Article body
En 1981, Nida publiait son désormais célèbre article, Translators are Born not Made, semant de ce fait la controverse au sein des formateurs de traducteurs. Vingt-cinq ans plus tard, les efforts déployés par les traductologues en vue de dégager les connaissances et les compétences mobilisées dans le cadre de l’opération de traduction viennent réfuter cette prise de position et montrent qu’il est réaliste d’enseigner – et possible d’apprendre – à traduire.
De la performance magistrale au télé-enseignement, l’enseignement de la traduction a fait l’objet d’innombrables conceptions didactiques et approches pédagogiques. S’il est un point qui semble faire l’unanimité, c’est celui de la difficulté associée à l’apprentissage de cette science artistique, cet art scientifique, ce métier qu’est la traduction. Si la partie artistique ou émotive demeure subjective, on tente de faire de la partie scientifique ou cognitive de la compétence traductionnelle un élément résolument objectif, au point d’être quantifiable et évaluable. La recherche de méthodologies dynamiques, sociales et efficaces occupe de nombreux « pédagotrads » comme Jean-Paul Vinay (Meta, vol. 20, nº 1, p. 8) se plaisait de qualifier les formateurs de traducteurs. Nous en avons trois beaux exemples dans ces pages.
Sans évaluation, il est difficile d’imaginer un diplôme ou un emploi; c’est dire l’importance du rôle de l’évaluation de la qualité en traduction. Néanmoins, les aspects docimologiques de l’enseignement de la traduction n’ont pas retenu l’attention à leur juste mesure. Et pourtant, la docimologie sert tant les apprenants que les formateurs. La difficulté consiste, on le sait, à dépasser l’impressionnisme, à surmonter la subjectivité qui caractérise encore trop souvent individus et institutions. La différence de critères d’exigence entre l’université et le marché du travail est une question qui, loin d’avoir été résolue, se pose avec une acuité croissante. Trois études de ce volume l’abordent.
L’avènement des technologies langagières a bouleversé les pratiques professionnelles et a obligé les universités à repenser certains aspects de leur enseignement. Il n’est toutefois pas certain que ces technologies fassent partie des préoccupations didactiques inéluctables. Si certaines technologies de l’information et de la communication (TIC) ont été assez facilement intégrées, d’autres n’en sont encore qu’au stade expérimental. Il est dès lors capital d’en discuter les apports mais aussi d’en cerner les limites et surtout les inconvénients. La place qu’on leur réserve au sein des programmes de formation en traduction a été, sous l’effet de la mode, parfois exagérée et d’autres fois volontairement minimisée. De nouveau, trois initiatives cernent cette veille technologique.
C’est donc la convergence de ces trois thèmes – pédagogie, docimologie et technologies –, étroitement liés, qui a suscité les travaux que nous réunissons ici. Ce premier volume abordera les deux premiers tandis que le second sera consacré d’abord à la question des relations université-employeurs et ensuite aux technologies de l’information.
Dans le volet pédagogie, le travail d’Amparo Hurtado constitue une excellente mise en situation. Responsable du projet PACTE (Université autonome de Barcelone) depuis plus de dix ans, Hurtado prône la formation par compétences. Elle assoit par conséquent la planification du cursus (curriculum) sur les notions de compétence et de tâche qu’elle définit, catégorise et applique à l’initiation à la traduction en langue maternelle. C’est un véritable tour d’horizon des défis de la pédagogie en traduction auquel elle nous convie, tout en offrant un cadre de mise en oeuvre applicable à tout environnement.
Álvaro Echeverri, doctorant à l’Université de Montréal, quant à lui, s’installe de plain-pied dans la salle de classe de traduction pour plaider en faveur de l’innovation. Il en examine les obstacles pour, ensuite, selon une approche constructiviste, encourager la formation de formateurs et la prise en compte de la métacognition et de la responsabilisation des apprenants (leur présence physique), puis explorer des formules propres à l’approche par compétences : énième plaidoyer pour un mariage entre les sciences de l’éducation et l’enseignement de la traduction qui ne devrait pas rester lettre morte.
In the same vein, Dorothy Kelly from the University of Granada insists on one of the human factors of translation pedagogy: the trainer. She highlights the gaps on the subject in translation studies, while illustrating the need to train the trainers thanks to the preliminary findings of an on-going research project. How interesting that the three authors who wrote on this topic come to the same conclusion: the need to define competencies and to make better use of what research in studies in education can teach us.
Le volet docimologie, le plus pauvre peut-être des parents de la traductologie, est couvert par trois études d’une nature assez différente, mais qui offrent un excellent état de la question et des questions posées. En premier lieu est abordée la question très difficile de l’évaluation de la traduction littéraire. Louise Audet† neutralise la subjectivité de l’évaluateur de traduction littéraire en posant les balises bien visibles de la littérarité. Selon une approche dynamique, elle suit le parcours de quatre traductrices oeuvrant sur une nouvelle hongroise. C’est autour de quatre axes (formel, sémantique, narratif et traductif) que s’articule l’analyse critique du rendu de la littérarité dans les traductions.
Encarnación Postigo from the University of Málaga presents a comprehensive panorama of evaluation and self-evaluation in interpretation. Basing her observations on a research project focusing on courses about/in consecutive interpretation, she demonstrates the benefits of self-evaluation as part of co-operative learning, both in terms of the students’ engagement in the learning process and of their performance. The evaluation grids suggested by the author can be adapted to fit various environments.
La question épineuse des relations nécessaires entre l’université et les employeurs est au coeur de ce troisième travail docimologique. Par l’examen d’une décision unilatérale du Bureau de la traduction du Canada, principal employeur de traducteurs au pays, Annie Brisset met au jour la faiblesse méthodologique des critères d’embauche du monde professionnel et les préjugés de ceux-ci à l’égard de la formation « théorisante ». Elle dénonce surtout la vision tayloriste de cette institution qui maintiendrait les traducteurs dans un statut d’infériorité professionnelle et sociale.
The section dedicated to technologies presents three very interesting experiments. The first one is on the use of machine translation in order to meet the needs of an official language minority community (Saskatchewan francophones, or Fransaskois). Using a survey, Lynne Bowker attempts to assess users’ perception of texts that are machine-translated, translated by a translator, or machine-translated then edited by a translator. This perception varies greatly among language professionals and non-professional users, the former being strongly opposed to the use of machine-translation. Such an aversion might be due to the way technologies are taught and presented as part of translator training.
Les deux autres expériences portent sur des outils technologiques conçus à des fins pédagogiques. La première est la mise en oeuvre d’un site de référence en biomédecine qui se justifie non seulement par l’expansion du secteur sur le marché de la traduction, mais aussi par la nécessité pour les futurs traducteurs de disposer d’outils ad hoc qui les aideront dans leurs décisions. Le site BiomeTTico favorise le repérage de problèmes, permet l’organisation et l’intégration des connaissances et offre des pistes de solution. Sylvie Vandaele, Mariana Raffo et Sylvie Boudreau font ici oeuvre de pionnières. Last but not least, another article from the University of Granada is also written by a team, that of Bryan Robinson, Clara I. López Rodríguez and Maribel Tercedor. Following the socio-constructivist approach, the authors have “scaffolded” their training efforts and merged technologies and pedagogy together. Various tools were co-operatively developed and implemented by students and trainers, including a scale of descriptors, visual and textual aids as well as corpora. Forums, on-line discussions, e-mails, among others, provided the means for interactive learning, and the data on which this study is based is drawn from these interactions.
Osons espérer que ces réflexions qui jalonnent le long fleuve TROP tranquille de l’enseignement et de l’apprentissage de la traduction en inspireront beaucoup d’autres.