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1. Introduction

L’enseignement de la distinction des temps du passé occupe une place importante dans les cours de français langue seconde (FLS), notamment en ce qui concerne la distinction entre le passé composé et l’imparfait. Traditionnellement, le passé composé est présenté en premier au moyen de certaines règles simplifiées. On indique qu’il sert à raconter des événements qui se sont produits. Plus tard dans l’apprentissage, l’imparfait est présenté, normalement avec les verbes d’état en premier, et on explique qu’il sert à décrire une situation ou à exprimer des émotions. Au fil de l’apprentissage de la L2, on ajoute certaines règles pour expliquer d’autres cas de figure et on commence à insister sur la distinction entre les deux temps. Les règles approximatives simplifiées visant à faciliter la compréhension des apprenants peuvent toutefois entraîner des erreurs conceptuelles, comme c’est le cas avec le passé composé qui renvoie aux actions qui se sont produites une seule fois (Rothman, 2008). Des études récentes ont exploré le recours à des approches axées sur l'enseignement basé sur les concepts (Kissling et Muthusamy, 2022; Negueruela et Lantolf, 2006) pour fournir des explications pédagogiques accessibles aux apprenants de L2. Cependant, aucune étude n’a exploré ce type d’approche en FLS. Cette étude vise à évaluer la façon dont une séquence d’enseignement basé sur les concepts peut aider des apprenants de FLS à comprendre et à mettre en pratique la différence aspectuelle entre le passé composé et l'imparfait.

1.1. Des règles pédagogiques

Parmi les explications concernant le passé composé figurant dans les méthodes de FLS, on retrouve souvent les termes « action terminée », « action ponctuelle », (Thibault-Lanctôt, 2015). Pour ce qui est de l’imparfait, on explique que ce temps verbal exprime la « description », l’« habitude », la « répétition » ou que la « durée n’est pas précise ». Si ces règles ont l’avantage d’être simples et claires, elles ne sont néanmoins pas applicables à toutes les situations, puisque cette simplification se fait aux dépens d’une véritable explication de la différence entre ces temps de verbe. Par exemple, si la valeur de « répétition dans le passé » est principalement attribuée à l’usage de l’imparfait, la valeur de durée limitée portée par chacun des événements répétés permet également l’usage du passé composé, p. ex., Pendant mes vacances, je sortais tous les soirs / pendant mes vacances, je suis sortie tous les soirs. Il en va de même pour la valeur explicative attribuée à l’imparfait dans plusieurs ouvrages de L2 (je ne suis pas sortie, car il pleuvait). Un locuteur pourrait également apporter une explication dans le passé par l’usage du passé composé (je suis arrivée en retard, car je me suis coupée). Or, malgré une exposition prolongée à la L2, des apprenants avancés peinent encore à utiliser des cas non prototypiques d’utilisation des temps du passé (Izquierdo, 2014; Yáñez Prieto, 2008). Pour mieux comprendre la façon dont l’acquisition de la valeur des temps semble se réaliser en L2, nous explorons dans la partie suivante l’hypothèse de l’aspect qui tente d’expliquer le développement des différentes valeurs temporelles.

1.2. Le passé composé et l’imparfait : une question d’aspect

Alors que le temps place une action sur la ligne chronologique (passé, présent, futur), l’aspect permet d’apporter des nuances relatives à la conception du temps. L'aspect repose notamment sur la signification d’un verbe ainsi que sur le point de vue du locuteur.

Proposée par Andersen et Shirai (1996), l’hypothèse de l’aspect suppose l’existence d’un aspect grammatical et d’un aspect lexical. L’aspect grammatical consiste en la façon « de voir la constitution temporelle interne d’une situation » (Comrie, 1976, p. 3), soit la perspective, ou le point de vue, d’un locuteur par rapport à un événement passé. Par exemple, certaines langues font une différence entre les temps simples et progressifs (en anglais « I walked » par opposition à « I was walking », ce dernier temps renvoyant à un aspect progressif). En français, il est possible d’exprimer une perspective selon un aspect perfectif ou imperfectif. L’aspect perfectif, qui peut s’incarner par le passé composé, le passé simple et le plus-que-parfait, exprime une situation d’un point de vue externe et met l’accent sur la finalité d’un événement (J’ai vu ce film), alors que l’imperfectif (qui prend la forme de l’imparfait en français) présente une perspective interne qui n’est pas définie par un cadrage temporel précis (Je courais plus souvent quand j’étais jeune). Il s’agit notamment d’une morphologie qui permet d’insister sur le déroulement d’un événement de façon continue.

À l’aspect grammatical, qui dépend du point de vue du locuteur, s’ajoute l’aspect lexical, inhérent au sens d’un verbe. Vendler (1967) a proposé quatre catégories aspectuelles distinctes pour classer les verbes, soit l’état (p. ex., aimer, désirer, etc.), l’activité (p. ex., courir, marcher, etc.), l’accomplissement (p. ex., grandir, peindre une toile) et l’achèvement (p. ex., trouver, reconnaitre, etc.). À noter que les verbes d’état de la catégorisation de Vendler ne correspondent pas nécessairement à la catégorisation des verbes d’état de type attributif (être, paraître). Les catégories de l’aspect lexical se distinguent à l’aide des traits lexicaux présentés au Tableau 1.

Tableau 1

Catégorisation de l’aspect lexical

Catégorisation de l’aspect lexical

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Un événement ponctuel repose sur un point précis dans le temps ainsi qu’une brève durée de réalisation. Un événement dynamique nécessite de l’énergie pour se produire et implique un changement d’état. Les événements téliques impliquent un point culminant, une fin évidente en soi. Prenons pour exemple la structure verbale d’achèvement « atteindre un sommet », la réalisation de l’action implique l’énergie et le mouvement d’une personne pour atteindre une finalité (le sommet).

1.3. L’acquisition de l’aspect

L’hypothèse de l’aspect présente trois constats distincts, mais interreliés (Anderson et Shirai, 1996). Les apprenants de L2 utilisent dans un premier temps les marques du passé ou du perfectif avec des verbes d’achèvement (J’ai vu un oiseau) ou d’accomplissement (J’ai couru cinq kilomètres), puis, dans un second temps, avec des verbes d’activité (J’ai dansé) et, plus tard, avec des verbes d’état (J’ai été malade). Pour les langues qui marquent la distinction entre le perfectif et l’imperfectif, les marques morphologiques du passé imperfectif apparaissent en usage après celles du passé perfectif, et sont initialement employées avec des verbes d’état (J’étais content) et d’activité (Je courais) pour ensuite être employées avec des verbes d’accomplissement ou d’achèvement. De plus, l'utilisation par les apprenants des formes d'aspect temporel est influencée par leur langue première (L1), les informations qu'ils reçoivent et les tâches qu'on leur demande d'accomplir. Enfin, l’enseignement explicite peut faciliter l’acquisition de l’aspect (Bardovi-Harlig et Comajoan-Colomé, 2020).

1.4. Enseignement basé sur les concepts

L'enseignement des langues basé sur les concepts (Lantolf et Zhang, 2017) vise à faciliter l’acquisition de concepts grammaticaux complexes qui seraient difficiles à apprendre par soi-même. Il s’agit d'enseigner explicitement des concepts grammaticaux tout en évitant la simple mémorisation de règles. Lantolf (2007) affirme que les règles de grammaire simplifiées qu’on retrouve dans les manuels, sans être nécessairement erronées, se concentrent sur certaines manifestations concrètes de phénomènes langagiers sans s’intéresser aux liens réels entre la fonction et le sens d’une forme langagière. Il préconise une approche qui détaille les liens entre les concepts sémantiques/fonctionnels et la forme linguistique.

Cette approche comprend cinq phases : 1) l'orientation, où des objectifs clairs sont établis pour créer un écart entre les connaissances antérieures et les nouvelles informations scientifiques; 2) l’explication des concepts au moyen de schémas, graphiques ou images; 3) la mise en pratique des apprentissages dans le cadre de tâches significatives; 4) la verbalisation de ce que les apprenants ont compris; et 5) la démonstration par les apprenants de leur compréhension par l’entremise d'activités de communication.

Negueruela et Lantolf (2006) ont exploré l'efficacité de l'enseignement basé sur les concepts pour enseigner l'aspect grammatical à des apprenants espagnols de niveau universitaire. L'enseignement explicite impliquait l'utilisation d'organigramme dans lequel était posée une série de questions de type oui/non pour aider les étudiants à comprendre l'utilisation du prétérit et de l'imparfait (p. ex., « Est-ce que l’accent est mis sur la fin d’une action ? »; « Est-ce que le verbe est cyclique ou non cyclique ? »). Sur une période de 15 semaines, impliquant douze étudiants suivant des cours trois fois par semaine, les apprenants ont verbalisé leur compréhension des structures grammaticales au cours de diverses tâches de communication orales et écrites. Les résultats montrent que, au début de l’étude, les explications des étudiants faisaient écho à celles des règles des manuels, mais, à la suite de l’enseignement, ils faisaient preuve d'une compréhension conceptuelle plus profonde de l’aspect. Même si l'étude a démontré que l'enseignement basé sur les concepts a permis d'améliorer la compréhension conceptuelle et la précision dans l'application des structures grammaticales, Salaberry (2008) a souligné quelques failles dans le diagramme utilisé puisque la question de savoir si un verbe est cyclique ou non ne permet pas d’élucider tous les cas.

Kissling et Muthusamy (2022) ont développé une séquence d’enseignement basé sur les concepts au moyen d’une série de vidéos qui explique à des apprenants débutants de l’espagnol L2 le concept d’aspect selon une approche plurilingue et la différence entre le prétérit et l’imparfait. Dans la série de vidéos, on explique le concept d’aspect en indiquant que la distinction entre le prétérit est « bounded » (délimité) et que l’imparfait est « unbounded » (non délimité). Pour symboliser le concept de « boundness », les chercheuses ont utilisé un cadrage autour de l’action et pour le « unboundness », elles ont zoomé sur l’action. Les vidéos sont accessibles à l’adresse suivante : https://www.iris-database.org/details/FM7eK-4cH2M. Les résultats montrent que des élèves de niveau débutant peuvent acquérir le concept d’aspect en L2, quoique certains éléments, comme le concept de « zoom in », étaient plus difficiles à comprendre.

1.5. Question de recherche

Malgré les études précédentes qui montrent le potentiel de recourir à l’enseignement basé sur les concepts pour enseigner l’aspect en L2, il semble qu’il soit toujours difficile de trouver les bonnes explications pour aider les étudiants à comprendre et à s’approprier des concepts grammaticaux complexes. À cela s’ajoute le besoin de développer du matériel qui serait suffisamment accessible autant pour le personnel enseignant que pour les élèves. La présente étude vise à développer une façon de présenter la distinction entre le passé composé et l’imparfait d’un point de vue aspectuel. Plus précisément, l’étude s’intéresse à la question suivante :

  1. De quelle façon un enseignement basé sur les concepts peut-il contribuer au développement des connaissances d’apprenants adultes du français langue seconde sur la distinction entre le passé composé et l’imparfait ?

2. Méthodologie

L’étude a eu lieu dans un centre d’enseignement universitaire de la région de Montréal. En tout, 18 étudiants y ont participé sur une base volontaire. Les participants et participantes ont en moyenne 20,2 ans. La majorité des apprenants avaient l’anglais pour langue première (n = 11), mais également le chinois (n = 3), l’espagnol (n = 2) et le turc (n = 2). Ils apprennent le français depuis en moyenne 4,7 ans. Les participants ont été recrutés dans des groupes de trois niveaux : A2 (n = 8), B1 (n = 6) et B2 (n = 4).

2.1. Description de la séquence et du matériel

La séquence d’enseignement a été développée selon l’approche de l’enseignement basé sur les concepts (Lantolf et Zhang, 2017). Elle s’est inspirée des études précédentes, dont celle de Kissling et Muthusamy (2022). Le matériel peut être consulté dans les pièces jointes.

La première étape consiste à établir un écart entre les connaissances déjà acquises et les concepts à acquérir. Afin de faire comprendre aux apprenants ce qu’est un « aspect », nous avons eu recours à une approche plurilingue expliquant comment l’aspect peut se manifester dans différentes langues (p. ex., français, anglais, espagnol) et qu’il n’est pas toujours possible de faire une traduction directe pour exprimer le même aspect d’une langue à une autre. Ensuite, la valeur aspectuelle du passé composé et de l’imparfait en français a été expliquée. Pour le passé composé, on utilise un cadrage où une flèche est apposée à la fin (voir figure 1). On dit que le passé composé insiste sur le début ou la fin d’un événement, sur la conséquence de celui-ci. L’imparfait est conceptualisé au moyen d’une animation de vague en mouvement pour illustrer le déroulement, le processus et le fait qu’on n’insiste ni sur le début ni sur la fin d’un événement. Par la suite, cette différence conceptuelle est illustrée dans le cadre d’une histoire de voyage. Des séquences animées sont présentées, accompagnées de texte. Pour chaque occurrence du passé composé ou de l’imparfait, les symboles de cadrage ou de vague sont insérés dans les animations. Les apprenants ont mis en pratique ces connaissances en remplissant un texte à trous en équipe de deux. Ils ont par la même occasion verbalisé ce qu’ils avaient compris.

Figure 1

Diapositive tirée de la première séance

Diapositive tirée de la première séance

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À la deuxième séance, la distinction entre le passé composé et l’imparfait a été renforcée. L’accent a été mis sur les cas d’utilisations non prototypiques qui sont plus difficiles à expliquer au moyen des règles simplifiées (voir figure 2). Enfin, ils ont écrit un texte dans lequel ils racontaient des souvenirs de voyage.

Figure 2

Diapositive tirée de la deuxième séance

Diapositive tirée de la deuxième séance

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2.2. Instruments de collecte de données

Verbalisation des connaissances. Au tout début de la première séance, les participants ont énoncé dans un document écrit ce qu’ils connaissaient et ce qu’ils avaient appris sur les règles d’utilisation du passé composé et de l’imparfait. À la fin de la deuxième séance, les participants ont indiqué, toujours à l’écrit, ce qu’ils avaient compris des explications en précisant dans leurs mots la distinction entre le passé composé et l’imparfait. De plus, toutes les interactions en salle de classe, entre l’enseignant et les élèves et entre les élèves lorsqu’ils travaillaient en équipe, ont été enregistrées.

Prétests et posttests. Pour évaluer la mise en pratique des connaissances, les participants ont rempli un texte à trou qui porte sur la biographie d’un entrepreneur québécois. Le texte comprend 21 verbes à conjuguer avec 11 occurrences du passé composé et 10 occurrences de l’imparfait. Les participants ont fait le même test au début et à la fin de l’étude.

2.3. Préparation des données à l’analyse

Toutes les interactions orales ont été transcrites. Les verbatims et les documents écrits des participants ont été codés selon une analyse thématique. Après une lecture initiale, le chercheur principal a identifié quatre thèmes récurrents : Appropriation du concept, Contraste avec les règles traditionnelles; Aspects ambigus; Comparaison avec sa langue maternelle. Le tableau 2 présente la description des thèmes.

Pour le texte à trou, un point a été enlevé pour chaque réponse qui était peu plausible selon le contexte (p. ex., « Le spectacle connaissait* (connaître) un énorme succès. ». Les données qualitatives et quantitatives ont été analysées par trois auxiliaires de recherche. En tout, 20 % des analyses ont fait l’objet d’un accord interjuge. Le taux d’accord des analyses qualitatives s’est élevé à .92. Tous les désaccords ont été examinés et résolus par la suite.

Tableau 2

Description des codes d’analyse

Description des codes d’analyse

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3. Résultats

Les résultats des analyses qualitatives seront présentés suivis des analyses quantitatives.

3.1. Contraste avec les règles traditionnelles

Avant la présentation des différences aspectuelles, la majorité des étudiants font référence aux règles grammaticales traditionnelles qu’on leur a enseignées dans leurs cours pour distinguer l’utilisation du passé composé et de l’imparfait. L’utilisation du contraste entre photo et vidéo pour différencier les deux temps du passé est mentionnée par plusieurs étudiants des trois niveaux.

Plus précisément, les étudiants de niveau A2 ne connaissent pas de règles pour différencier les deux temps du passé, sauf l’imparfait qui permettrait de parler de la météo et des émotions.

Au niveau B1 et B2, les étudiants ont appris les règles traditionnelles portant sur la météo, un état, une émotion, une action répétée et achevée, etc. Certains étudiants du niveau B1 mentionnent que l’usage de l’imparfait avec la météo leur semble « bizarre ».

Deux étudiants de niveau B2 sont déjà familiarisés avec la notion de « finalité » en lien avec l’utilisation du passé composé et un autre étudiant du même niveau voit le passé composé comme un moment précis du passé. À la suite d’une question de l’enseignant, tous les étudiants ont confirmé qu’ils considéraient le passé composé comme étant un temps représentant une période plus courte que l’imparfait. Un étudiant a également mentionné voir le passé composé comme un temps plus proche du présent.

3.2. Appropriation du concept

L’ensemble des participants mentionnent avoir compris les explications et que le visuel de la vague et de la ligne aide à mieux comprendre la distinction entre une action achevée et en cours.

L’ensemble des étudiants A2 considère les explications pertinentes, car cet enseignement représente pour eux une version plus complète et plus claire de ces deux temps de verbes. Les étudiants affirment avoir compris le concept, cependant dans les exercices, les élèves ne le mettent pas en pratique. La notion de « processus » n’est pas toujours claire pour eux, par exemple dans l’opposition entre « J'ai appris le français » versus « J’apprenais le français », des étudiants se questionnent sur la finalité concrète d’un apprentissage : « Quand est-ce qu’on finit d’apprendre le français ? ».

Les étudiants de niveau B1 sont en mesure d’expliquer la différence de point de vue entre la finalité et le déroulement, mais dans les exercices, ils ne l’utilisent pas nécessairement et ils vont encore se référer au principe de la description pour l’imparfait. Par ailleurs, dans leurs échanges, les étudiants de niveau B1 et B2 continuent d’employer les expressions « c’est fini » pour référer au passé composé et à des moments qui « se déroulent pour longtemps » pour parler de l’imparfait plutôt que de faire appel à la notion de « mettre l’accent sur la finalité ou le déroulement ».

Les étudiants de niveau B2 trouvent cette explication pertinente : elle représente une version plus complète et plus claire de l’enseignement de ces deux temps de verbes. Un des étudiants affirme qu’elle permet d’expliquer pourquoi il y a certaines exceptions. Deux étudiants mentionnent que les nouvelles explications diminuent le nombre de règles distinctes à mémoriser, ce qui facilite l’apprentissage. Cependant, les étudiants pensent majoritairement que ces nouvelles règles sont plus difficiles pour les débutants puisqu’elles pourraient davantage les porter à confusion.

3.3. Aspects ambigus

Influencés par les règles traditionnelles, certains étudiants de niveau B1 conservent la perception que le passé composé serait utilisé avec des événements de courte durée. Aussi, certains étudiants de niveau B2 trouvent confus le concept de « finalité » ainsi que la notion de « point de vue ». Des étudiants ne saisissent pas bien la nuance apportée par le changement de temps comme dans « nous venions ici quand j’étais petit » et « nous sommes venus ici quand j’étais petit ».

3.4. Comparaison avec sa langue maternelle

Deux étudiants hispanophones, un du niveau A2 et un du niveau B2, font appel à leur langue maternelle pour s’aider dans le choix du temps de verbe. L’étudiant de niveau A2 utilise la traduction, stratégie qu’il pense efficace, alors que l’étudiant de niveau B2 fait simplement des liens avec l’espagnol.

Pour les étudiants anglophones, un étudiant du niveau B1 se sert de l’utilisation du « past progressive » afin de valider le choix de l’imparfait en français. Au niveau B2, une étudiante fait des liens entre les différences de sens entre « I have walked » et « I walked ». Elle comprend que, comme en anglais, on peut se servir de l’imparfait ou du passé composé dans un certain contexte pour exprimer une certaine subtilité.

3.5. Prétest et posttest

Le tableau 3 présente les résultats des participants au prétest et posttest.

Tableau 3

Résultats des participants aux prétests et posttests

Résultats des participants aux prétests et posttests

Note. Score maximal de 21

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Figure 3

Représentation graphique des résultats aux prétests et posttests

Représentation graphique des résultats aux prétests et posttests

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La figure 3 montre une tendance vers le bas pour les participants de niveau A2 et B1 et vers le haut pour les participants de niveau B2. Cependant, une analyse individuelle des items montre un portrait plus nuancé. Comme le nombre de participants est limité, une légère variation dans le score des items est difficilement interprétable. Par conséquent, seuls seront commentés les items qui présentent un écart important entre le prétest et le posttest mesuré par la taille de l’effet (d de Cohen de plus de 0,40 selon la classification de Plonsky et Oswald (2014)).

Au niveau A2, deux items ont connu une amélioration considérable et deux items sont caractérisés par une diminution importante. À l’item « s’intéresser » (voir exemple 1 de la figure 4), le taux de réussite est passé de 4/6 au prétest à 6/6 au posttest. À l’exemple 2, 2 participants ont conjugué le verbe « rêver » à l’imparfait et ce nombre est passé à 4 au posttest.

Figure 4

Extraits du prétest/posttest

Extraits du prétest/posttest

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Cependant, l’item « se développer » a connu une diminution (de 5/6 à 2/6) tout comme « devenir » (de 5/6 à 2/6) dans la phrase présentée à l’exemple 3.

Le groupe de niveau B1 a connu un seul changement important positif important pour l’item « devenir » présenté à l’exemple 3.

Pour les apprenants de niveau B2, la bonne conjugaison des items « rêver » (exemple 2) et « connaître » (exemple 4) est passée de 2/4 à 4/4. L’item « devenir » a aussi connu une amélioration, passant de 0/4 à 2/4. Un seul item a connu une diminution, « se développer » allant de 2/4 à 0/4.

En somme, il semble que les difficultés concernaient un nombre relativement restreint d’items. De façon globale, les items plus difficilement réussis ont connu une amélioration.

4. Discussion

L’objectif de l’étude était de développer et de mettre à l’essai une séquence d’enseignement basé sur les concepts pour enseigner la distinction entre le passé composé et l’imparfait selon une approche aspectuelle.

Selon les explications données par les participants avant le début de la séquence, il semble qu’ils avaient acquis certaines conceptions erronées liées à la distinction des temps de verbe, comme le fait que le passé composé dure moins longtemps que l’imparfait ou que l’événement est plus proche du présent, constat qui fait écho aux résultats d’études précédentes (Kissling, 2021). Ce type de mauvaises représentations pourraient utilement limiter les apprenants dans leur compréhension et utilisation de cas non prototypiques (Izquierdo, 2014; Yáñez Prieto, 2008; Williams et coll., 2013).

De façon générale, les apprenants ont pu mieux appréhender la distinction entre les deux temps verbaux selon le concept de l’« aspect ». Ils ont reconnu que les règles traditionnelles n’expliquent pas tous les cas de figure et que la distinction entre le passé composé et l’imparfait n’est pas aussi catégorique que ne l’impliquent les règles simplifiées. Les symboles utilisés, le cadrage et la vague, ont également été appréciés par les participants. Ce constat va dans le sens d’études précédentes qui montrent que les apprenants de L2 sont en mesure de saisir le concept d’aspect (Kissling et Muthusamy, 2022; Negueruela et Lantolf, 2006). Cette compréhension semble davantage faire sens auprès des apprenants plus avancés. Ce sont les apprenants de niveau B2 qui ont manifesté la plus grande compréhension du concept et ce sont également eux qui ont pu l’appliquer plus facilement dans des exemples concrets.

Cette prise de conscience de la différence aspectuelle des temps du passé ne s’est toutefois pas transférée à un contexte d’application pratique, comme le montre le peu de différences observées au posttest. Plusieurs apprenants s’en remettent toujours à des règles traditionnelles pour déterminer le temps verbal. Certaines raisons pourraient expliquer ce constat. Rappelons tout d’abord que la séquence ne s’est déroulée que sur deux jours. Cela semble peu pour opérer un changement conceptuel. À la deuxième séance, des exemples concrets de contrastes aspectuels ont été présentés, ce qui a semblé aider les apprenants à mieux comprendre les subtilités. Par contre, la nature descriptive et exploratoire de l’étude a fait en sorte que les enseignants sont très peu intervenus auprès des apprenants durant la phase de mise en pratique. À la lumière des questionnements entre les apprenants durant la phase de mise en pratique, il semble que la médiation des enseignants soit nécessaire. Il serait effectivement avantageux que les enseignants accompagnent les apprenants sous forme d’étayage pendant leur appropriation des concepts. Par ailleurs, vu la nature complexe et subtile de la différence aspectuelle, il se peut qu’un enseignement basé sur les concepts soit bénéfique pour comprendre de façon approfondie un phénomène langagier, mais que les règles grammaticales, si imparfaites fussent-elles, demeurent une façon plus concrète d’appréhender des cas d’utilisation réelle.

5. Conclusion et implications pédagogiques

À la suite des observations obtenues dans cette étude, nous pensons que l’approche conceptuelle apporte une perspective complémentaire intéressante aux règles traditionnelles. En effet, le fait de comprendre la distinction entre les temps du passé selon le concept d’aspect lexical permet aux apprenants de saisir que les utilisations des temps du passé ne sont pas figées dans des cas de règles simplifiés, mais que le choix implique la perspective du locuteur.

Par ailleurs, pour faciliter la compréhension du concept d’aspect en salle de classe, nous pensons qu’il serait préférable de commencer l’enseignement avec des cas prototypiques en ayant recours à des exemples où l’aspect lexical du verbe reflète plus facilement l’aspect grammatical. Par exemple, la notion d’« action terminée » présentée traditionnellement dans les règles de grammaire peut se comprendre facilement avec des verbes impliquant une fin en soi, dont les verbes d’achèvement. Les cas non prototypiques qui apportent une subtilité particulière dans le sens de l’interprétation seraient à privilégier aux niveaux plus avancés lorsque les étudiants ont atteint une plus grande maîtrise de la langue.

Enfin, comme mentionné précédemment, l’utilisation de la vague pour signaler un événement en déroulement semble porter à confusion pour certains apprenants. L’utilisation d’un engrenage mécanique pourrait mettre l’accent sur l’idée d’une action en processus, dans son déroulement. Alors qu’une vague peut impliquer pour certains un début et une fin, l’engrenage représente davantage l’action en mouvement.

En somme, les résultats de l’étude montrent que l’enseignement de la distinction aspectuelle pourrait contribuer à une meilleure compréhension du passé composé et de l’imparfait. Il est toutefois important de poursuivre les recherches pour mieux comprendre comment cette approche pourrait effectivement être bénéfique pour les apprenants du FLS.