Résumés
Résumé
Au début des années 1960 au Québec, un mouvement indépendantiste de gauche commence à prendre forme autour d’initiatives comme la revue Parti pris, le RIN et le FLQ. Après son emprisonnement et la publication de Nègres blancs d’Amérique en 1968, Pierre Vallières devient une figure incontournable de ce mouvement. Aujourd’hui, le livre de Vallières est devenu un classique de la littérature québécoise, et cet article veut démontrer que les thèses historiques qui l’informent reconduisent essentiellement le discours sur l’identité du Canada français tel qu’il se développe dans l’historiographie canadienne-anglaise entre le milieu du XIXe siècle et les années 1960, qu’en un certain sens, ce classique qui dénonce le colonialisme en est également un témoignage.
Mots-clés :
- Historiographie,
- Pierre Vallières,
- Canada anglais,
- Nègres blancs d’Amérique,
- Front de libération du Québec,
- marxisme,
- Québec (province),
- 20e siècle
Corps de l’article
« C’est le prix que nous avons payé pour avoir laissé l’interprétation de l’histoire à des gens d’un même esprit. La défense politique a servi à accentuer jusqu’à l’obsession le culte de la tradition et le souci de la conserver […]. Il n’y avait plus moyen de rester nationaliste, car c’était crever par le dedans. »
Pierre Vadeboncoeur, La ligne du risque, 1963
« Prendre la parole, c’est s’emparer du récit. […] Colonisés de mille manières au plan symbolique, les Canadiens français mettront vingt ans à se transformer en Québécois. »
Jacques Godbout, « Des peuples heureux », Liberté, 1983
Pour le classique et le chef-d’oeuvre, les critères ne sont pas les mêmes. C’est dire, d’une part, qu’un grand livre ne constituera pas nécessairement un jalon pour son genre ou son époque. Par exemple, si plusieurs conviennent que Le lieu de l’homme de Fernand Dumont est un livre remarquable et toujours pertinent[1], il semble bien que, à plusieurs égards, le classique dans le genre demeure La crise de la culture d’Hannah Arendt[2]. À l’inverse, il y a des écrits qui, sans constituer une référence commune pour les intellectuel (le) s, sont des classiques parce qu’ils cristallisent une époque et qu’ils ont acquis une grande renommée. On pense à certains ouvrages dans la mouvance de la sociologie marxiste, notamment. Au Québec, le premier ouvrage de Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique, est un classique en ce sens[3].
D’abord, il faut dire que le livre de Vallières a été écrit en prison et que ce fait, qui souligne la parenté entre l’auteur et d’autres révolutionnaires célèbres comme Gramsci ou Malcolm X, est important pour comprendre sa postérité, au Québec, mais aussi à l’étranger. L’« avertissement de l’auteur » témoigne de ce contexte et de l’urgence qui entoure la rédaction du livre :
Il est important de conserver à l’esprit, en lisant ce livre, les faits suivants. 1. Ce livre a été écrit en prison, immédiatement après une grève de la faim de vingt-neuf jours, dans des conditions de détention particulièrement pénibles. Il a été écrit dans un bruit permanent de cellules ouvertes et fermées d’une main de fer, au milieu des cris des gardes répondant à ceux des prisonniers, dans le cadre d’une discipline absurde (qui s’appelle le règlement de la prison), inventée et appliquée pour abrutir les détenus au maximum. La section où Charles Gagnon et moi sommes toujours détenus au moment où ces lignes sont écrites est réservée principalement aux malades mentaux, aux narcomanes, à ceux qui sont accusés d’homicide et qui sont passibles de l’emprisonnement à vie, aux dépressifs, aux fous “politiques” enfin qui, comme Charles et moi, sont un peu considérés par les officiers comme des esprits “dérangés”. Très souvent, l’un ou l’autre de nos compagnons de détention s’ouvre les veines par désespoir ou, tout simplement, pour attirer l’attention[4].
Il y a là un contexte qui ajoute à l’intérêt du livre, par-delà son contenu. Et il y a la signature qu’on trouve quelques pages plus loin : « Pierre Vallières, Manhattan House of Detention for Men, New York, automne 1966[5]. »
Le livre se présente donc comme le résultat d’une pulsion de vie, d’une volonté de vivre « libre », au sens fort. Puis il y a le titre, provocateur, et le programme politique, cerné dès la première phrase de la préface :
Je n’ai d’autre prétention, en écrivant ce livre, que de témoigner de la détermination des travailleurs du Québec à mettre un terme à trois siècles d’exploitation, d’injustices silencieusement subies, de sacrifices inutilement consentis, d’insécurité résignée ; de témoigner de leur détermination nouvelle, et de plus en plus énergique, à prendre le contrôle de leurs affaires économiques, politiques, et sociales, et à transformer en une société plus juste et plus fraternelle ce pays, le Québec, qui est le leur, dont ils ont toujours formé l’immense majorité des citoyens et des producteurs de la richesse “nationale” sans jamais, pourtant, bénéficier du pouvoir économique et de la liberté politique et sociale auxquels leur nombre et leur travail leur donnent droit[6].
Pour celles et ceux qui n’avaient jamais « osé l’aventure », pour reprendre les mots de Fernand Ouellette[7], et qui se « réveillaient » en pleine Révolution tranquille (avec un « R » majuscule qui ne s’impose pas encore dans le texte de Vallières), le style de ce « “terroriste” québécois » avait de quoi électriser, dans la foulée du H. de Heutz de Prochain épisode[8] et de son créateur, qui avait pris le maquis deux ans plus tôt.
Nègres blancs d’Amérique compte plusieurs chapitres, mais on peut affirmer qu’il y a trois « livres » distincts au coeur de l’ouvrage : une histoire des « nègres blancs » (un récit du Canada français depuis les débuts de la colonisation française jusqu’aux années 1960), un récit autobiographique (notamment la jeunesse vécue à Ville-Jacques-Cartier – Vallières a 27 ans à l’automne 1966) et un exposé de théorie politique (inspiré du marxisme et de l’anticolonialisme). Dans le cadre de cet article, nous nous intéressons au premier de ces livres, non pour en établir les valeurs et les torts (nous n’avons pas la prétention de les départager), mais parce que nous considérons que le récit historique de Vallières reconduit une perspective « aliénante », préjudiciable envers les Québécois (ou les Canadiens français) dans leur ensemble.
D’une part, Vallières nie l’unité ontologique et l’« agentivité » historique de la « nation » québécoise ou canadienne-française. Comme il veut exprimer le rôle et le sort d’un « peuple » canadien-français et québécois qui ne fait pas corps avec ses élites « bourgeoise », « cléricale » et « petite-bourgeoise[9] », il renonce du même coup à la perspective et aux interprétations de tout un pan de l’historiographie canadienne-française, qui ne trouve pas grâce à ses yeux[10]. En rejetant l’historiographie[11] et l’identité[12] canadienne-française, Vallières trouve ultimement un appui dans la tradition historiographique canadienne-anglaise. À cet égard, l’existence d’une nation canadienne-française, que reconnaissait du reste le rapport Durham, est une hantise contre laquelle les historiens canadiens-anglais se débattent depuis le milieu du XIXe siècle[13]. Dans les synthèses d’histoire canadienne qu’ils ont produites depuis, l’idée est explicitement combattue. Dans plusieurs cas, c’est la narration qui s’arrête et laisse place à l’assertion de l’auteur. Sur les « two nations (warring in the bosom of a single state) », Robert Bothwell, dans The Penguin History of Canada, paru en 2006, estime que « matters were never quite that simple[14] » et qu’il serait « most important » de voir que la « linguistic division » ne joue aucun rôle dans les événements au Bas-Canada, province qui serait, d’ailleurs, divisée sur tous les autres plans (social, régional, économique, religieux, etc.). Dans The Concise History of Canada, paru en 2012, Margaret Conrad dénonce l’« ignorance » de Durham sur le sujet : « Durham concluded that the rebellion in Lower Canada was a case of “two nations warring in the bosom of a single state, ” ignoring the evidence of ideological issues that crossed ethnic lines[15] ». Arthur Lower corrige Durham et traduit « two nations » par « two races[16] », Roger Riendeau fait de même et propose « two cultures[17] », etc. Le jeune Vallières ne les aurait pas désavoués.
Pour celui-ci, le savoir historique répond d’une urgence intime, d’un sentiment de révolte[18]. Il est instrumental au « progrès[19] » et subordonné à la praxis. Cette perspective (et cette pratique) se manifeste notamment dans le passage suivant, où Vallières s’approprie de manière critique la pensée de Fernand Dumont (qui le désavouera[20]) :
Le sociologue Fernand Dumont a écrit quelque part : “Les sociétés complexes dont nous héritons prendraient fatalement la figure d’un pesant déterminisme si nous ne pouvions, grâce à l’histoire, en saisir la genèse et le sens et ainsi les restituer à la liberté de nos options.” [italiques de Vallières[21]] Dumont se référait, en écrivant cela, au travail des historiens canadiens-français en grande majorité nationaliste. Il affirmait, avec raison, qu’il existe un lien profond et nécessaire entre l’histoire à faire et celle qu’écrivent les historiens. J’ajouterais que ce lien existe également entre l’histoire à faire et celle qui se vit présentement, celle qui nous engage quotidiennement, celle qui nous accule au choix, à l’engagement, au pari[22].
À partir de sa révolte spontanée, Vallières se donne une conscience, une raison et des objectifs :
Je comprenais qu’accepter de vivre, c’est assumer une histoire collective qui se fait et qui en même temps reste toujours à faire, qui se fait, se défait et se refait sans cesse, selon nos connaissances et nos propres forces, au gré de nos luttes, de nos passions, de nos espérances, de nos intérêts, de nos besoins, de nos options. Et assumer notre histoire, c’était inévitablement, pour moi, prolétaire québécois nègre blanc d’Amérique, « damné de la Terre », commencer par dénoncer et éclairer nos conditions inhumaines d’existence, établir une connaissance concrète et l’orienter tout entière vers « les résultats pratiques d’une action », d’une action révolutionnaire, d’une libération totale[23].
Avec Nègres blancs d’Amérique, la mise en récit du passé est le fruit de cette action qui, dans ce cas, sert à susciter un engagement en illustrant la trahison des classes dirigeantes[24].
Vallières n’est pas un historien. Il utilise l’information dont il dispose (il est, après tout, en prison) pour offrir ce qui lui importe : une perspective utile à la pratique révolutionnaire, à la lutte des classes. Pour y arriver, l’auteur trouve à sa portée des interprétations toutes faites sur le Canada et le Canada français dont on peut repérer les traces d’abord dans la production historiographique au Canada anglais[25] depuis les années 1850. Nous exposons dans les pages qui suivent quatre exemples de ces « interprétations[26] » reprises dans la synthèse d’histoire des « nègres blancs d’Amérique ». Il y aurait lieu de penser, du moins est-ce l’hypothèse de cet article, que la révolte spontanée reconduit parfois le colonialisme dans ses manifestations plus subtiles.
Dans un article consacré à la dimension économique de la Révolution tranquille, l’économiste Pierre Fortin déclarait : « Lorsque l’écrivain Pierre Vallières a décrit les francophones québécois comme les “nègres blancs d’Amérique” en 1968, on a presque partout tourné sa comparaison en ridicule. En fait, il clamait l’exacte vérité. La position socio-économique relative des francophones québécois de l’époque n’était pas meilleure que celle des Noirs américains[27]. » Au Québec, les histoires familiales sont nombreuses à relater un héritage de pauvreté, antérieur à l’héritage de la Révolution tranquille. Ce qui nous intéresse ici, cependant, est l’aspect historique de la proposition de Vallières : « [Les travailleurs du Québec] ne sont-ils pas, depuis l’établissement de la Nouvelle-France, au XVIe siècle, les valets des impérialistes, les “nègres blancs d’Amérique” ?[28] ». Sans doute, certains lecteurs verront-ils des liens entre la perspective ici analysée et certains écrits des historiens de « l’école de Laval ». Sans doute, il y a lieu de présumer que Vallières est plus directement influencé par ces derniers. Or, la genèse des idées de Vallières, l’origine de ses croyances, comme telle, n’est pas l’objet de cet article. Notre méthode en est une d’analyse de discours, et l’intérêt spécifique de Nègres blancs d’Amérique, dans ce cadre, est sa portée politique explicite, de l’ordre de la libération et de la révolution, et le fait que cette intention apparaisse en contradiction avec le discours sur l’identité du Canada français qu’elle reconduit.
« La dépendance du Québec à l’égard de l’étranger est une constance de son histoire »
Dans son livre, Vallières résume sa perspective sur l’histoire du Québec de la manière suivante :
C’est devenu un ensemble de lieux communs de dire que le Québec est une colonie, une sous-colonie, une sous-sous colonie, une triple colonie, etc. La dépendance du Québec à l’égard de l’étranger est une constance de son histoire. Son développement économique, social et politique, constamment subordonné à des intérêts financiers étrangers, n’a jamais connu d’évolution indépendante. Car le Québec, depuis l’établissement d’un comptoir commercial à Québec par Champlain en 1608, a toujours été soumis aux intérêts des classes dominantes des pays impérialistes : d’abord, la France ; puis l’Angleterre ; et, aujourd’hui, les États-Unis. Colonie politique depuis plus de trois cent cinquante ans, son économie a toujours été dirigée, contrôlée, organisée par des facteurs extérieurs aux besoins de sa population. D’abord, commercialement, le Québec a vécu et vit toujours d’exportations, vers un nombre limité de pays (pour dire vrai, vers un seul pays et quelques gros satellites de celui-ci), d’une quantité limitée de produits, exportés à l’état brut ou semi-fini : fourrures, sous la domination française ; fourrures, bois, blé et cuivre, sous la domination anglaise ; bois, papier journal, électricité, lingots d’aluminium, amiante, fer, cuivre, sous la domination américaine[29].
Certains auront noté la ressemblance avec un passage dans La nouvelle trahison des clercs de Pierre-Elliott Trudeau, lorsqu’il est question de la « sous-sous colonie » québécoise (« c’est à l’intérieur du phénomène nationaliste global qu’il faut considérer le sous-sous-cas québécois du sous-cas canadien[30] »), cependant, c’est l’interprétation générale de l’histoire du Québec, à partir de la deuxième phrase, qui nous interpelle ici en ce qu’elle reproduit la pensée sur l’histoire nationale au Canada anglais.
D’abord, le propos concernant les produits peu variés, bruts ou semi-finis, destinés à être écoulés sur les marchés métropolitains et qui détermineraient le développement du pays est une trouvaille des sociologues W.A. Mackintosh[31] et Harold Innis[32] au cours des années 1920. C’est ce qu’on appelle la staples thesis, une thèse qui caractérise aussi bien les travaux de W.L. Morton[33] que ceux de Donald Creighton[34] ou d’Arthur Lower[35]. Dans son presidential address pour la Canadian Historical Association en 1960, Morton indique que la « dépendance historique », dont la commercialisation des staples serait un exemple éloquent[36], constitue l’un des quatre « facteurs permanents de l’Histoire du Canada » (les autres étant : le caractère nordique, le gouvernement monarchique et l’engagement à l’égard d’une destinée nationale à l’intérieur de « special relations with other states »).
Lorsque Vallières affirme que « la dépendance du Québec à l’égard de l’étranger est une constance de son histoire » et que « son développement économique, social et politique, constamment subordonné à des intérêts financiers étrangers, n’a jamais connu d’évolution indépendante », cela traduit également l’angle par lequel Creighton, Lower ou Morton tâchent de saisir l’histoire du pays. Le thème de la dépendance comme constante est une manière, pour les historiens canadiens-anglais de l’époque, d’illustrer la différence avec les États-Unis (desquels il est toujours urgent de se distinguer pour justifier l’existence nationale distincte du Canada), qui auraient eu « l’indépendance » (plutôt que la « dépendance », donc) comme destin.
Toujours dans son presidential address, Morton affirme que, après l’Acte de Québec,
l’empire anglo-américain n’avait pas réussi à absorber la northern frontier [le Canada – allusion à la frontier thesis de F. J. Turner], son économie primitive et ses tribus indiennes, et cette séparation effective de l’empire en Amérique était le préliminaire à une séparation encore plus importante causée par l’Indépendance américaine. Le Canada et la Nouvelle-Écosse demeureraient sous le contrôle de la marine et des garnisons britanniques, et leurs élites acquerraient la conviction, au cours de la guerre, que leurs intérêts politiques et économiques s’accordaient avec la dépendance stratégique des colonies vis-à-vis du Royaume-Uni[37].
La structure économique du « vieil empire français du nord », reposant sur les pêches et la fourrure, aurait été inconciliable avec celle des treize colonies anglaises, et cette différence aurait largement influencé les développements ultérieurs et distincts du Canada et des États-Unis. Pour le premier,
tout ce qui ressemblait à une indépendance spontanée et totale n’était ni possible ni souhaitable. Les deux facteurs qu’étaient l’aspiration nationale et le soutien extérieur ont été lentement réconciliés par la transformation progressive de la dépendance continue en une association libre qui assurait le soutien nécessaire tout en offrant l’indépendance désirée. Le caractère actuel de l’association du Canada avec le Commonwealth et les États-Unis est donc le résultat de son développement historique en tant que northern frontier[39].
Et quand Vallières écrit que « le Québec, depuis l’établissement d’un comptoir commercial à Québec par Champlain en 1608, a toujours été soumis aux intérêts des classes dominantes des pays impérialistes » et que « colonie politique depuis plus de trois cent cinquante ans, son économie a toujours été dirigée, contrôlée, organisée par des facteurs extérieurs », on entend l’écho des phrases de Morton : « Et en Nouvelle-Écosse, les mêmes facteurs de dépendance coloniale et d’objectif impérial ont produit Halifax[39]. »
Sur Papineau et les Patriotes
Dans un passage qui traduit bien la nausée (le verbe « écoeurer » y revient trois fois – la mode, dans les cercles anticolonialistes et socialistes de l’époque, est à Jean-Paul Sartre, qui renonçait au prix Nobel de littérature en 1964) qui préside à l’écriture de Nègres blancs d’Amérique, on peut lire : « Nous ne sommes plus en 1837 et nous en avons soupé des Louis-Joseph Papineau ! Les Papineau de 1967 nous écoeurent autant que celui de 1867. Comme les Cartier de 1967 nous écoeurent autant que celui de 1867. Nous sommes écoeurés d’être, depuis trois cent cinquante ans, l’objet de marchandages entre capitalistes autochtones et étrangers[40] ». L’écoeurement de Vallières, dans ce passage, vise le « séparatisme politique » de « la petite bourgeoisie parasitaire du Canada français » qui ne comprend pas que « l’adversaire de la révolution québécoise, ce n’est pas Ottawa (qui n’en a pas les moyens !) mais Washington[41] ».
Si l’on se fie à ce passage, le Papineau de 1837 ne semble pas devoir subir la même condamnation que le Papineau de 1867, ou ceux de 1967. Pourtant, et malgré cette apparente concession, le portrait du chef patriote dans Nègres blancs d’Amérique, comme celui de l’ensemble de son parti, est uniment négatif. Ce qui le caractérise, dans l’ensemble du texte et de manière exhaustive, c’est son aptitude à la mystification et à l’exploitation du peuple, sa recherche exclusive de bénéfices personnels, sa « défection » et son titre de seigneur.
Papineau apparaît comme un trompeur : « Le mécontentement des habitants n’avait été exploité que comme moyen de pression. Le peuple, mystifié par l’éloquence de Papineau et exaspéré par ses difficultés économiques, s’est laissé avoir[42] ». Et pas seulement par Papineau, car les chefs rebelles et le Parti patriote partagent l’odieux de cette exploitation : « Les habitants, dépossédés de tout, furent hypnotisés par la fougue des Patriotes et, malgré l’opposition du haut clergé, manifestèrent de plus en plus violemment leur volonté de renverser les classes dirigeantes. Papineau, plus que tout autre, enflamma l’imagination des habitants et devint presque un dieu pour eux[43]. »
Sur les raisons pour lesquelles les Patriotes exploitèrent le peuple, on trouve cette explication :
Les Patriotes, les petits-bourgeois dirigés par Papineau, n’avaient pas voulu la révolution populaire. Ils avaient cherché, en mobilisant le peuple, à faire pression sur les Anglais afin d’obtenir par eux, pour leur classe – et non pour les habitants –, un nouveau partage des pouvoirs qui leur aurait procuré certains revenus additionnels et permis de participer dans une plus large mesure aux avantages économiques du système économique. […] Ils voulaient participer aux activités financières jusque-là réservées aux Anglais et reprendre à ces derniers des droits qu’ils affirmaient leur être dus depuis longtemps. […] Ils ne réclamaient rien de plus qu’un réajustement des privilèges entre eux et les Anglais[44].
La thèse selon laquelle Papineau et les Patriotes ne cherchaient véritablement qu’à augmenter leur pouvoir et à s’enrichir est en phase avec le soupçon qui pèse sur eux dans l’historiographie canadienne-anglaise. Au sujet de Papineau, Arthur Lower faisait le constat suivant, en 1946 : « Une reconnaissance opportune de ses capacités en aurait fait un serviteur utile de l’État : Dans les faits, il a toujours été laissé de côté et, après avoir initialement frappé à la porte, il en est venu à la fracasser avec le pied[45] ». Cette interprétation était cohérente avec la perspective de George Wrong, telle qu’on la trouve exprimée dans son ultime synthèse d’histoire du Canada, en 1938 : « Papineau n’avait pas une vision claire du futur. Ses pensées dépassaient rarement la demande pour davantage de pouvoir[46] ». Dans la même veine, Morton écrivait que les luttes menées par les Patriotes n’étaient « pas tant des croisades pour le pauvre et le vertueux que des agressions envers des égaux et des rivaux[47] ».
Quant à l’éloquence « mystificatrice » de Papineau, il y a là l’empreinte des historiens canadiens-anglais depuis John Mercier McMullen, qui écrivait en 1855 que le leader patriote « semblait avoir été fait par la nature pour le rôle de l’agitateur éloquent, mais pas pour celui du législateur sage ou prudent – pour agir sur les passions et les préjugés de ses compatriotes ignorants et irréfléchis, pas pour les rendre plus heureux, plus sages ou mieux[48] ». Chez cet historien, cela faisait de Papineau une sorte de sorcier juif satanique (« il était de la taille moyenne, avec les traits hébraïques ; de grands sourcils sombres, ombragés, dans un arc plus élevé que d’ordinaire, un oeil lustré et vif, rapide et pénétrant[49] ») qui utilise son pouvoir pour « exciter les préjugés de la masse contre les gens d’origine britannique[50] ». Éloquence mystificatrice pour l’historien John Bourinot également, au tournant du XXe siècle, qui soulignait une « carrière fructueuse de clins d’oeil rhétoriques[51] », ou pour Wrong, qui évoquait un « dangerous gift », dans la mesure où Papineau, « ardemment Français en esprit[52] », utilisait son talent pour séduire et susciter la haine contre ses adversaires.
Chez Lower également, l’éloquence mystificatrice de Papineau est liée à sa « francité » : « Une vanité susceptible, un égoïsme alimenté par les applaudissements des camarades, un amour de l’art oratoire et de l’argumentation pour eux-mêmes, un pouvoir d’expression trop pittoresque et trop intense pour le goût des Anglais, peu imaginatifs[53]. » Papineau est, en ce sens, un chef tout indiqué pour ses semblables : « Ses talents pour l’éloquence et son habileté tactique en ont immédiatement fait le leader du French party, et en tant que tel, son destin fut d’entrer en collision avec tous les gouverneurs[54]. » Vallières indique qu’il enflamme l’imagination des habitants et devient un dieu. Et pourtant, comme le souligne Lower dans un même esprit, « […] malgré toute sa flamboyance, [Papineau] n’était pas fait pour être révolutionnaire[55] ». Sur ce point, Creighton se fait encore plus philosophe : « Le tribun du Bas-Canada avait presque l’air d’avoir été fait pour jouer le rôle de leader révolutionnaire. Mais il y avait une curieuse faiblesse derrière la splendide détermination du visage. Peut-être ne savait-il pas où il voulait aller. Peut-être savait-il exactement qu’il ne voulait pas aller dans la direction du soulèvement armé[56]. » Cet angle psychologique, c’est également celui qu’exploitera Fernand Ouellet, l’historien, en fouillant la correspondance de Papineau et en se prêtant à une sorte d’analyse profane[57].
L’éloquence de Papineau est donc un (mauvais) trait de caractère cohérent avec le reste de sa personnalité dans le narratif canadien-anglais. Elle est étroitement liée à son ultime « défection », pour reprendre l’expression de Vallières (« la défection de Papineau[58] »), à sa « fuite ». Selon ce dernier, « en 1837-1838, le peuple se souleva sans en demander au chef la permission. Le chef, Papineau, s’enfuit aux États-Unis avec ses principaux collaborateurs. Les habitants durent affronter seuls et pratiquement sans armes les soldats anglais[59] », ce qui faisait dire à McMullen que « s’il s’était tenu droit et comporté comme un homme, cela aurait tempéré le jugement de la postérité sur sa folie[60]». On retrouve une opinion similaire chez Bourinot : « Au moins [Chénier] a donné sa vie comme un homme […] plutôt que de fuir comme Papineau[61]».
Chez McMullen, dans les deux chapitres portant sur les Rébellions, les mots « fled » (p. 395, 397, 398 x 2, 401, 402, 406, 407), « flight » (p. 395, 396, 397, 405, 407), et d’autres synonymes (« evade » [p. 395], « deserted » [p. 400], « escape » [p. 406], « rode full speed » [p. 406], etc.) sont systématiquement accolés au groupe formé par les leaders patriotes et les insurgés. Le substantif « flight » est le plus souvent réservé à Papineau, et une fois de façon pléonastique (« cowardly flight », p. 397). En revanche, lorsque ce sont les chefs militaires, l’armée régulière, la milice anglo-canadienne ou les loyal inhabitants qui quittent les lieux devant les insurgés, l’auteur préfère les expressions « compelled to retreat » (p. 394 et 395), « compelled to put back » (p. 398), « compelled to take refuge » (p. 399), « compelled to surrender » (p. 401), « compelled to abandon » (p. 406).
Autre point, Vallières reprend l’idée de la gradation de la violence des rebelles : « Les habitants, dépossédés de tout, furent hypnotisés par la fougue des Patriotes et, malgré l’opposition du haut clergé, manifestèrent de plus en plus violemment [nous soulignons] leur volonté de renverser les classes dirigeantes ». Cette gradation de la violence des Patriotes dans l’historiographie canadienne-anglaise est capitale. Sa conséquence est de déplacer le centre d’attention des revendications des Patriotes « à leurs débuts », vers « l’illégitimité » et « l’immoralité » des moyens qu’ils « choisissent » et qui sont de plus en plus « extrêmes » ou « radicaux ». Le corollaire de ce procédé est que ce sont les Britanniques qui sont les démocrates (surtout lorsqu’ils s’opposent aux Patriotes ou se montrent indifférents à leurs revendications), pas les Canadiens français.
Chez Wrong, par exemple, le portrait de Papineau est globalement celui d’un homme qui devient de plus en plus violent, d’un homme qui chemine vers le pire : « Papineau, sur le siège du président d’Assemblée, est devenu un violent partisan[62]» ; « Au cours d’une agitation qui dura vingt ans, Papineau a développé un talent notoire pour l’invective[63] » ; « le discours de Papineau était riche d’épithètes comme “infect”, “sauvage”, “corrompu”, “brutal” et, plus le temps passait, plus il devenait violent[64] » ; « Papineau est devenu plus violent. En 1834, il a conduit l’Assemblée à passer pas moins de quatre-vingt-douze résolutions[65] », « la conciliation […] a rendu Papineau plus furieux[66] », etc. C’est le même procédé qu’on trouve chez Morton. Papineau, dans ce cas, « évolue » (une descente) au fil du récit : « rendu amer », « désillusionné », « il commence à abandonner son admiration pour les institutions britanniques[67] » jusqu’à ce que « la proposition du gouvernement whig […] complète sa désillusion[68] ». Plus loin, on le voit « devenir plus ouvertement républicain[69] » tandis qu’il entraîne ses partisans qui « deviennent plus extrêmes[70] ». Le procédé est également le même chez Lower : « La lutte constitutionnelle au Canada se déroule jusqu’aux environs de 1832, après quoi Papineau devient si intransigeant que cela justifie la croyance qu’il ne cherchait pas vraiment de solution[71] » ; « en 1831, l’Assemblée était devenue intransigeante. Ce devait être tout ou rien[72] » ; « À partir de cette époque (1822), la conduite de Papineau est devenue moins rationnelle, plus violente[73] », etc.
Finalement, Vallières dénonce l’incompatibilité entre la « carrière révolutionnaire » de Papineau et son statut de seigneur : « Papineau fit amende honorable, avant d’être réhabilité officiellement et de devenir seigneur de Montebello (belle carrière de révolutionnaire !)[74] » ; « Le “révolutionnaire” Louis-Joseph Papineau, alors seigneur de Montebello[75] ! » Sans les guillemets, les parenthèses, les points d’exclamation ou le sarcasme, c’est bien cette idée qu’exprimait Creighton : « Loin d’être, dans un sens ou un autre, un homme du peuple, Papineau était le seigneur de Montebello et un avocat qui avait reçu l’éducation traditionnelle de séminariste à Québec[76]. »
Globalement, la grande affaire dans l’historiographie canadienne-anglaise est de démontrer que Papineau « était davantage un nationaliste qu’un démocrate républicain[77] ». Margaret Conrad faisait le point sur ce problème traditionnel dans sa récente synthèse : « Les historiens débattent à savoir si la rébellion dans le Bas-Canada était démocratique ou nationaliste par essence, mais la rhétorique suggère qu’elle était un petit peu des deux[78]. » Évidemment, en l’absence d’une « nation » canadienne-française, son caractère nationaliste est symptomatique de la vilenie de Papineau et cohérent avec son statut d’aristocrate décadent, « the scion of an old seigneurial family[79] » comme on le lit dans A Little History of Canada de H.V. Nelles qui vient d’être traduit (2017) chez Fides. Sur le fond, la compatibilité entre la perspective marxiste de Vallières et l’historiographie canadienne-anglaise est, ici, complète.
Le Canada français comme société médiévale
Dans sa conception du Canada français comme société médiévale, l’a priori marxiste de Vallières est également palpable : « Le peuple va se lever debout, défiler lui-même dans les rues et faire de ce pays autre chose qu’une mascarade médiévale dirigée par des épiciers dont l’horizon dépasse à peine les frontières de leur paroisse[80]. » Encore une fois, le marxisme de Vallières et la critique de l’« élite canadienne-française », « bourgeoise » ou « petite-bourgeoise », trouvent dans l’historiographie canadienne-anglaise une « preuve » bien détaillée et fort utile. Et lorsque Vallières dénonce conformément le « despotisme » et « l’obscurantisme des aumôniers[81] » canadiens-français, il rejoint certains préjugés fort répandus au Canada anglais[82].
Ce sont ces mêmes préjugés auxquels Vallières fait écho quand il écrit :
Le mouvement coopératif et le syndicalisme, contrôlés par l’Église (à peu d’exceptions près) et par la petite bourgeoisie traditionnelle, furent mis au service de l’achat chez nous, de l’épargne canadienne-française monopolisée par les Caisses populaires Desjardins et de la préservation de la foi, de la langue et de la religion. Certains chefs syndicaux prêchèrent même le retour à la terre et la suppression de toute politique d’immigration, car les immigrants, à leurs yeux, n’étaient que des voleurs d’emplois et de terre[83].
Élite, Église, Caisses populaires, syndicats : tous tombent sous le coup des accusations de mesquinerie « nationaleuse » et d’hostilité à l’immigration. On trouve cette accusation également chez Creighton, pour qui les Canadiens français forment une société sénile et satisfaite « qui mettait l’emphase sur l’unité corporatiste (corporate unity) et était prête à sacrifier beaucoup pour la survie corporatiste (corporate survival)[84] », et dont les représentants élus « s’opposaient à l’immigration et aux améliorations d’infrastructure avec une constance obstinée[85] ». Lower insiste sur ce dernier point : « Les Français n’avaient pas aimé l’idée de l’immigration depuis le début, en raison de la menace que cela faisait peser sur leur majorité, et surtout ils déploraient que les nouveaux arrivants soient installés sur les terres du Bas-Canada, car ces terres n’appartenaient-elles pas de droit aux “enfants du sol” [en français], aux children of the soil ?[86] »
Pour Creighton, le rôle de la Conquête, pour expliquer cet état d’esprit, n’est pas à négliger :
Il est vrai de dire que la société de la vallée du bas du Saint-Laurent [pour cet historien, le Canada français, c’est la société du commerce de la fourrure repliée sur ses bases] était dès lors confrontée à un futur menaçant et potentiellement catastrophique. La Nouvelle-France devait accepter l’humiliation de la défaite. Sa culture en entier pouvait, tôt ou tard, se trouver noyée par l’immigration de masse des Britanniques en Amérique du Nord. Les supplices à venir seraient vraisemblablement terribles. Mais la société du Canada français était devenue solide, après cent cinquante ans à soutenir les chocs. Enracinée dans le sol du Nouveau Monde, soutenue par une foi et une langue distinctes, elle avait démontré sa grande ténacité, une grande force d’endurance ; et de façon simple, et saine, elle était animée d’une volonté inaliénable de vivre. Sans doute, la lutte pour la survie allait être dévastatrice et se faire au prix d’un rapetissement. Sans doute, toutes les ressources spirituelles de la société devraient être investies dans la seule nécessité fondamentale de l’autodéfense. Le bien-être de l’individu devrait céder à la perpétuation de la race, l’expression de la personnalité individuelle devrait se subordonner au maintien de la culture commune. Mais, malgré son amputation, le mode de vie canadien-français pourrait survivre. Et il a survécu, sa continuité, au sein d’une population principalement britannique, donnant naissance à la dichotomie spirituelle centrale, à la division sociale et culturelle fondamentale, de la vie en Amérique du Nord Britannique[87].
Pour Vallières, le pôle catholique et canadien-français de cette dichotomie spirituelle équivaut à un asile d’aliénés :
Le Moyen Âge ne serait pas le Moyen Âge sans une Inquisition bien organisée. Et Dieu, malgré les efforts des capitalistes américains, ne voulait pas que le Québec perde son caractère médiéval. C’est tout juste si la Sainte Vierge n’apparut pas à quelque enfant, comme au Portugal, pour nous supplier d’obéir aux continuateurs du schizophrène Mgr de Laval, qui au XVIIe siècle avait jeté les fondements de cet univers d’asile d’aliénés[88].
Les compromis de Lafontaine et Cartier
Un autre élément commun à la synthèse de Vallières et à l’historiographie canadienne-anglaise est la thèse du « compromis », entre Lafontaine et Baldwin d’une part, et entre Cartier et Macdonald d’autre part. Vallières écrit : « Pour la petite bourgeoisie, une fois passée l’hystérie anglo-saxonne qui suivit la rébellion, la défaite se mua rapidement en un nouveau compromis. Le soulèvement populaire avait effrayé les plus conscients des Anglais. Ils jugèrent que le temps était venu d’intégrer la petite bourgeoisie dans leur système de collaboration de classes et de donner satisfaction à certaines des revendications des Patriotes. Lafontaine et Baldwin furent les instruments de ce compromis[89]. » Or, indique Vallières, « les compromis que Lafontaine et Cartier avaient conclus avec les millionnaires anglais avaient laissé les habitants totalement indifférents[90]. »
La thèse du « compromis » entre les hommes politiques « anglais » et « français », qui ne se retrouve pas uniquement chez Vallières, faut-il préciser, est attribuable, à l’origine, à Lower. Le « compromis » étant, pour ce dernier, la manière politique par laquelle les Canadiens surmontent le « racial cleavage » entre les deux groupes, et les Canadiens français leur ressentiment anti-anglais. C’est, en fait, la « voie du salut » pour le Canada. Ainsi, après les Rébellions, « […] la voie du salut semblait passer non par la révolution, mais par le compromis, l’acceptation du régime anglais et l’utilisation des armes du constitutionnalisme que les Anglais avaient obligeamment fournies[91] ». L’avoir ignoré était précisément la faute des Patriotes : « À l’automne 1837, les Patriotes avaient atteint la position à laquelle la logique de leur programme les amenait. Ils en avaient fini des compromis, fini du régime anglais[92] » ; « L’Assemblée avait maintenant un programme, un programme orienté sur la conquête du pouvoir, sans possibilité de compromis[93]. »
Cet idéal du « compromis » serait inscrit, selon Lower, dans la tradition anglaise :
La tâche de préserver l’héritage anglais classique de la liberté fondée sur le compromis et de l’adapter au contexte canadien est celle dans laquelle nous sommes toujours engagés. Gloire à ces nombreux hommes qui ne sont pas issus directement de la tradition anglaise, les Baldwins et les Mackenzies, les Lafontaines et les Blakes, qui ont combattu si vaillamment à cette fin[94].
Évoquer les « compromis » de Lafontaine ou Cartier, comme le font Vallières et d’autres, renvoie à la rétrospection d’une historiographie qui donne ainsi des héros canadiens-français à la patrie canadienne, et ce pour des raisons que le triomphe intellectuel, après la Première Guerre mondiale, du principe des nationalités explique partiellement. Dans le contexte de l’historiographie canadienne, le mot « compromis » contient une charge sémantique que n’auraient pas, aujourd’hui ou en 1968, le mot « entente » ou quelque autre synonyme. Notons d’ailleurs que ce mot n’apparaît qu’à cinq reprises dans l’ouvrage de Lionel Groulx sur la Confédération[95], et jamais pour décrire la relation entre Macdonald et Cartier ou celle entre Lafontaine et Baldwin.
Conclusion
Au fil de cet article, nous avons voulu démontrer l’adéquation entre le discours sur l’identité du Canada français tel qu’il est véhiculé dans l’historiographie canadienne-anglaise, et celui qu’on trouve dans la synthèse d’histoire des « nègres blancs » de Pierre Vallières. Il y a sans aucun doute des voies de passage entre celles-ci et les historiens canadiens-anglais, des raisons qui expliquent la similitude des idées : l’appartenance effective à la fédération, la domination anglophone, le lien qui unissait le jeune Vallières à Pierre-Elliott Trudeau, une certaine communauté de vues entre les historiens de l’école de Laval (dont il serait plus vraisemblable que Vallières ait eu connaissance de l’un ou l’autre des ouvrages) et les historiens canadiens-anglais, etc.
Néanmoins, établir l’origine des idées de Vallières n’était pas notre objet. Nous nous en sommes tenus à une explication restreinte de leur adéquation aux grandes thèses de l’historiographie canadienne-anglaise. Ainsi, la perspective marxiste de celui-là apparaît largement compatible avec le soupçon qu’entretient celle-ci à l’égard de la société canadienne-française. Autrement dit, parce que son moteur est la nécessité, a priori, de démontrer l’exploitation économique et historique des dominés par les dominants, des travailleurs par les « bourgeois », parce qu’il dénonce l’indifférence, l’insignifiance ou la trahison des « petits-bourgeois », qu’il nie l’existence même de la collectivité nationale, le récit des « nègres blancs » trouve dans l’historiographie canadienne-anglaise un appui et des interprétations qui cadrent utilement avec ses préconceptions.
Nous avons exposé quatre exemples concrets d’interprétations que Nègres blancs d’Amérique et cette historiographie ont en partage. D’abord, nous avons constaté que le déterminisme historique et économique que décrit Vallières, au sujet du Québec, trouve son vocabulaire et sa cohérence idéologique dans le déterminisme géoéconomique élaboré par Mackintosh, Innis, Creighton, Lower et Morton, dans la staples thesis et le thème de la dépendance comme constante de l’histoire nationale au Canada.
Deuxièmement, le personnage de Papineau et l’ensemble des Patriotes, qui personnifient dans la synthèse de Vallières l’exploitation et la trahison de l’élite bourgeoise et petite-bourgeoise à l’égard du peuple, reconduisent ce qu’on trouve dans l’historiographie canadienne-anglaise depuis McMullen : un faux révolutionnaire réactionnaire, un chef exploiteur et mystificateur, un trouillard, des politiciens soucieux d’avancement, rivaux et égaux des « Anglais », des politiciens trompeurs à la recherche de privilèges, etc. Et si la violence du « peuple » se justifie chez Vallières, comme chez Sartre et Fanon du reste, sa gradation dans le contexte des Rébellions est une idée qui prend son sens et sa signification dans le discours canadien-anglais sur l’identité du Canada français.
Troisièmement, nous avons démontré que la thèse du caractère médiéval du Québec, attribuable à une perspective sur les stades de développement des sociétés propre au matérialisme historique, chez Vallières, trouve encore une fois un précieux témoignage dans l’historiographie canadienne-anglaise. Une même idéologie anticatholique et anti-québécoise est mobilisée dans l’un et l’autre cas : l’addition de la mesquinerie, de la xénophobie, de l’obscurantisme, de l’oppression et des exactions féodales, etc.
Finalement, nous avons indiqué comment la perspective du « compromis » entre les grands hommes politiques du Québec et du Canada anglais, que Vallières reprend à son compte, relève en définitive d’une perspective d’abord définie par Lower. Les « compromis », selon ce dernier, seraient au coeur de l’histoire et de l’identité « canadienne ».
En introduction, nous indiquions que l’objectif général de cette étude était de démontrer la manière dont la révolte reconduit parfois le « colonialisme », un mot qu’affectionnait Pierre Vallières et qui, nous le pensons, désigne une réalité bien concrète. Nous espérons qu’une méthode qui propose l’étude du contenu et de la sémantique des discours dans une perspective comparée, telle qu’on a voulu la mettre en oeuvre dans le cadre de cet article, puisse rendre visible les subtilités de ce « colonialisme ».
Parties annexes
Notes
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[*]
Cet article scientifique a été évalué par deux experts anonymes externes, que le Comité de rédaction tient à remercier.
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[1]
Voir notamment Danièle Letocha, « Entre le donné et le construit : le penseur de l’action. Sur une relecture du Lieu de l’Homme », dans Simon Langlois et Yves Martin (dir.), L’horizon de la culture, hommage à Fernand Dumont, Sainte-Foy, PUL, 1995, p. 21-45. Dans Récit d’une émigration, Dumont lui-même écrit : « Paru en 1968, Le lieu de l’homme est resté, pour moi, le plus important de mes livres, celui où je reconnais le mieux le sens de mes recherches. » Fernand Dumont, Récit d’une émigration, Montréal, Boréal, 1997, p. 152.
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[2]
Comme l’écrivait Alain Kerlan, « Hannah Arendt, dans son célèbre article de 1961, fut l’une des premières à penser la crise de l’éducation dans toute son envergure comme crise de la culture, et plus encore comme crise inhérente à notre modernité. La postérité de cette analyse est aujourd’hui telle que les thèses de Hannah Arendt règnent à peu près sans partage dans le champ des pensées de la crise […]. » Alain Kerlan, « Fernand Dumont, une autre analyse de la crise. Pour une lecture critique des thèses de Hannah Arendt », Les Cahiers Fernand Dumont, no2. automne 2012, p. 145.
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[3]
Dans un article sur Les éditions Parti pris, Gérard Fabre souligne qu’« en un an, NBA a été tiré à 6 000 exemplaires, le premier tirage de 3 000 ayant été rapidement épuisé. Dans La Presse du 21 août 1968, on apprend que NBA se situe à la deuxième place des succès de librairie de la semaine au Québec, juste après La dynastie des Forsyte de James Galsworthy, mais avant Love Story d’Erich Segal ! En 1978, seulement au Québec, NBA se vend encore à 1 019 exemplaires, et en 1980 à 909. » Gérard Fabre, « Les passerelles internationales de la maison d’édition Parti pris », Revue de Bibliothèque et archives nationales du Québec, no 2, 2010, p. 12. Pour l’ensemble des éditions, y compris en langues étrangères (Nègres blancs d’Amérique a été publié et traduit, entre autres, en anglais, en allemand, en espagnol et en italien), Fabre estime que le nombre de 100 000 exemplaires « […] ne paraît pas excessif » (ibid.). La réédition de 1994 par Typo (L’Hexagone) est à elle seule un succès de librairie avec ses 6 600 exemplaires vendus en date du 1er juillet 2017, alors que la version numérique est également disponible depuis le3. mai 2011.
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[4]
Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique, Montréal, Parti pris, 1968, p. 11-12.
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[5]
Ibid., p. 20.
-
[6]
Ibid., p. 21.
-
[7]
« Il me semblait que l’aventure de l’esprit m’était interdite, puisque nous avions déjà la Vérité et toutes les vérités à portée de cerveau, ou du moins de mémoire. On n’exigeait pas de nous un effort de lucidité, un affrontement avec les risques inhérents à toute foi : on demandait la soumission de notre volonté. Ils étaient nos consciences. Je vivais dans une société où le risque était supprimé. Maternellement, ils nous enlevaient les obstacles et les pièges. Si bien que nous sommes devenus des cerveaux sans consistance, sans structure solide, à force de ne pas choisir, de ne pas oser l’aventure. » Fernand Ouellette, Journal dénoué, Montréal, Typo, 1988, p. 106-107. Ce thème avait été élaboré par Pierre Vadeboncoeur dans La ligne du risque : « Nous vivons dans une culture qui a détruit le goût et le sens de l’expérimentation et du cheminement. […] Tout a été amoindri. Pour presque personne la religion n’a été une immense aventure, mais presque personne non plus n’a franchement opté pour une voie contraire ou différente. Presque personne n’a risqué, voulu, cherché : presque personne n’est sorti. » Pierre Vadeboncoeur, La ligne du risque, Montréal, Bibliothèque québécoise, 1994, p. 15 et 20. Plus récemment, la professeure Isabelle Daunais expliquait la singularité de l’écriture romanesque au Québec dans cette perspective de l’aventure jamais osée (voir Isabelle Daunais, Le roman sans aventure, Montréal, Boréal, 2015, 222 p.).
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[8]
Hubert Aquin, Prochain épisode, Montréal, Le Cercle du livre de France, 1965, 174 p.
-
[9]
Cela est en phase avec l’expérience personnelle de Vallières : « Avec nos voisins, nous essayâmes d’obtenir de ces banlieusards plus riches la permission de prendre l’eau dont nous avions besoin aux bornes-fontaines de leur quartier dont les rues étaient déjà asphaltées. Ils nous traitèrent avec un mépris incroyable (et ce n’étaient pourtant pas des Anglais). Quelques semaines après nous avoir craché au visage leur mépris, les petits bourgeois du nouveau Longueuil élevèrent une haute clôture en bois pour ne pas avoir à rencontrer, chaque jour, le regard assoiffé des sales. » Pierre Vallières, op. cit., p. 152-153. Ce sont les rapports sociaux et économiques inégalitaires entre les classes qui font l’objet de Nègres blancs d’Amérique. Le rapport à l’Anglais (qui est essentiellement celui du père de l’auteur dans le cadre de son travail aux usines Angus pour la CPR) y apparaît comme une réalité subsidiaire à ceux-ci, dans leur dimension coloniale. Autrement dit, la situation des « travailleurs » québécois devient intelligible par ses similitudes avec les situations coloniales ailleurs, notamment celle dans laquelle se trouvent les Noirs aux États-Unis : « La lutte de libération entreprise par les Noirs américains n’en suscite pas moins un intérêt croissant parmi la population canadienne-française, car les travailleurs du Québec ont conscience de leur condition de nègres, d’exploités, de citoyens de seconde classe. Ne sont-ils pas, depuis l’établissement de la Nouvelle-France, au XVIe siècle, les valets des impérialistes, les “nègres blancs d’Amérique” ? » Ibid., p. 26
-
[10]
« Ce pays avait-il seulement un avenir ? Vu de Paris, le Québec avait l’air d’une ridicule ville de province dont les habitants, tournés vers un passé mythifié, s’inventaient de peine et de misère une histoire héroïque. Dollard des Ormeaux, Madeleine de Verchères, Radisson… » Ibid., p. 265.
-
[11]
Une historiographie impuissante, voire complice de la domination économique américaine : « Les États-Unis tirent des profits énormes de leur domination économique du Québec (comme ils en tirent de la domination de plusieurs autres pays dans le monde) et jamais ils ne consentiront, sans y être forcés par la violence du peuple québécois, à cesser cette domination. Au contraire, tout indique que leur intérêt est d’accroître encore cette domination, quitte à lui donner un visage français pour calmer les sentiments patriotiques d’une petite bourgeoisie sans imagination qui rêve à la Nouvelle-France du chanoine Groulx, comme les mendiants du carré Viger, à Montréal, ont l’illusion de transformer la réalité en se racontant des histoires ! Ça passe le temps, comme on dit, mais ça ne change absolument rien à la réalité… » Ibid., p. 341-342.
-
[12]
« Tuons saint Jean-Baptiste ! Brûlons le carton-pâte des traditions avec lequel on a voulu mythifier notre esclavage. » Ibid., p. 24.
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[13]
Autrement, l’essentiel des thèses contenues dans le rapport Durham informe l’historiographie canadienne-anglaise jusqu’à nos jours. Que l’on pense à l’énergie et à l’esprit d’entreprise des Britanniques, au Canada français comme « une société vieillie et retardataire dans un monde neuf et progressif » (John George Lambton, Lord Durham, Le rapport Durham, traduction et introduction de Denis Bertrand et d’Albert Desbiens, Montréal, l’Hexagone, 1990, p. 67.), que l’on pense aussi à la « haine obsédante des Anglais » (ibid., p. 92) que manifeste celui-ci, à son « ignorance générale » (ibid., p. 127), à la culpabilité de son assemblée qui « […] subordonna la tâche de légiférer et l’amélioration pratique du pays à sa lutte de pouvoir » (ibid., p. 113), à l’Acte de 1791 dont les vices « […] amenèrent nécessairement l’exécutif à se heurter au peuple » (ibid., p. 102), etc. Même la généralisation, tardive dans l’historiographie, du problème aux provinces atlantiques est déjà inscrite dans le rapport Durham : « On peut dire, avec raison, que l’état naturel du gouvernement dans toutes ces colonies en est un d’affrontement entre l’exécutif et l’Assemblée représentative » (ibid., p. 104). L’historiographie canadienne-anglaise retient également l’idée du contraste entre les événements dans le Bas-Canada et ceux dans le Haut, où « la lutte […] reposait franchement et clairement sur la revendication de la responsabilité de l’exécutif » (ibid., p. 139), l’idée aussi de la culpabilité du « family compact » et de la différence au sein « de la grande masse des réformistes » (ibid., p. 143) entre ceux qui veulent « […] faire de la Constitution coloniale “une copie fidèle de celle de la Grande-Bretagne” » (ibid.) et ceux « […] parmi eux […] qui voulaient modeler les institutions de la province plutôt sur celles des États-Unis que sur celles de la mère-patrie » (ibid.). C’est également chez Durham qu’on lit d’abord que Sir Francis Head « […] semble avoir pensé que le maintien du lien avec la Grande-Bretagne dépendait de son triomphe sur la majorité de l’Assemblée [qu’il] s’engagea dans la lutte déterminé à employer toute son influence pour triompher [et qu’il] réussit à présenter le désaccord d’une telle manière à la province qu’une grande partie du peuple s’imagina réellement qu’on en appelait à lui pour régler la question de la séparation d’avec l’Angleterre par son suffrage » (ibid., p. 146).
-
[14]
Robert Bothwell, The Penguin History of Canada, Toronto, Penguin Canada, 2006, p. 169.
-
[15]
Margaret Conrad, A Concise History of Canada, New York, Cambridge University Press, 2012, p. 128.
-
[16]
« Lord Durham said he came expecting to find a contest of principles and was shocked at finding “two nations warring in the bosom of a single state”. Durham prescribed remedies : many have since been adopted, but in fundamental outline the situation has not changed. The two “nations” still struggle, sometimes in polite form, sometimes openly. Under favorable conditions, understanding based on a common Canadianism develops between the more sympathetic spirits of the two races but there is no sign of amalgamation. Racial wars never end : there is no constitutional formula that will solve them. » Arthur Lower, Colony to Nation, Toronto, Longmans, Green & Co., 1946, p. 215.
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[17]
Riendeau a cette formule euphémisante : « Durham’s original intent to merge the two cultures. » Roger Riendeau, A Brief History of Canada, Markham, Fitzhenry & Whiteside, 2000, p. 119.
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[18]
« Mon itinéraire, des taudis ouvriers au FLQ, fut long et tortueux. Pour un fils de travailleur, rien n’est tracé à l’avance dans la vie. Il faut foncer, se battre contre les autres et contre soi-même, contre sa propre ignorance et ces multiples frustrations accumulées de père en fils, vaincre à la fois l’oppression que d’autres font peser sur sa classe et surmonter le pessimisme congénital, donner à sa révolte spontanée une conscience, une raison et des objectifs précis. » Pierre Vallières, op. cit., p. 82.
-
[19]
« L’action révolutionnaire ne surgit pas spontanément. Et une nouvelle société n’apparaîtra pas sur la terre par “révolution spontanée”, pas plus que la vie intelligente n’a été produite par “génération spontanée”, ou par “création”. On ne crée pas une situation révolutionnaire. La tâche des révolutionnaires consiste uniquement, par la connaissance et la pratique, à interpréter l’histoire, à en dégager un sens “progressiste” et à agir en conformité avec ce qu’ils connaissent de l’histoire, de l’économie, des sciences, en général, et d’eux-mêmes, en fonction d’un idéal, d’un progrès qu’ils ont eux-mêmes déterminé en se basant sur ce qu’ils ont appris, vu et vécu ; sur ce qu’ils apprennent, voient et vivent chaque jour. » Ibid., p. 377.
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[20]
Comme on peut le lire dans La vigile du Québec : « […] [I]l faut dénoncer notre illusion coutumière de la table rase : nous croyons tous spontanément partir de zéro par rapport aux générations passées. Il y a là une façon paradoxale de vouloir convertir une culture au socialisme et qui consisterait à se désolidariser radicalement d’avec elle pour lui demander ensuite de se reconnaître dans l’idéal qu’on lui propose. Je crois savoir que ce n’est pas ainsi qu’ont procédés nos ancêtres socialistes : ils ont tous été soucieux, Marx comme les autres, d’une lecture de l’histoire qui puisse montrer la continuité de certaines intentions passées par rapport à la leur. C’est à un effort semblable de récupération de notre tradition historique qu’il faut nous convertir. » Fernand Dumont, La vigile du Québec, Montréal, Bibliothèque québécoise, 2001 [1971], p. 158.
-
[21]
C’est cette fonction de l’histoire qui consisterait à « restituer à la liberté » que retient Vallières : « On ne se rend pas suffisamment compte que les sciences humaines sont contrôlées par la bourgeoisie et placées au service du capitalisme, même si les chercheurs eux-mêmes n’en sont pas toujours conscients. C’est pourquoi ces chercheurs cherchent à installer partout l’objectivité, une objectivité qui consiste à justifier la nature de l’ordre établi, c’est-à-dire le capitalisme. Il est donc urgent de restituer les recherches scientifiques à la liberté de nos options, et ceux qui s’emploient à démystifier l’esprit scientifique de notre temps font oeuvre de désaliénation et de libération collective », Ibid., p. 314-315.
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[22]
Ibid., p. 269.
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[23]
Ibid., p. 285.
-
[24]
« En découvrant le marxisme, j’eus l’impression de trouver ce que j’avais toujours cherché, ce que mon père aussi avait confusément cherché, ce que tous les prolétaires cherchent : une vérité, leur vérité, capable à la fois de les réconcilier avec la vie et de leur permettre de travailler ensemble à la seule chose qui vaille vraiment la peine d’être vécue : la révolution, le renversement du capitalisme et l’édification de structures sociales égalitaires. Tout en me réconciliant avec le monde et avec autrui, je me réconciliai avec la nation québécoise et française, non pas avec celle qui depuis des siècles a été comblée de pauvreté, d’ignorance et de religion, mais avec celle qui commence enfin à dire non à l’exploitation et cherche à s’émanciper totalement. » Ibid., p. 293.
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[25]
Il pourrait y avoir un lien avec Pierre-Elliott Trudeau, qui lui-même est familier avec l’historiographie canadienne-anglaise et qui est, avec Gérard Pelletier, un mentor pour le jeune Vallières (qui leur succède à la tête de Cité libre en 1963). Il se peut également que Vallières ait été davantage un lecteur de Fernand Ouellet (l’historien, cette fois) que des historiens canadiens-anglais. Néanmoins, nous ne nous attardons pas à la question de son parcours intellectuel ou à la genèse de ses idées. Nous voulons plutôt montrer ce que les idées de Vallières sur l’histoire des « nègres blancs » doivent, pour leur cohérence, aux travaux d’abord effectués par ces historiens.
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[26]
Le terme est plus usuel, mais nous entendons par « interprétations » les systèmes de signification formés par l’intrication de thèmes, de descriptions, de connotations et d’expressions, notamment.
-
[27]
Pierre Fortin, « La Révolution tranquille et l’économie : où étions-nous, que visions-nous, qu’avons-nous accompli ? », dans Guy Berthiaume et Claude Corbo (dir.), La Révolution tranquille en héritage, Montréal, Boréal, 2011, p. 98-99.
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[28]
Pierre Vallières, op. cit., p. 26 [nous soulignons].
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[29]
Ibid., p. 340.
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[30]
Pierre-Elliott Trudeau, « La nouvelle trahison des clercs », Cité libre, vol. 13, no 46, avril 1962, p. 8. Gérard Fabre souligne le lien avec la thèse des « satellites en chaînes » que développe André Gunder Frank dans Capitalisme et sous-développement en Amérique Latine, publié la même année que Nègres blancs d’Amérique. Voir Gérard Fabre, loc. cit., p. 8.
-
[31]
W.A. Mackintosh, « Economic Factors in Canadian History », Canadian Historical Review, vol. 4, no 1, 1923, p. 12-25.
-
[32]
Harold Innis, The Fur Trade in Canada : An Introduction to Canadian Economic History, New Haven, Yale University Press, 1930, 444 p.
-
[33]
Notamment W.L. Morton, The Canadian Identity, Madison, University of Wisconsin Press, 1961, 125 p.
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[34]
Voir Donald Creighton, The Commercial Empire of the St Lawrence, 1760-1850, New Haven, Yale University Press, 1937, 441 p.
-
[35]
Voir Arthur Lower, « The Trade in Square Timber », Contributions to Canadian Economics, vol. 6, 1933, p. 40-61, et, du même auteur, The North American Assault on the Canadian Forest : A History of the Lumber Trade between Canada and the United States, Toronto, Ryerson Press, 1938, 377 p.
-
[36]
« Nous en venons maintenant au deuxième facteur, celui de la dépendance, des liens externes et de l’arrière-plan de l’histoire canadienne. Tout au long de son histoire, le Canada a été, à des degrés divers, économiquement, stratégiquement et politiquement, dépendant. L’économie du Nord, par exemple, était autosuffisante seulement à la base. Même là, ce n’était pas forcément le cas, comme le prouvent l’extinction des colonies du Groenland et le sort des Prairies dans les années 1930. Dans l’ensemble, cependant, l’économie du Nord était très dépendante. C’était une économie d’arrière-pays qui dépendait de la vente de quelques produits de base (few basic staples) et de quelques produits exotiques sur un marché métropolitain. » W.L. Morton, « The Relevance of Canadian History », discours prononcé devant la Canadian Historical Association/Société historique du Canada, cha-shc.ca. Notre traduction.
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[37]
Ibid.
-
[38]
Ibid.
-
[39]
Ibid.
-
[40]
Pierre Vallières, op. cit., p. 345.
-
[41]
Ibid., p. 344.
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[42]
Ibid., p. 34.
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[43]
Ibid., p. 33. Il faut noter la régularité et la convenance du vocabulaire (fièvre, flamme, dieu) lorsqu’il est question de Papineau, comme en témoigne cette autre description qu’on trouve sur le quatrième de couverture du livre de Marguerite Paulin (Louis-Joseph Papineau. Le grand tribun, le pacifiste, Montréal, Éditions XYZ, 2000, 210 p.) : « Louis-Joseph Papineau a enflammé les imaginations. Tribun hors pair, fervent nationaliste, il a été sans conteste la figure de proue de son siècle. Aucun personnage ne l’égale en panache, aucun n’a été adulé autant que lui. C’était un dieu. » [nous soulignons].
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[44]
Pierre Vallières, op. cit., p. 33-34.
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[45]
Arthur Lower, op. cit., p. 219 [notre traduction].
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[46]
George M. Wrong, The Canadians. The Story of a People, Toronto, Macmillan, 1938, p. 274 [notre traduction].
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[47]
W. L. Morton, The Kingdom of Canada, Toronto, McClelland & Stewart, 1963, p. 240 [notre traduction].
-
[48]
John Mercier Mcmullen, The History of Canada from Its Discovery to the Present Time, Brockville, McMullen & Co., 1855, p. 394 [notre traduction].
-
[49]
Ibid., p. 392-393.
-
[50]
Ibid., p. 388.
-
[51]
John Bourinot, Canada under British rule, 1760–1900, Cambridge, University Press, 1900, p. 134 [notre traduction].
-
[52]
George M. Wrong, op. cit., p. 272.
-
[53]
Arthur Lower, op. cit. p. 218.
-
[54]
Ibid., p. 219.
-
[55]
Ibid., p. 225.
-
[56]
Donald Creighton, Dominion of the North, Cambridge, Houghton Mifflin Co., 1944, p. 240 [notre traduction].
-
[57]
Voir Fernand Ouellet, Louis-Joseph Papineau. Un être divisé, publication de la Société historique du Canada, Brochure historique no 11, 1960, 24 p.
-
[58]
Pierre Vallières, op. cit., p. 34.
-
[59]
Ibid., p. 33.
-
[60]
John Mercier McMullen, op. cit., p. 397.
-
[61]
John Bourinot, op. cit., p. 135.
-
[62]
George M. Wrong, op. cit., p. 272 [nous soulignons ; idem pour les citations qui suivent].
-
[63]
Ibid., p. 273.
-
[64]
Ibid., p. 274.
-
[65]
Ibid., p. 275.
-
[66]
Ibid., p. 276.
-
[67]
Desmond Morton, op. cit., p. 238.
-
[68]
Ibid.
-
[69]
Ibid., p. 243.
-
[70]
Ibid.
-
[71]
Arthur Lower, op. cit., p. 220.
-
[72]
Ibid., p. 221.
-
[73]
Ibid., p. 222.
-
[74]
Pierre Vallières, op. cit., p. 35
-
[75]
Ibid., p. 45.
-
[76]
Donald Creighton, op. cit., p. 235.
-
[77]
Desmond Morton, op. cit., p. 246.
-
[78]
Margaret Conrad, A Concise History of Canada, Cambridge, Cambridge University Press, 2012, p. 123 [notre traduction].
-
[79]
H.V. Nelles, A Little History of Canada, Toronto, Oxford University Press, 2004, p. 101. En réalité, Joseph Papineau, le père de Louis-Joseph, est le premier représentant de la famille à obtenir le titre de seigneur.
-
[80]
Pierre Vallières, op. cit., p. 42.
-
[81]
Ibid., p. 53.
-
[82]
Robert Mackenzie, l’ex-journaliste qui a couvert l’actualité politique québécoise pour le Toronto Star pendant quatre décennies déclarait ceci au journal Le Devoir : « Quand j’ai commencé en 1964, la une nous était garantie si on pouvait tomber dans une de ces deux catégories, “Montreal, crime capital of Canada” et puis “Priest Ridden Province”. » Marco Bélair-Cirino, « Les élus québécois serrent les coudes devant la dernière salve du Maclean’s », Le Devoir, Montréal, 25 et 26 mars 2017, p. A4.
-
[83]
Pierre Vallières, op. cit., p. 53.
-
[84]
Donald Creighton, op. cit., p. 213.
-
[85]
Ibid., p. 235.
-
[86]
Arthur Lower, op. cit., p. 183.
-
[87]
Donald Creighton, op. cit., p. 144-145.
-
[88]
Pierre Vallières, op. cit., p. 53.
-
[89]
Ibid., p. 35
-
[90]
Ibid., p. 38.
-
[91]
Arthur Lower, op. cit., p. 227
-
[92]
Ibid., p. 225.
-
[93]
Ibid., p. 223.
-
[94]
Ibid., p. 192.
-
[95]
Lionel Groulx, La Confédération canadienne, Montréal, Le Devoir, 1918, 246 p.