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Comment aborder, penser et décrire ce que sont les études littéraires autochtones au Québec ? Est-ce qu’une telle discipline existe déjà dans la province ? Dans l’espace que constitue cette chronique, je souhaite penser les possibles qu’ouvre le littéraire quant aux relations que nous entretenons avec les savoirs des Premiers Peuples. J’espère offrir l’occasion d’une plongée dans la dimension épistémologique des littératures autochtones. Or, avant d’y parvenir, l’exercice demande d’abord le sérieux d’une saisie, voire d’une synthèse d’un champ critique en construction, celui des études littéraires autochtones produites en français. J’insiste sur le rapport à la langue, car celle ou celui qui s’engagera dans la lecture des études critiques consacrées aux littératures autochtones constatera rapidement qu’y dominent, encore aujourd’hui, les travaux produits en langue anglaise. Cette personne sera confrontée, de surcroît, à une idée répandue selon laquelle nous sommes, au Québec, « en retard » quant à la consolidation d’un tel champ d’études et de son autonomisation, qui ne peut advenir que par un détachement ou plutôt une mise en parallèle des études québécoises et, dans un contexte plus large, canadiennes. Une telle affirmation, certes pertinente quant au retard que nous accusons me semble néanmoins improductive une fois lancée, car si cette autonomisation peut parfois sembler frileuse, elle se réalise pourtant depuis plusieurs années et se reflète dans certains courants de pensée qui rassemblent des textes et des chercheuses et chercheurs qui pensent les littératures autochtones.

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En 2010, dans un chapitre de l’ouvrage Littératures autochtones publié chez Mémoire d’encrier, un premier collectif publié en français dans ce domaine d’études, Michèle Lacombe proposait un état des discours critiques autour des littératures des Premières Nations, des Métis et des Inuit dans le monde anglophone (au Canada, mais également aux États-Unis). La chercheuse d’origine malécite et acadienne constatait « [l’]hétérogénéité des perspectives littéraires amérindiennes et de la recherche faite par les Amérindiens au Canada anglais[1] ». Elle s’affairait ainsi à décrire la pluralité des mouvements critiques : l’approche hybride d’un Gerald Vizenor (Anishinaabe), la réponse nationaliste de Robert Warrior (Osage), de Jace Weaver (Cherokee) et de Craig Womack (Creek-Cherokee), ou encore l’approche comparatiste et transautochtone, plus récente cette fois, du chercheur allochtone Chadwick Allen, pour ne nommer que ces quelques exemples importants et, surtout, qui en viendront à structurer nombres d’interventions critiques qui suivront. La proposition de Lacombe, quoique ancrée dans une volonté de saisir globalement, et pour une première fois en français, l’espace anglophone de la critique littéraire autochtone, était aussi une invitation à explorer un nouvel espace. En conclusion à son chapitre, la chercheuse suggérait en effet d’ouvrir le propos pour mieux aborder les différences entre les contextes anglophones et francophones. Pourtant, elle n’a pas été en mesure de faire l’économie des visées et des approches spécifiques au contexte québécois, et donc de « se prononcer sur l’émergence d’une critique littéraire autochtone en français[2] ». Lacombe choisit plutôt de laisser ce questionnement ouvert, laissant à d’autres le soin de « répertorier la recherche et la critique au Québec dans ce domaine[3] ».

Plus de dix ans après l’intervention de Lacombe, j’attrape au bond son invitation, dans une volonté moins de seulement répertorier – un travail substantiel qui a déjà été réalisé par Kwahiatonhk ! à travers l’élaboration de bibliographies thématiques présentées sur le site Web de l’organisme[4] – que de poser un certain regard, non exhaustif, et très certainement circonscrit, sur la manière dont la théorisation des littératures autochtones en contexte québécois s’est réalisée, en particulier dans les monographies sur lesquelles j’insisterai. Surtout, j’articulerai en conclusion une réflexion à propos de la nécessaire inclusion des oeuvres littéraires elles-mêmes en tant que discours critiques, qui, si elles se distinguent de la prose universitaire, n’en demeurent pas moins des savoirs à la fois ressentis[5] et intellectuels, dans tous les cas pertinents. Un recentrement des textes littéraires en tant que savoirs permet par ailleurs de poser la distinction de notre champ d’études par rapport aux autres disciplines des études autochtones.

De plus, en me penchant sur les travaux rédigés en français, je n’ai pu que constater qu’ils sont toujours dominés par des chercheurs et chercheuses allochtones – un groupe auquel, il faut le dire, j’appartiens. Dès lors, je me dois de dévier légèrement de l’invitation de Lacombe pour saisir le champ dans sa pluralité et, surtout, sans le restreindre aux seuls travaux écrits par des intellectuel·les autochtones – ce qui rendrait d’ailleurs cette chronique peu pertinente dans l’état actuel des choses. En explorant et en tentant de circonscrire certains courants de la recherche, j’ouvrirai, en guise de conclusion, vers une vision de ce que sont et pourraient devenir les études (littéraires) autochtones dans le contexte du Québec actuel, une discipline qui valoriserait les savoirs produits à même le littéraire.

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C’est au tournant des années 1990 qu’est publiée la première monographie consacrée à l’étude des littératures autochtones au Québec. À la suite d’un mémoire de maîtrise consacré exclusivement à la littérature innue[6], et d’une thèse de doctorat[7] où se déploiera plus manifestement son approche historienne, la chercheuse québécoise Diane Boudreau faisait paraître en 1993 aux éditions de l’Hexagone son Histoire de la littérature amérindienne au Québec[8]. Bien que ce texte soit aujourd’hui daté tant le champ d’études s’est diversifié depuis sa publication, l’autrice proposait l’une des premières définitions de la littérature des Premiers Peuples, laquelle m’apparaît toujours pertinente. Cette définition reposait sur l’abolition des frontières linguistiques dans un rejet des notions de francophonie et d’anglophonie, tout en ayant une assise territoriale forte, celle des limites de ce que l’on nomme aujourd’hui le Québec[9]. De plus, Boudreau posait un regard vaste sur le spectre de continuité qui se déploie de la littérature orale aux écritures alors contemporaines. L’approche historienne avait pour objectif la légitimation d’un corpus littéraire pluriel (récits oraux, mythes, chants, autobiographies, essais, poésie) encore non étudié (ou alors étudié seulement en tant que document ethnographique) dans le contexte universitaire québécois. Il s’agissait donc, pour Boudreau, de démontrer que « [l]a littérature amérindienne [était] bien vivante. [Et que l’]espoir qu’elle soit un jour reconnue ne se confond pas avec la griserie des utopies et des illusions[10] ». En ce sens, en présenter l’histoire revenait à l’inscrire dans l’appareil institutionnel, littéraire et universitaire québécois.

Il faudra ensuite attendre près de vingt-cinq ans avant la parution d’un second ouvrage proposant une nouvelle perspective historienne, mais cette fois beaucoup plus ciblée dès lors qu’il s’agit d’étudier la littérature d’une seule nation. Avec son Histoire de la littérature inuite du Nunavik[11], Nelly Duvicq s’inscrit en quelque sorte dans la continuité du mouvement des nationalismes autochtones ouvert par Weaver, Womack et Warrior, qui insiste sur l’importance de reconnaître la pluralité des nations autochtones et, avec elles, les contextes et épistémologies spécifiques qu’elles convoquent. La contribution majeure de l’essai de Duvicq est donc l’ouverture des études littéraires autochtones au Québec aux écrits produits par les Inuit, textes qui demeurent très souvent exclus des corpus littéraires autochtones dans la belle province, lesquels ont tendance à inclure principalement les littératures des Premières Nations, et plus encore celles produites en français[12]. Les travaux de Duvicq, comme ceux de Daniel Chartier, professeur en études littéraires à l’UQAM, font en ce sens figure d’exceptions. La chercheuse a ainsi réalisé un important et minutieux travail de défrichage pour circonscrire un corpus de textes inuit ayant principalement été publiés dans des revues, très souvent en inuktitut, en anglais, et plus rarement en français.

Il est par ailleurs intéressant de noter que Duvicq termine l’introduction de son livre par une question : « Qu’est-ce qu’être Inuit au xxie siècle [13] ? » En cela, non seulement la chercheuse s’inscrit-elle dans la lignée des travaux menés par Boudreau[14], qui visent à légitimer une littérature par une forme reconnue, une histoire littéraire, mais elle poursuit également la démarche et la réflexion profondément identitaires entamées par le chercheur d’origine italienne Maurizio Gatti dans Être écrivain amérindien au Québec : indianité et création littéraire[15], paru en 2006 chez Hurtubise.

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Dans cet ouvrage, dont l’impact est beaucoup plus notable que celui de Boudreau d’ailleurs, qui suit la publication de l’anthologie fondatrice Littérature amérindienne du Québec : écrits de langue française, Gatti s’interroge sur les instances de légitimation des littératures autochtones au Québec, et plus particulièrement sur ses autrices et auteurs. Il pose ainsi une série de questions : « Qui parle ? D’où parle-t-il ? Quel espace social l’auteur représente-t-il [16] ? » Lors d’une intervention dans le cadre des balados « Lire en relation » du Salon du livre des Premières Nations en 2021, Gatti reviendra d’ailleurs sur cette interrogation pour souligner qu’encore aujourd’hui la question de savoir qui est Autochtone l’emporte sur la nécessité de déterminer qui a le statut d’écrivaine ou d’écrivain. Cela étant dit, les travaux de Gatti, que ce soit son anthologie pionnière rassemblant des textes littéraires d’auteurs et d’autrices autochtones dans des genres variés ou sa monographie critique, adoptent une approche centrée sur l’autorité auctoriale, sur une « définition de l’écrivain amérindien[17] », et plus spécifiquement sur les critères de reconnaissance et de légitimation des écrivain·es autochtones dans le champ littéraire. À ce jour, Gatti est le seul à avoir posé de manière aussi frontale la question de l’autorité auctoriale au sein de la littérature autochtone, à en avoir fait un sujet d’étude en soi. En effet, si d’autres se sont interrogés sur la spécificité de la littérature autochtone[18] au Québec, toujours dans une volonté d’en produire une définition, il apparaît que l’appartenance culturelle de l’auteur·rice est un critère désormais plutôt stable, que l’on conteste peu, à tout le moins différemment, au vu des récents débats autour de l’appropriation identitaire. Être un·e écrivain·e autochtone, c’est être affilié·e à une Première Nation, ou encore aux Métis ou aux Inuit.

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Or, la dimension identitaire, et par le fait même éminemment politique, du corpus littéraire demeure, elle, un prisme de lecture prédominant. Les travaux des chercheuses québécoises Isabelle St-Amand et Julie Burelle sont des exemples éloquents d’un courant critique qui place les conflits politiques et territoriaux au centre de la réflexion. Avec son ouvrage consacré aux représentations littéraires et cinématographiques du conflit de 1990 qui opposa les habitants de Kanesatake aux autorités gouvernementales et policières du Québec, mieux connu sous le vocable « crise d’Oka », St-Amand approche la littérature et le cinéma autochtones à travers le prisme de l’événement et de ses représentations tant autochtones qu’allochtones. Non seulement son ouvrage La crise d’Oka en récits : territoire, cinéma et littérature[19], paru en 2015 aux Presses de l’Université Laval, a-t-il permis de brosser un portrait assez exhaustif des représentations de ces événements, et d’en produire une lecture qui prenne en compte les notions de souveraineté narrative et visuelle, mais la pertinence et l’originalité du projet de St-Amand tiennent également à son élaboration méthodologique. Pleinement informée des méthodes de recherche autochtones et décoloniales, notamment celles développées dans les études autochtones en anglais à la suite de l’important ouvrage Decolonizing Methodologies de la chercheuse maorie Linda Tuhiwai-Smith, St-Amand pense conjointement son objet d’étude (la crise d’Oka et ses représentations) et la méthodologie par laquelle elle peut l’approcher. En fait, en symbolisant sa position externe au conflit, l’autrice parvient à « mettre au point une articulation théorique capable non seulement d’inscrire les perspectives autochtones et allochtones dans leurs contextes spécifiques, mais également de les mettre en relation et de problématiser leurs points de contact et d’enchevêtrement[20] ». Ce faisant, c’est non seulement la crise d’Oka qui se trouve réfléchie, mais aussi les dynamiques de pouvoir profondément coloniales qui assiègent la recherche universitaire.

Quant à l’essai de Julie Burelle, je reconnais qu’en m’y attardant, je déroge à l’un des critères établis en ouverture de cette chronique, qui était de cerner les monographies produites en français. Il est vrai que Burelle choisit le plus souvent l’anglais pour diffuser ses travaux, mais il demeure que son essai compte parmi les rares à aborder d’un même geste les littératures, les arts visuels, le théâtre et le cinéma dans une perspective qui est celle des études sur la performance dans le contexte du Québec. Encounters on Contested Lands. Indigenous Performances of Sovereignty and Nationhood in Québec[21], paru en 2019, s’inscrit directement dans le sillage des travaux de St-Amand en pensant la rencontre et la tension identitaires, mais aussi territoriales, dans les revendications québécoises et autochtones, en plus d’examiner la construction du mythe du métissage dans la pensée québécoise. Dès les premières pages, la dynamique de la confrontation des idées, des nationalismes et des ontologies est campée alors que Burelle place, en exergue de son introduction, la célèbre photographie prise par Shaney Komulainen lors du siège de la pinède d’Oka le 1er septembre 1990. Pour Burelle, cette image exemplifie le propos même de son livre : la division idéologique et territoriale entre les Québécois et les Autochtones. Tout comme St-Amand, Burelle inscrit ainsi son travail à la croisée des études sur les littératures et sur les interventions artistiques autochtones et québécoises. La chercheuse façonne ce qu’elle nomme un « scénario de la rencontre », qui lui permet de mettre en relation ces deux corpus et d’ainsi éclairer leur dimension antagoniste en déboulonnant le mythe du Québécois de souche[22], lequel s’accompagne très souvent d’une fiction de la descendance autochtone ou de ce que le chercheur innu Pierrot Ross Tremblay nomme la « fiction du sang[23] ». En somme, à la fois le travail de Burelle qui multiplie les enjeux (la crise d’Oka, le mythe du métissage, la Loi sur les Indiens, les stratégies de rapatriement), les corpus et les formes artistiques lui permettant d’articuler sa réflexion autour de la performance des souverainetés autochtone et québécoise, et celui de St-Amand, lequel se focalise sur un événement unique, la crise d’Oka, aménagent un espace essentiel dans le domaine des études littéraires autochtones en symbolisant ce qu’il y a de particulier à ce champ d’études et aux réflexions qu’il fait naître dans le contexte du Québec.

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Si le territoire en tant que zone de contact, voire d’occupation est un enjeu central dans les travaux de St-Amand et de Burelle, il faut par ailleurs noter qu’il s’érige en thème de prédilection dans de nombreux travaux consacrés aux littératures autochtones au Québec[24], sans pourtant toujours mettre en relief les tensions qui perdurent entre différents imaginaires politiques. Je crois donc que la pensée territoriale peut être envisagée comme un courant critique en soi au sein des études littéraires autochtones, couvrant un spectre qui s’étend du politique à l’épistémologique.

Le territoire, cette fois-ci dans son américanité, est également au coeur de l’exploration de l’auteur québécois Jean-François Létourneau dans son ouvrage Le territoire dans les veines[25], paru chez Mémoire d’encrier en 2017, et de manière beaucoup plus politisée, je dirais même décentrée dans une pensée qui est davantage celle d’un Québec pluralisé, dans Place aux littératures autochtones[26] de Simon Harel, publié la même année, chez le même éditeur. En effet, malgré un titre qui annonce une prise de position forte, l’essai de Harel aborde finalement très peu les littératures autochtones. Ces dernières deviennent plutôt un prétexte par lequel l’essayiste pense le « décentrement postnational[27] » de la littérature et de la culture québécoises.

Assumant quant à lui d’emblée la subjectivité du lecteur devant ce qui serait une posture désincarnée de chercheur, Létourneau s’intéresse dans son essai à la poésie des Premières Nations pour en saisir la part d’américanité, celle qui « [s’]incarne dans une expérience, celle d’habiter un lieu, d’y enraciner un destin qui ne se réclame pas d’une tradition, qu’elle soit européenne ou américaine, mais embrasse les diverses possibilités qu’offrent la nature et la culture des lieux[28] ». La notion d’américanité permet surtout, selon l’auteur, de rejeter le mythe d’un « Nouveau Monde » et d’ainsi penser, avec la poésie, à l’habitation millénaire des peuples autochtones, ce que le géographe Louis-Edmond Hamelin a nommé dans sa désignation des trois formes de territorialité au Québec « l’américanité première, celle des Premières Nations et des Inuits[29] ». Il ne s’agit donc pas, pour Létourneau, d’étudier les tensions politiques et territoriales exprimées dans la poésie, mais plutôt de développer avec elle une poétique du territoire qui fasse se rejoindre les conceptions du territoire, de la nature et de la mémoire[30] des Premières Nations. Ce faisant, et bien qu’il mette en garde contre une romantisation de la relation entre les Français et les Autochtones à l’époque de la Nouvelle-France, réfléchissant depuis le prisme conceptuel de l’américanité, Létourneau flirte quelque peu avec le fantasme du métissage en inscrivant son ouvrage dans un désir de retour aux sources d’une culture autochtone, québécoise et, avant tout, américaine[31].

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Ainsi, la perspective historienne, l’approche identitaire, le concept de territoire, puis l’ancrage politique occupent une place prépondérante au sein des études autochtones au Québec, et deviennent même des notions fédératrices de courants de pensée dans la recherche en littérature, sous lesquels on pourrait assurément rassembler un grand nombre de mémoires, de thèses et, surtout, d’articles. Cela n’est pas étonnant puisque c’est tantôt la charge politique et territoriale forte des oeuvres qui s’actualise dans les études critiques, tantôt la volonté d’institutionnalisation d’une littérature qui mobilise les chercheuses et les chercheurs. Mais les textes littéraires d’auteur·rices inuit ou des Premières Nations se font aussi porteurs de savoirs culturellement ancrés, et sont, en quelque sorte, les dépositaires d’enjeux politiques tout autant qu’épistémologiques. Et c’est peut-être là qu’un autre courant se forme, en un lieu inexploré par les monographies écrites jusqu’à présent.

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Dans une perspective méthodologique, je veux ainsi, en conclusion, non pas défricher un autre terrain, voire repartir avec des critères nouveaux, mais ouvrir un questionnement légèrement différent. Je veux écouter, comme nous y engage la chercheuse anishinaabe Kimberly Blaeser dans le chapitre qu’elle signe dans Looking at the Words of Our People, un ouvrage fondateur des études littéraires autochtones dans le contexte anglophone au Canada, les voix critiques qui émergent des textes littéraires eux-mêmes[32]. Pour ce faire, je pense qu’il faut sérieusement prendre la mesure de ce que sont les études littéraires autochtones, et de ce que cela signifie que de considérer, comme le proposait l’intellectuelle et écrivaine stó : lō Lee Maracle, les récits comme des théories[33]. À partir de ces deux postures méthodologiques, je suis convaincue qu’il est possible de penser autrement la contribution des épistémologies et savoirs autochtones à la recherche, c’est-à-dire hors de l’institution universitaire, mais surtout de la production savante abordée ici par le truchement d’un regard posé sur les monographies dans le domaine, et donc d’envisager que les discours critiques, et avec eux les théories autochtones, ne se trouvent pas exclusivement dans des ouvrages scientifiques, ni même dans les récits oraux, mais aussi dans les écritures littéraires, même les plus actuelles. Celles-ci fourniraient en effet des visions du monde autres, pleinement ancrées dans les manières de faire et les savoirs autochtones. Cet angle permettrait non seulement de dresser un nouvel état des lieux des études littéraires autochtones, mais surtout de repenser cette rhétorique du « retard » québécois pour plutôt valoriser les savoirs littéraires et leur production au sein de ce territoire depuis des décennies.

En somme, considérer les textes littéraires eux-mêmes comme savoirs permet d’entrevoir autrement les courants critiques qui fondent les études littéraires autochtones au Québec, champ, voire discipline qui, malgré son statut toujours émergent, existe bel et bien. Il faut espérer que ce courant novateur qui reconnaît et valorise les savoirs contenus à même le littéraire, et défend une conception des littératures comme épistémologie, déjà porté par un certain nombre de travaux[34], s’affirmera. Une synthèse des approches mobilisées dans ces travaux susciterait un nouvel état des lieux qui permettrait de cerner plus largement et dans une réelle pluralité ce que sont les études littéraires autochtones au Québec, champ qui n’est assurément pas indépendant de la production littéraire des Premiers Peuples, mais qui s’élabore dans une relation épistémologique, celle d’une co-construction entre savoirs et textes littéraires.