Résumés
Résumé
L’une des contributions originales méconnues de John Hicks est son analyse de la traverse. Le présent travail éexamine son modèle horizontal bisectoriel, avec la transition d’un régime de croissance à un autre, sous la condition du plein emploi des capacités productives et de la main-d’oeuvre. On analysera en particulier : la dynamique du réaménagement des travailleurs et du stock de capital, conséquence de la condition évoquée ci-dessus ; la dynamique des prix relatifs et des variables de répartition, sujets à la contrainte de la demande effective ; la représentation graphique de ces réaménagements, autant dans le champ des quantités que dans celui des valeurs. On portera une attention particulière aux cas d’instabilité dynamique et de croissance insoutenable, quand la traverse ne peut être complétée.
Abstract
The works of John Hicks are well known, save for his analysis of the traverse. The paper examines his two-sector model, where the full employment of labour and full utilization of capacity is maintained throughout the transition path towards a new growth regime. The focus here is on: the dynamics of the required reproportioning of the labour force and of the capital stock for the above condition to be maintained; the dynamics in relative prices and distribution variables for effective demand conditions to be fulfilled; the graphical representation of such a process of reproportioning, both in the quantity and the price spaces. The unsuccessful traverse in the lesser-discussed cases of unsustainable growth and dynamic instability is also ascertained.
Corps de l’article
Introduction
Bien qu’un grand nombre des contributions de John Hicks aient été reprises et incorporées dans le courant dominant et les manuels, on ne peut en dire autant de l’analyse de la traverse, présentée tout d’abord par Hicks dans son livre Capital and Growth (1965). Comme le dit Hicks (1976 : 144; 1990 : 100), l’analyse de la traverse a pour objectif de placer l’économique dans le temps, autrement dit de se situer dans le temps historique plutôt que le temps logique, ainsi que le réclamait aussi Joan Robinson. La plupart des économistes, encore aujourd’hui, étudient les propriétés de leurs modèles en comparant des états d’équilibre stationnaires ou semi-stationnaires. De son côté Hicks trouvait plus pertinent d’étudier le passage d’un état d’équilibre à un autre, tout en vérifiant si un tel passage était possible. Pour Hicks, les économies se trouvent normalement en état de transition, le long d’un chemin de traverse, et non à l’équilibre. Pour faire des recommandations de politiques économiques, il est particulièrement important de se situer dans le cadre d’une analyse de traverse.
« Quand on aborde les questions de politique économique, en regardant vers le futur et non le passé, l’utilisation de la méthode de l’équilibre devient encore plus suspecte... On peut bien espérer, après un changement de politique, que l’économie finira, éventuellement, et d’une manière ou d’une autre, par s’installer dans une position d’équilibre; mais il doit nécessairement y avoir une étape avant que cet équilibre puisse être atteint. Il doit toujours y avoir un problème de traverse. Pour l’étude de la traverse, on doit avoir recours à une forme d’analyse séquentielle. »[1].
Hicks, 1983 : 61-2
Comme chacun le sait, Hicks est rapidement devenu insatisfait de sa nouvelle analyse dans le temps de 1965. Il a consacré tout un livre, publié en 1973, Le temps et le capital (1975), à l’étude de la traverse dans le cadre de secteurs verticalement intégrés dont l’activité se déroule sur plusieurs périodes, mettant ainsi de l’avant une théorie autrichienne de la traverse. Hicks (1975 : 13) reconnaît toutefois qu’il serait « en définitive imprudent de s’avancer dans une voie ou une autre », chaque approche, sectorielle et horizontale, ou temporelle et verticale, ayant chacune ses avantages et ses inconvénients. Mais quelle que soit la façon dont on l’aborde, Hicks (1990 : 100) reste convaincu, même à la fin de sa vie, que la question de la traverse est d’une importance primordiale tandis que la comparaison des sentiers de croissance à taux constants est de peu d’intérêt.
La traverse sectorielle de Capital and Growth repose sur un modèle bisectoriel tout à fait identique à celui utilisé par les économistes de Cambridge pour critiquer la théorie néoclassique (agrégée) du capital. Les facteurs de production sont complémentaires (les coefficients de production sont fixes), bien que les machines déjà installées, ainsi que la main-d’oeuvre leur étant associée, puissent être déplacées d’une industrie à l’autre. Les deux secteurs sont l’industrie productrice de biens de consommation et l’industrie productrice de biens d’investissement, lesquels constituent le (seul) bien fondamental. Il s’agit aussi du modèle déjà utilisé par Joan Robinson dans son Accumulation du capital de 1956 et formalisé par Findlay (1963).
Dans ce qui suit, comme Hicks, nous nous pencherons sur un type de traverse particulier, celui dit de la traverse néoclassique, qui se donne pour contrainte le maintien continu de la pleine utilisation de la capacité et le plein emploi de la main-d’oeuvre lors de la transition d’un état permanent à un autre. Comme chez Hicks (1965), on exclura par hypothèse le mécanisme d’ajustement néoclassique habituel, celui qui repose sur la flexibilité des coefficients techniques et la forme des fonctions de production néoclassiques. Hicks (1990 : 101) a bien expliqué pourquoi il doutait de ce mécanisme : « Ce qui est requis pour que l’ajustement ‘néoclassique’ soit possible, c’est l’existence d’un ajustement rapide des coefficients (de la ‘technique’) en réponse à une variation temporaire des prix. C’est en demander beaucoup trop ».
Comme on l’a dit en introduction, la traverse sectorielle horizontale de Hicks n’a pas été incorporée au corpus dominant et elle n’a pas suscité un grand nombre de contributions, même parmi les auteurs hétérodoxes[2]. Plusieurs raisons pourraient expliquer ce phénomène. D’abord, il faut reconnaître que seuls les travaux de J.R. Hicks (le jeune Hicks), plutôt que ceux de John Hicks (le vieil Hicks), ont eu un impact sur la science économique dominante. De fait, comme le rapporte Leijonhufvud (1984 : 28), tout ce qui, dans les travaux de Hicks, récents ou plus anciens, se rapporte au problème de l’incorporation du temps dans la théorie économique « a été exclu du canon néoclassique américain ». Hicks (1976 : 141) lui-même est tout à fait conscient de ce phénomène lorsqu’il souligne que son modèle IS/LM a été populaire justement parce qu’il faisait abstraction du temps. Deuxièmement, la traverse de Hicks de 1965, même si elle se donne pour objet de préserver le plein emploi, rejette le mécanisme d’ajustement habituel des économistes néoclassiques par la substitution. Ceux-ci n’ont donc pas été incités à l’adopter. Troisièmement, et ceci s’applique aux économistes de toutes les écoles, le problème de la traverse est un problème complexe. C’est Robert Solow (1984 : 21) qui l’affirme : « La théorie de la croissance devrait idéalement se faire de cette façon. Ce que j’ai décrit est très similaire à ce que Sir John appelle la traverse. C’est la partie la plus facile du ski, mais la partie la plus difficile de la science économique ». Quatrièmement, Hicks a lui-même longtemps encouragé ses successeurs à se pencher sur la traverse autrichienne plutôt que sur la traverse horizontale.
Par comparaison avec les rares précédents travaux sur la traverse horizontale, la présente contribution a pour objectif de décrire de façon explicite et graphique le chemin emprunté par les différentes variables durant la traverse. De plus, l’évolution des variables est analysée non seulement dans les cas où la traverse est possible, mais aussi dans les cas où la croissance de la population est insoutenable. Autrement dit, la traverse va au-delà de l’analyse du comportement asymptotique des variables considérées ou de l’analyse de stabilité dynamique; l’analyse de la traverse considère les conséquences immédiates et à moyen terme des changements postulés. Ce faisant, nous verrons que la traverse constitue un processus de réaménagement de la structure productive, ce que Jean Magnan de Bornier (1980 : 8) appelait « un processus de réadaptation du stock de capital à de nouvelles conditions extérieures »[3].
Le plan du présent travail est le suivant. Dans la prochaine section, nous présenterons les équations habituelles de quantité et de prix du modèle bisectoriel, mais avec une petite modification, en prenant pour numéraire le bien d’investissement; dans la deuxième section, nous aborderons le problème de la stabilité dynamique; la troisième section définira le lien entre la pierre angulaire du système productif – le coefficient capital/travail macro-économique – et les autres variables permettant l’ajustement à un nouveau taux de croissance, notamment les proportions de main-d’oeuvre et de machines opérant dans l’industrie des biens d’investissement; la quatrième section traitera de la dynamique du réaménagement des structures productives dans le cas stable; la cinquième section présentera une analyse graphique de ce réaménagement; le même cas stable sera étudié à nouveau dans la sixième section, mais cette fois lorsque le taux de croissance de la population se révèle être insoutenable; dans la septième section, on abordera la question de la traverse dans le cas de l’instabilité dynamique; enfin la dernière section soulignera les dangers de l’analyse de statique comparative et suggérera une nouvelle solution au problème de la traverse hicksienne.
1. Les équations de quantité et de prix
On suppose, comme Hicks (1965), qu’il n’existe qu’un seul bien intermédiaire, le même dans les deux industries du modèle. Autrement dit, il existe une sorte de super-machine, qui ne se déprécie pas, et dont la production courante est I en termes physiques. Le stock accumulé de ces machines constitue le capital fixe, noté K, avec I = ΔK. Le prix unitaire de cette super-machine est pi. Il existe aussi un facteur « primaire » de production, le travail (L), dont la rémunération est le taux de salaire w*, exprimé en un quelconque numéraire. On suppose que le taux de croissance de la main-d’oeuvre est exogène, avec nL = ΔL. Il existe aussi une marchandise qui constitue le bien de consommation finale (C), et son prix unitaire est pc. La super-machine est la marchandise fondamentale : elle sert à sa propre reproduction et à la production du bien de consommation final.
On suppose, comme Hicks (1965 : 185), que les coefficients de production sont fixes. Ceci implique, dans le présent modèle, que la technologie peut être représentée par deux coefficients techniques dans chaque industrie, si bien que la technologie T est donnée par :
où aj = machines par unité d’output j, et ℓj = travailleurs par unité d’output j, tandis que kj est le rapport machines/travail dans l’industrie j. On suppose que la technique décrite par les coefficients ci-dessus constitue la seule technique disponible.
Les équations de quantité sont donc les suivantes :
Les lettres minuscules désignent les quantités par travailleur (les termes relatifs) correspondant aux lettres majuscules et g est le taux d’accumulation du capital.
On peut procéder de même du côté des équations de prix. On postule, pour simplifier, l’existence de la fonction d’épargne classique. Les équations de prix sont exprimées elles aussi en termes absolus et en termes relatifs, c’est-à-dire en termes du numéraire et par tête de travailleur :
Dans le cadre de la comptabilité nationale, nous savons aussi que la valeur ajoutée est égale au produit net, si bien qu’avec l’équation (9), l’une des équations (7) ou (8) est redondante :
De toute évidence, le numéraire est le bien d’investissement; p est le prix du bien de consommation et w est le salaire réel, en termes de la super-machine. Contrairement aux modèles bisectoriels qui se penchent sur le choix des techniques, lorsque la technologie incorpore une multiplicité de techniques possibles, il n’est pas nécessaire de se donner le bien de consommation pour numéraire (Pasinetti, 1981 : 171)[4]. Ici, contrairement à ces modèles, il n’existe qu’une sorte de machine, si bien que celle-ci peut fort bien servir de numéraire[5]. L’utilisation de ce numéraire inhabituel va permettre de simplifier les calculs ultérieurs. La frontière salaire/profit notamment devient linéaire, quelle que soit la technique choisie.
Le ratio k = K/L qui apparaît à l’équation (7) va jouer un rôle crucial dans tout ce qui suit. La valeur présente de k reflète l’histoire du système. En prenant la dérivée logarithmique de k, en se rappelant que g est le taux d’accumulation du capital tel que défini à l’équation (4), et en appelant n le taux de croissance exogène de la population, on obtient l’équation dynamique suivante :
L’équation (10) décrit très simplement le processus de restructuration. À supposer que le taux de croissance de la main-d’oeuvre n soit exogène et puisse donc fluctuer pour des raisons inconnues, les fluctuations de n vont induire une évolution de k, ce qui constitue précisément le phénomène de la traverse que nous désirons étudier.
L’évolution de k est rendue possible par le réaménagement de la structure productive. Il suffit pour cela de se rappeler que le rapport capital/travail k est par définition égal à une moyenne pondérée des ratios capital/travail définis dans chacune des deux industries à partir des coefficients techniques (kc, ki), sachant que la somme des coefficients de pondération est λc + λi = 1, et chaque coefficient λj représentant la part de la main-d’oeuvre opérant dans une industrie j; par exemple, λc = Lc/(Li+ Lc).
En prenant la différentielle de l’équation (11), et en se rappelant que kc et kisont des constantes, on obtient :
L’équation (12) définit le réaménagement qualitatif et quantitatif nécessaire. Les changements dans la valeur de k sont rendus possibles par le réaménagement de la structure productive[6]. On suppose que les composantes de K et L sont à la fois homogènes et non spécifiques, autrement dit, les machines et les travailleurs peuvent être utilisées dans l’une ou l’autre des deux industries. Le réaménagement de la structure productive consistera en un déplacement de K et L d’une industrie à l’autre, à l’intérieur du système productif existant. L’équation (12) et l’équation (10) vont jouer un rôle déterminant dans la suite de l’analyse.
2. Analyse de stabilité et analyse de réaménagement de la structure productive
L’analyse traditionnelle de la traverse hicksienne découle généralement d’une analyse de la stabilité dynamique. L’analyse procède habituellement en trois étapes :
1) À partir des équations (2) et (4), on détermine une valeur maximale réalisable du taux de croissance g, le taux assurant une valeur positive des outputs (c et i). Cette valeur maximale est gmax = 1/ai;
2) À partir des équations (2), (3) et (4), on peut ramener les valeurs de c, i et g en fonction de la seule variable k et des paramètres;
3) Après avoir substitué dans l’équation (10) la valeur de g obtenue à l’étape précédente, on obtient une équation différentielle en k. L’examen de cette équation révèle que la stabilité dynamique n’est possible que si la production du bien C est plus mécanisée que la production du bien I, autrement dit, si kc > ki. Ceci constitue la condition de stabilité dynamique.
La deuxième étape donne les équations suivantes :
Ces solutions décrivent l’évolution du système de production à un moment dans le temps. La troisième étape est obtenue en prenant la dérivée de l’équation (10) par rapport à k, connaissant la valeur prise par g dans l’équation (15). On obtient :
La stabilité dynamique requiert que la dérivée de la différentielle donnée par (16) soit négative. Ceci ne peut advenir, comme affirmé ci-haut, que si kc > ki. Ainsi, la traverse n’est possible que si le secteur des biens de consommation est plus mécanisé que le secteur des biens d’investissement. L’analyse de la traverse s’arrête habituellement à cette étape. Ce qui advient du système lorsque la traverse est impossible, ou lorsque les fluctuations de n excèdent la valeur maximale réalisable du taux de croissance gmax, déterminée lors de la première étape, est généralement passé sous silence, bien que le système doive alors subir des transformations considérables qui remettent en cause sa capacité à se reproduire.
L’analyse de la traverse pourrait tout aussi bien se conduire à partir des équations (10) et (12) présentées dans la section précédente. Les quatre cas de Hicks (1965 : 187-190) sont clairement résumés au tableau qui suit[7].
Considérons par exemple le cas 1 du tableau, lequel correspond au cas 1 de Hicks. En partant d’un état de croissance semi-stationnaire où g = n > 0, supposons que le taux de croissance de la main-d’oeuvre n chute pour une raison ou pour une autre. On se retrouve donc avec g > n > 0, du moins pour un certain temps, et en conséquence on a dk > 0. Puisque les machines se reproduisent maintenant à un rythme plus rapide que le taux de croissance de la main-d’oeuvre qui doit opérer ces machines, le système ne peut rester en situation de pleine utilisation de la capacité productive et de plein emploi de la main-d’oeuvre que si le système procède à un réaménagement de sa structure productive, en donnant davantage de poids à l’industrie productrice de biens de consommation, sachant que la production de C est la plus intensive en machines (kc > ki). Ce déplacement de la production vers l’industrie productrice de biens de consommation conduit à un accroissement de λc, tandis que λi décroît pari passu. Tout ceci mène à une réduction de la production par travailleur de biens d’investissement et aussi à une baisse du taux d’accumulation du capital (g), jusqu’à ce que finalement l’égalité g = n soit restaurée.
Considérons maintenant le cas 4 du tableau, où cette fois l’industrie productrice de biens d’investissement est plus intensive en machines que l’industrie productrice en biens de consommation, soit ki > kc. La sauvegarde de la pleine utilisation de la capacité et du plein emploi de la main-d’oeuvre requiert donc l’expansion de la production de biens d’investissement I, qui est la plus intensive en machines. Comme on peut le lire à la colonne F du tableau, ce changement va entraîner un accroissement de l’écart entre le taux de croissance endogène g et le taux de croissance exogène n. La poursuite du plein emploi des personnes et des machines conduirait à une spécialisation totale dans la production des machines. La discussion des cas 2 et 3 est laissée au lecteur, mais on en donnera une représentation graphique plus loin.
3. La pierre angulaire du système productif
La pierre angulaire du système de production est constituée par l’évolution du taux d’accumulation du capital et est donc donnée par l’équation (15), laquelle a pour forme générale g = g(k; T). Il est possible d’estimer la relation entre le taux d’accumulation et le rapport capital/travail au niveau macro-économique.
Nous avons déjà vu, grâce à l’équation (11), que le ratio macro-économique k doit prendre une valeur se situant entre kc et ki. On peut vérifier que :
quand k → ki, g → 1/ai;
quand k → kc, g → 0,
ce qui nous donne la fourchette de variation du taux d’accumulation g, tandis que les limites kc et ki donnent l’éventail des possibilités de réaménagement de la structure productive.
Nous avons vu aussi, grâce à l’équation (16), que la dérivée de l’équation (15) par rapport à k est négative si (kc – ki) > 0 et positive dans le cas contraire. Il existe donc une relation négative entre le taux d’accumulation du capital g et le rapport capital/travail agrégé k dans les cas 1 et 2 de Hicks, autrement dit les deux cas correspondant à la stabilité dynamique. C’est ce que reflète le premier quadrant du graphique 1, avec ses valeurs extrêmes. Dans les cas d’instabilité dynamique, la relation entre le taux d’accumulation et le ratio macro-économique capital/travail sera positive, comme illustrée au premier quadrant du graphique 2.
Ainsi que certains auteurs l’ont relevé, il est possible de concevoir le problème de la traverse de Hicks (mais non sa résolution) à partir d’une équation extrêmement simple, se situant du côté des quantités[8]. Par définition, on a :
où μi = Ki/K.
Pour une technique donnée, le taux d’accumulation est donc une fonction directe de la proportion du stock de machines localisées dans l’industrie productrice de biens d’investissement. Tant que les coefficients techniques sont fixes, à un taux d’accumulation plus élevé doit nécessairement correspondre une proportion plus grande de machines dans l’industrie productrice de biens d’investissement. En rendant explicite la relation entre la proportion de machines dans une industrie et la proportion de travailleurs dans la même industrie, on peut établir un lien entre ces proportions et la pierre angulaire du système productif, donnée par l’équation (15). Par définition, on sait que :
ce qui, à l’aide de l’équation (11), permet d’obtenir la relation entre la proportion de travailleurs et la proportion de machines se situant dans l’industrie productrice de biens d’investissement :
La dérivée première de cette équation par rapport à μi est toujours positive. Plus la proportion des machines situées dans une industrie est grande, plus grande est la proportion de travailleurs opérant dans cette industrie. La dérivée seconde est négative si (kc – ki) > 0, ce qui correspond aux cas 1 et 2 de Hicks, les cas de stabilité dynamique. Au contraire, la dérivée seconde est positive si (kc – ki) < 0, c’est-à-dire dans les cas d’instabilité dynamique.
On peut donc tracer deux graphiques reflétant les relations entre les proportions de machines et de travailleurs dans l’industrie des biens d’investissement, le taux d’accumulation du capital et le ratio macro-économique capital/travail, donnés par les équations (11), (15), (17) et (19). Comme on l’a déjà dit, le graphique 1 illustre le cas de la stabilité dynamique; le graphique 2 illustre celui de l’instabilité dynamique. Mais comme on le voit sur le côté gauche des deux graphiques, dans tous les cas un taux d’accumulation du capital plus rapide est nécessairement associé avec une proportion plus élevée de machines et de travailleurs dans l’industrie productrice de biens d’investissement.
Quelle que soit la forme de la pierre angulaire donnée par le premier quadrant (kc – ki > 0 ou kc – ki < 0), donc quelle que soit l’industrie la plus mécanisée, un redéploiement de la main-d’oeuvre vers l’industrie productrice de biens d’investissement est nécessairement associé à un taux d’accumulation du capital en hausse. Dans le cas 4 instable de Hicks tel qu’illustré au tableau de la section précédente, le redéploiement de la main-d’oeuvre et des machines vers l’industrie productrice de biens d’investissement, qui avait été rendu nécessaire pour préserver la pleine utilisation des machines suite à la baisse du taux de croissance de la main-d’oeuvre, ne peut que mener à un accroissement du taux d’accumulation, et donc ne peut en aucun cas ramener l’économie vers le nouveau taux, moins élevé, de croissance de la main-d’oeuvre.
4. La dynamique du réaménagement dans le cas stable
L’objectif des sections qui suivent est de pouvoir décrire l’évolution des diverses variables économiques lors de la traverse. Il s’agit de décrire le processus de réaménagement de la structure productive, afin de saisir globalement la suite d’événements provoqués par le phénomène dynamique que constitue la traverse.
Connaissant maintenant la forme de la pierre angulaire du système productif qui définit les possibilités de réaménagement de la structure productive, examinons comment évoluent la production et les prix de chacune des deux industries durant la traverse. C’est ici que débutent les nouveaux résultats. Nous traiterons d’abord de la forme prise par le taux de croissance de la production de biens de consommation, puis de celle du taux de croissance de la production des biens d’investissement et enfin du taux de changement des prix relatifs, en fonction des modifications au ratio agrégé capital/travail k. Pour ce faire, il nous faudra évaluer la pente de chacune de ces courbes et trouver leurs points extrêmes pour les valeurs possibles de k. Dans la présente section, et dans les deux prochaines sections, nous traitons uniquement des cas correspondant à la stabilité dynamique.
Commençons avec la production de biens de consommation. En prenant la différentielle de l’équation (13) et en divisant par c on obtient :
(dc/c) = {k/(k – ki)} (dk/k).
Puisque c = C/L, k = K/L et nL = ΔL, l’expression ci-dessus peut se modifier afin d’obtenir :
On a ainsi le taux de croissance Ĉ = (dC/C) de la production de biens de consommation, lequel dépend du taux de croissance n de la main-d’oeuvre, ainsi que de la valeur prise par k, valeur qui va varier au cours de la traverse. En se rappelant les valeurs extrêmes que peut prendre g dans les cas 1 et 2 de Hicks, on obtient :
Ĉ → + ∞ quand k → ki
et Ĉ → – {nki/(kc – ki)} < 0 quand k → kc.
Quant à la pente de la courbe représentant l’équation (20), elle est donnée par la dérivée suivante :
Cette courbe est tracée au haut du graphique 3. Il est important de noter que le signe de sa pente ne dépend pas de la technique utilisée, mais dépend plutôt de l’écart entre le taux de croissance de la main-d’oeuvre, supposé exogène, et la valeur réalisable maximale, 1/ai, que peut prendre le taux d’accumulation du capital. Si le taux de croissance de la main-d’oeuvre respecte cette valeur réalisable maximale, la dérivée (21) est positive.
De façon tout à fait similaire, on peut obtenir une expression algébrique représentant le taux de croissance de la production des biens d’investissement, c’est-à-dire le taux de croissance de l’output en machines. De l’équation (14), on tire l’équation (22) :
La pente de la courbe représentant cette équation est toujours positive, autant dans le cas stable que dans le cas instable :
Les points extrêmes de ce taux de croissance, dans les cas 1 et 2 de Hicks sont :
Î → + ∞ quand k → kc
et Î approche une valeur qui peut être positive ou négative lorsque k → ki. Cette courbe apparaît aussi au haut du graphique 3.
Passons maintenant aux équations de prix. Des équations (4), (5), (6) et (7), on tire l’état du système de prix à un moment donné dans le temps :
Ces solutions décrivent l’état du système de production à un moment dans le temps. En procédant comme on a fait pour les quantités, on obtient les taux de croissance de ces variables représentant le côté des prix :
On peut noter que le système est de nature récursive. Pour une technologie donnée et une répartition donnée des machines à un moment du temps, déterminée par l’histoire du système, les variables de quantité c, i et g sont tout d’abord déterminées, tandis que les variables de prix w, p et r sont fixées par après, sitôt que les variables de quantités sont connues. Il s’agit là d’une structure de type classique, ou sraffienne, où les quantités déterminent les prix, ce qui implique que dans le présent modèle ce sont les changements de quantités qui causent les changements de prix, comme on peut le constater par l’observation des trois équations dynamiques de prix ci-dessus[9].
En se rappelant que r = g comme précisé à l’équation (26), on peut tracer les taux de changement des variables de prix au bas du graphique 3. L’évolution du pouvoir d’achat des travailleurs, c’est-à-dire la consommation par travailleur, est donnée très précisément par l’équation (29)[10].
Quand le système de production se trouve dans un régime permanent semi-stationnaire (g = n), dk = 0 et des équations (1), (20), (22), (26), (27) et (28) on tire :
Toutes les quantités croissent au même taux, tandis que tous les prix (autant absolus que relatifs) restent constants. Sous un tel régime, défini par les points E et E′ et le ratio macro-économique k*du graphique 3, le système croît de façon proportionnelle, à un taux constant, sans aucun changement structurel.
5. Une analyse graphique de la traverse hicksienne dans le cas de la stabilité dynamique
Le régime permanent décrit par la condition (30) peut se perpétuer à l’identique tant et aussi longtemps que l’interaction entre le système productif et son approvisionnement en main-d’oeuvre n’est pas modifié, c’est-à-dire aussi longtemps que le taux n reste constant. Si le taux de croissance de la main-d’oeuvre change brusquement, sans que ne survienne de modification à la technologie (T) disponible, les courbes représentant la pierre angulaire du système productif, données par g(k, T) = r(k, T), n’en seront aucunement affectées, mais toutes les autres courbes vont se décaler, dans une direction qui, souvent, dépend de la technique préalablement adoptée.
Les changements qui vont être évoqués ci-dessous sont absolument nécessaires pour préserver et maintenir le plein emploi de la capacité productive et de la main-d’oeuvre pendant toute la durée de la traverse. La traverse du côté des prix va permettre de rencontrer les exigences de la demande effective et d’apurer les marchés des produits, tandis que la traverse du côté des quantités permet de rencontrer les contraintes imposées par les exigences du plein emploi des ressources productives.
L’impact de l’accroissement du taux de croissance de la main-d’oeuvre sur les différentes variables, pour la valeur courante, historiquement donnée, du ratio agrégé capital/travail, se déduit des dérivées partielles suivantes. Celles-ci sont évaluées pour une valeur de k donnée :
Considérons tout d’abord un cas stable, le cas 1 de Hicks : on a kc > ki et il se produit une brusque chute du taux de croissance de la main-d’oeuvre n, si bien que brusquement g > n. La chute de n provoque un déplacement instantané vers le haut des courbes Ĉ(k; T, n) et ŵ(k; T, n), tandis que les courbes Î(k; T, n) et p̂(k; T, n) se décalent instantanément vers le bas pour les mêmes raisons. Ces changements sont illustrés au graphique 3 grâce aux courbes en trait pointillé. Le système productif doit maintenant s’ajuster à un taux de croissance moins rapide de sa main-d’oeuvre. De l’ajustement qui doit suivre, nous connaissons au moins deux caractéristiques.
Premièrement, g doit s’ajuster à n : le taux d’accumulation du capital, qui est une variable endogène, doit donc s’ajuster au taux de croissance de la main-d’oeuvre, dont on a postulé qu’il était exogène. Ceci signifie que si le ratio macro-économique capital/travail correspondant au nouvel équilibre (k1), tel qu’indiqué par l’intersection des courbes en pointillé du graphique 3, est destiné à être éventuellement réalisé, la variable g = i/k doit chuter et ceci, comme on l’a vu à la section précédente, ne peut se matérialiser que s’il y a un réaménagement de la structure productive en faveur de la production des biens de consommation C[11].
Deuxièmement, l’ajustement à la nouvelle situation ne peut pas se faire de façon instantanée. Bien que l’on suppose que les machines ne soient pas spécifiques à une seule industrie, et donc qu’il est possible de transférer immédiatement les machines et les travailleurs de l’industrie I vers l’industrie C, les nouvelles proportions qui sont requises par le taux de croissance plus faible de la main-d’oeuvre ne peuvent être acquises que par une succession de flux productifs qui prennent du temps. La transition de l’ancienne proportion k* à la nouvelle proportion d’équilibre k1 prend du temps parce que tout flux de production nécessite du temps.
La traverse vue du côté des quantités se situe au haut du graphique 3. Immédiatement après la chute du taux n (laquelle chute a été exagérée afin de mieux faire ressortir les changements requis), le système productif opère encore selon l’ancien ratio k*. On peut donc lire à la verticale de ce ratio ce que sont les nouveaux taux de croissance des deux industries : le taux de croissance de la production des biens de consommation (Ĉ0) est en hausse, tandis que le taux de croissance de la production de machines ( Î0) est en baisse. Tel qu’illustré au graphique 3, le taux de croissance de la production de machines est en fait négatif, si bien que le niveau de production des machines est lui-même en baisse. Avec le passage du temps, ces changements initiaux substantiels finissent par s’estomper, jusqu’à ce que finalement les ajustements soient complétés, permettant ainsi au système de retourner à un nouveau régime de croissance permanent, illustré par les conditions de l’équation (30).
La traverse vue du côté des prix est tout à fait similaire et illustrée au bas du graphique 3. Il y a tout d’abord une brusque chute du prix relatif des biens de consommation (p̂0 < 0), et une brusque augmentation du salaire réel (ŵ0 > 0). Ces changements dans les prix relatifs s’expliquent par la nécessité d’apurer les marchés. Ces changements dans les prix relatifs et le salaire réel permettent d’absorber l’expansion accélérée de la production de biens de consommation, de même que le ralentissement, et même la diminution, de la production des biens d’investissement. Puisque les salaires sont entièrement consommés tandis que les profits sont épargnés, l’accroissement des salaires réels et du pouvoir d’achat des travailleurs permet à ceux-ci d’acheter les plus fortes quantités de biens de consommation qui ont été produites afin de préserver le plein emploi des capacités productives et de la main-d’oeuvre. Ainsi, contrairement à ce que semblait croire Hicks (1965 : 196), la traverse hicksienne néoclassique ne peut se réaliser à prix fixes. Comme l’a d’ailleurs souligné Magnan de Bornier (1980 : 25), la traverse hicksienne requiert des prix flexibles, bien que cette flexibilité n’ait rien à voir avec la flexibilité des méthodes de production.
Ainsi, durant la traverse, le système économique perd son homogénéité, tant du point de vue physique que du point de vue des valeurs. L’homogénéité est cependant graduellement réintroduite au fur et à mesure que le système se rapproche de son nouveau régime permanent, en (n1, k1). Il n’en reste pas moins que le phénomène de la traverse apparaît comme étant bien plus général que celui du régime permanent, si bien que, comme Hicks, on peut se demander pourquoi les économistes consacrent tant d’attention aux états stationnaires ou semi-stationnaires et si peu aux états de transition.
6. La croissance insoutenable dans le cas de la stabilité dynamique
À première vue, il semblerait que l’on puisse laisser au lecteur l’analyse détaillée du cas 2 de Hicks, celui où le taux de croissance de la main-d’oeuvre est en hausse dans le cadre d’une technologie préservant la stabilité dynamique. En effet, ce cas n’offre aucune difficulté supplémentaire, sauf lorsque n > 1/ai. Dans les analyses traditionnelles de la traverse, cette possibilité est exclue par hypothèse, puisqu’il est démontré, à partir des équations (2) et (4), que l’équilibre du régime permanent exigerait que l’output de l’industrie productrice de biens de consommation soit négatif. Ces analyses traditionnelles ne nous disent pas cependant ce qui adviendrait si, partant d’un régime permanent d’accumulation tel que n = g, répondant à la condition de croissance réalisable, le taux de croissance de la main-d’oeuvre était subitement poussé vers le haut, à un taux n1 > 1/ai correspondant à un taux de croissance insoutenable. La présente section a pour objectif d’analyser un tel cas et présente donc de nouveaux résultats. Nous allons montrer que la hausse du taux d’accumulation, dans sa transition vers le taux plus rapide de croissance de la main-d’oeuvre, va conduire l’économie dans un cul-de-sac : une production nulle de biens de consommation.
Nous avons vu à la section 4 que le taux de croissance de la production des biens d’investissement tout comme le taux de croissance de la production des biens de consommation dépendent du taux de croissance exogène de la main-d’oeuvre. Mais tandis que la pente de la courbe Î est toujours positive par rapport à k, la pente de la courbe Ĉ dépend du signe de l’expression {n – (1/ai)}. Quand le taux de croissance de la main-d’oeuvre est soutenable, c’est-à-dire en deçà de (1/ai), la courbe Ĉ est à pente négative, comme au graphique 3. Par contre, lorsque le taux de croissance de la main-d’oeuvre n est trop élevé et insoutenable, la courbe Ĉ est à pente positive, comme on peut le voir à partir de l’équation (21). Entre ki et kc, comme on peut le calculer grâce à l’équation (20), la courbe Ĉ croît de – ∞ à une valeur négative. Ainsi, lorsque le système productif se fait soudainement imposer un taux de croissance de la main-d’oeuvre qui est insoutenable, la production de biens de consommation doit continuellement décroître, pour en arriver à un niveau de production nul, même si ce système productif dispose normalement de la stabilité dynamique.
Le graphique 4 illustre ce qui arrive dans ce cas de taux de croissance excessif de la main-d’oeuvre, du moins dans le cas de la traverse vue du côté des quantités. On suppose que le système est tout d’abord en régime de croissance permanent, avec Î = Ĉ = g = n < 1/ai. On impose ensuite une brusque augmentation au taux de croissance de la main-d’oeuvre, si bien que n1 > 1/ai. La courbe Î se déplace alors vers le haut, comme on peut le voir en examinant l’équation (22). Quant à la courbe Ĉ, celle-ci va prendre une forme totalement nouvelle, telle qu’illustrée au graphique 4, par rapport à sa forme antérieure du graphique 3. Pour préserver le plein emploi de cette main-d’oeuvre maintenant abondante, la production doit être réorientée vers le secteur le moins mécanisé et le plus intensif en travail, soit dans ce cas-ci l’industrie de production des machines.
Il y aura ainsi une brutale augmentation du taux de croissance de la production de ces machines ( Î0), augmentation qui sera accompagnée d’une toute aussi brusque diminution du taux de croissance de la production de biens de consommation ( Ĉ0). En fait, le taux de croissance de la production des biens de consommation devient négatif. Il y a une réduction immédiate de la production de biens de consommation, malgré le fort accroissement de la main-d’oeuvre. Tandis que le taux global d’accumulation du capital g progresse et se rapproche de son nouvel objectif donné par n1, le taux de croissance de la production de biens d’investissement diminue progressivement.
Par contre le taux de diminution de la production de biens de consommation ne va qu’empirer. Bientôt presque toute la production va être entièrement consacrée à la fabrication de machines et aucun ou presque aucun bien de consommation ne sera produit. Le taux de croissance excessif de la main-d’oeuvre, lié aux exigences continues du plein emploi des ressources, a finalement mené l’économie vers un système productif dénué de biens de consommation.
7. Une analyse de la traverse hicksienne dans le cas de l’instabilité dynamique
Étudions maintenant la traverse dans le cadre de l’instabilité dynamique, un cas tout aussi ignoré que celui de la croissance insoutenable. Non seulement la théorie traditionnelle est-elle plutôt muette quant au destin ultime des systèmes économiques répondant aux cas 3 et 4 de Hicks et subissant une modification des paramètres exogènes, mais de plus la théorie traditionnelle ne nous dit absolument pas comment un tel système productif aurait pu se trouver, du début, dans un régime de croissance permanent. Nous serons tout aussi silencieux pour ce qui est de la seconde question, mais nous allons tenter de répondre à la première.
Comme on l’a vu à la section 3 et au graphique 2, dans les situations correspondant à l’instabilité dynamique, c’est-à-dire les cas 3 et 4 de Hicks, les courbes g(k; T) et r(k; T) sont à pente positive, et non à pente négative comme c’était le cas dans les situations de stabilité dynamique. Pour les défenseurs de la théorie traditionnelle, les cas 3 et 4 de Hicks correspondent à des économies « irrégulières ». Dans une économie caractérisée par ki≥ kc, la structure productive est dissipative. La plus petite fluctuation de n va être amplifiée, forçant ainsi le système à décliner ou à se réorganiser[12].
Étudions tout d’abord le cas 4 de Hicks, celui correspondant à une baisse du taux de croissance n de la main-d’oeuvre. Ce cas est illustré à l’aide du graphique 5. Paradoxalement, la baisse du taux de croissance de la main-d’oeuvre va entraîner une hausse du taux d’accumulation de cette économie et une diminution du taux de croissance de la production des biens de consommation, suivie d’une diminution absolue de la production de biens de consommation. Encore une fois, l’économie va se retrouver dans un cul-de-sac.
Voyons pourquoi. Comme on l’a déjà dit, les courbes g(k; T) et r(k; T) sont à pentes positives. D’autre part, ainsi qu’on peut le déduire des équations (21) et (23), les deux autres courbes décrivant l’évolution des taux de croissance de l’output dans les industries de biens de consommation et de biens d’investissement, Ĉ et Î, sont respectivement à pente négative et positive, comme c’était déjà le cas dans les situations soutenables et correspondant à la stabilité dynamique. La forme exacte de ces deux courbes est cependant différente des formes observées en situation de stabilité dynamique. On peut le vérifier en prenant note des valeurs extrêmes prises par les taux de croissance Ĉ et Î lorsque k approche de ses limites kiet kc. On a :
Ĉ → – ∞ quand k → ki,
Ĉ → – {nki/(kc – ki)} > 0 quand k → kc,
Î → – ∞ quand k → kc
et Î → – (nkc – ki/ai)/(kc – ki) > 0 quand k → ki.
De façon assez similaire, la courbe ŵ a une forme différente de celle observée dans la situation de stabilité dynamique, mais sa pente est de même signe. Par contre, la pente de la courbe p̂ dépend de la stabilité ou de l’instabilité dynamique du système. Les formes des courbes g, Ĉ, Î, ŵ, et p̂ sont illustrées au graphique 5. Supposons, comme pour le cas 1, que le taux de croissance de la main-d’oeuvre tombe de n à n1. Comme le montrent les équations (31) et (32), les deux courbes Ĉ et Î vont maintenant se décaler dans une direction qui est contraire à celle déjà observée au graphique 3, dans le cas de la stabilité dynamique. Pour préserver le plein emploi des travailleurs et la pleine utilisation des machines, la baisse du taux de croissance de la main-d’oeuvre va mener à une augmentation du taux de croissance de la production des machines, puisque la production des machines est maintenant la plus mécanisée, tandis que le taux de croissance de l’industrie des biens de consommation sera plus faible.
Du côté de la traverse des prix, accompagnant la diminution relative de l’industrie des biens de consommation, il y aura une baisse du taux de salaire et du pouvoir d’achat des travailleurs, comme on peut le voir au bas du graphique 5, afin de préserver l’égalité entre les quantités produites et la demande effective. Mais tandis que le ratio macro-économique d’équilibre requis pour une croissance équilibrée tombe de k* à k1, le ratio macro-économique effectivement réalisé ne cesse de grimper. Au fur et à mesure que le système productif se réoriente vers l’industrie productrice de machines, afin d’absorber plus rapidement les capacités productives excédentaires, le taux d’accumulation du capital g ne cesse d’augmenter, s’éloignant toujours plus du taux de croissance exogène de la main-d’oeuvre, tandis que les taux de croissance des productions de biens de consommation et de biens d’investissement divergent toujours davantage.
Un tel système productif, sujet à une baisse du taux de croissance de la main-d’oeuvre, finit donc par se spécialiser entièrement dans la production de machines. La production des biens de consommation par travailleur finit par décliner et il est même probable que cette production de biens de consommation décline en termes absolus, pour aboutir à un niveau nul. Pour pouvoir se perpétuer, une telle économie devrait exporter ses biens d’investissement et importer des biens de consommation. Autrement, dans le cadre d’une économie fermée, il faudrait que cette économie abandonne l’objectif du plein emploi des ressources, ou alors il lui faudrait modifier sa technique de production.
On peut aussi considérer l’autre cas instable, le cas 3 de Hicks, lorsque le taux de croissance de la main-d’oeuvre augmente. Ce cas est illustré au graphique 6. Seule la traverse du côté des quantités est illustrée. Puisque la main-d’oeuvre devient abondante, la décision de préserver le plein emploi des capacités productives et de la main-d’oeuvre va conduire à un réaménagement de la structure productive vers l’industrie la plus intensive en main-d’oeuvre, c’est-à-dire l’industrie productrice de biens de consommation. Ce réaménagement de la production va mener à une baisse continue du taux général d’accumulation g, comme il est illustré au graphique 6. On observera aussi une hausse continue du taux de croissance de la production de biens d’investissement et une baisse continue du taux de croissance de la production des machines. Éventuellement, le taux de croissance de la production de ces machines va devenir négatif : malgré la croissance exponentielle de la population, le nombre absolu de machines produites va décroître. De plus en plus de ressources vont être consacrées à la production de biens de consommation. Paradoxalement, pour absorber cette poussée de la production de biens de consommation, les salaires réels vont être à la hausse, malgré une main-d’oeuvre relativement plus abondante.
À un certain moment, la poussée dans la consommation par tête, due à l’écart croissant entre Ĉ et n, tirera à sa fin. Quand presque toutes les machines serviront à la production de biens de consommation, c’est-à-dire quand k approche de kc, il deviendra impossible d’accroître la capacité nécessaire à l’augmentation de la production de ces biens de consommation. La consommation par tête devra chuter, ou alors le système devra importer des machines et exporter ses biens de consommation, ou encore il faudra restructurer entièrement l’économie. Si aucune des deux dernières possibilités n’est possible, alors la chute du pouvoir d’achat deviendra irréversible et l’économie sera prise dans une situation de « désaccumulation ».
Conclusion
La traverse hicksienne, du moins dans le cadre de son modèle horizontal bisectoriel, a surtout été étudiée sous l’angle de la stabilité dynamique. La traverse proprement dite, c’est-à-dire le chemin emprunté par un système productif pour tenter de passer d’un régime de croissance permanent à un autre, n’a guère été examiné. C’est l’examen de ce chemin, sous une double condition, la condition hicksienne de préservation du plein emploi de la main-d’oeuvre et des capacités productives, ainsi que la condition keynésienne d’équilibre entre les quantités produites et la demande effective, qui est l’objet du présent travail. Nous avons montré ce qui advient des diverses variables de quantité d’une part et des diverses variables de prix d’autre part, autant lorsqu’une traverse réussie peut se réaliser que lorsque la traverse ne peut se compléter, dans les cas d’instabilité dynamique et de croissance insoutenable.
Au contraire des analyses précédentes et de celle de Hicks, les conséquences de ces traverses inachevées ont été mises en lumière : ou bien le système productif produit de moins en moins de biens de consommation ou bien l’économie entre dans une phase de désaccumulation. Dans tous ces cas, la finalité du système disparaît. Le destin ultime de ces économies est l’incapacité de produire quelque bien de consommation que ce soit.
De plus, tandis que Hicks s’était abstenu de traiter de la traverse des prix, celle-ci a été décrite de façon explicite. Nous avons vu que la traverse des prix se déduisait de la traverse des quantités. Mais tandis que la traverse des quantités est contrainte par les conditions requises pour préserver le plein emploi des ressources productives, la traverse des prix est contrainte par les conditions imposées par l’épuration des marchés. Autrement dit, les changements de prix procurent les modifications à la demande effective rendues nécessaires par les changements dans les quantités produites.
L’analyse de la traverse dans les cas d’instabilité dynamique éclaire les dangers inhérents à une analyse de statique comparative. Luigi Spaventa (1984 : 54) a très justement fait remarquer que l’étude des modèles de croissance en régime permanent « ne peut être utilisée à bon droit que pour comparer des situations d’équilibre ». Malgré toute la fascination des régimes de croissance permanent, conclut Spaventa, « on ne peut appliquer de façon automatique ses résultats à des mouvements dynamiques conduisant d’une situation d’équilibre à une autre, qui seraient dus, par exemple, à une modification du taux naturel de croissance ou à un changement technologique ». Les vrais problèmes qui restent à résoudre, termine Spaventa, « proviennent du fait qu’un stock ancien de biens capitaux n’est plus approprié dans une situation nouvelle et que du temps doit s’écouler avant que le stock correct soit édifié ». C’est là précisément la définition de la traverse. Lorsque la technique dominante est telle que kc< ki, le régime de croissance permanent, avec une transition préservant le plein emploi des ressources, ne peut être atteint.
Hicks (1965 : 194; 1990 : 102) a cependant lui-même offert une autre solution : la capacité productive pourrait être sous-utilisée ou surutilisée durant la traverse. Mais alors, il se pourrait que la main-d’oeuvre soit, elle aussi partiellement inemployée. Les technologies de type kc< ki ne sont donc pas nécessairement vouées à la disparition. On en revient alors à des modèles de type keynésien, où le keynésianisme ne se définit pas nécessairement par des prix fixes, comme semblait le croire Hicks à une certaine époque, mais plutôt par des excédents de capacité productive et de main-d’oeuvre. C’est cette voie que certains auteurs ont plus récemment emprunté. Dutt (1988) et Lavoie (1996a) proposent l’analyse d’une telle traverse, déterminée par les conditions de la demande effective plutôt que par celle du plein emploi des ressources, dans le cadre d’un modèle horizontal bisectoriel. Des questions plus compliquées, comme celle portant sur le retour éventuel du système à un taux d’utilisation normal de la capacité, ont également été abordées (Vianello, 1985; Lavoie, 1996b; Duménil et Lévy, 1999). Ces questions sont au coeur d’une économie politique qui voudrait se définir comme une analyse dans le temps, comme le souhaitaient autant Joan Robinson que John Hicks.
Parties annexes
Remerciements
Le présent travail a pour origine le document de recherche rédigé par mon regretté collègue Jacques Henry en novembre 1985, document qui s’intitulait « Traverse as a Process of Reproportioning » (Institut de Développement international et de coopération, Université d’Ottawa). Cette note de recherche avait été présentée lors d’un mini-colloque intitulé Quelques aspects du renouveau de l’économique de la croissance, organisé à l’Université d’Ottawa en mars 1987, peu avant sa mort. Les sections 1, 2, 4 et 5, ainsi que le graphique 3, sont tirés directement du document de recherche de Jacques Henry. Je voudrais aussi remercier Mario Seccareccia, mon collègue et ami depuis vingt ans, qui m’a aidé à ressusciter cette interprétation de la traverse hicksienne. Une version de ce texte a été présentée aux Journées d’études Hicks, organisées par Michel Rosier et Christian Tutin à l’Université de Paris-1, en octobre 1997. Je remercie les deux assesseurs de la revue pour leurs nombreuses suggestions.
Notes
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[1]
Joan Robinson endosse la même approche. Suite à un changement dans les conditions économiques, « pour estimer le temps qu’il faudra à l’économie pour trouver un nouvel équilibre (s’il en existe un), et trouver le cheminement vers ce point, il nous faut décrire toute l’histoire du comportement de l’économie quand elle n’est plus à l’équilibre ... » (Robinson, 1985 : 21).
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[2]
Voir Shinkai (1960) pour une analyse antérieure à celle de Hicks (1965), puis Spaventa (1973), Samuelson (1975), Bhaduri (1975), Lowe (1976), Craven (1977), O’Connell (1978), Nagatani et Neher (1978), Bhaduri et Robinson (1984), Magnan de Bornier (1980), Belloc (1980), Halevi (1985), Hagemann (1992), Halevi (1992).
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[3]
Il est possible à nouveau de tracer un parallèle avec Joan Robinson (1985 : 21). Lorsque celle-ci se réfère au temps historique, elle aborde le problème de « l’adaptation de la structure de la production ».
-
[4]
Dans un modèle bisectoriel linéaire, le choix de technique implique l’utilisation de machines différentes, si bien que le bien d’investissement ne peut constituer un élément commun aux systèmes qui font l’objet de comparaisons.
-
[5]
En général, il n’y a aucune obligation de se donner le bien de consommation pour numéraire lorsqu’il n’y a pas de fonction d’utilité (Henry, 1991 : 36-39). Voir aussi Moss (1980 : 77) pour un exemple de modèle à deux secteurs avec le bien d’investissement comme numéraire.
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[6]
On peut d’ailleurs noter que la variable k joue aussi un rôle important dans la théorie néoclassique puisque c’est sur elle, et l’hypothèse de substitution technique instantanée, que reposent les principaux résultats auxquels parviennent les modèles construits à partir des fonctions agrégées de production « bien élevées ».
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[7]
Les signes figurant aux diverses colonnes s’expliquent de la façon suivante : colonne A : par définition; colonne B : par l’équation (10); colonne C : par l’équation (11); colonne E : en considérant que i = I/L = (I/Il) (Il/L) = (1/ℓi) (λi) et donc que di = (1/ℓi) dλi; colonne F : en considérant que g = (I/Ki) (Ki/K) = μi/ai, et en sachant, comme nous le verrons plus loin, que μi est une fonction positive de λi.
-
[8]
Voir notamment Vianello (1985 : 75) et Halevi (1985 : 231).
-
[9]
Cette causalité qui s’exerce des quantités vers les prix est soulignée par Henry (1991 : chap. 4; 1993 : 6) et Halevi (1992 : 279).
-
[10]
Les salaires en termes de machines (équation 28) ou de biens de consommation (équation 30) évoluent toujours dans la même direction.
-
[11]
Du moins tant et aussi longtemps que le système productif reste dans le cadre d’une technologie T(•) inchangée!
-
[12]
Comme le souligne Halevi (1985), une économie caractérisée par kc = ki est toute aussi dissipative puisqu’elle n’offre aucune possibilité de réaménagement de la structure productive.
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