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L’opportunité de lire, de découvrir et de ressentir Healing Roots… s’est présentée durant une période décisive de mon cheminement académique en anthropologie médicale. La lecture de cet ouvrage m’a suivie et guidée tout au long de ma recherche de terrain au Botswana, et a constitué un compagnon éclairant, frustrant, excitant, ennuyant, éducatif, comique, réconfortant et parfois ironique pendant cinq mois de temps. Healing Roots… fut une ressource extraordinaire pour réfléchir de manière plus éclairée et critique à des enjeux qui touchent différentes branches de l’anthropologie médicale et de la médecine humanitaire. Cet ouvrage, organisé en sept chapitres, est une ressource clé pour quiconque s’intéresse aux questions reliées aux savoirs, à la médecine traditionnelle, aux relations humains-plantes, à la science et aux méthodes de recherche anthropologique et scientifique. Ce texte, bien que traitant d’enjeux complexes, est accessible à la communauté étudiante et professionnelle spécialisée en anthropologie, mais sa lecture pourrait également bénéficier aux membres de la communauté médicale et scientifique.
Plus spécifiquement, Healing Roots… met en lumière de manière convaincante les obstacles qui peuvent survenir lorsque biomédecine et médecine indigène s’entrelacent au sein d’initiatives internationales. Dans le cas présent, Laplante s’intéresse à un projet mis sur pied par le consortium de recherche The International Center for Indigenous Phytotherapy Studies (TICIPS), financé par une branche du National Institutes of Health (NIH) basée à Washington aux États-Unis. Leur projet se situe en Afrique du Sud et a pour but premier de tester l’efficacité d’une plante indigène locale (Artemisia afra) contre la tuberculose et d’explorer la possibilité de la transformer en biopharmaceutique. Cette initiative est présentée comme un projet qui permettra, en plus de s’attaquer à une pandémie, de reconnaître la médecine indigène de l’Afrique du Sud, conférant ainsi un plus grand respect aux savoirs indigènes et aux guérisseurs qui en font usage.
Tout au long de l’ouvrage, Laplante explore les questions concernant les notions de savoirs, d’efficacité, de mouvement, d’innovation et d’improvisation ainsi que les dynamiques se rapportant à l’essai préclinique en question. Elle démontre, à travers des explications et des exemples éloquents et créatifs, comment et pourquoi l’initiative de TICIPS ne parvient pas à atteindre ses objectifs et, au contraire, pourrait avoir des conséquences légales restreignant l’usage que font les guérisseurs de l’Artemisia afra.
Pour ce faire, et après s’être heurtée à plusieurs obstacles sur le terrain, Laplante réoriente sa méthodologie et opte pour une approche phénoménologique en anthropologie s’inspirant grandement de Tim Ingold et de Merleau-Ponty. L’approche en est une d’ouverture, qui permet de porter une attention particulière aux habiletés, aux médiums, aux sens, au mouvement, à la synesthésie et à l’esthétique, dans le but de saisir comment les « objets » (incluant les médicaments) émergent en pratique, évitant ainsi de prendre les « objets » comme point de départ. Cette méthodologie rend ainsi possible pour Laplante de suivre le développement de l’essai préclinique en s’engageant dans-le-monde avec ses participants et à travers une multitude de pistes qui l’ont menée à traverser et à s’engager avec une multitude de médiums et d’êtres (humains, plantes, ancêtres, environnements). Mettant en pratique cette approche, elle a pu acquérir une compréhension considérable des pratiques indigènes et scientifiques, et ses descriptions et analyses détaillées permettent aux lecteurs de s’immerger dans les scènes évoquées.
Laplante argue que les méthodes de recherche hautement standardisées auxquelles doit, parfois avec réticence, se plier la communauté scientifique n’accordent pas aux savoirs indigènes l’opportunité d’être pris en compte et intégrés à l’essai préclinique sans être transformés et déformés. Le modèle de recherche suggère un mouvement de « fermeture » plutôt que « d’ouverture » et ne permet pas de reconnaître les pratiques indigènes qui opèrent à travers plusieurs médiums et sens. Elle suggère finalement qu’il est primordial de ne pas se limiter à apprendre sur la médecine indigène, mais bien d’apprendre de la médecine indigène (learn from). Un premier pas a déjà été entrepris par certains scientifiques avec le « modèle de validation translationnel ». Plus encore, Laplante propose qu’un mouvement vers l’esthétique – qui ouvrirait la porte pour s’engager avec, par exemple, les sons – est plus approprié pour atteindre la reconnaissance des savoirs indigènes. Or, la manière dont ce mouvement vers l’esthétique pourrait être incorporé et activement mis en pratique au sein d’initiatives biomédicales et dans le cadre d’essais contrôlés randomisés reste nébuleuse, et présente des difficultés. Ce faisant, ne risquons-nous pas de simplement inverser le problème initial en transformant et déformant à leur tour les savoirs biomédicaux, et en y imposant des considérations esthétiques, ce qui engendrerait une reconfiguration importante du modèle de recherche scientifique ? Laplante n’élabore pas sur ce point, laissant les lecteurs imaginer ce à quoi pourrait ressembler concrètement ce scénario, préférant plutôt se tourner vers une discussion de l’éthique et de l’esthétique dans le cadre de la recherche en anthropologie. Elle conclut qu’un renforcement des sensibilités esthétiques en anthropologie est nécessaire, suggérant que celles-ci offrent une voie possible pour comprendre et appliquer l’éthique en anthropologie.