1.1.1 L’absence d’une définition de l’ordre public proposée par le législateur OHADA

Le législateur de l’OHADA a-t-il besoin de définir l’ordre public des affaires ? Pourquoi devrait-il préciser ou circonscrire les contours de l’ordre public des affaires de l’OHADA ? Voilà un questionnement éminemment important, tant l’usage de l’ordre public est fréquent et varié.

En effet, la notion d’ordre public est perceptible au travers des textes du droit des affaires de l’OHADA. Ladite notion apparaît d’abord dans l’article 25 du Traité OHADA, en tant que moyen permettant de refuser d’accorder l’exequatur dès lors qu’il est avéré que la « sentence est contraire à l’ordre public international ». C’est aussi le cas dans la version du 11 mars 1999 de l’AUA lorsqu’il dispose que le recours en annulation de la sentence arbitrale n’est recevable que « si le Tribunal arbitral a violé une règle d’ordre public international des États signataires du Traité ». On l’aperçoit également dans l’article 32 du même texte, qui dispose que « [l]a reconnaissance et l’exequatur sont refusés si la sentence est manifestement contraire à une règle d’ordre public international des États-parties ». Enfin, dans la version révisée à Conakry au Bénin le 23 novembre 2017, l’AUA parle plutôt de l’« ordre public international[20] ». En réalité, ce sont des déclinaisons de l’ordre public que le législateur OHADA a intégrées dans son ordre juridique.

Au regard de ce que l’ordre public est par essence une notion plutôt paradoxale[21], et qu’elle est susceptible d’une kyrielle de définitions, Jean Carbonnier s’interroge en ces termes : « Mais au fond, qu’est-ce donc que cet ordre public dont tout le monde parle[22] ? » Parce qu’en tant que concept détenteur d’un pouvoir normatif, il importe que l’ordre public soit à tout le moins précisé pour éviter toutes sortes de confusion de nature à complexifier son application dans le droit des affaires. Si l’on observe de près la situation, on voit bien que le législateur OHADA ne semble pas répondre à cette interrogation. Or, à titre d’organe législatif, le Conseil des ministres de l’OHADA dispose d’un ensemble de prérogatives parmi lesquelles se trouvent les suivantes : délibérer et adopter les actes uniformes[23], prendre les règlements pour l’application du Traité[24]. Il lui appartient donc, en matière de droit des affaires, de proposer des « règles claires, cohérentes, adaptées aux circonstances ainsi qu’aux activités qu’elles sont censées réguler[25] », afin de garantir la sécurité juridique et judiciaire dans l’espace OHADA. On est dès lors en droit de le considérer comme l’organe qui définit la politique législative dans l’espace unifié. En ce sens, l’ordre public peut être vu comme la « clef de voûte » du système juridique de l’OHADA, et c’est effectivement au législateur qu’il revient de lui donner un contenu. Le vide juridique étant persistant, il y a lieu de poursuivre nos recherches du côté de la jurisprudence.

1.1.2 Le silence de la jurisprudence de l’OHADA sur la définition de l’ordre public

Le Traité constitutif de l’OHADA a défini l’ordre juridictionnel compétent en matière de droit des affaires. Il comprend deux degrés de juridictions : celles qui sont du premier degré, dont les juridictions nationales dans les États parties à l’OHADA, et la juridiction de second degré, soit la CCJA.

S’agissant des juridictions du premier degré, les décisions qu’elles rendent constituent une partie essentielle de la jurisprudence dans l’ordre juridique de l’OHADA. Et, en tant que telles, ces décisions « contribuent à compléter les sources du droit communautaire de l’OHADA encore en construction et à vivifier le droit matériel qui en résulte[26] ». Les juridictions nationales pourraient ainsi être d’un apport notable concernant la mise en place d’un ordre public des affaires propre à l’OHADA. C’est dans leur rôle de contribuer à l’édification du droit des affaires. Celui-ci leur est d’ailleurs reconnu par le Traité en son article 13 : « Le contentieux relatif à l’application des Actes uniformes est réglé en première instance et en appel par les juridictions des États parties. » Elles peuvent donc naturellement procéder au comblement des vides juridiques, mais aussi faire des propositions qui serviront éventuellement d’inspiration pour la définition d’un ordre public spécifique à l’OHADA. En l’état actuel de la jurisprudence, il n’est pas certain qu’une juridiction nationale se soit déjà prononcée à ce sujet. Bien plus, il se trouve que le rôle concernant les propositions de réformes est généralement confié aux commissions nationales, qui sont en réalité des structures créées à l’échelle nationale pour servir de relais entre l’OHADA et les États membres.

En ce qui concerne la juridiction de second degré, il y a uniquement la CCJA. Celle-ci est placée au sommet de l’organisation judiciaire de l’OHADA. À cet égard, l’article 14 du Traité dispose ceci : « La Cour commune de justice et d’arbitrage assure dans les États parties l’interprétation et l’application commune du présent Traité, des Règlements pris pour son application et des Actes uniformes. » Trois attributions importantes reviennent à la CCJA : une fonction juridictionnelle, une fonction consultative et une fonction arbitrale. Concernant la fonction juridictionnelle, « [l]a CCJA n’est compétente que pour connaître des matières qui ont fait l’objet d’Actes uniformes[27] ». S’agissant des fonctions consultatives, la CCJA peut être consultée par tout État partie ou par le Conseil des ministres de l’OHADA pour se prononcer sur des questions se rapportant à l’interprétation et à l’application des actes uniformes[28]. Pour ce qui est de la fonction arbitrale, la haute juridiction de l’OHADA s’acquitte de ses attributions par un double rôle de structure administrative et d’instance arbitrale : elle préside au choix des arbitres et sert de centre d’accueil des instances.

Toutes ces compétences de grande importance confèrent à la CCJA la singularité d’une juridiction placée au-dessus des États parties, avec comme volonté sous-jacente de la doter « de pouvoirs normatifs en matière de police des comportements ou, si l’on veut d’ordre public[29] » dans l’espace unifié. C’est dans cette optique que la CCJA est généralement appelée à émettre son avis avant toute délibération et toute adoption, ainsi que sur le sens à donner aux difficultés d’interprétation et d’application des règles juridiques ayant fait l’objet d’actes uniformes. Son autorité dans ce domaine n’a jamais été discutée, ainsi qu’en témoignent les avis consultatifs no 02/2000/EP du 26 avril 2000[30] et no 001/2001/EP du 30 avril 2001[31]. Nous pensons alors que la CCJA pourrait valablement user de son autorité pour se prononcer sur le sens et les contours de l’ordre public. D’ailleurs, selon un courant doctrinal, il revient à la plus haute juridiction de « dégager la conception de l’ordre public de l’ensemble des textes en vigueur[32] » dans l’espace OHADA. Elle se doit également de « transcender l’égoïsme de l’ordre public international de chaque État membre de l’OHADA, pour définir un ordre public communautaire OHADA[33] », et ce, d’autant que le juge ne devrait pas sanctionner les atteintes à l’ordre public sans avoir eu au préalable le contenu de ce dernier.

À notre sens, une possibilité est offerte à la CCJA d’apporter une clarification à la notion d’ordre public dans le droit des affaires. Celle-ci se trouve dans le pouvoir d’initiative qui lui est reconnu par le Traité de l’OHADA[34]. Comme elle le fait généralement en matière de correction ou de sanction des irrégularités pour l’affirmation de la primauté du droit des affaires[35], la CCJA pourrait user d’un moyen d’office au travers du pouvoir d’évocation que lui confère naturellement le Traité[36] pour donner un contenu à l’ordre public du droit des affaires de l’OHADA. Elle n’hésite d’ailleurs pas à en faire usage en matière de procédures collectives chaque fois qu’elle juge nécessaire de réformer ou d’annuler les décisions du juge-commissaire[37]. Ce serait donc un pouvoir d’office dont la haute juridiction pourrait tirer avantageusement partie pour combler le vide juridique concernant les contours de l’ordre public des affaires.

Tenant compte des évolutions, nous nous proposons de définir l’ordre public dans le droit des affaires de l’OHADA, comme l’ensemble des usages et règles juridiques indispensables au développement économique dans les États parties. Cette définition est une réponse au besoin de souplesse propre au droit économique, à travers l’intégration des usages dans le processus d’unification du droit. Elle peut en outre servir de source d’inspiration permettant de réduire l’incompatibilité perceptible entre l’ordre public et les actes uniformes.

1.2 L’incompatibilité de l’ordre public avec l’approche juridique de l’Acte uniforme

Ainsi, l’impérativité de l’ordre public (1.2.1) serait incompatible avec l’approche juridique de l’acte uniforme (1.2.2).

1.2.1 L’impérativité caractéristique de l’ordre public

Le terme « impérativité » vient du mot « impératif », qui exprime ou impose un ordre, ou encore qui désigne tout ce qui est empreint d’autorité[38]. L’impératif caractérise par ailleurs une disposition législative ou réglementaire qui ne saurait être écartée par une volonté individuelle contraire[39]. On dit alors que la norme est d’autorité impérative, qu’elle a une nature impérative ou bien une portée impérative. Les normes impératives sont généralement entendues comme n’ayant pas la même force juridique par rapport aux autres. Elles sont considérées comme indérogeables parce qu’elles seraient dotées d’une force normative hiérarchiquement supérieure aux actes transactionnels[40]. L’exemple le plus courant est celui de l’article 6 du Code civil français : « On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes moeurs. » Comment cette force supérieure s’exprime-t-elle dans le droit des affaires de l’OHADA ? Quel serait le but recherché ?

D’une part, l’impérativité de l’ordre public dans le droit des affaires se manifeste par l’effet direct et obligatoire des actes uniformes. Aux termes de l’article 10 du Traité OHADA, « [l]es Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les États parties, nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure ». En se fondant sur l’Avis no 001/2001/EP du 30 avril 2001 formulé par la CCJA, ce texte institue la supériorité des actes uniformes sur les règles nationales antérieures ou postérieures et les abroge chaque fois que ces dernières portent sur le même objet ou alors que leurs dispositions sont identiques à celles des actes uniformes[41]. Par le moyen de l’effet direct et obligatoire, l’impérativité de l’ordre public agit pour empêcher l’invocation de toute disposition de droit interne susceptible de contrarier celles qui sont contenues dans les actes uniformes.

D’autre part, l’impérativité découlant de l’ordre public en droit des affaires se traduit par la recherche de la sécurité juridique et judiciaire dans l’espace OHADA. Le préambule du Traité fondateur de l’OHADA indique clairement qu’« il est essentiel que le droit de l’OHADA soit appliqué avec diligence, dans les conditions propres à garantir la sécurité juridique et judiciaire des activités économiques ». Ce serait autour de cette valeur cardinale qu’est bâti et que se développe le droit des affaires. Elle découlerait des instruments que sont les normes, en l’occurrence les actes uniformes et les institutions chargées de les appliquer[42]. Or, la sécurité juridique et judiciaire recherchée ne se déduit pas forcément de la nature ou de la portée impérative des règles matérielles du droit des affaires, d’où l’approche souple préconisée pour l’acte uniforme.

1.2.2 L’approche flexible de l’Acte uniforme

De manière générale, le terme « flexible » est employé autant en français qu’en anglais. En français, il signifie « malléable, maniable ou souple ». Il renvoie à quelque chose « qui s’accommode facilement aux circonstances[43] ». Son usage en anglais conserve la même orthographe (flexible) et se rapporte également à ce qui est souple[44]. À noter que le terme « flexible » est l’objet de recherche, notamment dans le domaine juridique, comme en témoigne l’étude que lui a consacrée Jean Carbonnier[45].

Dans le droit des affaires de l’OHADA, l’approche juridique de l’acte uniforme se veut flexible. Et la flexibilité qui est souhaitée se découvre à l’aune du moyen par lequel elle s’exprime, ainsi qu’à travers sa finalité.

D’abord, au regard du moyen par lequel elle se manifeste, la flexibilité du droit recherchée dans l’acte uniforme découle de l’approche participative qui sous-tend le processus de son élaboration. L’élaboration de l’acte uniforme est effectivement marquée par l’engagement des opérateurs économiques[46]. Ceux-ci se recrutent dans les commissions nationales de l’OHADA (CNO), en tant que structures de relais entre les États membres et l’organisation. Les CNO ont pour rôle de mettre en évidence les besoins en ce qui a trait au droit ainsi que d’évaluer et de proposer les pistes d’amélioration des règles matérielles, notamment les actes uniformes[47]. Elles participent alors activement à mettre des solutions à la disposition de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’OHADA, les difficultés pouvant découler de l’application du droit des affaires à l’échelle nationale. Elles s’assurent en définitive de la qualité des règles juridiques du droit des affaires. À noter que les destinataires de la règle de droit prennent rarement part eux-mêmes à son élaboration. L’approche participative ainsi relevée fait forcément du droit des affaires de l’OHADA un droit négocié, et donc un droit souple et adapté aux besoins de ses destinataires. Comme il semble conçu pour régir les activités économiques, nous convenons avec Mireille Delmas Marty qu’un droit propre à l’économie est en principe un droit mou[48].

Ensuite, la finalité recherchée dans l’approche flexible de l’acte uniforme est de promouvoir le recours à la justice privée. Selon les termes de l’article 1er du Traité de l’OHADA, « [l]e présent Traité a pour objet l’harmonisation du droit des affaires […] par la mise en oeuvre des procédures judiciaires appropriées, et par l’encouragement au recours à l’arbitrage pour le règlement des différends ». Le droit des affaires affiche donc clairement une préférence pour le recours à la justice privée, pour le règlement des différends commerciaux, ce qui relègue ainsi la justice étatique au second rang. Cela s’explique au regard de l’importance accordée à l’arbitrage, avec notamment l’AUA, le Règlement d’arbitrage de la Cour commune et de justice d’arbitrage[49] et la création d’un centre d’arbitrage au sein de la CCJA. Il en est de même concernant le nouvel Acte uniforme relatif à la médiation[50]. Le droit des affaires de l’OHADA érige ainsi la liberté contractuelle en norme suprême dans tout le système juridique, en plaçant le juge privé au-dessus du juge étatique. Mais si les parties ont la possibilité de renoncer à la justice étatique à tout moment, même lorsque l’instance a déjà été engagée[51], il y aurait lieu de craindre que les intérêts privés puissent être au-dessus de l’intérêt général pourtant garanti par l’ordre public.

2 La recherche d’adaptation des dispositions d’ordre public avec les Actes uniformes

La recherche des mécanismes permettant d’aménager un cadre d’expression des dispositions d’ordre public dans les actes uniformes s’avère importante. Au préalable, il faut procéder à la déréglementation desdites dispositions (2.1), pour ensuite proposer une autre approche juridique mieux adaptée (2.2).

2.1 La déréglementation des dispositions d’ordre public

Avant de considérer la déréglementation des dispositions d’ordre public comme un moyen de se conformer aux exigences du Traité de l’OHADA (2.1.2), nous tenons à présenter sa signification (2.1.1).

2.1.1 La Signification de la déréglementation

Dans un sens général, la déréglementation consiste à « supprimer le plus grand nombre possible des réglementations imposant des contraintes aux opérateurs économiques[52] ». Vue sous cet angle, elle a pour objet d’effacer toutes les mesures contraignantes qui seraient de nature à gêner l’application des règles juridiques dans un domaine précis. La déréglementation ne signifie pas pour autant qu’il y aura désormais « moins de droit », comme le précise fort opportunément Mireille Delmas Marty[53]. Elle n’entraîne pas non plus une situation de « non-droit ». La déréglementation, telle que nous l’envisageons, supposerait simplement la suppression des caractères excessifs ou superflus des normes juridiques susceptibles de constituer un frein au développement des activités économiques.

Ainsi, l’OHADA est née du constat que le caractère flou, disparate et anachronique des textes préexistants était générateur d’insécurité juridique. Aux yeux de plusieurs, il paraissait nécessaire de créer une organisation qui s’accompagne de la mise en place de règles juridiques susceptibles d’exercer une « force d’attraction » sur les investissements potentiels dans la sous-région ou de favoriser rapidement le développement économique en général[54]. Ces règles devront aussi être à même de créer un environnement favorable à la compétitivité et à la performance des entreprises commerciales. Cependant, quand on sait que l’ordre public empêche généralement le libre déploiement de la volonté individuelle, il y a lieu de se tourner vers un moyen de mise en conformité avec les objectifs du traité.

2.1.2 L’exigence de conformité au Traité de l’OHADA

Quiconque observe la structure du droit de l’OHADA pourrait croire que celle-ci subit largement l’influence du modèle kelsénien, comme d’ailleurs la plupart des systèmes juridiques africains[55]. Du point de vue de sa structure, effectivement, l’ordre juridique de l’OHADA épouse les contours du monisme juridique. En effet, la normativité de l’OHADA est construite autour de son traité constitutif signé par les 17 États parties en date du 17 octobre 1993[56]. En tant que norme fondamentale de cet ordre juridique, « le Traité apparaît ainsi comme l’instrument majeur de l’harmonisation du droit des affaires dans les pays africains relevant de l’espace OHADA[57] ». C’est donc à partir de lui, et par référence à lui, que le législateur OHADA devrait élaborer toutes les autres règles du droit des affaires. Le Traité est la source qui donne sens et vie aux règles matérielles du droit des affaires. C’est lui qui définit les caractères juridiques qui doivent être attachés aux normes. En retour, celles-ci doivent lui être conformes.

Il est important de relever que les questions de mise en conformité ne sont pas nouvelles dans le droit des affaires. Joseph Issa-Sayegh en parlait déjà au sujet d’une nécessaire mise en conformité du droit interne dans les États parties avec les actes uniformes. Selon lui, la mise en conformité se justifie par le besoin de garantir la supranationalité et la portée abrogatoire des actes uniformes sur le droit interne, tel que cela transparaît à l’article 10 du Traité[58].

En tant que normes matérielles du droit des affaires, les actes uniformes doivent être le reflet du Traité communautaire dont ils sont en réalité une émanation, tant dans leur caractère formel que dans leur caractère fonctionnel. S’agissant du caractère formel, les normes matérielles du droit des affaires doivent être élaborées de manière simple et adaptées aux économies dans les États parties. Concernant le caractère fonctionnel, les règles juridiques ont pour rôle d’inciter les acteurs à investir et de les encourager à recourir à la justice privée pour le règlement des différends. La Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’OHADA a d’ailleurs réaffirmé son engagement dans cette voie, en recommandant au Conseil des ministres de l’OHADA de continuer à explorer les voies susceptibles de mener à des « cadres de référence » dont l’objectif est de proposer des réponses toujours plus appropriées aux besoins de droit des acteurs économiques dans l’espace OHADA[59]. La déréglementation des dispositions d’ordre publics pourrait alors constituer une réponse, notamment au regard du degré du caractère impératif découlant des règles juridiques contenues dans les actes uniformes. Outre qu’elle représente un mécanisme permettant la mise en conformité des règles à l’objectif d’attractivité du droit des affaires, elle ouvre la voie à une approche juridique bien plus appropriée au développement des activités économiques.

2.2 Le passage à une nouvelle approche juridique

Le passage à une nouvelle approche juridique se fera à travers deux démarches, soit par le droit en réseau (2.2.1) et par la régulation (2.2.2).

2.2.1 L’approche par le droit en réseau

Il existe dans le droit des affaires de l’OHADA des pans entiers qui n’ont pas toujours bénéficié d’une attention soutenue. C’est actuellement le cas avec la question de la nationalité[60] et, dans une moindre mesure, avec celle du cautionnement[61]. Le phénomène concerne plus largement le droit de l’OHADA dans son ensemble, en ce que l’approche hiérarchique du droit y est perceptible en tant que technique de construction de laquelle l’ordre juridique communautaire tirerait son unité et sa stabilité. Il en est ainsi parce que le droit des affaires semble subir l’influence de la conception traditionnelle du monisme juridique[62]. À l’image de tout système juridique africain, l’ordre juridique de l’OHADA est organisé dans un sens strictement vertical, autour de la norme fondamentale qu’est son traité[63]. Il épouserait les contours de l’unité du droit. C’est d’ailleurs la figure la plus frappante. En effet, dans sa structure normative, le droit des affaires découle d’un texte fondamental, le Traité de Port-Louis. C’est ce dernier qui définit les critères des règles matérielles que sont les actes uniformes. Il doit être considéré, au sens de Herbert Lionel Adolphus Hart, comme la « règle de reconnaissance » qui fixe les critères référentiels à la lumière desquels s’apprécient les autres règles du système juridique[64]. Et on peut le voir à la lecture des articles 1er et 5, ce traité pose que les règles matérielles doivent être communes, simples, modernes et adaptées, et que les actes pris pour leur adoption doivent être qualifiés d’« actes uniformes ».

Concernant sa structure institutionnelle, l’OHADA est bâtie autour d’une hiérarchisation de ses organes. Du haut vers le bas, citons la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’OHADA, le Conseil des ministres de l’OHADA avec un secrétariat permanent comme bras séculier, et la CCJA. Tous ces organes sont influencés par la présence significative de l’État, notamment par la désignation de ses représentants ou des membres devant siéger au sein de la juridiction communautaire. Cela montre bien que le paradigme hiérarchique reste présent dans les processus normatifs du droit des affaires.

Or, il est loisible d’observer que l’ordre juridique de l’OHADA est construit par rapprochement de systèmes juridiques différents. C’est en réalité un système qui propose la mise en commun des systèmes juridiques sans que l’un puisse prétendre être au-dessus des autres. Ses règles matérielles s’articuleraient avec plus d’emphase non pas parce que les unes sont placées au-dessus des autres, mais parce qu’elles sont coordonnées à partir d’une organisation qui leur laisse en même temps une marge de manoeuvre sur le plan national. Un tel système est bien plus proche d’un système de droit négocié, voire de droit unifié[65], et ce, d’autant que la mise en place du droit communautaire s’est faite en suivant un processus souple, c’est-à-dire en tenant compte de la nécessaire mise en commun des réalités africaines avec les influences juridiques héritées de la colonisation et encore présentes dans les droits nationaux. Il sied que l’ordre juridique de l’OHADA soit davantage orienté vers le modèle du réseau.

Le modèle du réseau, tel qu’il a été théorisé par François Ost et Michel Van De Kerchove, agit sur les modes contemporains de production du droit. Par l’effritement de « la souveraineté de la loi » qu’il provoque, ce modèle entraîne « la multiplication des normes internationales, qui, soit imposent des obligations au législateur national, soit créent des effets directs en droit interne et sont susceptibles de bénéficier, en cas de conflit avec la loi national, d’une primauté sur celle-ci »[66], comme en témoignent les dispositions de l’article 10 du Traité de l’OHADA : « Les Actes uniformes applicables et obligatoires dans les États parties, nonobstant toute disposition contraire antérieure et postérieure […] ». Le modèle du réseau agit par ailleurs sur le processus de la loi, en ce qu’il ouvre la voie à une pluralité d’acteurs et les fait intervenir dans la production du droit, alors même que ceux-ci n’ont rien à voir avec le législateur traditionnel qu’est le Parlement. Dans le contexte de l’OHADA, citons le Conseil des ministres, en tant qu’organe législatif composé entièrement de politiques désignés par les États parties[67], le Secrétariat permanent, à titre d’organe administratif, et la CCJA, organe juridictionnel, qui donne son avis pour l’adoption des actes uniformes. Dans un même ordre d’idées, pensons aux CNO, au sein desquelles se trouvent les opérateurs économiques, les gens d’affaires et les membres de la société civile qui font des propositions en matière d’élaboration des actes uniformes. Un tel schéma, visiblement éclaté, conduit nécessairement à l’émiettement de la fonction d’élaboration et d’adoption des lois. Ce n’est pas celui du modèle pyramidal du droit, tel que l’a conçu le juriste autrichien Hans Kelsen. Au lieu que les compétences soient ordonnancées de manière hiérarchique, elles sont plutôt réparties entre des institutions qui occupent des niveaux hiérarchiques sans possibilité de dire qu’une hiérarchisation gouverne leur mode de fonctionnement. Toutes conduisent leurs activités et ne les exercent que dans le respect commun des directives communautaires. Il est de bon ton que soit donc aménagé un nouveau cadre juridique plus favorable pour l’harmonisation de l’OHADA avec le modèle du réseau, et ce, pour le plus grand bien de la sécurité juridique.

2.2.2 L’approche par la régulation

En convenant que le système juridique de l’OHADA est sous-tendu par la mise en commun des ordres juridiques nationaux différents, alors nous sommes amené à reconnaître qu’il génère de la complexité. Celle-ci découle tout naturellement de la nécessaire mise en cohérence des règles juridiques internes avec le nouveau droit supranational et vice-versa. Elle entraîne aussi avec elle l’urgence d’une mise en harmonie des compétences des institutions communautaires nouvellement créées au regard de ce que lesdites compétences étaient déjà exercées par les institutions nationales dans les domaines nouvellement couverts par le droit communautaire. Cet état de choses appelle des réaménagements juridiques et institutionnels, et il interpelle en vue d’un renouvellement de l’approche juridique, et donc la production d’« un droit nouveau, par son but, sa forme, sa structure systématique et même son contenu[68] », à tout le moins un droit qui doit pouvoir tenir compte des problématiques les plus actuelles et réelles des acteurs sociaux. Il se trouve donc que « la régulation, dont on peut dire qu’elle est devenue le nouveau mode de production, du moins du droit en réseau[69] », se présente comme le modèle juridique à même de rendre compte des besoins d’assouplissement, de décentralisation et d’adaptation du droit tels qu’ils sont recherchés par le droit des affaires de l’OHADA.

En effet, l’idée de régulation juridique pourrait intervenir dans le droit des affaires au moins pour deux raisons. La première est que le droit de l’OHADA consacre l’abandon de la souveraineté classique et donc de la forme autoritaire et hiérarchique du droit. En concédant ainsi une partie de leur souveraineté juridique et judiciaire, les États parties confient l’élaboration des normes de fond et de procédure à une instance supranationale qui, en retour, exerce un pouvoir de régulation pour s’assurer de l’application commune des règles juridiques dans les États parties. La régulation permet et facilite l’émergence d’acteurs nouveaux dans le processus de la loi, comme en témoigne le rôle des CNO[70], du Secrétariat permanent[71], de la CCJA et du Conseil des ministres de l’OHADA[72] dans le processus d’élaboration et d’adoption des actes uniformes. La seconde raison est que le droit des affaires de l’OHADA est un droit négocié. Fruit d’un accord conclu par les États, le Traité OHADA est signé à Port-Louis (Ile Maurice) en date du 17 octobre 1993. C’est donc ce dernier, acte contractuel par excellence, qui pose les principes de mise en place d’une certaine coordination juridique et judiciaire dans l’espace communautaire. On peut le voir au travers des prérogatives dévolues à la CCJA. En tant que juridiction supranationale, la CCJA assure dans les États parties l’interprétation et l’application commune du Traité, des règlements pris pour son application et des actes uniformes[73]. Par sa fonction consultative[74], la juridiction communautaire garantit une sorte de régulation de l’activité judiciaire dans l’espace OHADA par les avis qu’elle est appelée à produire par rapport aux questions éminemment importantes[75] concernant l’application des actes uniformes.

Il est donc souhaitable que l’approche juridique par la régulation soit perçue dans l’oeuvre normative de l’OHADA comme un moyen en vue de redynamiser le droit des affaires pour lui donner un visage bien plus attractif. Au regard de ses qualités en tant que nouvelle forme d’action publique[76], la régulation préconisée dans ce contexte devra entraîner un changement de paradigme, tant en ce qui concerne l’OHADA que pour ce qui est des États parties. En vérité, la régulation est susceptible d’aboutir à l’abandon de l’impérativité stricte pour faire place à des techniques plus souples qui offrent tous les avantages de flexibilité et d’adaptabilité. Elle pourrait également engendrer un nouveau visage pour les États membres dans le jeu économique[77]. Ce serait davantage un État avec un fort engagement dans l’environnement économique, mais son intervention s’exercerait différemment à travers le rôle d’encadrement, de supervision et d’arbitrage des intérêts en présence. À l’heure actuelle, des exemples dans le domaine des télécommunications ou des marchés publics avec les agences de régulation[78] montrent bien le rôle régulateur de l’État. Ils font la preuve par neuf que la régulation est un moyen décisif pour garantir l’attractivité économique.

De lege lata, l’ordre public des affaires de l’OHADA n’est pas encore précisé. C’est un vide juridique auquel il faudrait remédier. Faute de quoi, l’ordre public en droit de l’OHADA continuera à errer sans aucune frontière ni véritables ressorts juridiques pour lui conférer sa spécificité dans un environnement où se côtoient, et même se superposent, plusieurs ordres publics. La présence des dispositions d’ordre public dans les actes uniformes ne peut pas aisément encadrer et protéger l’ordre public sans ce préalable. Il convient alors que cet ordre public soit bien circonscrit, de manière à établir un lien cohérent entre celui-ci et les règles juridiques appelées à le garantir. Par ailleurs, au regard du caractère embryonnaire des économies dans les États parties de l’OHADA, et la nécessité de satisfaire l’objectif d’attractivité du droit des affaires, il devient urgent de faire des règles matérielles du droit unifié l’élément essentiel conduisant à la construction d’un véritable pôle de développement économique, surtout que l’ambitieux programme de l’OHADA est de parvenir à la mise en place d’un vaste marché en Afrique.