Abstracts
Résumé
Cet article propose de s’interroger sur le rôle et les fonctions reliés à l’emploi de la thématique guerrière dans L’héroïne mousquetaire de Préchac. Il s’attarde principalement aux particularités de la représentation de la guerre dans la nouvelle galante, à ses dispositifs, à ses usages et à ses fonctions afin de dégager une possible « scénographie galante des récits de guerre ». L’hypothèse qui sous-tend l’analyse est la suivante : Préchac s’ingénie à renouveler sans cesse le genre de la nouvelle. Pour ce faire, l’une de ses stratégies d’écriture consiste à puiser des éléments factuels tirés de l’histoire guerrière et à insérer des descriptions des campagnes militaires mais en prenant soin de les adapter à l’esthétique de la nouvelle galante. En optant pour une réécriture galante de la guerre de Hollande, le but recherché par le nouvelliste serait d’obtenir l’assentiment de ses lecteurs, de se conformer à leur goût tout en ménageant des effets de nouveauté, mais aussi d’entrer dans les bonnes grâces du roi.
Abstract
This article aims to examine the theme of war and how it is used in Préchac’s L’héroïne mousquetaire. Its main focus is the particularities of war’s representation in galant short fiction, its devices, uses and functions, with a view to identifying a possible “galant scenography of war narratives.” The underlying hypothesis is that Préchac tries incessantly to renew the genre of the short story. To this end, one of his writing strategies consists of taking factual elements from war history, including descriptions of military campaigns, while carefully adapting them to the aesthetics of the short story. By opting for a galant rewriting of the Franco-Dutch War, the novelist sought to obtain the assent of his readers, to satisfy their taste while offering a certain novelty, but also, to enter into the king’s good graces.
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L’héroïne mousquetaire, histoire véritable[1], sans doute le texte le plus connu de Jean de Préchac, raconte les aventures galantes et guerrières de Christine de Meyrac, personnage qui se travestit en homme puis s’engage dans l’armée du roi de France sous le nom de Saint Aubin. Bien qu’elle dédaigne le sentiment amoureux et affirme n’éprouver de véritable passion que pour les armes, elle s’éprend profondément du marquis d’Osseira, un général de l’armée espagnole. Constamment séparés par les conflits guerriers opposant leurs nations, le marquis et Christine combattent pour leur patrie respective en attendant avec impatience les moments de se retrouver. Préchac présente à ses lecteurs le destin singulier et les aventures extraordinaires d’une femme « qui semble avoir oublié toute la foiblesse de son sexe, pour prendre la vigueur et la generosité du nostre » (HM, i, p. 3), et qui participe aux exploits guerriers de la famille de Bourbon au cours de la période allant de 1674 à 1678[2]. Galanterie, prouesses militaires, passion et ferveur patriotique sont donc au fondement même de l’intrigue.
Il suffit de feuilleter les premières pages de l’ouvrage pour constater l’omniprésence de la thématique militaire. En effet, Préchac met très clairement en relief la dimension guerrière qui traverse sa nouvelle : que ce soit par le choix du titre on ne peut plus explicite, L’héroïne mousquetaire, par la mise en scène d’un personnage qui est « née avec une passion […] violente pour les Armes, […] et [qui] dés l’âge de neuf ans […] se servoit de toute sorte d’armes à feu avec une adresse incroyable » (HM, i, p. 4-5), par le lieu où il débute l’action, soit le Béarn, région « soldatesque » qui est étroitement associée à la tradition militaire, en particulier à la Compagnie des mousquetaires[3], ainsi qu’à Henri iv, figure du roi guerrier par excellence, ou encore par la dédicace au comte de Louvigny, gouverneur de Navarre et Béarn, célèbre pour ses exploits guerriers. Partant de là, il nous a semblé pertinent de nous interroger sur le rôle et les fonctions reliés à l’emploi de la thématique guerrière dans la nouvelle de Préchac. Dans le cadre de cet article, nous nous attarderons principalement aux particularités de la représentation de la guerre dans la nouvelle galante, à ses dispositifs, à ses usages et à ses fonctions afin de dégager une possible « scénographie galante des récits de guerre ». L’hypothèse qui sous-tend notre analyse est la suivante : Préchac s’ingénie à renouveler sans cesse le genre de la nouvelle. Pour ce faire, l’une de ses stratégies d’écriture consiste à puiser des éléments factuels tirés de l’histoire guerrière et à insérer des descriptions des campagnes militaires mais en prenant soin de les adapter à l’esthétique de la nouvelle galante. En optant pour une réécriture galante de la guerre de Hollande, le but recherché par le nouvelliste serait d’obtenir l’assentiment de ses lecteurs, de se conformer à leur goût tout en ménageant des effets de nouveauté, mais aussi d’entrer dans les bonnes grâces du roi.
Le roi modèle
Jean de Préchac est un écrivain qui envisage l’écriture comme un levier de réussite devant lui ménager une certaine reconnaissance et assurer sa réputation. Cherchant à tout prix à se tailler une place à la cour au sein de l’entourage du roi, Préchac tâche de s’attirer la bienveillance du monarque. Pour ce faire, il puise dans l’histoire guerrière contemporaine et choisit de relater les hauts faits militaires qui mettent en évidence la suprématie de Louis xiv et de sa nation sur l’Europe[4]. Le récit des différents épisodes de la guerre de Hollande qui ponctuent la nouvelle est soigneusement écrit et donne lieu à des passages particulièrement lyriques faisant appel au patriotisme. Sorte de prouesse stylistique, ces morceaux choisis, lorsqu’ils sont pris isolément et mis bout à bout, s’apparentent à une épopée composée à la gloire du monarque régnant. L’emploi du style élevé, le récit des hauts faits d’arme, la vaillance d’un roi que rien ne saurait arrêter, les comparaisons et les hyperboles, tout, dans cet extrait, concourt à faire de Louis xiv un personnage plus grand que nature :
LOUÏS LE GRAND estoit aux Portes de la redoutable Ville de Valenciennes, qu’il assiegeoit dans une saison où les Heros des autres siecles n’avoient pas crû qu’il fust possible de mettre une Armée en Campagne ; surpassant en cela le Soleil, qu’il a pris pour sa devise, puisque le froid, les neiges et les glaçons, qui empêchent cét Astre de paroistre, n’ont pû retarder d’un seul jour les Victoires de cet invincible Conquerant.
HM, ii, p. 157-158
Plus encore, le récit des batailles ou des villes assiégées devient l’occasion de faire l’éloge de cet illustre monarque. La bravoure du roi, son génie militaire, sa valeur et ses actions extraordinaires en font un personnage héroïque (historique et romanesque) digne d’admiration, surpassant Alexandre et César[5]. Préchac prend bien soin de mettre en scène ces passages afin de retenir l’attention de son lecteur mais aussi de ménager des effets de surprise. Ainsi, il débute le récit de la prise de Cambrai en précisant que « [t]oute l’Europe avoit les yeux ouverts sur la marche de cette Armée victorieuse » (HM, ii, p. 190), signalant par là l’importance du passage à venir. Puis, il montre comment les actions militaires du roi déjouent les attentes du camp adverse, ce qui accroît sa gloire et sa renommée :
Mais cét incomparable Monarque n’ayant pas accoûtumé de quitter ses delicieux Palais pour borner sa campagne par la prise d’une seule Ville, quelque importante qu’elle puisse estre, redoubla l’étonnement et la surprise de tout le monde en allant fondre sur Cambray, ce mesme Cambray que l’Empereur Charles-quint fit fortifier avec tant de soin et de dépense, le siecle passé pour augmenter dans celuy-cy les trophées du plus grand, du plus sage, et du plus genereux Roy qui ait jamais esté.
HM, ii, p. 191-192
Cet éloge de « LOUÏS LE GRAND, qui n’a pas moins de clemence que de valeur » (HM, ii, p. 171-172), comporte également une dimension politique. De fait, le portrait du roi peint par Préchac correspond au modèle idéal du souverain qui fait preuve de clémence, de douceur, de sagesse, et de prudence[6]. L’auteur ne ménage pas les occasions pour souligner les vertus du roi, de même que l’excellence de sa conduite de l’État et de ses sujets. Citons à titre d’exemple ce passage qui loue et valorise du même coup la politique pacifiste pratiquée par Louis xiv lors de la prise de Saint-Omer :
Le Roy desir[ait] que ses Sujets du Boulonnois fussent délivrés des courses continuelles de garnison de Saint Omer, et qu’ils jouyssent par la prise de cette Place du soulagement que sa Majesté esperoit de donner à la Picardie par la conqueste de Cambray, et du repos que goûtent tranquillement les autres Provinces de son Royaume, dans la plus grande chaleur de la guerre.
HM, ii, p. 199-200
En présentant un roi qui préconise la paix et le maintien de l’ordre malgré le conflit qui oppose la France à l’Espagne, l’auteur met en avant les qualités qui le rendent digne de régner et l’érige en modèle. Ce portrait devient un moyen de déifier le roi en soulignant sa vertu et sa grandeur morale. Il annonce en cela l’iconographie de la Grande Galerie de Versailles où « le roi est figuré comme l’arbitre des conflits en Europe, initiant la guerre si nécessaire et offrant la paix si cela est possible[7] ». Louis xiv devient alors une noble figure d’exemplarité, il incarne le modèle du souverain légitime estimé par ses sujets. Le récit de la guerre de Hollande qui parcourt L’héroïne mousquetaire devient donc d’abord, sous la plume de Préchac, une façon de vanter les mérites du roi, de glorifier ses succès militaires et de l’ériger en modèle de conduite dans le but avoué de plaire au monarque et d’obtenir ses largesses[8]. En ce sens, il devient un autre relais permettant de faire circuler le message politique du roi. Ainsi que le constate Andreas Nijenhuis, nombreux sont les artistes à entreprendre le même projet. Il cite à titre d’exemple le programme iconographique de Charles Le Brun pour la Grande Galerie de Versailles dont
le sujet qui sert de glorification du prince relève de l’histoire immédiate : la Guerre de Hollande qui venait de se terminer y est relatée selon la vision officielle. Par ce choix, la Grande Galerie s’inscrit dans une véritable obsession de cette époque d’utiliser la Guerre de Hollande comme instrument de la glorification du roi. Les portes Saint-Denis et Saint-Martin, la décoration de l’Hôtel des Invalides et les multiples médailles frappées dans les années 1670 en témoignent[9].
Le lecteur modèle
Fait rare au xviie siècle, Jean de Préchac est un écrivain qui vit de sa plume[10], et qui, par conséquent, a à coeur de joindre un large public. Si le lectorat féminin semble aller de soi[11], les nobles soldats au repos, les guerriers en dentelle, ne lui sont pas acquis. L’auteur se donne donc pour mission de se rallier ce nouveau public et d’élargir, du même souffle, son lectorat. Pour ce faire, il puise dans l’actualité historique, soit la guerre de Hollande qui sévit. Il leur offre à lire le récit des campagnes militaires auxquelles ils ont pu participer, et la description des exploits guerriers accomplis par des gens qu’ils côtoient, voyant là un sujet susceptible de les intéresser et un moyen de leur plaire. En faisant appel à leurs connaissances des faits et des lieux, en les invitant à reconnaître les personnages, voire à s’y reconnaître, Préchac pique leur curiosité et cherche à obtenir leur adhésion. Deux éléments du texte témoignent clairement de cette intention de l’auteur. D’abord, la dédicace de la deuxième partie de L’héroïne mousquetaire. Adressée à Monseigneur le marquis de Dangeau, gouverneur de Touraine, l’épître cible précisément son public :
Les gens de la Cour, qui connoissent tous la solidité de vostre jugement, le [son ouvrage] trouveront à leur gré dés qu’ils apprendront qu’il est au vostre. Les gens de guerre qui vous voyent tous les ans parmy eux, portant les ordres de nôtre invincible Monarque, avec autant de valeur que de sagesse, applaudiront à ma petite Histoire, par l’estime qu’ils ont pour vous.
HM, ii, Épistre, n. p. ; en italique dans le texte
Fort de la protection du marquis de Dangeau, qu’il présente comme un lecteur modèle à imiter, et assuré d’obtenir la faveur de ses amis les gens de guerre, l’auteur prétend ne pas s’adresser aux savants ni solliciter leur appui, ainsi qu’on peut le lire dans le passage qui suit :
Et les gens de Lettres, et principalement Messieurs de l’Académie Françoise, qui seuls ont droit de decider de ces Ouvrages, ne l’examineront pas, et se contenteront de sçavoir qu’un de leurs membres, qui joint une naissance illustre à une profonde érudition, l’a trouvé de son goût.
HM, ii, Épistre, n. p. ; en italique dans le texte
Cette précision n’est pas anodine puisqu’en se dissociant des Académiciens et en présentant le noble soldat comme un « ami lecteur[12] », Préchac tente d’établir un lien social qui l’unit à son public. Il crée une certaine connivence entre lui et son lecteur, reposant en partie sur des goûts et des intérêts communs pour les sujets qui traitent de la guerre. En instaurant un rapport de gratitude et de reconnaissance réciproque — je reconnais ton goût en matière de littérature, tu reconnais la valeur de mon livre —, c’est bien entendu la bonne réception de son texte que Préchac cherche à assurer. Précisons cependant que cette dissociation n’est pas aussi radicale que l’auteur le prétend puisque, si Philippe de Courcillon, marquis de Dangeau, a été aide de camp de Louis xiv, il a aussi été élu à l’Académie française en 1668[13].
Deuxièmement, par une habile mise en abîme qui se met en place dès la troisième partie de la nouvelle et qui va se poursuivre jusqu’à la quatrième et dernière partie, le personnage de Christine de Meyrac rencontre au Palais un libraire qui vend un ouvrage intitulé L’héroïne mousquetaire, dans lequel elle se reconnaît et lit ses propres aventures. Pour ne pas être démasquée et se trahir en faisant voir l’intérêt particulier qu’elle porte à L’héroïne mousquetaire, soit à sa propre histoire, Christine, qui est alors travestie en Saint Aubin le mousquetaire, glisse la nouvelle de Préchac parmi d’autres ouvrages généraux traitant de la guerre. Par une sorte d’adéquation entre les fonctions et l’humeur, « son Habillement guerrier fit juger aux Libraires qu’il seroit peut-estre d’humeur d’acheter quelque Livre qui parlât de la Guerre » (HM, iii, p. 3). Ce que l’auteur met ici en abîme, en plus de sa propre nouvelle, c’est l’attitude du lecteur, ce noble soldat qui, en raison de ses fonctions militaires, sera forcément intéressé par un livre portant sur la guerre de Hollande, bien qu’il s’agisse d’une nouvelle et non pas d’un traité militaire, et qu’il aura, plus encore, envie de l’acheter : « on luy dit qu’il devroit du moins acheter l’Heroïne Mousquetaire. Un titre si extraordinaire ayant réveillé toute sa curiosité, il s’approcha d’une Boutique, et ouvrit le Livre qu’on luy presenta avec une précipitation qui marquoit l’impatience qu’il avoit de le voir » (HM, iii, p. 3-4). Par le biais de Christine/Saint Aubin, l’auteur propose au lecteur une conduite à adopter, il rend possible et justifie le fait qu’un militaire puisse avoir envie de lire et d’acheter une nouvelle de Préchac qui met en scène une héroïne mousquetaire. Stratégie de vente, publicité, autopromotion se conjuguent ici finement à la thématique guerrière qui se déploie tout au long de la nouvelle de Préchac pour cibler un nouveau lecteur, soit le guerrier en dentelle.
Vérité et exemplarité
En plus d’assurer la bonne réception du texte de Préchac, l’inscription du récit de guerre au sein de L’héroïne mousquetaire semble participer à la définition du genre de la nouvelle prenant la forme de « l’histoire véritable », et donc soulever des enjeux poétiques. L’auteur se dissocie ainsi du roman afin d’éviter les reproches qu’on adresse à ce genre. Par ce moyen, il cherche à orienter la réception de son texte tout en précisant sa conception du genre nouveau qui se met en place. La mention « Histoire véritable » placée en guise de sous-titre à L’héroïne mousquetaire en témoigne de manière éloquente puisqu’elle indique clairement au lecteur qu’il ne lira pas des aventures inventées à loisir mais plutôt des histoires qui se sont véritablement produites[14]. En rapportant fidèlement des faits connus de tous, en l’occurrence les prises des villes des Pays-Bas espagnols et les campagnes militaires menées par le roi, l’auteur pose un cadre véridique et crédible qui prédispose le lecteur à croire le récit des aventures de Christine qu’on lui propose. Préchac adosse donc sa nouvelle à l’histoire guerrière, il y puise des dates, des lieux, des hauts faits qui sont aisément vérifiables et donc véritables, il mentionne les témoignages et les sources sur lesquels il s’appuie afin de cautionner la vérité de son histoire[15]. Relatant la prise de Valenciennes, il précise toutefois qu’il n’écrit pas en historien et qu’il ne retient de l’histoire que ce qui a trait à son intrigue : « Je n’entreprendray point icy d’écrire les grandes actions qui se firent dans cette remarquable journée ; les Historiens feront leur devoir là dessus, et je n’en parle qu’autant que cela a de relation à mon Heroïne » (HM, ii, p. 164). S’il invoque cette raison pour éviter les longues descriptions ennuyeuses qu’on reproche au roman, et donc pour respecter l’impératif de brièveté[16] du genre de la nouvelle, on peut aussi y voir une porte de sortie lui ménageant un certain espace pour la fiction. C’est du moins ce que nous porte à croire ce passage où une lectrice de L’héroïne mousquetaire demande à Christine, qu’elle a reconnue comme étant l’héroïne de la nouvelle, de départager le vrai du faux dans les aventures qui circulent à son sujet : « La Duchesse la conjura de luy dire sincerement si tout ce qu’on avoit écrit d’elle estoit véritable. Christine luy expliqua ce qu’il y avoit de vray, et ce qui estoit de l’invention de l’Autheur. » (HM, iii, p. 51-52)
Jean de Préchac retient également la valeur d’exemplarité qu’on associe à l’histoire en général puisqu’elle propose des exemples édifiants de comportement moral et politique, et la transpose au sein de sa nouvelle. Les grands hommes de guerre et leurs actions admirables sont présentés comme autant de dignes modèles à suivre et à imiter, et ce, tant par les lecteurs que les personnages. Le cas le plus éloquent est certainement celui où Christine, à la lecture du récit de la campagne de Franche-Comté et des exploits de Monsieur de Jauvelle, ne respire plus que gloire. La lecture du récit écrit par Marmon lui inspire le désir de se travestir en Saint Aubin pour joindre les troupes et devenir un mousquetaire comme lui[17]. Plus loin, l’exemple du glorieux Maréchal de Luxembourg prenant Saint-Omer confirme Saint Aubin dans son choix de s’illustrer par les armes[18]. On le voit, cette exemplarité liée à l’histoire militaire est si efficace qu’elle sert de point de départ à toute la nouvelle et devient le moteur même de l’intrigue.
Vraisemblance et singularité
Les allusions à la guerre de Hollande qui ponctuent la nouvelle de Préchac jouent un rôle important au sein de l’économie du récit, tant sur le plan de la structure que de l’intrigue, en assurant sa vraisemblance et sa singularité. Dans un premier temps, les passages consacrés aux sièges et aux prises des principales villes des Pays-Bas mettent en relief la singularité des aventures de Christine de Meyrac. En narrant ses exploits militaires, la manière dont elle a pris part à la campagne, l’auteur souligne surtout en quoi son personnage surpasse les membres du sexe féminin, il en fait un personnage hors du commun. La réaction des membres de l’équipage d’un vaisseau espagnol à la suite des exploits accomplis par Christine lors d’un combat naval souligne bien cet étonnement : « le Capitaine et ses Officiers qui avoient esté toute leur vie dans cette erreur vulgaire, qu’une Femme n’estoit pas capable d’une action de valeur, furent dans le dernier étonnement de voir le courage et l’adresse de Christine » (HM, iii, p. 238). De même, la participation de Christine aux combats et les actions qu’elle accomplit pour se signaler sont présentées comme autant d’effets surprenants qui doivent piquer la curiosité du lecteur :
Je n’amuseray point icy le Lecteur par une description ennuyeuse d’un Combat naval ; je me contenteray de luy apprendre que Christine aimant beaucoup mieux aller en Espagne où elle se flatoit encore de revoir quelque jour le Marquis d’Osseyra, que non pas de tomber entre les mains des Turcs, fit des actions extraordinaires dans ce Combat, et ayant apperçeu un Soldat qui à peine sçavoit manier ses armes, elle les luy arracha des mains, et s’en servit si à propos, qu’elle contribua beaucoup à la honteuse retraite que les Turcs furent contraints de faire.
HM, iii, p. 236-238
En racontant le destin exceptionnel de Christine, Préchac cherche surtout à plaire à son public, friand de nouveautés. Dès le départ, l’auteur fait de l’étonnement et de la singularité un trait dominant de sa nouvelle, en invoquant l’humeur de Christine et son inclination naturelle pour les armes[19]. Son tempérament rend crédible sa participation à la guerre et le récit de ses exploits doit susciter l’admiration et l’adhésion du lecteur[20], principes qui sont au fondement même de la poétique de la nouvelle qui se constitue alors.
Dans un deuxième temps, le conflit qui oppose l’Espagne à la France vient alimenter l’antipathie que les personnages des deux nations nourrissent à l’égard des uns et des autres, ce que Préchac formule de manière explicite dans ce passage où Christine est attaquée par des écoliers espagnols : « ils ne purent s’empècher, par l’effet d’une antipathie naturelle que cette Nation a avec la nostre, de luy dire quelque injure, et de l’appeler plusieurs fois gavache[21] » (HM, i, p. 30-31). Les mauvais traitements qu’on leur inflige ou les injustices auxquelles ils doivent faire face s’expliquent en raison du contexte guerrier. À la suite de la prise de Saint Guilain, « les Espagnols tournerent toute leur rage contre des miserables François qui sont habituez en Espagne, sans épargner mesme ceux qui estoient naturalisez depuis trente ans » (HM, iv, p. 135). Préchac illustre ce fait par les persécutions que subit un marchand de Béarn, qui voit ses biens saisis en plus d’être accablé par les taxes qu’on lui impose abusivement. Les allusions à la guerre qui sévit confère de la vraisemblance à la nouvelle de Préchac, notamment en justifiant la conduite des personnages, tout en alimentant l’action puisque le conflit militaire provoque des situations potentiellement dangereuses pour les personnages ; la tension qui en résulte vise à tenir le lecteur en haleine.
Dans un troisième temps, l’intrigue de Préchac suit de près les mouvements de l’armée car ils dictent les déplacements des personnages et motivent aussi bien leur présence que leur absence, voire leur disparition. Invoquer les mouvements d’une troupe militaire devient un procédé pratique et bien commode, en particulier dans le cas des personnages secondaires. Les obligations liées aux fonctions militaires qu’ils occupent permettent à l’auteur de les faire apparaître quand ils doivent faire progresser ou rebondir l’intrigue, c’est-à-dire quand ils doivent servir ou desservir la cause des amants, puis de justifier leur absence quand il n’a plus besoin d’eux. Les exemples sont nombreux dans le texte : pensons seulement à la marche providentielle des troupes de France qui permet à Salazar de se rendre auprès du gouverneur des Pays-Bas, d’y retrouver Christine, d’alimenter la jalousie du marquis d’Osseira pour finalement brouiller les deux amants[22], ou à la rencontre inopinée à la cour du roi d’Espagne entre Christine et Dom Philippe, cet ancien amant et rival étant « revenu depuis deux jours de l’armée de Catalogne, où il avoit quelque Commandement » (HM, iv, p. 15-16). Les personnages eux-mêmes tirent avantage de cet expédient, prétextant leurs charges militaires pour fuir ou s’éloigner d’un personnage importun. C’est le cas de Christine travestie en Saint Aubin qui essaie de détourner Marianne du projet de mariage qu’elle a formé avec lui et des sollicitations pressantes de sa famille à cet égard : « il leur fit entendre pour s’en défaire, qu’il ne pouvoit se dispenser de suivre l’Armée dans un commencement de campagne, sans perdre le peu de gloire qu’il s’estoit acquise, et l’estime de tous ceux qui le connoissoient » (HM, ii, p. 187). En soulignant l’incidence des conflits militaires sur les conflits personnels, Préchac veille à la singularité et à la vraisemblance de son récit, tout comme en faisant coïncider les mouvements de l’armée en guerre avec les déplacements des personnages de sa nouvelle, il lui insuffle une dynamique puisqu’elle dicte les entrées et les sorties de ses personnages.
Amour et guerre
La prédominance accordée à la thématique amoureuse et aux préoccupations galantes au sein de la nouvelle de Préchac nous incite à nous interroger sur le rôle et l’importance de la guerre dans un tel texte. A priori, rien n’est plus éloigné du badinage amoureux que la guerre. En ce cas, est-il possible que Préchac subordonne les préoccupations militaires aux inquiétudes amoureuses ou alors qu’elles s’inscrivent dans la logique du service amoureux ? Telle est la question que nous souhaitons à présent explorer. À quelques reprises dans le texte, on voit des personnages s’engager dans l’armée par dépit, à la suite d’une déception amoureuse. Si les femmes se réfugient traditionnellement dans les couvents[23], il semble que les personnages masculins embrassent plus volontiers le métier des armes. Une exception toutefois, et elle est de taille, celle de Christine qui, se croyant délaissée par le marquis d’Osseira, essaie d’oublier son chagrin en combattant : « La vie Religieuse ne l’accommodoit pas non plus, et n’en trouvant pas, aprés mille reflexions, de plus conforme à son humeur et à son inclination que celle de la guerre, elle fit une forte resolution de passer sa vie dans les Armes » (HM, ii, p. 153). L’auteur, par ce renversement de convention, crée donc un effet de surprise qui doit plaire au lecteur et qui prouve, si besoin est, la singularité de son personnage. De manière plus convenue, partir à la guerre peut devenir un moyen détourné et sans doute plus acceptable de se venger du mépris amoureux, à la manière de Dom Philippe qui prétend tirer réparation de la froideur de Christine à son égard en prenant les armes contre sa nation : « il alla demander de l’employ au Duc de Saint Germain, Viceroy de Catalogne, peust-estre pour avoir occasion de se vanger sur d’autres François des mauvais traittements qu’il pretendoit avoir receu de la cruauté de Christine » (HM, i, p. 93). Dans cet extrait, Préchac superpose habilement les troubles intérieurs aux troubles extérieurs, et présente le service militaire comme un moyen pour son personnage de fuir les déceptions amoureuses tout en préservant son honneur et sa dignité.
Plus généralement, les allusions au contexte guerrier servent à nouer l’intrigue de la nouvelle en provoquant des obstacles auxquels les amoureux sont confrontés. Les divers mouvements des troupes militaires sont autant d’alarmes pour les amants qui sont sans cesse éloignés l’un de l’autre. L’inquiétude de Christine, lorsque le marquis lui annonce qu’il projette de prendre Charleroi, est palpable dans ce billet : « Je suis tres-satisfaite de vos Lettres, elles sont toujours fort passionnées : Mais que vous m’allarmez, en m’aprenant que vous allez faire un Siege ! Je tremble pour vous que le succés ne réponde pas à vos esperances. De grace ne songez qu’à m’aimer, cette conqueste vous est seûre, et l’autre est fort incertaine. » (HM, iii, p. 106-107 ; en italique dans le texte) Les séparations et les retrouvailles entre Christine et le marquis d’Osseira sont dictées par les batailles qui opposent leurs nations. Le marquis, qui désespère de cette guerre qui n’en finit plus, s’exclame en ces termes : « je ne songe qu’à vous. Cette Campagne me dure un Siecle. Pourquoi faut-il que les progrés imaginaires de nostre Armée retardent ceux de mon amour ? » (HM, iii, p. 104-105 ; en italique dans le texte) Ajoutons à cela le fait que la guerre qui sévit et les villes occupées compliquent encore davantage la réunion des amants. On s’en doute, la guerre devient un obstacle qui retarde les retrouvailles et qui augmente le péril qui s’y rattache. La question qui hante les amants est alors la suivante : comment se retrouver dans une ville ennemie sans se faire prendre ? La guerre évoquée ici favorise surtout l’invention romanesque en incitant les personnages à trouver divers expédients pour arriver à leur fin, qu’il s’agisse de se déguiser ou d’employer la ruse. Le marquis d’Osseira, impatient de retrouver Christine, mesure bien le danger auquel il s’expose s’il entre à Lille. Cependant, son amour lui inspire ce plan infaillible :
Il fit demander un passeport à Monsieur le Maréchal d’Humieres, sous le nom d’un Marchand de Bruxelles, qui alloit trafiquer à Lisle : et ayant fait provision de quelques points d’Angleterre, les plus beaux qu’il pust trouver, il prit le chemin de Lisle, et n’eut pas de la peine à se faire introduire chez la Duchesse, sous pretexte de vendre ses points.
HM, ii, p. 59-60
À ce titre, la guerre devient un terreau fertile pour Préchac qui cherche à présenter une histoire d’amour empreinte de nouveauté et de singularité.
De même, la distance qui les sépare favorise l’échange de billets galants entre les amants qui n’ont que ce seul moyen pour communiquer. Le climat de guerre leur permet d’avouer sans fard leurs sentiments ; ne sachant pas ce que l’avenir leur réserve, ils déclarent sans plus attendre leur amour. Dans une lettre qu’il adresse à Christine qui est alors à Valenciennes, le marquis déplore l’omniprésence de la guerre dans leurs écrits :
Je vous suis extrémement obligé de vos frayeurs, c’est le plus grand mal qu’ait fait nostre Armée ; les mauvais succés ne nous étonnent plus, ils ont tourné en habitude parmy nous. […] Mais pourquoy faut-il que nos Billets qui ne devroient estre remplis que de tendresse et de douceur, parlent toûjours de guerre ?
HM, iii, p. 123-124 ; en italique dans le texte
Guerre et amour sont donc des sujets féconds qui alimentent la plume des amants et qui permettent à Préchac d’insérer de nombreux billets tout au long de sa nouvelle, pour varier les formes afin de divertir son lecteur[24]. Ainsi, la guerre fournit un cadre propice aux propos galants, aux baisers volés, aux rendez-vous secrets, et rend d’autant plus touchantes les retrouvailles entre les amants qu’elles sont brèves et faites à la dérobée. De plus, l’éloignement serait un moyen de mettre à l’épreuve la constance et la fidélité de l’amant. Partir à la guerre alors qu’on est amoureux devient une sorte de test ultime qui rend les amants encore plus dignes d’être aimés ; la séparation leur permet de prouver leur vertu, leur valeur mais surtout la sincérité de leur amour.
Par ailleurs, les dangers inhérents à la guerre font craindre pour la vie de la personne aimée. Les périls auxquels les amants s’exposent nourrissent une tension constante dans le texte, puis ils donnent lieu à des moments fort tendres et touchants au cours desquels les amoureux s’incitent mutuellement à la prudence et au ménagement. Ce billet dans lequel Christine implore son amant de partir malgré ce qui lui en coûte fait bien sentir au marquis d’Osseira toutes les inquiétudes de sa maîtresse : « Je ne sçaurois vous voir icy sans frayeur, mettez-vous en sureté si vous m’aymés, et ne tardez pas un moment à partir d’un lieu si dangeureux pour vous […]. Encore une fois, partez incessamment, et songez que mon repos dépend de vôtre sureté » (HM, ii, p. 68-69 ; en italique dans le texte). Préchac a donc recourt à la guerre pour favoriser les moments lyriques et pathétiques dans sa nouvelle, pour alimenter le chagrin et les larmes de ses personnages. Parallèlement à cela, l’amour provoque de grandes actions guerrières, il explique et justifie certains gestes posés par les personnages au sein de l’armée. L’exemple le plus probant étant certainement celui de Saint Aubin qui, à la suite de la bataille de Saint-Omer, sauve la vie du marquis d’Osseira, alors qu’il est fait prisonnier par les Dragons et voué à être exécuté, sous prétexte de le mener à Monsieur le Maréchal de Luxembourg[25]. C’est son amour pour lui qui l’incite à faire des démarches qui sont contraires aux intérêts de sa nation. La dévotion amoureuse exacerbe donc la bravoure guerrière qui donne lieu à des prouesses héroïques.
Guerre, gloire et tragédie
La mise en récit de la guerre de Hollande dans L’héroïne mousquetaire semble avoir une autre fonction essentielle : elle est au fondement du conflit tragique qui traverse et structure l’ensemble de la nouvelle. On serait tenté d’affirmer que Préchac n’hésite pas à revisiter le dilemme cornélien et à l’adapter à la poétique de la nouvelle galante afin d’en tirer profit et d’assurer le succès de son texte. Par prudence, nous nous contenterons d’esquisser quelques rapprochements. À l’image des héros cornéliens, les personnages de Préchac sont amoureux de la gloire[26] : leur sens du devoir l’emporte (ou doit primer) sur leur passion[27], ce qui est à la source d’un profond déchirement intérieur. Ils s’engagent dans l’armée afin de se distinguer par leurs exploits et se couvrir de gloire. Si l’ambition les anime, ils y voient aussi le moyen le plus assuré de se rendre digne d’être aimé. À preuve, Christine invite Marmon à obtenir la grâce du roi en se couvrant de gloire au sein de l’armée, persuadée « que puis que le Roy commandoit les Armées en Personne, il luy seroit aisé de se faire connoître de ce Grand Prince, par quelque action d’éclat et de distinction, dont il pouvoit s’assurer qu’elle seroit le prix, qu’aussi bien c’estoit le seul chemin pour arriver à son coeur » (HM, i, p. 118). Sans hésiter, Marmon suit la voie tracée par Christine et tâche de se rendre digne d’en être aimé en accomplissant des exploits guerriers[28]. À défaut de gagner son coeur, il se méritera son estime. Inversement, prendre part à la guerre peut s’apparenter à une sorte de fuite honorable, un moyen de se consoler des insuccès de ses amours. La résolution de Christine de s’illustrer par les armes et de renoncer à sa passion, croyant avoir sujet de se plaindre du marquis d’Osseira, est on ne peut plus claire à ce sujet : « [Saint Aubin] l’assura que cette Lettre l’avoit déterminé à prendre le party des armes, avec resolution de n’estre jamais sensible qu’à la Gloire » (HM, ii, p. 197-198).
Par ailleurs, la question tragique qui hante le marquis d’Osseira et Christine tout au long de la nouvelle est la suivante : comment épouser l’ennemi du roi ? Le dilemme intérieur auquel les personnages doivent faire face conjugue amour et gloire et peut se formuler ainsi : peut-on aimer l’ennemi sans trahir son roi ? Lorsque le marquis propose à Christine de l’épouser, celle-ci lui fait part de ses hésitations, exposant du coup, l’impossibilité de concilier à la fois devoir et passion :
Elle luy avoüa, un peu troublée, qu’elle n’y avoit nulle repugnance ; mais qu’elle sentoit bien qu’il luy seroit impossible de se resoudre à épouser un ennemy du Roy. Quoy, voudriez-vous donc, interrompit le Marquis, que je trahisse mon Prince et ma Patrie ? Je ne suis pas si injuste, repliqua Christine, je ne vous crois pas capable d’en avoir la pensée, et je vous en estimerois beaucoup moins si vous l’aviés euë.
HM, ii, p. 63-64
À l’opposition des familles au mariage entre Christine et le marquis en raison du conflit qui oppose leurs nations, se superpose la crainte d’être perçu comme un traître à sa patrie. D’ailleurs, cette menace est bien réelle dans le récit, elle est présentée comme le défaut de cuirasse de Christine et du marquis, faille que leurs ennemis n’auront de cesse d’exploiter. C’est le cas du capitaine de l’armée qui, ayant découvert le commerce épistolaire entre Saint Aubin et le marquis d’Osseira, profite de la situation pour discréditer le mousquetaire qui lui fait ombrage et obtenir les bonnes grâces du roi : « Le Capitaine surpris de cette nouveauté, ne doutant point que ce commerce ne fut contre les intérests de l’Etat, ressentit une joye secrete d’avoir une occasion de se mettre l’esprit en repos sur Saint Aubin, sous prétexte du zele qu’il témoigneroit pour le service du Roy » (HM, iii, p. 165). Les conséquences sont graves pour Saint Aubin puisqu’après la découverte de restes des lettres brûlées dans sa chambre[29], on le croit criminel, il est fait prisonnier et il est accusé de haute trahison. Aimer l’ennemi en temps de guerre, c’est donc accepter de mettre sa vie en péril.
La dimension tragique que la guerre confère à la nouvelle atteint son apogée à la toute fin du récit. Ayant appris le mariage du marquis d’Osseira avec la nièce de la duchesse d’Arschot, Christine « aima mieux chercher les occasions de perir glorieusement dans les armes » (HM, iv, p. 244-245). Conformément à son caractère et à son humeur, elle choisit de se réfugier à l’armée plutôt qu’au couvent, espérant par ce moyen mettre rapidement un terme à sa douleur : « nostre Heroïne […] cherchoit moins a se distinguer par une valeur temeraire, qu’à perir par les mouvemens de son desespoir » (HM, iv, p. 246). Participer à la guerre fait espérer à Christine une fin honorable et peut-être même glorieuse. Elle ne se suicidera pas, suivant en cela les lois de l’Église et de la bienséance, mais elle trouvera la mort au combat. Sans doute peut-on voir dans cette fin tragique, une sorte de catharsis puisque Christine est punie pour avoir osé se travestir et outrepasser les règles de conduite et les lois de son sexe. En ne lui permettant pas de se marier avec celui qu’elle aime et en la faisant mourir, Préchac sanctionne de manière définitive ses écarts de conduite. L’auteur respecte ainsi la loi du genre de la nouvelle[30], tout en la faisant mourir en digne héroïne de tragédie.
Conclusion
À la suite de ce rapide parcours, on constate que la réécriture de la guerre de Hollande qui traverse l’ensemble des quatre parties de L’héroïne mousquetaire est au coeur de nombreux enjeux, et qu’elle occupe plusieurs fonctions. D’abord, elle contribue à la glorification du roi de manière explicite et reconnaissable, le portrait du monarque peint par Préchac se prêtant à la fois à une lecture apologétique et politique. Pour reprendre les propos d’Andreas Nijenjuis : « [l]’affirmation des qualités personnelles du Prince et la description de sa conduite en roi de guerre sont les deux éléments principaux du discours de glorification. Ainsi, la Guerre de Hollande fournit le cadre de la démonstration de la supériorité de la France Louis-quatorzienne[31]. » Ensuite, elle s’inscrit dans une stratégie à peine voilée visant à assurer la bonne réception de la nouvelle et à élargir son lectorat. Le choix de ce sujet tiré de l’histoire contemporaine permet à l’auteur de cibler un nouveau lecteur : le guerrier en dentelle.
Parallèlement à cela, adosser sa nouvelle à l’histoire guerrière contemporaine invite Préchac à préciser sa pratique d’écriture. Les remarques du narrateur qui ponctuent les récits de batailles de même que l’usage maîtrisé qu’il en fait, participent à l’élaboration de la poétique de la nouvelle galante, et plus particulièrement à la forme de l’histoire véritable. Les allusions à la guerre de Hollande sont mises au service de la vérité, de l’exemplarité, de la vraisemblance et de la singularité du récit. Plus encore, la transposition du récit de guerre dans une nouvelle galante favorise l’invention romanesque. Déployer la thématique guerrière tout au long de son récit et poser la guerre de Hollande comme cadre aident Préchac à renouveler la topique romanesque des parfaits amants. Les personnages principaux ne sont pas de jeunes amants qui s’aiment malgré l’opposition de leurs parents, mais bien un général de l’armée et une mousquetaire que leurs nations en guerre séparent. Les amants, toujours dans l’attente de se retrouver, et vivant constamment avec la peur de se perdre, font preuve de constance et de fidélité. Ils s’ingénient à trouver des moyens de s’écrire et de se revoir. Les campagnes militaires que Préchac insère dans sa nouvelle créent un effet de retardement et de suspens dans l’intrigue. Elles se présentent comme un obstacle majeur au bonheur des amants. L’attente et la séparation en temps de guerre deviennent d’autant plus dangereuses qu’elles ouvrent la porte aux mésententes et aux quiproquos qui ne tardent pas à suivre, pour finalement compromettre le mariage tant désiré. À l’évidence, combiner les enjeux militaires et les préoccupations amoureuses contribue à revivifier l’intrigue, à attiser le commerce galant, tout en favorisant, au sein du texte, la variété des formes (récit, billets, dialogues), des tons et des styles (pathétique, terrifiant, touchant, lyrique, héroïque). Voilà autant de moyens déployés par Préchac pour plaire à son public, friand de nouveauté et de galanterie. Enfin, la passion pour les armes et pour la gloire confère une sorte de théâtralité à la nouvelle en renouant avec le dilemme tragique où le devoir doit primer sur l’amour. Le grand mérite de Préchac serait donc d’avoir décelé la fécondité d’un tel sujet et d’avoir mis à profit ses divers usages au sein de L’héroïne mousquetaire, ce qui explique d’ailleurs le succès retentissant de ce texte et sa fortune littéraire[32].
Appendices
Note biographique
Roxanne Roy est professeure en histoire littéraire des xviie et xviiie siècles à l’Université du Québec à Rimouski. Elle a publié L’art de s’emporter. Colère et vengeance dans les nouvelles françaises (1661-1690) dans la collection « Biblio 17 » (Gunter Narr Verlag, 2006). Elle a dirigé le dossier « Marc Fumaroli. Rayonnement d’une oeuvre » pour la revue Oeuvres et critiques (2007), ainsi que le dossier « Le théâtre de la nouvelle : de la Renaissance aux Lumières » pour la revue Tangence (été 2011). En collaboration avec Claude La Charité, elle a codirigé Femmes, rhétorique et éloquence sous l’Ancien Régime (Presses de l’Université de Saint-Étienne, 2012), et le dossier « Henri iii à l’école de la rhétorique », (Rhetorica, 2015). Elle prépare également une édition de L’héroïne mousquetaire et autres nouvelles de Jean de Préchac (à paraître chez Champion, coll. « Sources classiques »). Ses recherches portent actuellement sur « La dimension dramaturgique de la nouvelle en France au xviie siècle » et sur « Henri iii et l’idéal de la toute-puissance de la parole éloquente », sujets auxquels elle a consacré quelques articles récents.
Notes
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[1]
Jean de Préchac, L’héroïne mousquetaire, histoire véritable, 4 parties, Paris, Theodore Girard, 1677-1678. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle HM, suivi du tome et de la page, et placées entre parenthèses dans le corps du texte.
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[2]
Pour mémoire, rappelons les principaux épisodes relatés par Préchac : au début de l’année 1674, Louis xiv décide de concentrer son offensive sur la Franche-Comté, qui était alors toujours entre les mains des Espagnols. Louis xiv, aidé de François Henri de Montmorency-Bouteville, maréchal de France, s’empare de Besançon en mai 1674, puis il prend Dole au cours du mois de juin. Le roi rentre à Paris à l’issue de cette campagne victorieuse. Ensuite, Louis xiv s’empare de Dinant, puis de Huy et Limbourg (mai-juin 1675), François Henri de Montmorency-Bouteville s’empare de Valenciennes (mars 1677), victoire de Monsieur, Philippe d’Orléans, sur Guillaume iii d’Orange lors de la bataille de la Peene, l’armée royale s’empare alors de Saint-Omer, de Cassel, Bailleul, et Ypres (avril 1677), prise de Cambrai (mai 1677). L’année suivante, Louis xiv entre très tôt en campagne (février 1678), il se dirige vers la Lorraine afin de tromper ses ennemis, puis marche vers la Flandre, il s’empare de Gand puis d’Ypres (mars 1678). Précisons que la nouvelle se termine peu de temps avant que la paix de Nimègue soit finalement signée le 10 août 1678.
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[3]
Voir à ce sujet : Joseph Miqueu, Le Béarn des mousquetaires et des soldats du roi, Navarrenx, Cercle Historique de l’Arribère, 2012.
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[4]
L’exemple de Préchac sera suivi, puisque trois autres nouvelles historiques, parues anonymement, prennent pour cadre la guerre de Hollande. Il s’agit de La belle Hollandoise. Nouvelle historique, Lyon, Jacques Guerrier, 1679 ; La fugitive ressuscitée. Nouvelle galante et historique, Genève, Jean-Louïs Du-Four, 1688 ; L’illustre mousquetaire, Paris, M. Brunet, 1697.
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[5]
Marmon, dans une lettre adressée à Christine à la suite de la conquête de Franche-Comté, décrit le roi en ces termes : « [il] s’étendit dans cette lettre sur la valeur, la conduite et les soins de l’Infatigable Louis le Grand, qui efface par des actions heroïques, et connuës de toute la Terre, tout ce que l’Histoire nous a laissé des Alexandres, et des Cesars, et tout ce que la fable a controuvé de tant de Heros imaginaires, exagerant le bon-heur et la satisfaction de ceux qui servent un Monarque si vertueux » (HM, i, p. 121). Sur le caractère exemplaire de la figure de César et sur sa postérité littéraire à la Renaissance, voir l’article de Louise Frappier, « L’exemplarité de Jules César dans la tragédie humaniste : Muret, Grévin, Garnier », Tangence, no 104 (L’exemplarité de la scène : théâtre, politique et religion au xvie siècle, dir. Louise Frappier et Anne C. Graham), 2014, p. 107-136.
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[6]
Voir en particulier ce passage qui loue l’absence de cruauté chez le roi : « La clemence du Roy (qui se contenta de prendre les troupes qui y estoient en garnison prisonniers de guerre, sans vouloir profiter du droit de la victoire sur des malheureux qi avoient tres-bien fait leur devoir) » (HM, i, p. 181-182). Voir également ce passage dans lequel Préchac affirme que la manière de gouverner sans le recours à la violence assure la renommée du roi et le rend estimable aux yeux de tous, même de ses ennemis : « la connoissance qu’ils [les Espagnols] ont des eminentes vertus, et du doux gouvernement de LOVYS LE GRAND » (HM, ii, p. 108-109). Jean de Préchac semble avoir retenu la leçon proposée par Sénèque dans son ouvrage sur la clémence (Sénèque, De la clémence, éd. et trad. de François Préchac, Paris, Les Belles Lettres, 1961), et poursuivre l’enseignement que l’on trouve dans les traités politiques ou les miroirs des princes qui font de la clémence une « vertu princière ».
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[7]
Andreas Nijenhuis, « La Guerre de Hollande (1672-1678) et la glorification de Louis xiv à Versailles », dans Jean Garapon (dir.), Armées, guerre et société dans la France du xviie siècle. Actes du viiie colloque du Centre International de Rencontres sur le xviie siècle, Nantes, 18-20 mars 2004, Tübingen, Gunter Narr Verlag, coll. « Biblio 17 », vol. 167, 2006, p. 300.
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[8]
Selon Armand de Dufau de Maluquer, L’héroïne mousquetaire a été écrite « pour distraire le Grand Roi et Monsieur et célébrer leurs victoires qui étonnaient l’Europe » (« Jean de Préchac, auteur de L’héroïne mousquetaire », Bulletin de la société des Sciences, Lettres et Arts de Pau, iie série, t. 38, 1910, p. 282). La stratégie a été assez efficace puisque Préchac, à défaut d’être un protégé du roi l’est de Monsieur. En effet, Préchac, qui occupe le poste de Lecteur du duc d’Orléans depuis 1676, se voit alors confier la tâche d’enseigner l’espagnol à sa fille, Marie-Louise d’Orléans, reine d’Espagne. Fort de cette promotion, il compose Le voyage de la reine d’Espagne (1680) à son intention.
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[9]
Andreas Nijenhuis, « La Guerre de Hollande (1672-1678) », art. cité, p. 318-319.
-
[10]
Jean de Préchac avoue explicitement à la toute fin de La noble Vénitienne ou la Bassette, histoire galante : « L’auteur ayant perdu quelque argent à la bassette, a trouvé moyen de se dédommager en faisant un livre sur la bassette, dont il a retiré la meilleure partie de ce qu’il avait perdu » (Paris, compagnie des Libraires associés, 1678, p. 186).
-
[11]
Du moins, c’est ce qu’il affirme dans ses épîtres et avis aux lecteurs : « Et comme c’est le beau Sexe qui decide ordinairement de ces petits Ouvrages, j’ay sujet de croire qu’avec la protection du Seigneur de la Cour le plus galand, et de la meilleure mine, qui est le mieux avec les Dames, on aura du moins de l’indulgence pour ma petite Histoire, puisque je ne l’ay écrite que pour vous divertir » (HM, i, n. p.). Cette dédicace fait appel à une forme de protectorat qui garantira le succès de l’oeuvre, mais s’inscrit aussi au coeur d’une vaste entreprise de séduction, ainsi que le remarque Delphine Denis : « elle [l’instance féminine] représente à l’évidence le paradigme d’un lectorat mondain, moderne et citadin, dont elle assume les reproches inégalement fondés d’ignorance, de “naïveté” […] et de frivolité. » (Le Parnasse galant. Institution d’une catégorie littéraire au xviie siècle, Paris, Honoré Champion, 2001, p. 312.)
-
[12]
Nous empruntons cette notion à Éric Méchoulan, « L’ami lecteur : sentiment littéraire et lien social », dans Julia Chamard-Bergeron, Philippe Desan et Thomas Pavel (dir.), Les liens humains dans la littérature (xvie-xviie siècles), Paris, Classiques Garnier, coll. « Colloques, congrès et conférences sur la Renaissance européenne », 2012, p. 263-276.
-
[13]
Lors de son entrée à l’Académie française, il est considéré comme un érudit et un protecteur des gens de lettres, un allié de Boileau, mais il n’a rien écrit. Il rédige son Journal à partir de 1684 et ce jusqu’à sa mort en 1720, relatant essentiellement la vie à la cour de Versailles à la fin du règne de Louis xiv. L’édition posthume paraît à Paris en 19 volumes entre 1854 et 1860. (Dangeau, Philippe de Courcillon, marquis de, Journal du marquis de Dangeau, avec les additions du duc de Saint-Simon, éd. Eudore Soulié, Louis Étienne Dussieux, Philippe de Chennevières, Paul Mantz et Anatole de Montaiglon, Paris, Firmin Didot, 1854-1860, 19 vol.)
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[14]
Segrais, dans ce célèbre passage où il envisage la distinction entre la nouvelle et le roman, le fait déjà en termes de vérité (historique) et de vraisemblance (poétique) : « Il me semble que c’est la différence qu’il y a entre le roman et la nouvelle, que le roman écrit ces choses comme la bienséance le veut et à la manière du poète, mais que la nouvelle doit un peu davantage tenir de l’Histoire et s’attacher plutôt à donner des images des choses comme d’ordinaire nous les voyons arriver que comme notre imagination se les figure » (Jean Regnault de Segrais, Les nouvelles françaises ou les divertissements de la princesse Aurélie [1656-1657], Paris, Société des textes modernes français, 1990-1992, 2 vol., p. 99).
-
[15]
On voit un exemple de ce dialogue complice avec le lecteur faisant appel au partage de sources historiques communes à propos de la bataille menée par Philippe de France à Saint-Omer : « On a veu un détail si fidele et si bien escrit de cette glorieuse Bataille, que je n’en pourrois rien dire qui approchast de ce qui a déja paru » (HM, ii, p. 212).
-
[16]
Il semble que le lecteur se soit lassé des longs romans et que l’évolution des goûts et des sensibilités ait exigé un genre plus bref qui corresponde davantage à l’intérêt des lecteurs. C’est du moins ce que constate Charles Sorel dans De la connoissance des bons livres : « Il faut que nous considérions encore que depuis quelques années les trop longs romans nous ayant ennuyés, afin de soulager l’impatience des personnes du siècle, on a composé plusieurs petites histoires détachées qu’on a appelées des nouvelles ou des historiettes. Le dessein en est assez agréable ; on n’a pas tant de peine qu’à comprendre et à retenir une longue suite d’aventures mêlées ensemble » (De la connoissance des bons livres [1671], Roma, Bulzoni, 1974, p. 158). Il tenait déjà le même propos dans sa Bibliothèque françoise [1667], Genève, Slatkine Reprints, 1970, p. 178-181. Nombreux sont les auteurs qui reprennent et partagent cet avis : Nicolas-Pierre-Henri de Montfaucon, dit abbé de Villars, « Dialogue 1 », De la délicatesse, Paris, Claude Barbin, 1671, p. 1-79 ; Jean Antoine de Charnes, Conversations sur la critique de La Princesse de Clèves [1679], dans Camille Esmein (éd.), Poétiques du roman, Paris, Honoré Champion, 2004, p. 676 ; Du Plaisir, Sentiments sur les lettres et sur l’histoire avec des scrupules sur le style [1683], Genève, Droz, 1975, p. 44-45 ; Mme de Pringy, Les différents caractères de l’amour [1685], dans Nouvelles du xviie siècle, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1997, p. 1115 ; Eustache Le Noble, Ildegerte, reine de Norvège, « Au lecteur », dans Nouvelles du xviie siècle, ouvr. cité, p. 1117 ; Abbé Morvan de Bellegarde, Lettres curieuses de littérature et de morale [1702], dans Günter Berger, Pour et contre le roman. Anthologie du discours théorique sur la fiction narrative en prose du xviie siècle, Paris/Seattle/Tübingen, Papers on French Seventeenth Century Literature, 1996, p. 204 ; Nicolas Lenglet-Dufresnoy, De l’usage des romans [1734], dans Nouvelles du xviie siècle, ouvr. cité, p. 1124.
-
[17]
« Christine […] fut si transportée par la lecture de cette fidelle relation, qu’elle en oublia jusques à son sexe, et par une resolution au dessus d’elle-mesme, et digne d’elle seule, forma le dessein de disputer aux plus braves du Royaume l’honneur de bien servir un si digne Maistre » (HM, i, p. 121-122).
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[18]
« Saint Aubin […] par l’exemple de l’illustre Duc, à qui il s’estoit attaché, se fortifioit chaque jour dans la resolution qu’il avoit prise de continüer le mestier de la guerre » (HM, ii, p. 202).
-
[19]
Le narrateur décrit ainsi le tempérament et l’humeur de Christine dès les premières pages : « Elle était née avec une passion si violente pour les armes, qu’elle sut plutôt tirer un fusil que manier un fuseau ; et dès l’âge de neuf ans elle se servait de toutes sortes d’armes à feu avec une adresse incroyable : elle avait beaucoup de répugnance à apprendre à lire ; et pour l’obliger à prendre quelques leçons, il fallut lui permettre d’aller deux jours de la semaine à la chasse » (HM, i, p. 4-5). Voir aussi : « il craignait d’ailleurs l’humeur libre de cette fille, qui avec des inclinations si différentes des autres personnes de son sexe, aurait bien de la peine à s’accoutumer dans un pays où les femmes vivent avec tant de circonspection » (HM, i, p. 20-21).
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[20]
La définition que l’abbé de Charnes donne de l’histoire galante souligne clairement cet enjeu : « Enfin nos derniers Auteurs ont pris une voie qui leur a semblé plus propre à s’attacher le Lecteur, et à le divertir ; et ils ont inventé les Histoires galantes, dont je vous ai fait d’abord la description. […] Ce sont des copies simples et fidèles de la véritable histoire, souvent si ressemblantes, qu’on les prend pour l’histoire même. Ce sont des actions particulières de personnes privées ou considérées dans un estat privé, qu’on développe et qu’on expose à la vue du public dans une suite naturelle, en les revêtant de circonstances agréables, et qui s’attirent la créance avec d’autant plus de facilité, qu’on peut souvent considérer les actions qu’elles contiennent, comme les ressorts secrets des événements mémorables, que nous avons appris dans l’Histoire » (Jean Antoine de Charnes, Conversations sur la critique de La Princesse de Clèves, ouvr. cité, p. 676-677).
-
[21]
Le Dictionnaire universel (La Haye et Rotterdam, A. et R. Leers, 1690) d’Antoine Furetière propose cette définition qui souligne bien le côté outrageant de l’insulte. « Gavache » : « est un terme injurieux dont on se sert en Espagne en mesprisant les personnes sans coeur et mal vestuës. Ce mot vient de gavacho Espagnol. On nomme ainsi le peuple qui habite les montagnes qui séparent la France de l’Espagne ».
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[22]
Ce passage se trouve dans HM, ii, p. 140 et suiv.
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[23]
Voir l’article de Bernard Beugnot, « Y-a-t-il une problématique féminine de la retraite ? », dans Wolfgang Leiner (dir.), Onze études sur l’image de la femme dans la littérature française du dix-septième siècle [1978], Tübingen/Paris, Gunter Narr Verlag/Jean-Michel Place, 1984, p. 25-40.
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[24]
Notons toutefois que Préchac réfute à l’avance l’objection qu’on pourrait lui faire d’intercaler trop de billets en précisant qu’il ne retient que les lettres les plus significatives pour le lecteur, accentuant du même coup la vraisemblance de son procédé : « Je voudrois bien les insérer icy toutes pour la satisfaction du Lecteur ; mais il y a des Lettres qui sont quelquefois tres-bonnes pour celuy qui les écrit, et pour ceux à qui elles sont adressées, qui deviennent souvent fades pour d’autres qui n’en ayant pas la clef, ne sçauroient en goûter la finesse. Je me contenterai d’en mettre icy une seule qui me paroist la plus aisée à entendre » (HM, iii, p. 103).
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[25]
Voir HM, ii, p. 218 et suiv.
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[26]
Voir, par exemple, ce passage : « cette illustre Heroïne ayant formé le dessein de servir, et s’estant bien promis de n’avoir jamais de passion que pour la gloire, avoit fait un equipage » (HM, ii, p. 160).
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[27]
« Cependant, quelque pressante que fust sa passion, son devoir le pressoit encore plus » (HM, ii, p. 159).
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[28]
Nous avons traité plus longuement de cette question dans notre article « L’héroïne mousquetaire de Préchac ou la galerie des mauvais amants », dans Lucie Desjardins, Marie-Christine Pioffet et Roxanne Roy (dir.), Errances, égarements, erreurs, hérésies au xviie siècle. Actes du 45e Congrès de la NASSCFL, tenu à Québec les 4-5-6 juin 2015, Tübingen, Gunter Narr Verlag, coll. « Biblio 17 », à paraître (2017).
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[29]
« Cette derniere circonstance fit juger à tout le monde qu’il estoit fort criminel, et qu’il avoit brûlé ses Lettres, afin qu’on ne pût le convaincre. » (HM, iii, p. 168)
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[30]
Du Plaisir, dans son traité, insiste sur la fonction morale de la nouvelle en la comparant au théâtre, rapprochement qui nous semble particulièrement significatif : « Ces sortes d’histoires, aussi bien que les pièces de théâtre, sont d’elles-mêmes une école d’édification ; leur conclusion doit toujours enfermer une morale […] Quelque malheureuse que soit la vertu, elle est toujours dépeinte avec des attraits ; elle intéresse, elle donne de la pitié. Au contraire, le moindre vice, ou d’habitude ou d’inclination, quelque favorable qu’il soit, paraît toujours avec des dangers, s’il ne paraît pas avec des châtiments. » (Sentiments sur les lettres et sur l’histoire avec des scrupules sur le style, ouvr. cité, p. 70.)
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[31]
Andreas Nijenhuis, « La Guerre de Hollande (1672-1678) », art. cité, p. 319.
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[32]
La nouvelle est éditée en France (t. 1 et 2 en 1677 ; t. 3 et 4 en 1678 ; puis rééditée en 1713, 1722 et 1775 « Ornées de Figures en taille-douce ») ; des contrefaçons et des réimpressions des copies parisiennes circulent à Amsterdam (1677-1678, 1680, 1681, 1692, 1702, 1713, 1723, 1744), à Cologne (1677) et à La Haye (1744). Elle est traduite en anglais (publiée à Londres en 1678-1679 et en 1700), en néerlandais (publiée à Amsterdam : 1679, 1680, 1686 et 1738), en italien (Venise, G. Hertz, 1681) et en allemand (s. l., s. n., 1727). Pour un portrait plus détaillé de la réception de L’héroïne mousquetaire, voir l’article suivant : Rudolf Harneit, « Quelques aspects de la réception de Mme de Villedieu et Jean de Préchac en Europe : éditions, rééditions et traductions de leurs romans et nouvelles », dans Nathalie Grande et Edwige Keller-Rahbé (dir.), Littératures classiques, no 61, printemps 2007, p. 275-293.